Les deux frères IV
LIRE
Chapître IV
Cliquez pour lire le chapitre I, chapitre II, chapitre III
Le jeune prince et son épouse vivaient fort heureux, et, comme Gottlieb, tout prince qu’il était, n’avait point oublié son ancien métier, il allait souvent à la chasse, et prenait toujours à cet exercice un extrême plaisir. Il va sans dire que, chaque fois qu’il allait à la chasse, ses hôtes l’y accompagnaient. Seulement, il y avait, à quelques lieues de la ville, une forêt qui passait pour giboyeuse, et qui en même temps jouissait du plus mauvais renom ; on y avait vu entrer beaucoup de chasseurs, jamais on n’en avait vu sortir un seul; ce qu’ils étaient devenus, personne ne le pouvait dire. Cependant, chaque fois que le jeune prince passait en vue de cette forêt, il s’arrêtait, secouant la tête et disant :
— Je ne serai pas content que je n’aie pénétré dans cette forêt, et que je ne sache par moi-même ce qui s’y passe.
Cette envie devint si grande, que Gottlieb ne laissa aucun repos au vieux roi que celui-ci ne lui eût accordé la permission qu’il sollicitait.
Un matin, il partit donc à cheval accompagné d’une nombreuse escorte; arrivé à la lisière du bois, il y aperçut une biche blanche comme la neige.
— Attendez-moi ici, dit-il à son escorte, je veux chasser cette magnifique bête.
Et il entra dans le bois, suivi seulement de ses fidèles animaux. Ses gens l’attendirent jusqu’au soir; mais, ne le voyant point revenir, ils retournèrent au palais, et racontèrent à la jeune reine ce qui s’était passé.
La pauvre princesse, qui adorait son Gottlieb, tomba dans une effroyable tristesse. Le jeune prince cependant avait poursuivi la biche blanche, ne la perdant pas de vue, mais ne pouvant l’atteindre. Depuis cinq heures déjà, cette poursuite durait, quand, tout à coup, l’animal s’évanouit comme une fumée. Alors seulement il s’aperçut qu’il était bien avant dans la forêt. Il prit son cor, en sonna de toutes ses forces ; mais il eut beau écouter, il n’entendit que l’écho qui lui répondait. Dans cette situation, et comme la nuit tombait, il résolut de demeurer dans la forêt jusqu’au lendemain matin, pensant qu’il lui serait impossible de retrouver sa route.
Il descendit donc de cheval, alluma du feu au pied d’un arbre et s’apprêta à bivuaquer. Il s’était déjà étendu près de son feu, ainsi que ses bêtes, et il ne voyait plus que dans le rayon de lumière projeté par ce feu, lorsqu’il crut entendre comme une voix humaine qui se plaignait. Il jeta les yeux tout autour de lui, mais n’aperçut âme qui vive. Un second gémissement se fit entendre : celui-là venait assurément d’en haut. Gottlieb leva la tête, regarda en l’air et vit une vieille femme perchée au haut d’un arbre.
— Hou ! hou ! hou ! disait la vieille ; hou ! hou ! hou ! que j’ai froid ! Le jeune prince la regarda avec étonnement, et, quoiqu’elle eût plutôt l’air d’un hibou que d’une femme, il en eut pitié.
— Si vous avez si froid que cela, la mère, lui dit-il, descendez et venez vous chauffer.
— Non, répondit la vieille, vos bêtes me mordraient. Puis elle répéta :
— Hou ! hou ! hou ! Je gèle ici.
— Mes bêtes ne font de mal à personne, répondit Gottlieb ; ne les craignez donc aucunement, et venez vous asseoir près de mon feu. Mais la vieille, qui était une sorcière, lui dit :
— Non, j’ai trop peur, je ne descendrai pas, à moins cependant que vous ne vouliez déjà toucher le dos de vos animaux avec la branche que je vais vous jeter, auquel cas je descendrai. Gottlieb se mit à rire, et, comme il ne voyait aucun inconvénient à faire ce que lui demandait la vieille, qu’il prenait pour une folle :
— Cassez votre branche, envoyez la-moi, et j’en toucherai le dos de mes animaux, lui répondit-il.
Il n’avait pas achevé ces paroles, que la branche tombait à ses pieds. Il la ramassa sans défiance et en toucha ses animaux, qui, à ce contact, demeurèrent complètement immobiles ; ils étaient changés en pierre.
