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Le vaillant petit tailleur

Alexandre Dumas - Frères Grimm
Bruitages & Musiques
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Conte pour petits et grands à partir de 6 ans.

Temps de lecture : 27 minutes

Par une belle matinée d’été, un petit tailleur de Biberich était assis sur son établi devant sa fenêtre. Il était de belle humeur, et, tout en tirant son aiguille, il chantait de toutes ses forces une vieille ballade, où il était question d’un pauvre pâtre qui avait épousé la fille d’un empereur.

Comme il en était au dernier couplet de sa chanson, voici qu’une paysanne vint à passer en criant :
— Bonne marmelade, à vendre ! bonne marmelade !
Cela sonnait bien à l’oreille du petit tailleur. Il ouvrit un carreau, passa sa tête par l’ouverture, et cria à son tour :
— Par ici, bonne femme, par ici ! et l’on vous débarrassera de votre marchandise.

La femme monta les trois étages du tailleur quatre à quatre, croyant qu’en effet elle avait trouvé un débouché pour son commerce. Cette croyance se confirma quand il lui eut fait ouvrir tous ses pots les uns après les autres : marmelade de prunes, marmelade d’abricots, marmelade de pommes, marmelade de poires, etc., etc.

Le petit tailleur, s’arrêtant à la marmelade d’abricots, s’en alla couper une large et longue tranche de pain, et dit à la paysanne :
— Étendez-moi là-dessus une bonne couche de marmelade d’abricots, et, quand il y en aurait une once, bah! la journée a été bonne, cela ne ferait rien.

La bonne femme, qui avait pris au sérieux les paroles du petit tailleur, et qui avait cru être débarrassée de la moitié de sa marchandise au moins, fouilla dans le pot à la marmelade d’abricots avec sa cuiller de bois, et, comme l’avait demandé le petit tailleur, couvrit grassement la tartine d’un bout à l’autre.

— La ! dit-elle, en voilà pour un kreutzer. Le petit tailleur marchanda un instant, mais enfin se décida, et paya son kreutzer. La paysanne s’en alla tout en grommelant, mais le petit tailleur n’y fit pas attention.
— Cela sera un peu agréable à manger, dit-il; mais, avant d’y mordre, il s’agit de finir ma veste.

Et, en vertu de cette bonne résolution, il posa sa tartine près de lui, et continua de coudre; mais, comme la tartine lui tirait l’œil, il fit des points de plus en plus grands. Pendant ce temps, l’odeur de la marmelade se répandit dans la chambre et attira les mouches, qui volaient par centaines ; si bien, qu’au risque de ce qui pouvait leur arriver, les gourmandes s’abattirent en masse sur la tartine.

— Eh bien, qui donc vous a invitées, drôlesses? dit le petit tailleur.

Et il essaya de les chasser d’un revers de main. Mais les mouches, effarouchées un instant, ne quittèrent la tartine que pour revenir plus nombreuses.
Le petit tailleur craignit que, s’il finissait sa veste, si grands qu’il fît les points, et s’il laissait faire les mouches, si peu que chacune mangeât de marmelade, il ne trouverait plus que le pain, lorsque la veste serait finie.

— Attendez, attendez, dit-il en tirant son mouchoir, je vais vous en donner de la marmelade, moi!

Et il frappa sur les pillardes sans miséricorde.

Lorsqu’il eut cessé de frapper, et que toutes les mouches qui avaient survécu à la bataille furent remontées au plafond, il compta les morts : il n’y en avait pas moins de sept étendues sur le flanc, dont trois ou quatre gigotaient encore.

— Décidément, tu es un fier gaillard ! dit le petit tailleur en extase devant sa propre vaillance. Par ma foi ! il faut que toute la ville sache ce que tu viens de faire !

Et aussitôt le petit tailleur se coupa une ceinture à même une pièce de drap noir dont il devait faire habit, veste et culotte au curé, et, sur cette ceinture, il piqua en gros caractères, avec du fil rouge : Sept d’un coup!

