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L’oiseau bleu

Conte Arabe
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Conte pour petits et grands à partir de 3 ans.

Temps de lecture : 9 minutes

 

Il était, une fois, un pauvre homme, mais pauvre comme Job. Il avait, pour femme, une vraie mégère, grincheuse et maugréante, toute fripée de cœur et de corps, qui s’appelait «Ntsheko», ce qui veut dire sourire.

 

Heureusement, le pauvre, que la pêche l’entraînait souvent dehors, sinon il eût été le plus malheureux des hommes. On l’appelait communément « Mwan’ a Bahari ou Bahari tout court, qui veut dire Fils de l’Eau ».

 

Or, un matin, qu’il était parti, chargé de ses filets, au bord du lac, il entendit dans les roseaux un oiseau chanter d’étrange sorte.

 

Cet oiseau disait: Bahari, si tu devenais riche, perdrais-tu la tête littéralement serais-tu pas ivre ?

Rentré à la maison, Bahari dit à sa femme: J’ai vu, au bord de l’eau, un oiseau bleu, tout bleuet qui m’a dit : « Bahari, si tu devenais riche, ne perdrais-tu point la tête? »

 

« Je crois », lui répondit la femme « que tu l’as perdue déjà, la tête! Tu as certes mieux à faire que de rêver, au bord du lac, d’oiseau bleu et autres balivernes, pendant que les crocodiles déchirent tes filets et dévorent tes poissons. Va m’incontinent cher cher des silures et des poissons volants que j’en fasse richesse, en deniers sonnants ! »

 

«Tu seras toujours terre à terre, ô femme calamiteuse. Je m’en vais donc te chercher du poisson !… »

 

Et étant retourné, il entendit dans les roseaux un oiseau chanter d’étrange sorte. Il jeta ses filets, mais rien ne prit. Il les jeta encore, car il était patient, mais sans plus de succès.

 

Il était là, hésitant à rentrer, de peur de la maugréante, quand celle-ci s’en vint elle même à l’eau.

 

– Eh rêveur d’oiseau bleu, où es-tu », dit-elle.

 

« Viens-t-en ici » répondit-il, « viens entendre l’oiseau bleu »

 

Et l’oiseau répétait : « Bahari, si tu devenais riche, perdrais-tu pas la tête ? »

« L’entends-tu pas »? dit Bahari. Mais sa femme n’entendait rien.

 

Il releva ses filets: vides étaient-ils. De grands trous béants, bordés de végétations aquatiques étalaient leur misère.

 

A cette vue, Ntsheko, en colère, saisit un bâton et frappa son mari au travers du dos, lui criant: « Va-t-en au diable avec ton oiseau bleu ! Je ne veux plus te voir sous le chaume de notre hutte.  »

 

Et Bahari, s’en étant allé, s’endormit sur le sable,jusqu’au clair de lune, auquel il entendit de nouveau chanter l’oiseau bleu. Il s’éveilla ou du moins crut s’éveiller.

 

Il se voyait lui-même jetant ses filets et répondant à l’oiseau bleu : « Puis-je perdre quelque chose encore, après avoir tout perdu? Eh, non, je ne perdrais pas la tête !  »

 

Il releva ses filets et, chose étrange, admirable… il trouva dans les mailles de l’engin… du poisson, non pas, mais une femme parfaitement belle, jeune et souriante et qui semblait s’éveiller d’un long sommeil.

 

Bahari, de surprise n’en revenant, ne l’osa tirer sur le sable.

 

Elle s’en vint d’elle-même s’asseoir auprès de lui. A ce moment le soleil se leva, le lac disparut et ses roseaux.

 

Un oiseau bleu s’en était envolé. Et montant, montant toujours, il entraînait par son chant Bahari et la femme sur les nuages, comme en rêve, à travers des pays merveilleux.

 

Des mosquées, des palais, des jardins, tout remplis de fleurs et de femmes parées de fraîches tuniques, passaient sous leurs yeux. Il eût souhaité s’arrêter pour goûter ces trésors: des lacs d’argent remplis de poissons… quelle pêche !

 

Mais l’oiseau bleu les entraînait plus loin, lui et la femme, toujours plus loin, vers de nouvelles richesses et de nouvelles splendeurs.

 

Enfin, l’oiseau bleu descendit se poser dans un champ de maïs, aux tiges élancées et légères comme des bois de flèches, aux épis dorés comme de petits pains de miel.

 

La femme qui avait un instant laissé Bahari, revint le prendre et l’emmena par la main vers une femme plus belle encore, et qui n’était rien moins que la Reine de Saba, à cause de qui Salomon, dit le Coran, pécha.

 

Confondu devant tant de beauté, Bahari se jeta à ses pieds et se trouva, lorsque la dame le releva, revêtu d’habits d’or, de vair et d’écarlate. Un turban de pierreries lui ceignait le chef. Un long cimeterre, à la gaine cloisonnée d’émaux et de perles, à la poignée scintillante de diamants, lui bandait la taille. Il se vit alors, dans le miroir qu’elle lui tendait, plus beau qu’il n’avait jamais été, en ses jeunes ans.

