Les trois petits cochons

Existe en version plus courte, cliquez ici.
Il était une fois 3 petits cochons qui vivaient avec leur maman dans une petite maison.
Le plus jeune et le plus paresseux s’appelait Nouf Nouf, et jouait de la flûte.
Le second, un peu moins paresseux, s’appelait Nif Nif et jouait du violon.
L’aîné, le plus courageux et travailleur des trois, s’appelait Naf Naf, et jouait du piano.
Il grandissaient heureux en s’amusant et en jouant de la musique.
Mais un jour, leur mère les réunit et leur dit:
“Mes enfants, vous avez beaucoup grandi, et notre maison est bien trop petite pour nous tous maintenant. Il est temps que vous partiez faire votre vie et construisiez chacun votre propre maison. Je vous ai préparé un petit baluchon et demain vous partirez chacun de votre côté.
Mais surtout! Faîtes bien attention au grand méchant loup! S’il venait à rôder dans la région, vous devrez vous défendre et vous protéger, pour ne pas vous faire manger.”
Le lendemain, ils s’embrassèrent tous en versant de chaudes larmes et chacun prit sa route de son côté.
Nouf Nouf le plus jeune gambadait gaiement en jouant une jolie mélodie avec sa flûte, ce qui enchantait les petits oiseaux. Après quelques heures de chemin, il rencontra un paysan et son âne qui tirait une charrette de paille. Il lui dit:
“Bien le bonjour monsieur, pourriez-vous me vendre un peu de paille pour construire ma cabane?”
“Bien sûr mon petit! Tiens! Voilà un beau ballot”
Et non loin de là, le petit cochon construisit sa maison de paille en moins de temps qu’il ne faut pour dire ouf.
Content de lui, il reprit sa flûte et s’en alla en sautillant voir comment ses frères s’en sortaient.
Nif Nif le cadet, qui était presque aussi paresseux que son benjamin, marchait au hasard de la route lorsqu’il rencontra un charpentier transportant une charrette pleine de planches et de fagots de bois.
“Eureka!” Se dit le petit cochon. “Voici ma chance!”
Et il s’adressa ainsi au bonhomme:
“Bonjour Monsieur, auriez-vous un peu de bois pour construire ma maison, s’il vous plaît?”
“Bien sûr mon enfant” Répondit l’artisan, et il lui offrit quelques dizaines de planches et 2 fagots pour toit.
Tout heureux, Nif Nif s’en alla construire sa maison de bois non loin de là. À la fin de la journée, il avait presque fini lorsqu’il entendit s’approcher la jolie mélodie de la flûte de son frère Nouf Nouf. Il se dépêcha de terminer sa cabane pour pouvoir le rejoindre avec son violon et ainsi poursuivre leur route en dansant, à la recherche de leur grand frère Naf Naf.
Naf Naf l’aîné, et le plus intelligent et travailleur des trois avait été voir un maçon et lui avait acheté des briques, des tuiles et du ciment, pour se construire une vraie maison solide et prête à toute épreuve.
Mais évidemment, cette construction demandait beaucoup plus de temps, et lorsque ses frères le trouvèrent, il avaient à peine commencé à poser les briques du rez-de-chaussée.
Nif Nif et Nouf Nouf éclatèrent de rire et se moquèrent de lui à en perdre haleine.
“Ha ha ha ! À quoi bon te fatiguer ainsi! disait Nouf Nouf.
“Hi hi hi ! Viens plutôt jouer de la musique et danser avec nous!” Disait Nif Nif.
“Non!” Dit Nouf Nouf. “Pauvre imprudents sans cervelle! N’avez-vous pas écouté notre maman? Que ferez-vous si vient le loup? Croyez-vous que vos pauvres cabanes vous protégeront?”
Nif Nif et Nouf Nouf éclatèrent de rire encore plus fort, se roulant dans l’herbe jusqu’à en perdre le souffle et lui disaient:
“Quel âge as-tu pour croire à ces histoires de loups? Arrête de perdre ton temps et viens avec nous.”