La ceinture faite, il la boucla autour de sa taille, et trouva qu’il avait ainsi l’air si vaillant et si tapageur, qu’il s’écria :

— Ce n’est point la ville seule qui doit savoir ce que je suis, c’est le monde tout entier !

Alors, laissant là son habit inachevé et la pièce de drap intacte, sauf la ceinture qu’il lui avait empruntée, il mangea la tartine qui avait été la cause première de toute cette exaltation, et visita la maison pour voir s’il ne pouvait rien emporter. Il ne trouva rien qu’un vieux fromage rond, (deux fois gros comme un œuf; si vieux, qu’il ressemblait à une pierre; il le mit néanmoins dans sa poche.

En sortant de la ville, il aperçut une alouette qui se débattait dans un buisson. Il courut à l’oiseau, s’aperçut qu’il était pris au collet, le dégagea à temps pour lui sauver la vie, et le mit tout vivant dans son autre poche, en la fermant au bouton par dessus lui.

Alors il se lança bravement par le chemin, et, comme il était léger et joyeux, il ne ressentit pas de fatigue.

Son chemin le conduisit au haut d’une montagne, sur le plateau le plus élevé de cette montagne était assis un géant.
Ce géant était si grand, qu’il semblait une statue vivante dont la montagne n’était que le piédestal. Un autre que le vaillant petit tailleur se fût sauvé; lui, au contraire, alla droit au géant.

— Bonjour, camarade ! lui dit-il en se renversant en arrière pour tâcher de voir son visage. Je parie que tu es monté sur cette montagne pour voir le vaste monde. Moi, je suis en route pour le visiter; veux- tu venir avec moi ? Le géant baissa la tête, chercha des yeux le petit tailleur, finit par le trouver, et, le regardant d’un air méprisant :

— Niais ! lui dit-il, moi aller avec un infime de ton espèce !

— Ah ! c’est comme cela ! dit le petit tailleur.

Et, ouvrant son pourpoint, il montra fièrement au colosse sa ceinture, sur laquelle étaient écrits ces mots : Sept d’un coup !

Le géant les lut, crut que c’étaient sept hommes que le petit tailleur avait d’un seul coup mis à mort, et se sentit pour lui une certaine considération. Cependant il voulut le mettre à l’épreuve, et, prenant une pierre dans sa main :

— Tiens,fais cela, dit-il.

Et il l’écrasa de manière que des gouttes d’eau en sortirent.

— Bon! dit le petit tailleur, n’est-ce que cela? Chez nous, cela s’appelle un jeu d’enfant.

Et, tirant de sa poche son fromage, il le serra si bien, que l’eau en sortit entre tous ses doigts.

Le géant, vu la couleur, avait pris le fromage pour une pierre. Il ne savait que dire, n’ayant pas cru qu’un être si chétif fût capable d’une pareille prouesse.

Alors le géant se baissa, ramassa un caillou et le lança à une telle hauteur, que l’œil le perdait presque de vue.

— Allons, petit bout d’homme, dit-il, tâche d’en faire autant.

— Bien lancé ! dit le nain. Mais, si haut qu’ait monté ta pierre, il lui a fallu retomber. Eh bien, regarde cela. Je vais en lancer une, moi, qui ne retombera pas.

Et, faisant semblant de se baisser et de ramasser un caillou à terre, il fouilla dans sa poche, y prit l’alouette, la lança en l’air, et celle-ci, heureuse de se retrouver libre, monta, monta encore, monta toujours, et ne redescendit point.

— Ah ! ah ! lit le tailleur, eh bien, qu’en dis-tu, camarade?

— Bravo ! dit le géant ; mais nous allons voir maintenant si tu es en état de porter un certain poids.

— Mets le monde sur mon épaule, dit le petit tailleur, et je ne le changerai de côté que dans une heure.

Le géant conduisit le petit tailleur auprès d’un énorme chêne déraciné et couché sur le sol.