Pendant que Gottlieb regardait avec stupéfaction le prodige qui venait de s’opérer, la vieille se laissa glisser le long du tronc de l’arbre, et vint par derrière toucher de sa baguette le jeune prince, qui fut à l’instant même pétrifié comme ses animaux. Puis elle le traîna, lui et ses cinq animaux, dans une caverne, où se trouvaient déjà beaucoup d’autres personnes changées en pierre par ses maléfices.
Plusieurs jours s’écoulèrent, et la jeune princesse, ne voyant pas revenir son mari, devenait de plus en plus triste. Ceci se passait, par bonheur, juste au moment où le frère du prince, celui qui avait pris vers l’Orient, rentrait dans le royaume. Il avait cherché du service, et, n’en ayant pas trouvé, il avait promené ses bêtes en les faisant danser dans les marchés et les foires. Mais enfin, un jour, comme par une inspiration du ciel, il lui prit envie d’aller consulter le couteau qu’ils avaient planté dans un arbre, et, quand il arriva à cet arbre, il vit que la lame du couteau était luisante du côté où il arrivait et rouillée du côté par lequel avait pris son frère. Seulement, elle n’était rouillée qu’à moitié. Il fut effrayé et se dit :
— Il faut qu’il soit arrivé un grand malheur à mon frère; mais peut-être puis-je encore le sauver, puisque la moitié de la lame est restée blanche.
Il prit donc aussitôt, sans perdre une minute, la route de l’occident, et, lorsqu’il arriva à la porte de la capitale, l’officier de garde à cette porte lui demanda s’il désirait que l’on fît prévenir sa femme de son arrivée, la princesse étant depuis quelques jours dans une inquiétude mortelle, persuadée qu’elle était qu’il avait péri dans la forêt enchantée. L’officier, en effet, croyait avoir affaire au jeune prince lui-même, tant la ressemblance était grande entre les deux frères. Ajoutez à cela que, comme le jeune prince, il était suivi d’un lion, d’un ours, d’un loup, d’un renard et d’un lièvre.
Le nouveau venu comprit qu’il était, selon toute probabilité, question de son frère ; il pensa que mieux valait se faire passer pour lui, et que cette erreur contribuerait probablement à sauver Gottlieb. Il se fit donc accompagner et conduire au palais, où il fut reçu avec une grande joie. La jeune princesse, de son côté, crut fermement que c’était son mari et lui demanda pourquoi il était resté si longtemps absent.
— Je m’étais égaré dans la foret, lui répondit-il, et j’ai été jusqu’aujourd’hui sans pouvoir retrouver mon chemin.
Le soir, on le conduisit à la chambre à coucher de son frère, et on l’invita à se coucher dans le lit royal ; mais, en s’y couchant, il mit entre lui et la jeune princesse une épée à double tranchant ; elle ne savait point ce que cela voulait dire, et n’osa pas le demander. Pendant deux jours, Wilfrid s’enquit de tout ce que l’on racontait du bois enchanté, et, le troisième, il dit :
— Décidément, il faut que je retourne chasser dans la forêt.
Le vieux roi et la jeune princesse firent tout ce qu’ils purent pour l’en dissuader ; mais il persista, et, le lendemain, il partit, suivi de la meme escorte qui avait accompagné son frère. Pendant toute la route, il causa adroitement avec l’officier qui la commandait, de sorte que, quoique l’officier crût parler au jeune prince, il avait dit à Wilfrid tout ce que celui-ci voulait savoir. Arrivé au bois, il vit la biche blanche qu’avait vue son frère, et, comme son frère, il dit à son escorte :
— Restez là, je veux chasser seul ce bel animal.
Et il entra dans la foret, suivi de ses bêtes seulement, poursuivit la biche sans pouvoir l’atteindre, la vit s’évanouir au moment où il croyait la forcer, et, la nuit venant, il se trouva forcé, comme son frère, de bivaquer dans le bois. Ayant, comme son frère, allumé du feu, comme lui il entendit, au-dessus de sa tête, des gémissements.
— Aïe ! aïe ! aïe ! disait une voix, qu’il fait froid ici !
Il leva la tête, et vit la vieille sorcière aux yeux de hibou.
— Si tu as froid là-haut, bonne mère, lui dit-il, descends et viens te chauffer.
— Je n’ai garde, répondit la sorcière, tes bêtes me mangeraient,
— Mes bêtes ne sont pas méchantes, elles ne te feront rien ; descends.
— Je vais te jeter une baguette, dit-elle ; et, en effet, si tu les frappes avec cette baguette, elles ne me feront rien.
En entendant ces paroles, le chasseur témoigna quelque surprise et dit:
— Quand je te réponds de mes bêtes, cela doit te suffire ; descends, ou sinon je vais aller te chercher.
