La Belle aux cheveux d’or
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Il y avait une fois la fille d’un roi qui était si belle, qu’il n’y avait personne de si beau au monde; pour cela on l’appelait la Belle aux Cheveux d’Or : car ses cheveux étaient plus fins que de l’or, d’un blonds merveilleux, tout frisés, et lui tombaient jusque sur aux pieds.
Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brochés de diamants et de perles ; on ne pouvait la voir sans l’aimer.
Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n’était pas marié, et qui était beau et riche.
Quand il eut appris tout ce qu’on disait de la belle aux Cheveux d’Or, bien qu’il ne l’eût jamais vue, il se prit à l’aimer si fort, qu’il en perdit la faim et la soif, et il se résolut à lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et l’ambassadeur parti chercher la princesse.
Quand il eut pris congé du roi et qu’il fut parti, toute la cour ne parlait d’autre chose; et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux Cheveux d’Or accepta sa demande, lui faisait déjà faire de belles robes et de jolies meubles.
Pendant ce temps, l’ambassadeur arriva chez la Belle aux Cheveux d’Or, et lui remit son message; mais, soit qu’elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, où que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l’ambassadeur qu’elle remerciait le roi, mais qu’elle n’avait pas envie de se marier.
L’ambassadeur repartit, bien triste de ne pas l’amener avec lui; il rapporta tous les présents qu’il lui avait portés de la part du roi : car elle était fort sage, et savait bien qu’il ne faut pas accepter de cadeau si on veut rester libre. Elle garda seulement un quarteron d’épingles d’Angleterre.
Quand l’ambassadeur arriva à la grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s’affligea de ce qu’il n’amenait pas la Belle aux Cheveux d’Or, et le roi se mit à pleurer comme un enfant : on le consolait sans en pouvoir venir à bout.
Il y avait un jeune garçon à la cour qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume: à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l’aimait, hors les envieux, qui étaient jaloux que le roi l’apprécie et qu’il lui confie ses affaires.
Avenant entendit parler du retour de l’ambassadeur, et qu’il n’avait pas eu de succès dans son voyage; Alors il dit, d’un air innocent : « Si le roi m’avait envoyé chercher la Belle aux Cheveux d’Or, je suis certain qu’elle serait venue avec moi. » Tout aussitôt les médisants allèrent dire au roi: « Sire, savez-vous ce que dit Avenant? Que, si vous l’aviez envoyé chercher la Belle aux Cheveux d’Or, il l’aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu’elle l’aurait tant aimé, qu’elle l’aurait suivi partout. »
Voilà le roi qui se met en colère, en colère tant et tant, qu’il était hors de lui.
« Ha! ha! dit-il, ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se croit plus beau que moi; allons, qu’on le mette dans ma grosse tour, et qu’il y meure de faim! Les gardes du roi allèrent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu’il avait dit; ils le traînèrent en prison et lui le maltraitèrent. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paille pour se coucher; et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraîchir : car la faim lui avait bien séché la bouche.
Un jour qu’il n’en pouvait plus, il dit en soupirant: « De quoi se plaint le roi? Il n’a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l’ai jamais offensé. » Le roi, par hasard, passait proche de la tour : et, quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, il s’arrêta pour l’écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi : « A quoi vous amusez-vous, sire? ne savez-vous pas que c’est un fripon? » Le roi répondit : « Laissez-moi là, je veux l’écouter. » Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui en vinrent aux yeux ; il ouvrit la porte de la tour et l’appela.
Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds : « Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si durement?
— Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu as dit que, si je t’avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d’Or, tu l’aurais bien amenée.
— Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien venté vos grandes qualités, que je suis persuadé qu’elle n’aurait pu résister ; mais je ne comprends pas pourquoi cela vous a fâché. »
Le roi trouva qu’effectivement il n’y avait pas de mal à cela ; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l’emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu’il lui avait faite.
Après l’avoir fait souper à merveille, il l’appela dans son cabinet, et lui dit : « Avenant, j’aime toujours la Belle aux Cheveux d’Or, ses refus ne m’ont point rebuté ; mais je ne sais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser : je te demande d’y aller pour voir si tu peux la convaincre. » Avenant répliqua qu’il était disposé à lui obéir en toutes choses , qu’il partirait dès le lendemain.
« Bien! dit le roi, je vais te donner un grand équipage.
