Riquet à la houppe
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Conte original de Charles Perrault modernisé en 1902 par Pierre Féron. Illustrations de Gustave Doré, 1902 et autres gravures non signées.
Il était une fois une reine qui avait un fils si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine. Une fée, qui se trouva à son baptême, assura qu’il ne laisserait pas d’être aimable, parce qu’il aurait beaucoup d’esprit : elle ajouta même qu’il pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire, donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne qu’il épouserait.
Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui était bien affligée d’avoir pour enfant un si vilain marmot. Il est vrai que cet enfant ne commença pas plus tôt à parler, qu’il dit mille jolies choses, et qu’il avait dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel, qu’on en était charmé. J’oubliais de dire qu’il avait une petite houppe de cheveux sur la tête, ce qui fit qu’on le nomma Riquet à la Houppe, car Riquet était le nom de la famille.
La reine d’un royaume voisin avait deux filles. La première était plus belle que le jour. La même fée qui avait assisté à la naissance du petit Riquet à la Houppe, voulut modérer la joie de la reine ; elle lui déclara que cette petite princesse n’aurait point d’esprit, et qu’elle serait aussi stupide qu’elle était belle. Cela mortifia beaucoup la reine ; mais elle eut un bien plus grand chagrin ; car sa seconde fille se trouva extrêmement laide. « Ne vous affligez point tant, madame, lui dit la fée, votre fille sera récompensée d’ailleurs, et elle aura tant d’esprit, qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il lui manque de la beauté. — Dieu le veuille, répondit la reine ; mais n’y aurait-il pas moyen de faire avoir un peu d’esprit à l’aînée ? — Je ne puis rien pour elle, madame, du côté de l’esprit, lui dit la fée ; mais je puis tout, du côté de la beauté ; et, comme il n’y a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira. »
A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crurent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de la cadette. Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil, et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminée, sans en casser une ; ni boire un verre d’eau, sans en répandre la moitié sur ses habits.
Quoique la beauté soit un grand avantage, cependant la cadette l’emportait presque toujours sur son aînée, dans toutes les compagnies. D’abord on allait du côté de l’aînée, pour la voir et pour l’admirer ; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables ; et on était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avait plus personne au près d’elle, et que tout le monde s’était rangé autour de la cadette. L’aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien ; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. La reine, toute sage qu’elle était, ne pût s’empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise : ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.
Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C’était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui avait quitté le royaume de son père, pour la voir et lui parler. Il l’aborde, avec tout le respect et toute la politesse imaginable. Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu’elle était fort mélancolique, il lui dit : « Je ne comprends point, madame, comment une personne peut être aussi triste que vous le paraissez ; car, quoique je puisse me vanter d’avoir vu une infinité de personnes, je puis dire que je n’en ai jamais vu dont la distinction approche de la vôtre.
— Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse et en demeura là. — La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un grand avantage, et, quand on le possède, je ne vois pas qu’il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup.
— J’aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous, et avoir de l’esprit, que d’avoir de la beauté comme j’en ai, et être bête autant que je le suis.
— Il n’y a rien, madame, qui montre davantage qu’on a de l’esprit, que de croire ne pas en avoir, et il est de naturel que, plus on en a, plus on croit en manquer.
— Vous avez peut-être raison dit la princesse ; mais je sais que je suis fort bête, et c’est de là que vient le chagrin qui me tue.
— Si ce n’est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur.
— Et comment ferez-vous ? dit la princesse.
— J’ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l’esprit autant qu’on en saurait avoir à la personne que je dois épouser ; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez autant d’esprit qu’on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m’épouser. »
La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien. « Je vois, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne m’en étonne pas ; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre. »
La princesse avait si peu d’esprit, et en même temps une si grande envie d’en avoir, qu’elle s’imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais ; de sorte qu’elle accepta la proposition qui lui était faite. Elle n’eût pas plus tôt promis à Riquet à la Houppe qu’elle l’épouserait dans un an à pareil jour, qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’était auparavant : elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d’une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença, dès ce moment, une conversation soutenue avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d’une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir donné plus d’esprit qu’il ne s’en était réservé pour lui-même.
Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d’un changement si subit et si extraordinaire ; car autant qu’on lui avait ouï dire de bêtises auparavant, autant lui entendait-on dire des choses bien sensées et infiniment spirituelles. Toute la cour en eut une joie qui ne se peut imaginer ; il n’y eut que sa cadette qui n’en fut pas bien aise, parce que, n’ayant plus sur son aînée l’avantage de l’esprit, elle ne paraissait plus auprès d’elle qu’une guenon fort désagréable. Le roi se conduisait par ses avis, et allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement.
Le bruit de ce changement s’étant répandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins la demandèrent en mariage ; mais elle n’en trouvait point qui eût assez d’esprit, et elle les écoutait tous, sans s’engager avec aucun.
Un jour elle retourna par hasard se promener dans le même bois où elle avait trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodément à ce qu’elle avait à faire. Dans le temps qu’elle se promenait, rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent et qui agissent. Ayant prêté l’oreille plus attentivement, elle ouït que l’on disait : «Apporte-moi cette marmite ; » l’autre : « Donne-moi cette chaudière ; » l’autre : « Mets du bois dans ce feu. » La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d’officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois, autour d’une table fort longue, et qui tous, la cuillère à la main et le couteau dans l’autre, se mirent à travailler en cadence, au son d’une chanson harmonieuse.
La princesse, étonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient. « C’est, madame, lui répondit le plus bavard de la bande, pour le prince Riquet à la Houppe, dont les noces se feront demain. » La princesse, encore plus surprise qu’elle ne l’avait été, et se ressouvenant tout à coup qu’il y avait un an qu’à pareil jour elle avait promis d’épouser le prince Riquet à la Houppe, pensa tomber de son haut. Ce qui faisait qu’elle ne s’en souvenait pas, c’est que, quand elle fit cette promesse, elle était encore bête, et qu’en prenant le nouvel esprit que le prince lui avait donné, elle avait oublié toutes ses sottises.
Elle n’eut pas fait trente pas, en continuant sa promenade, que Riquet à la Houppe se présenta à elle, brave, magnifique, et comme un prince qui va se marier. « Vous me voyez, dit-il, madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour exécuter la vôtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes.
— Je vous avouerai franchement, répondit la princesse, que je n’ai pas encore pris ma résolution là-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez.
— Vous m’étonnez, madame, lui dit Riquet à la Houppe.
— Je le crois, dit la princesse, et assurément, si j’avais affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrassée. Une princesse n’a que sa parole, me dirait-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis ; mais, comme celui à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis sûre qu’il entendra raison. Vous savez que, quand je n’étais qu’une bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser ; comment voulez-vous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile que je n’étais, je prenne aujourd’hui une résolution que je n’ai pu prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tout de bon à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’ôter ma bêtise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais.
— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, serait bien reçu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je n’en use pas de même, dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que celles qui n’en ont pas ? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhaité d’en avoir ? Mais venons au fait, s’il vous plaît. A la réserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous déplaise ? Êtes vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manières ?
— Nullement, répondit la princesse ; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire.
— Si cela est ainsi, reprit Riquet à la Houppe, je vais être heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable des hommes.
— Comment cela se peut-il faire ? lui dit la princesse.
— Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous souhaitez que cela soit ; et afin, madame, que vous n’en doutiez pas, sachez que la même fée qui, au jour de ma naissance, me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qu’il me plairait, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celui à qui vous voudrez bien faire cette faveur.
— Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable ; et je vous en fais le don, autant qu’il est en moi. »
La princesse n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la Houppe parut, à ses yeux, l’homme du monde le mieux fait et le plus aimable qu’elle eût jamais vu.
Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent cette métamorphose. Ils disent que la princesse, ayant fait réflexion sur la persévérance de Riquet, sur sa discrétion et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps ni la laideur de son visage ; que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos ; et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boîter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait. Ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants ; et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’héroïque.
Quoi qu’il en soit, la princesse lui promit sur-le-champ de l’épouser, pourvu qu’il en obtînt le consentement du roi son père. Le roi, ayant su que sa fille avait beaucoup d’estime pour Riquet à la Houppe, qu’il connaissait d’ailleurs pour un prince très spirituel et très sage, le reçut avec plaisir pour son gendre. Dès le lendemain, les noces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l’avait prévu, et selon les ordres qu’il en avait donnés longtemps auparavant.
FIN
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