— Aide-moi à porter cet arbre hors du bois, si tu es de taille, lui dit-il.

— Volontiers, répondit le petit tailleur : mets le tronc sur ton épaule ; moi, je porterai le bout avec toutes les branches. Tu ne nieras pas que ce ne soit le plus lourd, j’espère ?

Le géant ne nia point, mit le tronc sur son épaule, tandis que le petit tailleur s’assit tranquillement sur une branche ; et, comme le géant ne pouvait point se retourner pour regarder derrière lui, il dut porter à lui seul le chêne et le tailleur par-dessus le marché, suant sang et eau, tandis que le tailleur sifflait gaiement : Trois compagnons passaient le Rhin, Gais et portant la tête haute !… absolument comme si porter cet énorme chêne était une bagatelle.

Après avoir cheminé ainsi pendant quelque temps, traînant ce lourd fardeau, le géant, tout essoufflé, s’arrêta.

— Écoute, dit-il, il faut que je laisse tomber l’arbre ; je ne puis aller plus loin.

Le tailleur sauta prestement à terre, prit l’extrémité de la dernière branche entre ses bras, comme s’il l’avait portée toujours et la portait encore , et dit au géant :

— Tu es pourtant un gaillard de solide apparence, et néanmoins tu ne peux porter ta part de cet arbre? Allons, allons, tu n’es pas fort, mon brave homme.

Ils continuèrent leur chemin. Le géant, tout honteux de sa déconvenue, muet et silencieux, tandis que le petit tailleur, alerte et joyeux, allait le nez au vent, tout fier de sa supériorité sur le colosse. Ils passèrent devant un cerisier. Le géant prit l’arbre par la cime, où pendaient les fruits les plus-mûrs, courba cette cime et la mit dans la main du petit tailleur, en lui disant :

— Tiens cette branche et mangeons des cerises.

Mais le petit tailleur était bien trop faible pour tenir l’arbre plié, de sorte que, lorsque la branche, en se redressant, fit ressort, elle enleva le petit tailleur, qui passa par-dessus la cime de l’arbre et alla, par bonheur, retomber de l’autre côté dans des terres labourées, où il ne se fit aucun mal.

— Qu’est-ce à dire? fit le géant. N’as-tu pas la force de retenir ce faible arbuste?

— Bon ! répliqua le petit tailleur, il s’agit bien, quand on a broyé une pierre que l’eau en est sortie, jeté un caillou si haut qu’il n’est point retombé sur la terre, porté un chêne si lourd qu’il a failli t’écraser, il s’agit bien de plier un malheureux cerisier ! Non; j’ai sauté par-dessus, comme tu as pu voir ; tâche d’en faire autant, toi.

Le géant essaya; mais, comme il s’accrocha les pieds dans les branches, il s’en alla tomber lourdement et tout de son long dans le champ où le petit tailleur était retombé sur ses pieds.

— Ah ! pardieu ! dit-il, puisque tu es un si brave compagnon, viens un peu passer la nuit dans notre caverne

— Volontiers, dit le petit tailleur sans hésiter.

Et il suivit le géant.

En entrant dans la caverne, le petit tailleur vit une douzaine de géants qui soupaient. Chacun tenait, par les pattes de derrière, soit un mouton, soit un veau, soit un daim, soit un chevreuil rôti, et y mordait à belles dents. Le petit tailleur regarda autour de lui, et, voyant l’immense caverne, se dit :

— Peste ! voilà quelque chose d’un peu plus vaste que mon atelier.

Puis , prenant un morceau de pain et une tranche de venaison, il soupa à son tour, alla boire à la source, et rentra tranquillement à la caverne, en disant au géant :

— Çà, où coucherai-je? Le géant lui montra un lit qui était grand comme douze ou quinze billards mis à la suite les uns des autres. Le petit tailleur commença par s’y fourrer ; mais, trouvant le lit trop grand pour lui, il descendit de l’autre côté et se couclia dans la ruelle.