— Bah ! dit la vieille, venir me chercher; quand tu le voudrais, tu ne le pourrais pas.
— C’est ce que nous allons voir, dit le chasseur; et, pour commencer, je vais t’envoyer une balle.
— Je me moque de tes balles, dit la sorcière ; essaye, et tu verras. Le chasseur la coucha en joue et lui envoya une balle.
Mais, comme sorcière, elle était à l’épreuve des balles de plomb !
— Tu n’es guère adroit ! dit la sorcière en ricanant.
Et elle lui rejeta sa balle de plomb.
En voyant cet échec, le chasseur, qui manquait si rarement son coup, n’eut plus de doute sur celle à qui il avait affaire. Mais il essaya d’un autre moyen, et, rechargeant son fusil, il glissa dans le canon un des boutons d’argent de son habit, et, comme la sorcière n’était pas à l’épreuve des balles d’argent, il lui cassa la cuisse, si bien que la sorcière dégringola du haut en bas de l’arbre.
Le chasseur lui mit le pied sur la poitrine et lui dit :
— Vieille coquine, si tu ne me dis pas à l’instant ce que tu as fait de mon frère, je te prends de mes mains et je te jette au feu.
Elle eut peur et demanda grâce.
— Où est mon frère? demanda plus impérativement encore que la première fois le chasseur.
— Ton frère est dans une caverne, répondit-elle; il est changé en pierre, lui, et ses bêtes.
Il força la sorcière de le conduire à la caverne, ce qu’elle fit en sautillant sur sa jambe ; et, lorsqu’ils y furent arrivés :
— Maintenant, vieille sorcière, dit-il, tu vas non-seulement rappeler à la vie mon frères et ses bêtes, mais encore toutes les personnes qui sont ici pétrifiées.
La sorcière, voyant qu’il fallait obéir, prit une baguette et en toucha chaque pierre, et le jeune prince et ses bêtes se levèrent, ainsi qu’une foule de personnes, voyageurs, marchands, artisans, soldats, qui remercièrent chaudement leur libérateur, et s’en allèrent chacun chez soi.
Quand les deux jumeaux se reconnurent, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, se réjouissant de tout leur cœur de s’étre si miraculeusement retrouvés. Puis ils saisirent la sorcière, et, pour qu’elle ne fît plus à d’autres ce qu’elle leur avait fait, ils la jetèrent dans le feu, où elle fut brûlée comme une mauvaise magicienne qu’elle était.
À peine eut-elle rendu le dernier soupir, que la forêt enchantée disparut comme une vapeur, et que, de l’endroit où ils étaient, les deux frères purent voir non-seulement la ville, mais encore le palais du roi. Ils prirent à l’instant même le chemin du château, et, tout en marchant, se racontèrent leurs aventures. Gottlieb raconta à son frère comment il était devenu gendre du roi et gouverneur général de tout le royaume.
Lorsqu’il eut fini son récit, son frère prit la parole à son tour :
— Je m’en suis bien aperçu, dit-il en souriant ; car, lorsque je suis entré dans la ville tout le monde m’a pris pour toi, et m’a rendu les honneurs royaux; il n’y a point jusqu’à ta femme qui ne s’y soit trompée, de sorte que j’ai dû me mettre à table à ses côtés et dormir dans son lit.
Quand le jeune prince entendit cela, la jalousie s’empara de lui, et l’aveugla à un tel point, qu’il tira son sabre et, d’un coup, abattit la tête de son frère.
Mais à peine ce meurtre eut-il été commis, qu’il se jeta sur le corps décapité, s’arrachant les cheveux et donnant les marques du plus profond désespoir. Alors, l’ours, qui, dans les circonstances les plus graves, ne perdait point sa présence d’esprit, s’approcha de lui et lui dit :
— Ne te désole pas, maître, tout peut se réparer ; la tête est très-proprement coupée et peut reprendre. Le lièvre connaît la racine de vie avec laquelle nous t’avons recollé la tienne, et il ne demandera certes pas mieux que de te rendre le service de te l’aller chercher.
— Oh ! mon petit lièvre ! dit Gottlieb en joignant les mains.
Mais le lièvre était déjà loin ; il courait si vite, qu’à peine le pouvait-on suivre des yeux. Au bout de vingt heures, il revint, tant il avait fait diligence. Le corps fut mis debout, la tête replacée sur le cou, la racine de vie placée entre les dents, et la tête reprit si complètement, que le frère aîné ignora toujours ce qui s’était passé et crut être tombé dans un sommeil qu’il attribua à la grande fatigue qu’il avait prise.
