Le Simurgh
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LE SIMURGH
Conte de Marco Beretta © 2015
inspiré d’une légende perse ancienne
Comme chaque printemps après le dégel, des centaines de milliers d’oiseaux de toutes sortes prirent leur envol pour se rassembler sur les rives du grand lac Urmia, en Azérie, région située à l’ouest de la Perse.
Le soulagement d’avoir survécu à un autre hiver était grand. Les retrouvailles avec les vieux amis au milieu de cette foule écrasante, furent suivies par l’échange interminable des récits et mélodies que chacun avait rapporté de lointaines contrées. C’était comme un massage de mots et de chants qui soulageait l’immense troupeau pris d’une fièvre de rires, de soupirs et d’émerveillement
Cette année encore, beaucoup racontèrent la légende du Simurgh.
Le Simurgh était l’oiseau divin, l’esprit suprême de tous ceux qui ont des ailes, si vieux, disait-on, qu’il avait vu le commencement et la fin de trois mondes, de trois univers entiers.
Le grand volatile avait brûlé et été réduit en cendres de nombreuses fois, mais à chaque fois, il en était ressorti plus grand, plus sage et plus fort que tous les oiseaux de ce troupeau réuni. On disait qu’il volait plus haut que les nuages et même au-delà du ciel.
Ce devait être pour les eaux du lac, plus chaudes que d’habitude, ou pour la couleur des fleurs, plus vives que les autres années, ou pour l’hiver si rude qui venait de se terminer et qui avaient laissé aux survivants une envie de vivre qu’ils s’étaient rarement vue, ou bien pour une autre raison inconnue, car ce printemps-là, après s’être raconté et chanté cette histoire de nombreuses fois, une idée étrange commença à se répandre parmi la foule, une idée qui fit son chemin dans le cœur de centaines de milliers d’oiseaux.
“Nous devons trouver le Simurgh !”
C’était comme un éclair lent, une marée de têtes hochant leurs becs en accord sur cet incroyable défi.
Alors, ce même jour, les ailes se remirent à battre et, un à un, les milliers d’oiseaux s’envolèrent vers les quatre coins de l’horizon, déterminés à réaliser l’impossible.
Mais, comme il arrive bien souvent, les bonnes intentions ne firent pas le poids face aux difficiles épreuves, si bien que peu de temps après, presque tout que ceux qui avaient pris leur envol abandonnèrent leur objectif.
Certains prétendirent que c’etait la saison des accouplements, un appel irrésistible. D’autres qu’ils avaient besoin de se reposer dans des contrées plus clémentes et qu’ils n’avaient pas assez de forces pour traverser les grands déserts et les océans. D’autres encore qui durent recouvrer leur bon sens et laisser une telle folie aux plus jeunes et aux plus irresponsables. Enfin, presque tous revinrent à leur routine habituelle.
Ainsi s’écoula le reste du printemps, puis vint l’été ardent, puis l’automne mélancolique et un nouvel hiver, plus dur encore que le précédent.
Les centaines de milliers partis à l’aventure s’étaient d’abord réduits à quelques milliers, puis des centaines, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une petite bande d’oiseaux courageux, déterminés à poursuivre à tout prix ce vol pour trouver le Simurgh.
Ils étaient trente, trente oiseaux qui se retrouvèrent ensemble dans le bassin de Ferghana, au pied des plus hautes montagnes du monde connu, tandis que la fin de l’hiver mordait encore l’air avec ses griffes gelées.
Tous ces oiseaux portaient une certitude à l’intérieur. Une certitude qui n’était pas fortuite, ce n’était pas une rumeur, ce n’était pas une légende sans fondement. Ou plutôt, au travers des milliers de kilomètres parcourus, des milliers de questions posées à chaque bouche qui pouvait répondre, des milliers de légendes et de contes entendus, les trente oiseaux avaient conservé un indice qui s’était consolidé en eux comme quelque chose de plus qu’une suggestion, de plus qu’un « on dit », de plus qu’une possibilité.
Le Simurgh existait bel et bien et il étaient près d’ici !
Ces retrouvailles renforcèrent cette certitude inébranlable et leur volonté de trouver le Simurgh devint aussi forte que l’épée qui sort de la forge, plus forte même que le besoin de respirer.