Quand vint minuit, le géant qui l’avait introduit parmi ses compagnons se leva sans bruit, et, le croyant plongé dans un profond sommeil, prit une barre de fer, et, d’un seul coup, brisa le lit en deux.

— Bon ! dit-il après cette belle prouesse, je crois bien pour cette fois en avoir fini avec cette sauterelle.

Au point du jour, les géants partirent pour la forêt, et ils avaient déjà complètement oublié le petit tailleur, lorsqu’ils virent celui-ci qui venait à eux joyeux et chantant.

— Sept d’un coup ! dirent-ils en l’apercevant ; nous ne sommes que douze, il n’en aurait pas même pour deux coups !

Et ils s’enfuirent comme s’ils eussent eu le diable lui-même à leurs trousses !

Le vaillant petit tailleur ne s’amusa point à courir après les géants, de la société desquels il ne se souciait pas trop de son côté, et continua seul sa route, marchant tout droit devant lui ; car peu lui importait où il allait.

Après avoir marché depuis le point du jour jusqu’à midi, il arriva dans le jardin d’un beau palais, qui lui parut être celui du roi du pays, et, comme il était fatigué, il s’étendit sur le gazon et s’endormit.

Pendant ce temps, des gens qui passaient l’examinèrent, car ils le reconnaissaient pour étranger, et ils lurent sur sa ceinture : Sept d’un coup.

— Dieu du ciel! se dirent-ils, que vient faire ici, au milieu de la paix, un pareil pourfendeur? Il faut que ce soit quelque héros de haute renommée !

Ils allèrent l’annoncer au roi, lui disant que, si quelque guerre venait à éclater, ce serait là un homme utile et qu’il était, par conséquent, important de ne pas le laisser partir. Ce conseil parut bon au monarque, qui dépêcha vers le dormeur un de ses courtisans, chargé de lui faire ses offres pour entrer à son service.

L’envoyé n’osa point réveiller un homme qui paraissait si terrible, de peur qu’il n’eût le réveil mauvais, et il resta debout devant lui, attendant qu’il voulût bien ouvrir les yeux.

Le tailleur, après avoir fait attendre le messager du roi une bonne heure, commença enfin à se détirer, à se gratter l’oreille et à cligner de l’œil. Le courtisan fit alors sa commission, lui offrant, de la part du roi, toutes sortes d’avantages, s’il consentait à accepter un grade dans l’armée.

— Pardieu ! répondit le petit tailleur, je ne suis venu que pour cela; mais je vous préviens que je n’accepterai point de grade au dessous de celui de général en chef.

— Je crois bien que c’est celui que le roi a l’intention d’offrir à Votre Excellence , répondit le courtisan ; au reste , si vous voulez me suivre au palais, où Sa Majesté vous attend, vous ne tarderez pas à être renseigné là-dessus.

Le petit tailleur, sur cette promesse, suivit le courtisan au palais. Le roi l’attendait ; il le reçut avec les plus grands honneurs, lui donna le titre de général en chef provisoire, lui assigna un traitement de vingt mille florins et le logea dans un de ses châteaux.

Mais tous les autres officiers de la couronne étaient fort indisposés contre lui; ils jalousaient cette fortune rapide, et l’eussent voulu à tous les diables.

— Qu’allons-nous devenir? se disaient-ils entre eux. Si jamais nous avons une querelle avec un pareil gaillard, il est capable, s’il frappe, de tuer à chaque coup sept d’entre-nous ; c’est ce qu’aucun de nous ne peut permettre. Ils résolurent alors de se rendre tous près du roi, et de donner à Sa Majesté une démission collective.

— Nous ne sommes pas faits, lui dirent- ils, pour vivre avec un homme dont la devise est : Sept d’un coup!

Le roi fut fort affligé de voir que, pour un homme de si grande valeur sans doute, mais en somme de si médiocre apparence, il allait perdre ses plus fidèles serviteurs ; il maudit la facilité avec laquelle il s’était engoué du nouveau venu, et avoua tout haut qu’il eût bien voulu en être débarrassé ; mais il n’osa lui donner son congé, car il craignait qu’il ne mît son armée en déroute, n’assommât son peuple et ne lui enlevât son trône.