— Cela n’est pas nécessaire, répondit Avenant; il ne me faut qu’un bon cheval, et une lettre de votre part. »
Le roi l’embrassa , car il était ravi de le voir sitôt prêt.
Le lendemain matin il prit congé du roi et de ses amis, et s’en allant tout seul, sans pompe et sans bruit. Il réflechissait au moyen de convaincre la Belle aux Cheveux d’Or d’épouser le roi. Il avait une carnet dans sa poche, et, quand il lui venait quelque bonne idée, il descendait de cheval et s’asseyait sous un arbre pour écrire, afin de ne rien oublier.
Un matin qu’il était parti à l’aube, en passant dans une grande prairie, il lui vint une très bonne idée; il mit pied à terre, et se plaça contre un saule près d’une petite rivière qui coulait au bord d’un pré. Après qu’il eut écrit, il regarda autour de lui, charmé de se trouver en un si bel endroit. Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe dorée qui bâillait et était en train de mourir, car elle avait voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté hors de l’eau.
Avenant en eut pitié; et, quoiqu’il eût pu l’emporter pour en faire son dîner, il décida de la remettre doucement dans la rivière. Dès que la carpe sentit la fraîcheur de l’eau, elle se réjouit, et se laissa couler jusqu’au fond; puis revenant toute contente au bord de la rivière, elle se mit à parler:
« Avenant, dit-elle, je vous remercie de m’avoir sauvé la vie; je vous le revaudrai. » Et ayant dit cela, elle s’enfonça dans l’eau ; et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de la grande civilité de la carpe.
Un autre jour qu’il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle (grand mangeur de corbeaux) : Celui-ci était près de l’attraper, et il l’aurait avalé comme en une bouchée, si Avenant n’eût eu pitié du malheureux oiseau. « Quelle tristesse, dit-il, que les plus forts oppriment toujours les plus faibles : quelle raison a l’aigle de manger le corbeau?»
Il pris son arc qu’il portait toujours dans son dos, ainsi qu’une flèche; puis, visant bien l’aigle, croc! il lui décoche la flèche dans le corps et le perce de part en Part; L’aigle tombe raide mort, et le corbeau, ravi, vint se Percher sur un arbre à côté. « Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau; mais je ne demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai. »
Avenant admira le bon esprit du corbeau et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si tôt qu’il ne voyait presque rien, il entendit un hibou qui criait désespéré. « Oulà! dit-il, voilà un hibou bien affligé; il pourrait s’être laissé prendre dans quelque piège.» Il chercha de tous côtés, et enfin il trouva un de ces grands filets que des oiseleurs tandaient la nuit pour attraper les oisillons. « Quelle pitié! dit-il; les hommes ne sont faits que pour se faire la guerre, ou pour persécuter de pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage. »
Il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit son envol; mais, revenant à tire d’aile, il lui dit : « Avenant, dit-il, il n’est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre combien je vous dois : les chasseurs allaient venir, j’étais pris, j’étais mort sans votre secours; j’ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai. »
Voilà les trois plus notables aventures qui arrivèrent à Avenant pendant son voyage. Il arriva enfin au palais de la Belle aux Cheveux d’Or. Tout y était admirable ; on y voyait les diamants entassés comme des pierres ; les beaux habits, le bonbon, l’argent; ils n’y avaient que des choses merveilleuses; et il pensait en lui-même que, si elle laissait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu’il ait beaucoup de chance. Il prit un habit de brocart, des plumes rouges et blanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage; il mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu’il avait acheté en passant à Bologne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toute chose avec tant de grâce, que lorsqu’il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence; et l’on courut dire à la Belle au Cheveux d’Or qu’Avenant, ambassadeur du roi son voisin, demandait à la voir.
Sur ce nom d’Avenant, la princesse dit : « Avec un tel nom, je gagerais qu’il est joli et qu’il plaît à tout le monde.
— Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d honneur : nous l’avons vu depuis le grenier où nous accommodions votre filasse, et tant qu’il est demeuré sous les fenêtres nous sommes restées là la bouche grande ouverte sans pouvoir rien faire d’autre que l’admirer.