Ils savaient maintenant tous que le Simurgh vivait dans une vallée verdoyante, au bord d’un lac à l’eau plus claire que le verre le plus poli qu’on puisse concevoir. Malgré cela, cette vallée était située derrière ces hautes montagnes qu’on apercevait à l’est, avec des crêtes pointues comme les dents acérées d’une scie, un mur impitoyable qui les séparait de la prise si convoitée.
Peu importe, se disaient-ils. Ce sera le Simurgh… ou la mort !
Et ils partirent ainsi, sans plus tarder ni hésiter.
Ce fut le vol le plus dangereux, le plus téméraire, le plus ardu et le plus douloureux qu’ils avaient entrepris jusque-là mais, au risque de tous mourir dans la tempête, de tous tomber sous l’avalanche, de tous se perdre dans le brouillard, aucun des trente frères et sœurs ne fut laissé en arrière pour traverser le col de roches battues par les vents glacials.
Finalement ils traversèrent la montagne et, épuisés, ils découvrirent derrière une vallée d’un vert profond et apaisant. À mesure que l’air devenait plus chauds en descendant, ils virent un lac aux eaux cristallines comme un diamant du grand Khan des steppes.
Ils survolèrent ce lac ensemble, anxieux, excités, et certains au plus profond de leurs cœurs que c’était maintenant ou jamais, que tout allait se jouer en un clin d’œil.
À ce moment, ils regardèrent leur reflet dans l’eau du lac, et ils le virent.
Ils se virent, tous les trentes si unis, si reliés, volant dans une telle unisson, qu’ils formaient ensemble la silhouette d’un gigantesque oiseau, qui paraissait plus sage et parfait qu’eux tous réunis. L’oiseau que pendant une longue année d’incertitudes et de peines infinies ils avaient recherché.
Alors le Simurgh se reconnut lui-même, et se posa sur la rive du lac pour admirer toutes les couleurs des trente oiseaux courageux. Il hocha la tête avec douceur et compassion. Il se souvint de ces trente vies de souffrance, de froid, d’obscurité, d’égarement, de manque, de larmes, mais également des rires, des embrassades, des regards amicaux et sereins.
Le Simurgh s’arrêta pour réfléchir au poids des ombres face aux lumières, et, comme il l’avait fait des milliers de fois auparavant, pour soupeser la possibilité d’aller de l’avant.
Partagé par ces sentiments, aussi vrais que trompeurs, il se souvenait aussi des instants éphémères de liberté dont il avait joui dans le monde incarné.
Ce monde était comme une énorme roue, plus forte que tout obstacle qui pourrait s’interposer entre ses engrenages. Une roue immense qui entraînait dans ses révolutions imparables chaque âme et chaque particule, ne laissant que l’apparence d’une volonté, l’illusion de pouvoir décider de prendre un côté ou l’autre de la route.
Mais, le Simurgh le savait bien lui, entre ces dents impitoyables de la roue cosmique, il y avait un espace, un espace minimal, petit comme le plus infime angle d’ouverture des ailes qui battent dans l’air. Un degré imprévisible et insondable que seule la liberté de l’oiseau solitaire pouvait ouvrir ou replier et, avec ce degré de liberté, il pouvait contrer le flux d’air de telle sorte qu’il provoquerait ou dissoudrait un ouragan gigantesque et destructeur à des milliers de miles de distance.
Cette infime fraction de réalité était l’impossible à prévoir, autant que même le Dieu des humains ne pouvait savoir vers où elle pouvait conduire.
C’est pour cette liberté, pour ce petit battement d’aile en plus ou en moins de tant d’oiseaux qui n’étaient qu’un, ce degré qui faisait que rien n’était jamais vraiment décidé, que le Simurgh se dit: “Ça valait la peine…”
Et déployant ses ailes, il se répandit de nouveau à travers le monde, il retourna explorer tous les univers possibles, pour affronter à nouveau tous les froids, les confusions et les vides, tous les rires, les embrassades et les calmes pour que le jeu, le grand jeu d’étendre le possible, le grand jeu du Simurgh suive son cours, un cours qui n’a jamais commencé et jamais ne finira.
Traduit par Roland Beaussant et publié avec l’accord de Marco Beretta pour contesdefees.com.
FIN
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