Naf Naf devint tout rouge et s’écria:
“Non, non et non! Rira bien qui rira le dernier quand le grand méchant loup frappera à vos portes.”
Voyant qu’il ne céderait pas, les deux jeunes frères s’en allèrent en sautillant et retournèrent chacun dans sa cabane à la nuit tombée.
Quelques jours passèrent et ils profitaient gaiement de leur vie insouciante tout en rendant visite à Naf Naf pour s’amuser à ses dépends, en inventant des chansons moqueuses qui lui faisaient répéter:
“Rira bien qui rira le dernier!” En même temps qu’il poursuivait son ouvrage.
Quelques jours plus tard, Naf Naf avait à peine posé la dernière brique de la cheminée de sa maison, que sortit de la forêt un horrible et énorme grand méchant loup. Il était noir et gris, et ses yeux jaunes étaient féroces, ses dents immenses et son ventre creux laissait apercevoir ses côtes saillantes.
Il sentit immédiatement l’odeur alléchante des trois petits cochons tout proches et sa gueule se mit à saliver jusqu’à former une épaisse écume blanche.
“Voici enfin le festin que j’attends depuis des semaines. Je ne vais en faire qu’une bouchée!” Se dit-il.
Il entendit alors la musique des deux petits cochons qui revenaient de chez leur grand frère et commença à courir derrière eux en grognant.
Nif Nif et Nouf Nouf l’entendirent juste à temps, et se mirent à courir de toutes leurs forces vers leurs maisons en se séparant à mi-chemin.
Le loup avait suivis Nouf Nouf et celui-ci avait à peine fermé sa porte qu’il entendit frapper:
“Boum boum boum! Petit cochon, dit le loup, ouvre-moi ta porte ou je soufflerai, et ta maison s’envolera!”
“Non, jamais de la vie” dit Naf Naf en tremblant.
Alors le grand méchant loup remplit ses poumons et commença à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
En quelques secondes, toute la paille de la fragile maison avait disparu, et le petit cochon se retrouva tout surpris d’être aussi vite démuni.
Il se mit à courir de toutes ses forces vers la cabane de son frère Nif Nif.
“Nif Nif! Nif Nif!” Cria t-il en s’approchant. “Ouvre-moi vite! Le grand méchant loup me poursuit!”
Nif Nif, qui n’en croyait pas ses oreilles en tire-bouchon, ouvrit la porte et la referma juste au moment où le loup arrivait, s’écrasant le museau sur la planche de bois.
Nif Nif dit à Nouf Nouf tout tremblant: “Tu es à l’abri maintenant, ma maison de bois résistera!”
Mais ils entendirent rugir la voix du loup:
“Petits cochons! Petits cochons! Ouvrez-moi la porte!”
“Non non!” S’exclama Nif Nif. “Nous ne t’ouvrirons pas!”
Le loup répondit:
“Puisque c’est comme ça, je vais souffler, souffler, souffler, et votre maison s’envolera.”
Alors il gonfla sa poitrine et se mit à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
La cabane se mit à trembler en résistant un peu.
Alors le grand méchant loup prit une nouvelle inspiration et souffla encore plus fort.
“Pffffffffffffffffff Hoooooooooooo Pfffffffffffffffffffff!”
Cette fois, les planches s’envolèrent d’un coup, et les deux petits cochons se retrouvèrent avec seulement la porte entre les mains.
Nif Nif jeta la porte au loup et ils se mirent à courir, courir, courir, en direction de la maison de briques de leur frère Naf Naf.
Celui-ci les entendant arriver, regarda ce qu’il se passait par la fenêtre. Il vit le grand méchant loup derrière ses deux frères qui couraient éperdument dans sa direction.
Il eut le temps de fermer les volets et d’ouvrir la porte pour les sauver in extremis.