— Voilà qui est beau, se moqua la Belle aux Cheveux d’Or, de vous amuser à regarder les garçons ! Qu’on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l’on éparpille bien mes cheveux blonds; que l’on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles ; que l’on me donne mes souliers à talons et mon éventail ; que l’on balaye ma chambre et mon trône : car je veux qu’il dise partout que je suis vraiment la Belle aux Cheveux d’Or. »
Voilà toutes ses femmes qui s’empressaient de la parer comme une reine ; elles étaient si pressées qu’elles s’entre-cognaient et n’avançaient guère.
Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait; et puis elle monta sur son trône d’or, d’ivoire et d’ébène, qui sentait comme un baume , et elle commanda à ses filles de prendre des instruments et de chanter tout doucement.
On conduisit Avenant dans la salle d’audience: il demeura si transporté d’admiration qu’il ne pouvait presque plus parler; néanmoins il prit courage et transmit son message dignement, en vantant les mérites de son roi.
« Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter son fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre. Mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois, alors que je me promenais près de la rivière avec toutes mes dames, en ôtant mon gant pour boire, je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière : je la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse à juger quelle fut ma tristesse. J’ai jurer depuis de n’accepter aucune proposition de mariage, à moins que l’ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. »
Avenant fut bien étonné de cette réponse ; il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l’écharpe ; mais elle lui répondit qu’elle ne voulait point de présents, et qu’il songeât à ce qu’elle venait de lui dire.
Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper; et son petit chien, qui s’appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. Tant que la nuit fut longue, Avenant ne cessait de soupirer. « Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ? disait-il : c’est impossible. La princesse a dit cela car elle veut être sûre de ne pas se marier. »
Il soupirait et s’attrista très-fort. Cabriole, qui l’écoutait, lui dit : «Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable pour n’être pas heureux. Allons, dès qu’il fera jour, au bord de la rivière. »
Avenant lui donna deux petits carresses et ne répondit rien; mais, tout accablé de tristesse, il s’endormit.
Cabriole, voyant le jour, cabriola tant qu’il l’éveilla, et lui dit : « Mon maître, habillez-vous, et sortons.» Avenant se leva, s’habilla, et descendit dans le jardin, jusqu’au bord de la rivière, où il se promena son chapeau sur les yeux et les bras croisés l’un sur l’autre, ne pensant qu’à son départ, quand tout d’un coup il entendit qu’on l’appelait : « Avenant! Avenant! » Il regarde de tous côtés et ne vit personne; il crut rêver. Il continua sa promenade; mais on l’appela à nouveau: « Avenant! Avenant !
— Qui m’appelle?» dit-il.
Cabriole, qui était fort petit, et qui regardait vers l’eau, lui répliqua : « Vous ne me croirez pas, si je vous dit que c’est une carpe dorée qui parle. »
Aussitôt la grosse carpe s’approcha, et lui dit: « Vous m’avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais restée à me désécher sans vous; je vous ai promis de vous récompenser. Tenez, cher Avenant. Voici la bague de la Belle aux Cheveux d’Or.»
Avant se baissa et prit la bague dans la gueule de son amie la carpe, qu’il remercia mille fois.
Au lieu de retourner dans sa chambre, il s’en fut droit au palais avec le petit Cabriole, qui était bien aise d’avoir fait venir son maître au bord de l’eau. On alla dire à la princesse qu’il demandait à la voir. « Hélas! dit-elle, le pauvre garçon, il vient prendre congé de moi; il a compris que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître. »
On fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague et lui dit : « Madame la princesse, voilà votre souhait réalisé; pourrez-vous maintenant prendre le roi mon maître pour époux? »
Quand elle vit sa bague, La Belle aux Cheveux d’Or resta si étonnée, si surprise, qu’elle croyait rèver. « Vraiment, dit-elle, beau Avenant, il faut que vous soyez aimé de quelque fée ; car cela n’est pas possible sans l’aide d’un pouvoir surnaturel.
— Madame, dit-il, je n’en connais pas, mais j’avais très envie de vous obéir.
— Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans lequel je ne me marierai jamais. Il y a, non loin d’ici, un prince appelé Galifron, qui s’est également mis en tête de m’épouser. Il m’a déclarer ses intentions en y joignant d’épouvantables menaces, et que si je le refusais il détruirait mon royaume. Mais jugez par vous-même si je pouvais l’ accepter: c’est un géant qui est plus haut qu’une haute tour; il mange des hommes comme un singe mange une banane. Quand il va en guerre, il porte dans ses poches des canons, dont il se sert comme des pistolets; et, lorsqu’il parle bien fort, ceux qui sont près de lui en deviennent sourds.