Après bien des hésitations, il lui vint enfin une idée. Il fit dire au petit tailleur que, puisqu’il était un si grand héros, l’état de paix dans lequel on vivait devait lui être fastidieux, et que, s’il en était, il avait une proposition à lui faire.

— Par ma foi, dit le petit tailleur, je commençais à être las moi-même de ma paresse et honteux de mon oisiveté. Dites au roi que je vais aller, aussitôt mon déjeuner pris, écouter la proposition qu’il a à me faire.

Mais le roi ne se soucia point de se trouver en face d’un homme si terrible. Il lui fit dire de ne point se déranger, et qu’il allait recevoir sa proposition à domicile.

En effet, le même courtisan qui était venu la première fois chercher le petit tailleur, reparut devant lui. Il était chargé de la proposition du roi.

Le roi faisait savoir à son général en chef que, dans une forêt de son royaume dont il lui envoyait le plan, demeuraient deux énormes géants qui ne vivaient que de sang et de rapines, de feu et de sac, et qui causaient enfin les plus grands ravages dans le pays.

Ils étaient si redoutés, que personne n’osait plus traverser cette forêt, ou que, si quelqu’un la traversait par hasard, il regardait sa vie comme en danger pendant tout le temps qu’il n’en était pas sorti.

S’il tuait ces deux géants, il lui donnerait sa fille unique en mariage, et elle lui apporterait en dot la moitié de son royaume. Au reste, le roi offrait au vaillant petit tailleur cent cavaliers pour aide et pour escorte.

— Oh. ! oh ! dit celui à qui l’on faisait cette proposition, voici quelque chose qui me convient à merveille! Je connais les géants, j’ai eu affaire à eux et je m’en soucie comme de cela. Le petit tailleur fit claquer son pouce.

— Et la preuve, continua-t-il, c’est que je n’ai aucun besoin des cent cavaliers que le roi me fait offrir. J’irai trouver les géants seul, je les combattrai seul et les tuerai seul : celui qui en tue sept d’un coup ne s’effraye pas de deux géants.

Le petit tailleur partit donc, et, comme le roi avait insisté sur les cent cavaliers, il laissa ceux-ci à la lisière de la forêt, leur disant :

— Restez ici; je vais expédier les deux drôles, et, quand ce sera fini, je reviendrai vous le dire.

Les cent cavaliers, qui ne demandaient pas mieux que leur général en chef fit la besogne à lui tout seul, restèrent à la lisière de la forêt, tandis que celui-ci s’élançait bravement au plus épais du fourré.

Mais, au fur et à mesure qu’il s’avançait dans la forêt, il ralentit le pas, regardant avec précaution autour de lui; si bien qu’il finit par apercevoir les deux géants, qui étaient couchés endormis sous un arbre et qui ronflaient à qui mieux mieux.

Le petit tailleur, qui n’était point paresseux, ne perdit pas un instant; il bourra ses poches de pierres et grimpa sur l’arbre au pied duquel étaient couchés ses ennemis, arbre qui, par chance, était si branchu, qu’il était presque impossible de l’apercevoir au-milieu du feuillage.

Arrivé à la moitié de la hauteur de l’arbre, le petit tailleur rampa sur une branche et s’arrêta juste au dessus du visage des dormeurs, et, de là, laissa tomber une pierre, puis deux, puis trois sur l’œil de l’un des géants.

Celui-ci, à la première, ne sentit rien ; à la seconde, presque rien ; mais, à la troisième qui était un peu plus grosse, il ouvrit l’œil, et poussa son voisin, en lui disant :

— Pourquoi t’amuses-tu à me chatouiller le nez pendant que je dors ? Cela m’ennuie.

— Tu rêves, lui répondit l’autre. Je dors les poings fermés et ne songe point à te chatouiller.