“Que vous avais-je dit, petits cochons sans cervelle!” Cria t-il à ses deux frères tremblant de peur et de n’avoir jamais couru aussi vite de leur vie.
“Vous êtes bien contents d‘avoir une vraie maison pour vous protéger maintenant!”
“Pardonne-nous Naf Naf!” dirent-ils en pleurant.
À ce moment, de grands coups retentirent à la porte. C’était le loup.
“Boum Boum Boum. Petits cochons, petits cochons! Ouvrez-moi la porte ou je soufflerai, soufflerai, soufflerai, et votre maison s’envolera.”
Naf Naf lui dit d’un ton ferme:
“Souffle si tu veux, loup. Ma maison est trop solide pour toi!”
Le grand méchant loup, furieux d’entendre cela, pris une grande inspiration:
“Huuuuuuuuuu”
Et souffla de toutes ses forces:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
La maison ne bougea pas d’un pouce.
Enragé, il souffla à nouveau:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
Mais la maison resista, solide comme un roc.
Il souffla, souffla et souffla encore jusqu’à perdre haleine.
“Hufufufufufu”
Il devait se rendre à l’évidence que cette fois, son puissant souffle ne suffirait pas.
Alors, il commença à rôder autour de la maison, à la recherche d’une autre idée pour atteindre son festin tant désiré.
Pendant ce temps-là, les trois petits cochons se réjouissaient en s’embrassant et en dansant:
“Nous sommes sauvés!” disaient les deux plus jeunes.
Mais Naf Naf, méfiant, leur dit: “Attendez, nous ne sommes pas encore tirés d’affaires, tant que le grand méchant loup rôde dans les parages.
Il ne croyait pas si bien dire, car le loup avait eu une idée en examinant toute la maison de brique. Il avait aperçu la cheminée sur le toit, et avait commencé à escalader le mur pour y accéder et y descendre pour attraper son repas.
Heureusement, Naf Naf, qui était aux aguets, avait entendu les pas du loup sur le toit, et il avait mis rapidement une grande marmite d’eau chaude à bouillir sur le feu.
Lorsque le grand méchant loup descendit par le conduit de la cheminée, il se brûla tellement fort, qu’il sauta à plusieurs mètres en repassant par la cheminée en sens inverse.
Il courut, courut, courut jusqu’à disparaître complètement. Et on ne le revit plus jamais dans la région.
Les trois petits cochons sortirent tout joyeux de la maison de briques et se mirent à danser en rond en chantant:
”Qui a peur du grand méchant loup, c’est peut-être vous? C’est pas nous!”
Naf Naf put enfin se joindre à la flûte de Nouf Nouf et au violon de Nif Nif en les accompagnant gaiement sur son piano.
Finalement, il invita ses frères à vivre dans sa maison en attendant qu’ils construisent chacun leur propre maison de brique.
Version écrite par Roland beaussant de Contesdefees.com
Illustrations de Leonard Leslie Brooke (1862 – 1940)
Le Petit Chaperon Rouge

Adaptation para CDF du texte original de Charles Perrault avec les illustrations de M. Fauron
Il était une fois, dans un village, une petite fille, si jolie et si gentille, que tous ceux qui la connaissaient l’aimaient. Sa mère l’adorait, et sa grand’mère encore plus, si cela est possible.
La vieille dame lui avait fabriqué une cape de couleur rouge ou chaperon. La couleur et la forme de cette cape allaient si bien à la fillette qu’elle s’en habillait tout le temps ; et bientôt, tout le monde aux alentours ne la connut plus que sous le nom de petit Chaperon Rouge.
Un jour, la maman du petit Chaperon Rouge avait fait de belles galettes dorées. Elle appela sa petite fille et lui dit :
— J’ai appris que ta grand’mère était malade, va voir comment elle se porte, et donne-lui ce petit pot de beurre frais et cette galette feuilletée;
mais surtout ne t’amuse pas en route; car tu dois revenir avant le coucher du soleil.