Je lui fit répondre que je ne voulais point me marier, et qu’il m’excusât ; cependant il n’a de cesse de me persécuter; il tue tous mes sujets. Avant de pouvoir me demander d’épouser qui que ce soit, il faudra se battre contre lui et m’apporter sa tête. »
Avenant demeura un peu étourdi par cette nouvelle demande ; il réfléchit quelque instants, puis il dit:
«Eh bien, madame, je combattrai Galifron. Je crois que je serai vaincu; mais je mourrai en brave homme. »
La princesse fut surprise de sa réponse : elle le pria mille fois de renoncer à cette entreprise. Mais cela ne servit de rien : il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qu’il lui fallait. Quand il fut prêt, il remit le petit Cabriole dans son panier, il monta sur son beau cheval, et s’en fut vers le pays de Galifron. Quand il demandait son chemin à ceux qu’il rencontrait, on lui disait que c’était un vrai démon dont personne n’osait s’approcher : plus il entendait cela, plus il avait peur. Cabriole le rassurait, en lui disant: « Mon cher maître, pendant que vous vous battrez, j’irai lui mordre les jambes; il baissera la tête pour me chasser, et vous le tuerez.» Avenant admirait l’intelligence de son petit chien, mais il savait que son aide ne suffirait pas.
Enfin, il arriva près du château de Galifron. Là, tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. À peine s’étai-il remis de son choc, qu’il vit venir Galifron à travers bois. Sa tête dépassait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix épouvantable :
Où sont les petits enfants, Que je les croque à belles dents?
Il m’en faut tant, tant, et tant, Que le monde n’est pas suffisant.
Assitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :
Approche Galifron, voici Avenant, qui t’arrachera les dents.
Bien qu’il ne soit pas des plus grands, pour te battre il est suffisant.
Les rimes n’étaient pas bien régulières ; mais il fit la chanson fort vite, et c’est même un miracle qu’il ne la fît pas plus mal, car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et il aperçut Avenant l’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Il n’en fallut pas tant : il se mit dans une colère effroyable, et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, si un corbeau n’était venu se mettre sur le haut de sa tête, et lui piquant les yeux avec son bec, jusqu’à les crever.
Son sang coulait sur son visage ; il était devenu fou, frappant de tous côtés. Avenant l’évitait et lui portait de grands coups d’épée qu’il enfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdait tant de sang qu’il finit par tomber. Alors Avenant lui coupa la tête, bien content d’avoir été si chanceux. Le corbeau, qui s’était perché sur un arbre, lui dit : « Je n’ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l’aigle qui me poursuivait; je vous avait promis de m’en acquitter : je crois l’avoir fait aujourd’hui.
— C’est moi qui vous doit tout, maître Corbeau, répliqua Avenant; je demeure votre serviteur. »
Il monta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête de Galifron.
Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait et criait : « Voici le brave Avenant qui vient de tuer le monstre; » de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit et qui tremblait qu’on ne lui vînt apprendre la mort d’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui lui faisait encore peur, bien qu’il n’y eût plus rien à craindre.
« Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort ; j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître à présent?
— Ah ! si fait, dit la Belle aux Cheveux d’Or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse. Il y a proche d’ici une grotte profonde qui a bien six lieues de profondeur; on trouve deux dragons qui en garde l’entrée; ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux; et, lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grand couloir souterrain par lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé : c’est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en mouille devient merveilleux : si l’on est belle, on demeure toujours belle; si l’on est laide, on devient belle; si l’on est jeune, on reste jeune; si l’on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter un flâcon.
— Madame, lui dit-il, vous êtes si belle que Cette eau vous est bien inutile; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais vous aller chercher ce que vous désirez ; avec la certitude de n’en pouvoir revenir. » La Belle aux Cheveux d’Or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriole, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de beauté. Tous ceux qu’il rencontrait Sur le chemin disaient : « Quel dommage de voir un garçon si gentil aller mourrir ainsi; il va tout seul à la grotte, et quand bien même ils seraient cent, ils n’en pourraient venir à bout. Pourquoi la Princesse ne veut-elle que des choses impossibles ? » Il continuait de marcher, et ne disait pas un mot; mais il était bien triste.