Et les deux géants se rendormirent.

Alors, le petit tailleur lança sur la poitrine du second géant une pierre, puis deux, puis trois.

—Qu’est-ce à dire, demanda celui-ci, et que me fais-tu à la poitrine ?

— En vérité, répondit l’autre, je ne m’occupe pas plus de toi que du Grand Turc.

Et ils échangèrent encore quelques paroles acerbes; mais, comme ils étaient fatigués tous deux, ils se rendormirent une seconde fois.

Le petit tailleur alors choisit sa plus grosse pierre et la lança de sa plus grande force sur le nez du premier géant.

— Ah ! c’est trop fort ! s’écria celui-ci en sautant sur ses pieds comme un furieux, et, cette fois, tu ne diras point que ce n’est pas toi!

Et il tomba à bras raccourci sur son compagnon, qui, déjà de mauvaise humeur lui-même, lui rendit ses coups sans explication, de sorte qu’à force de se frapper l’un l’autre, ils entrèrent bientôt dans une telle rage, qu’ils arrachèrent les arbres pour s’en faire des massues, et s’assommèrent l’un l’autre jusqu’à ce que tous deux tombassent morts.

Alors le petit tailleur, sautant prestement à bas de son arbre :

— J’ai une fière chance, se dit-il à lui-même, qu’ils n’aient point arraché l’arbre sur lequel j’étais perché. Il m’eût fallu sauter comme un écureuil sur l’arbre voisin; mais bah! je suis si leste !

Il tira son sabre, donna à chacun des deux géants une paire d’énormes estocades dans la poitrine, puis il s’en alla rejoindre son escorte.

— La! dit-il aux cavaliers, voilà qui est fait. J’ai expédié mes deux gredins ; il y faisait chaud ; mais que pouvaient-ils contre un homme comme moi, qui en tue sept d’un coup?

— N’êtes-vous point blessé, général ? demandèrent les cavaliers.

— Bon ! il ne manquerait plus que cela, répondit le vaillant petit tailleur; ils n’ont, Dieu merci, pas touché à un seul de mes cheveux.

Les cavaliers ne pouvaient croire ce qu’ils entendaient; mais, sur les instances du petit tailleur, qui marchait à leur tête, ils entrèrent dans la forêt, où ils trouvèrent les deux géants baignés dans leur sang, et tout autour d’eux les arbres déracinés et la terre toute bouleversée.

Les cavaliers se regardèrent les uns les autres en se disant de l’œil :

— Peste ! il paraît qu’il y faisait chaud. Quel gaillard que notre général en chef!

Le petit tailleur coupa les deux têtes des deux géants, les attacha à l’arçon de sa selle et rentra en triomphe dans la ville, suivi de ses cent cavaliers.

Le roi, apprenant son retour par un messager que le tailleur lui avait envoyé pour le saluer de sa part et lui annoncer la victoire, vint au-devant de lui jusqu’à la lisière de la foret.

Là, le petit tailleur exigea de lui l’accomplissement de sa promesse, c’est-à-dire la main de sa fille et l’abandon de la moitié de son royaume ; mais, comme le roi regrettait d’avoir fait cette promesse :

— Avant de te donner ma fille et la moitié de mon royaume, lui dit-il, il faut que tu accomplisses encore une action d’éclat.

— Laquelle? demanda le petit tailleur.

— Dans une autre de mes forêts, répondit le roi, il y a une licorne qui cause d’énormes ravages ; il faut que tu me l’amènes vivante pour ma ménagerie.

— Je me moque de la licorne, ni plus ni moins que des deux géants ; sept d’un coup! c’est ma devise, dit le petit tailleur.

Il prit deux cordes d’égale longueur et un chariot, attelé de deux bœufs, pour y mettre la licorne quand elle serait prise, et garda ses cent cavaliers, non pas pour l’aider à prendre la licorne, mais pour le guider seulement jusqu’à la forêt où il espérait la rencontrer.