L’enfant embrassa sa mère, et partit gaiment, promettant d’ètre bien sage.
La grand’mère du petit Chaperon Rouge vivait dans le hameau voisin. Elle habitait une jolie maison blanche, près d’un moulin.
Pour y arriver, on devait traverser un bois assez grand, et c’etait une agréable promenade.
Chaperon Rouge marchait d’un pas pressé, sa galette sous le bras et son pot de beurre à la main, suivant une clairière qui aboutissait au moulin.
À peine avait-elle fait un bout de chemin, qu’elle aperçut compère le Loup.
Justement, il était très affamé et fut ravi de la rencontre.
Il lui aurait été facile de sauter sur le petit Chaperon Rouge pour la dévorer; mais il se dit que, sûrement, les cris de l’enfant attireraient les bûcherons qui travaillaient non loin de là.
Il vaut mieux, pensa-t-il, agir par la ruse.
S’approchant doucement de la petite fille, il prit sa voix la plus aimable, pour lui souhaiter le bonjour; et il ajouta :
— Où allez-vous ainsi, ma belle enfant?
— Je vais chez ma grand’mère, répondit Chaperon Rouge, porter un petit pot de beurre et cette galette que ma mère lui envoie.
— Et où demeure votre grand’mère ? demanda encore le rusé personnage.
— Près du moulin qu’on voit tourner la-bas, riposta la naïve enfant.
— Elle habite ainsi toute seule ? insista le Loup.
— Oui, fit Chaperon Rouge, et maintenant elle est faible et malade.
— Ah! ah! repartit l’animal, très intéressant ! Je vais aller la guérir.
Prenez ce chemin-là, et moi celui-ci, nous verrons lequel de nous deux arrivera le plus vite.
La fillette entra dans le sentier que lui désignait le Loup.
Elle y aperçut des noisettes qu’elle se mit à croquer.
Puis elle cueillit du chèvrefeuille, qui paraissait fleurir tout exprès à la portée de sa main.
Pendant ce temps, le Loup, certain de n’être plus vu par la petite fille, continua la clairière et, en quelques bonds, atteignit le moulin.
Quand le Chaperon Rouge eut fait un gros bouquet, elle se laissa entrainer à attraper des papillons. Puis elle s’amusa à poursuivre un écureuil, à voir jouer des petits lapins.
Ils étaient si drôles, l’un rongeant une feuille, l’autre faisant sa toilette ! On aurait dit qu’il se frisait la moustache. Chaperon Rouge en rit si fort qu’elle les mit en fuite.
Tandis que le petit Chaperon Rouge flânait tout à son aise, compère le Loup frappait à la porte de la grand’mère.
— Qui est là? demanda une voix cassée.
— C’est votre petite-fille, Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un pot de beurre que ma mère vous envoie, répondit le Loup en imitant l’accent de la fillette.
— Tire la chevillette et la bobinette cherra, reprit la voix.
D’un coup de patte, le Loup tira la ficelle, le loquet tomba et la porte s’ouvrit.
Aussitôt, la méchante bête se jeta sur la pauvre vieille femme, qui était dans son lit, et la dévora en deux bouchées.
Puis, mettant son bonnet, il se glissa à sa place sous les couvertures, et attendit.
— Toc! toc! toc! fit-on a la porte au même moment.
— Qui est là? demanda le Loup en imitant la voix enrouée de sa malheureuse victime.
— C’est votre petite-fille, Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie.
— Tire la chevillette et la bobinette cherra, répliqua le Loup d’une voix cassée.
Chaperon Rouge obéit et entra, comme le Loup l’avait fait tout à l’heure.
Lorsque le féroce animal l’aperçut, il se cacha sous les draps, de façon à ne laisser voir que ses yeux et son bonnet.
— Grand’maman, comment vous portez-vous ? demanda Chaperon Rouge.