Mais, comme il était parfaitement frais et dispos, il se remit à l’instant même en route, et, deux heures après, ils arrivèrent aux environs de la ville. Alors Gottlieb dit à son frère :
— Tu me ressembles à s’y méprendre; tu as comme moi des habits royaux, comme moi tes bêtes te suivent. Entrons dans la ville chacun par une porte opposée, et arrivons en même temps au château royal. Cette proposition sourit à l’aîné ; ils se séparèrent donc. Arrivés à la ville, chacun se présenta, comme il était convenu, à la porte opposée. Aussitôt l’officier de garde se mit en route, et, comme il y en avait un à la porte où se montrait le jeune prince , et un autre à celle où se montrait son frère, tous deux se présentèrent au palais en même temps, annonçant chacun l’arrivée du jeune prince avec ses bêtes.
— Oh! pour cela, ce n’est point possible, dit le vieux roi. Comment mon gendre peut- il être à la fois à la porte du Nord et à la porte du Midi ? Les deux portes sont à une lieue l’une de l’autre.
En ce moment, et des deux côtés opposés, arrivèrent les deux frères. Ils descendirent de cheval dans la cour, chacun d’un côté du perron, et montèrent ensemble à la salle de réception.
— Ma foi, ma fille, dit le vieux roi à la princesse , vois lequel des deux est ton mari ; quant à moi, je m’y perds.
La jeune princesse demeurait dans une grande perplexité, quand, tout à coup, elle pensa aux cadeaux qu’elle avait faits aux bêtes. Derrière Gottlieb étaient le lion avec son collier d’émeraudes, l’ours avec ses boucles d’oreilles de diamants, le loup avec son bracelet de perles, le renard et le lièvre avec leurs bagues, l’une de saphir, l’autre de rubis. Elle étendit la main vers Gottlieb et dit :
— Voilà mon mari.
— C’est vrai, dit le jeune prince en riant.
Et tout le monde se mit à table. Le repas fut joyeux, et, lorsque le soir vint, et que Gottlieb accompagna sa femme dans la chambre à coucher :
— Pourquoi donc, lui demanda la jeune princesse, as-tu mis entre nous, pendant la dernière nuit,un glaive à double tranchant? J’ai eu grand’peur d’abord, croyant que tu me voulais tuer.
Alors le jeune prince reconnut combien son frère lui avait été fidèle.
FIN
Vous avez repéré une erreur ? N’hésitez pas à nous la signaler en nous écrivant sur cette page
VOUS AVEZ AIMÉ CE CONTE? PARTAGEZ-LE!
AJOUTER AUX FAVORIS
Vous avez aimé ce conte? Ajoutez-le à vos favoris et donnez-lui un like en cliquant le coeur:
CATÉGORIES DU CONTE
Tout savoir sur les Contes de Fées
Avec les clés de lecture
Lisez notre page expliquant l’utilité des Contes de Fées, au niveau intellectuel, émotionnels et des valeurs morales.
Comprendre ce que représente chaque archétype de personnage, bon ou mauvais. L’importance des objets, de la magie, des animaux, etc.
Ajoutez votre version, votre audio ou vos images
Ou publiez votre propre conte
Envoyez-nous votre conte original, votre version ou complétez un conte avec vos illustrations ou un enregistrement audio.
Abonnez-vous à partir de 1,99€
Offre de lancement: Gratuit pour les professeurs
Écoutez les lectures audios en entier
Ajouter des bruitages et musiques de fonds
Créer des nouveaux contes en un instant avec l’IA créateur de conte
Enregistrer vos histoires via l'enregistreur vocal
Garder vos contes favoris et gérer votre liste
Accédez aux excercices de français en grammaire, compréhension, rédaction et débats
Télécharger les contes en PDF
Traduire les mots en anglais et améliorer votre français
Le conteur du futur
Découvrez le Créateur de Contes pour Enfants
Décuplez votre capacité de création d’histoire avec la fée IA mise au service des contes. Vous donnez les idées et il crée pour vous.
D’AUTRES CONTES QUI POURRAIENT VOUS PLAIRE:
LE DICTACONTE (BETA)
Instructions
2) Réduisez l’enregistreur pour lire le conte en recliquant sur l’icône en bas de l’écran.
3) Éditez et sauvegardez en recliquant sur en bas.
C'est à vous de lire. Enregistrez-vous!
Vous devez être abonné(e) et connécté(e) pour pouvoir sauvegarder.
Connectez-vous – Abonnez-vous ou tester simplement