Une fois dans la forêt, il n’eut pas besoin de la chercher longtemps. Celle-ci, en l’apercevant, courut sur lui pour le transpercer.

— Tout doux, tout doux, la belle ! dit le petit tailleur, n’allons pas si vite.

Et il s’arrêta contre un arbre, attendit que la licorne ne fût plus qu’à dix pas de lui et passa prestement de l’autre côté de l’arbre. La licorne, qui venait sur lui pour le percer, enfonça sa corne si profondément dans l’arbre, qu’avant qu’elle eût eu le temps de la retirer, le petit tailleur lui avait lié les quatre jambes avec ses deux cordes.

— Ah! je tiens l’oiseau, dit-il en sortant de derrière son arbre. Et, avec la pointe de son sabre, il dégagea la corne de l’arbre. La licorne, sentant sa corne dégagée, voulut s’enfuir; mais, comme elle avait les quatre pattes solidement liées, elle tomba à terre et ne put se relever. Alors le petit tailleur retourna vers ses cavaliers et leur dit :

— Amenez le chariot, la bête est prise.

Et l’on mit la licorne dans le chariot, et le petit tailleur la ramena au roi. Cependant, celui-ci ne voulut point encore donner au vainqueur le salaire doublement gagné et il y mit une troisième condition.

Avant de célébrer son mariage, le petit tailleur devait se rendre maître d’un énorme sanglier qui ne le cédait en rien à celui de Calydon.

Ce sanglier faisait de grands dégâts dans une troisième forêt appartenant au roi. Le roi fit en hésitant cette proposition au petit tailleur ; car il sentait bien que celui- ci, pour peu qu’il fût de mauvaise volonté, était en droit de la refuser; mais le petit tailleur, toujours vaillant, répondit :

— Volontiers, sire; par ma foi, c’est un jeu d’enfant que de prendre les sangliers.

Le roi lui donna les cent cavaliers ; mais, comme pour la licorne, comme pour les deux géants , le petit tailleur ne permit point qu’ils entrassent dans le bois. Il y pénétra seul, à leur grande satisfaction, car ils connaissaient le sanglier : autrefois ils avaient tenté de le prendre et il les avait reçus de façon à leur ôter l’envie d’y revenir.

Le vaillant petit tailleur, qui pensait que le courage n’exclut aucunement la prudence, commença par prendre connaissance des lieux.

Il se trouva qu’à une centaine de pas de la bauge du sanglier, il y avait une petite chapelle gothique dont les fenêtres étaient si étroites, qu’il fallait être mince et svelte comme il était pour y passer. Une entrée fermée par une bonne porte de chêne se trouvait en face des fenêtres.

— Bon ! dit le petit tailleur, voici une souricière toute trouvée.

Et, du seuil de la chapelle, il se mit à lancer de toutes ses forces des pierres dans le roncier où se tenait le sanglier. Une de ces pierres atteignit le monstre. Il se leva sur ses pattes de derrière, et alors il parut au petit tailleur que son ennemi avait bien quatre pieds de haut. Quant à sa grosseur, elle était en proportion.

Mais rien de tout cela n’effraya le petit tailleur, qui continua d’attaquer l’animal, tout en le provoquant par ses cris.

Le sanglier regarda de tous côtés avec ses petits yeux recouverts de longs poils, mais brillant sous ces longs poils comme des es- carboucîes.

Puis, apercevant le petit tailleur, il fondit sur lui en faisant claquer ses dents.

Mais, au moment où le sanglier entrait par la porte, le petit tailleur sortait par la fenêtre. Le sanglier essaya d’en faire autant, mais la fenêtre était trop étroite.

Tandis qu’il s’obstinait inutilement à passer par l’ouverture, le petit tailleur fit rapidement le tour de la chapelle et revint fermer la porte à double tour, de sorte que le sanglier, comme l’avait dit le petit tailleur, se trouva effectivement pris ainsi que dans une souricière.