 

Le grand eunuque parut bientôt, guidant vers le trône de Bahari (car il s’était assis sur le divan qui dominait le sol de marbre de plus de dix pieds), guidant une cour nombreuse et richement parée.

 

Le champ de maïs s’était, je l’oubliais, transformé en un palais dont les mille colonnes n’étaient autres que les tiges et les épis les corniches d’or. Une musique délicieuse semblait sourdre d’un bassin aux mille sources chantantes. Des femmes munies de larges éventails de plumes d’autruche, d’ibis, d’aigrette et de marabout, montées sur des manches d’ivoire, d’ébène et d’or, créaient du mouvement d’aile de leurs armes légères, une brise douce et parfumée.

 

Leurs robes pailletées d’or et d’argent, leurs corsages d’écaille, de nacre et d’orfroi, scintillaient sous le jour d’un dôme aux mille feux tamisés d’un soleil bienfaisant. Des enfants nus, noirs et blancs, dansaient des rondes charmantes.

 

Des jeunes filles de Libye et d’Egypte conduisaient, au bout de fluides rênes d’or, des petits singes gris et bleus. Bientôt, la Reine l’entraîna sous un baldaquin tendu d’étoffes resplendissantes. Un lit mobile roula jusqu’à eux, moelleux et parfumé.

 

Ici la Reine lui donna un baiser, plus doux que le miel, plus enivrant que le vin, plus parfumé que la cinnamome. Elle reposa dans le creux de sa poitrine comme un sachet parfumé.

 

Et lorsqu’ils s’éveillèrent, une Fée les invita, en souriant, à prendre un bain dans une piscine, où l’eau claire laissait transparaître un pavé de mosaïque, composé des quarante pierres précieuses de l’Orient, arrangées en fleurs, en rinceaux et autres ornements que les Occidentaux appellent « arabesques ». A l’heure du couchant, les amants s’allèrent promener dans les jardins du palais, merveilles d’architecture et de beauté, où l’Art et la Nature, dépassant les richesses des jardins de Sémiramis, collaboraient à y rendre le séjour divinement agréable et salutaire.

 

Des paons aux plumes oscellées, des ibis à l’aile blanche comme l’âme d’un enfant, des grues couronnées, des oiseaux de paradis et jusqu’à ces menus oisillons qui sont parés de toutes les couleurs, enchantaient ce séjour de leurs chants, de leurs cris.

 

Ils arrivèrent ainsi près d’un massif de roc, sur lequel régnait une tour svelte à la porte grillagée. Une humble tourterelle roucoulait dans le creux d’une meurtrière. Une touffe de violette parfumait le seuil de la porte, à l’ombre d’un pilier sculpté.

 

La Reine dit à Bahari: «Voici que je te confie le secret de notre bonheur. C’est ici la Tour de l’Oiseau Bleu; j’y tiens la cage où cette merveilleuse petite vie s’agite et chante.

 

Il ne faut jamais ouvrir cette cage – jamais vouloir interroger l’oiseau, le presser de se faire entendre, car cette cage est à double destin. Elle ouvre la porte au bien et au mal, au bonheur et au malheur.

 

Maintenant que tu es mon ami, mon doux époux, il importe que tu saches ce secret ». Leurs jours coulaient, tissés de joies variées, d’amour et de frais baisers. Les vins, les chants, les oiseaux, les fleurs, les parfums et les femmes étaient toute la vie de Bahari.

 

Mais le secret de l’oiseau bleu l’inquiétait. Parfois, le soir, tandis que la Reine était à sa toilette, Bahari rôdait au bas de la Tour, anxieux, craintif.

 

Son esprit était troublé comme par un vin capiteux… Il se croyait maître de son bon heur, lui-même. Il en voulait à l’oiseau bleu, de la dépendance dans laquelle il le tenait. Cette défense de le voir et lui ouvrir sa cage l’exaspérait.

 

Pourquoi cet obstacle devant un homme désormais si puissant et si riche? Pouvait-il y avoir une chose qui lui fût interdite?

 

Bahari oublia qu’il devait à cet oiseau tout son bonheur.

 

Et, un soir que la Reine venait de le quitter, il oublia tout, et le parfum et la douceur du dernier baiser, il oublia le charme des bras blancs de son épouse autour de son col, la caresse de ses yeux noirs fixant les siens, la douce chanson de sa parole, il oublia la défense.

 

Vite, comme un malfaiteur qui tue, il ravit à l’esclave nubienne qui soignait l’oiseau, la clef de la tour et la clef de la cage. Éperdue, celle-ci s’en était allée avertir la Reine, mais il était trop tard, l’impétueux

 

Bahari avait ouvert la Tour et la cage. L’oiseau bleu, s’envolant, l’avait enlevé dans les airs.

 

Bahari passa de nouveau sur les mosquées et les palais; puis s’étant regardé lui-même, il se reconnut tel qu’il était autrefois, vêtu des haillons du vieux pêcheur, traînant son filet.

 

Et tandis qu’il venait de toucher terre, il vit venir à lui la grincheuse et maugréante, la calamiteuse Ntsheko, dont le nom, par ironie veut dire Sourire .

Contes d’Afrique / Olivier de Bouveignes

 

Source: BNF Gallica

FIN

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