Il arriva vers le haut d’une montagne où il s’assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et Cabriole courir après des mouches.
Il savait que la grotte ténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verrait point ; en effet il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre, d’où sortait une grosse fumée, et au bout d’un moment, il vit sortir un des dragons, qui jetait du feu par les yeux et par la gueule : il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. En voyant cela, Cabriole ne savait où se cacher, tant il avait peur.
Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d’Or lui avait donnée pour la remplir de l’eau de beauté. Il dit à son petit chien Cabriole : « C’en est fait de moi! je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons; quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang, et porte-la à la princesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte; et puis va trouver le roi mon maître et conte-lui mon malheur. »
Comme il parlait ainsi, il entendit qu’on l’appelait : « Avenant ! Avenant! »
Il dit : « Qui m’appelle? » et il vit un hibou dans le trou d’un vieux arbre, qui lui dit : « Vous m’avez retiré du filet des chasseurs où j’étais pris, et vous me sauvâtes la vie; je vous ai promis que je vous le revaudrais : voici venu le moment. Donnez-moi votre fiole : je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse ; je vais vous chercher de l’eau de beauté. »
Juste ciel! qui fut bien aise? je vous le laisse à penser. Avenant lui donna vite sa fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte.
En moins d’un quart d’heure, il revint rapporter la bouteille bien remplie. Avenant fut ravi ; il le remercia de tout son cœur, et, remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.
Il alla droit au palais ; il présenta la fiole à la Belle aux Cheveux d’Or, qui n’eut plus rien à dire : elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu’il lui fallait pour partir; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable, et elle lui disait quelquefois : « Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi ; nous ne serions rester dans mon royaume. » Mais il répondit : « Je ne voudrais pas jouer un si mauvais tour à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil. »
Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui sachant que la Belle aux Cheveux d’Or venait, alla au-devant d’elle et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousa avec tant de réjouissances, que l’on ne parlait d’autre chose ; mais la Belle aux Cheveux d’Or, qui aimait Avenant dans le fond de son cœur, n’était bien aise que quand elle le voyait, et elle le louait toujours. « Je ne serais point Venue sans Avenant, dit-elle au roi; il a dû faire des choses impossibles pour que je vienne : vous devez lui être reconnaissant; il m’a donné de l’eau de beauté, je ne vieillirai jamais, je serai toujours belle. »
Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi : « Vous n’êtes pas jaloux, bien que vous ayez des raisons de l’être. La reine aime si fort Avenant qu’elle en perd la faim et la soif ; elle ne fait que parler de lui et des obligations que vous avez envers lui, comme si personne n’en eût fait autant à sa place. »
Le roi dit : « C’est bien vrai, qu’on l’enferme dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. » On enferma Avenant, qui avait si bien servi le roi. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l’eau dans une écuelle de terre. Pourtant son petit chien Cabriole ne le quittait point; il le consolait et venait lui donner toutes les nouvelles.
Quand la Belle aux Cheveux d’Or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, songeant : « C’est qu’elle l’aime; » et il n’en voulut rien faire. Elle n’en parla plus : elle était bien triste.
Le roi s’avisa qu’elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l’eau de beauté, afin que la reine l’aimât plus qu’elle ne faisait. Cette eau était dans une fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine, elle l’avait mise là pour la regarder plus souvent ; mais une de ses femmes de chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balaya rapidement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable pleîne d’eau claire comme l’était l’eau de beauté ; elle s’en empara sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine, à la place de l’eau de beauté.
Mais l’eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau : ils s’endormaient, et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roi prit la fiole et se frotta bien le visage, puis il s’endormit et mourut.
Le petit chien Cabriole l’apprit des premiers et ne manqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouver la Belle aux Cheveux d’Or et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.
Cabriole se glissa doucement dans la foule; car il y avait grand bruit à la cour à cause de la mort du roi. Il dit à la reine : « Madame, Avenant est enfermé dans la tour.» La reine fut bien aise d’entendre cette nouvelle. Elle sortit sans parler à personne, et s’en fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant; et, lui mettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit : « Venez, aimable Avenant, je vous fais roi et vous prends pour époux. »
Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître. Il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux Cheveux d’Or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.
MORALITÉ.
Si par hasard un malheureux te demande ton assistance, ne lui refuse point un secours généreux : Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.
FIN
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