Alors, le petit tailleur conduisit ses cent cavaliers à la chapelle, afin qu’ils vissent bien son prisonnier. Puis il se rendit avec eux près du roi en lui disant qu’il n’avait plus à s’inquiéter du sanglier, et que, dans huit jours, le monstre serait mort de faim, à moins qu’il n’aimât mieux aller le fusiller lui-même, pour son plaisir, à travers les fenêtres de la chapelle

Cette fois, il fallut bien que le roi se rendît, et il donna enfin sa fille au vaillant petit tailleur avec la moitié de son royaume. Il va sans dire qu’il ne fit pas la chose sans regret; mais, s’il eût su que, au lieu d’être un grand guerrier, son gendre n’était qu’un pauvre petit tailleur, il en aurait eu un bien autre regret encore !

Le mariage se fit avec une grande magnificence, mais avec peu de joie, de la part de la fiancée et du beau-père du moins; car, pour le peuple, il était fort satisfait de se voir protégé par un si vaillant défenseur.

Quelque temps après, le jeune reine entendit dans la nuit son époux qui rêvait tout haut.

— Garçon, disait-il, achève-moi cette veste et raccommode-moi cette culotte, sinon je te donnerai de mon aune sur les oreilles.

Elle vit par là dans quelle ruelle était né son mari, et, le lendemain, elle alla tout raconter à son père, en le priant de la débarrasser d’un époux si indigne d’elle. Le roi la consola.

— Laisse la porte de ta chambre à coucher ouverte la nuit prochaine, lui dit-il ; mes serviteurs se tiendront dans le corridor, et, lorsque ton mari sera endormi, ils le garrotteront, et nous l’embarquerons sur un navire qui le portera à l’autre bout du monde.

Cette parole rendit la jeune femme fort contente, car elle n’avait épousé le petit tailleur que contrainte et forcée. Mais l’écuyer du roi, qui avait tout entendu et qui avait pris en amitié le petit tailleur, à cause de son courage, raconta à celui-ci tout le complot.

— C’est bien, se contenta de dire le vaillant petit tailleur.

Et, le soir, il se coucha comme d’habitude, à côté de sa femme. Lorsque celle-ci le crut endormi, elle se leva, ouvrit tout doucement la porte et vint se recoucher sans bruit.

Le petit tailleur, qui faisait semblant de dormir, dit alors à haute voix :

— Garçon, achève-moi vite cette culotte, et raccommode-moi ce gilet, sinon je te donne de mon aune sur les oreilles; moi, pendant ce temps, je vais donner une bonne volée à ceux qui viennent pour m’arrêter. Mordieu! j’en ai bien tué sept d’un coup! j’ai bien exterminé deux géants! j’ai bien garrotté la licorne ! j’ai bien pris le sanglier ! et j’aurais peur de ce tas de mirmidons qui est devant ma porte ! Allons, sept d’un-coup, cria-t il, sept d’un coup !

En entendant ces paroles terribles et qui leur promettaient une mort prompte et inévitable, surtout d’après ce qu’ils savaient, ou plutôt ce qu’ils croyaient savoir de la force et du courage du petit tailleur, ceux qui étaient venus pour l’arrêter s’enfuirent en toute hâte et comme s’ils eussent eu une armée à leurs trousses, si bien que, dans l’avenir, personne n’osa plus se frotter au roi Sept-d’un-coup, car c’était ainsi que le peuple l’appelait.

Un an après, le vieux roi mourut, et, au grand contentement du peuple, le roi Sept-d’un-coup hérita de l’autre moitié du royaume.

Je sais où règne cet excellent roi, mes chers enfants ; seulement, je ne veux pas le dire, attendu que l’on vit si heureux sous ses lois, que, si sa résidence était connue, tous les autres peuples déserteraient leur royaume pour aller vivre dans le sien.

 

Conte allemand du XIV siècle recueilli par les frères Grimm et traduit par Alexandre Dumas. Illustrations du domaine public: Arthur Rackham et autres.

FIN

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