Un grognement lui répondit.
— Vous paraissez bien enrouée, dit encore l’enfant.
— Oui, je suis très enrhumée, prononça la voix nasillarde du Loup. Mets ta galette et le pot de beurre sur la table, continua l’horrible bête, et viens plus près moi.
Le Petit Chaperon Rouge s’approcha du lit.
Elle fut bien étonnée de voir combien sa grand’mère paraissait changée.
Elle écarta le rideau et s’arrèta effrayée, sans bien savoir pourquoi.
— Sans doute, pensa Chaperon Rouge, c’est ainsi que grand’maman a l’air dans son pijama !
Le Loup, qui jusque-là était resté tourné du côté de la muraille, sortit son museau.
— Oh! ma mère-grand, s’écria Chaperon Rouge, comme vous avez de grands yeux !
— C’est pour mieux te voir, mon enfant, répondit tendrement le Loup.
— Oh ! ma mère-grand, que vous avez un grand nez ! dit la petite fille avec un léger tremblement.
— C’est pour mieux te sentir, mon enfant, répliqua encore le Loup.
— Oh! ma mère-grand, continua Chaperon Rouge, que vous avez de grandes oreilles !
— C’est pour mieux t’entendre, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grands bras!
— C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grandes jambes !
— C’est pour mieux courir, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grandes dents !
— C’est pour mieux te manger !!!!!
En disant ces mots, avec un mauvais rire, le Loup se tourna brusquement sur le petit Chaperon Rouge qui tomba par terre en poussant des cris perçants.
Le Loup voulut sauter sur elle pour la dévorer.
Il trébucha dans la couverture et manqua son coup; mais il se dégagea bientôt et saisit l’enfant dans ses griffes.
— Ah! s’écria l’infernal personnage, tu ne m’échapperas pas!
Et ses crocs s’approchaient de la malheureuse petite fille…
Au même instant, la porte vola en éclats; et un homme armé d’un hâche parut sur le seuil.
Cet homme était le bûcheron, le père du petit Chaperon Rouge.
Il revenait de son travail, lorsqu’il rencontra sa femme accourant à travers le bois, remplie d’inquiétudes : Chaperon Rouge, partie depuis longtemps,
n’était pas encore revenue.
Partageant ces craintes, le bûcheron revint précipitamment sur ses pas, le fusil sur l’épaule, pour chercher son enfant.
L’anxiété du père grandissait au fur et à mesure que l’heure s’écoulait.
Il doublait le pas et appelait en vain. Comme il approchait de la maison de la grand’mère, il entendit des cris aigus.
Plus de doute, c’est la voix de sa petite fille. Le désespoir augmentant son énergie, il ne s’arrète pas à ouvrir la porte mais l’enfonce à l’aide de sa hache. Le Loup terrifié lacha sa proie.
Avant que le féroce animal eût pu se défendre, il tombait la tète fendue d’un seul coup de hache, et baignait dans son sang.
Il était temps.
Une minute plus tard, il ne serait rien resté du joli petit Chaperon Rouge…
La pauvrette heureusement n’était que blessée.
Son papa la prit dans ses bras pour la ramener chez lui.
Qu’on juge de la joie de la maman, lorsqu’elle revit sa petite fille, et qu’on lui raconta le danger qu’elle avait couru!
Malheureusment, elle fut bien triste d’apprendre la fin si cruelle de sa pauvre vieille mère.
Longtemps, le petit Chaperon Rouge resta malade de la peur qu’elle avait éprouvée en se sentant sous les griffes de la bête féroce.
Ce fut une rude leçon, qu’elle n’eut garde d’oublier.
Devenue vieille, elle racontait encore son histoire à ses petits-enfants pour les inviter à la prudence.
Le Chat Botté

Il était une fois un meunier qui possédait un moulin, un âne et un chat et avait trois fils. Lorsqu’il mourut, il laissa en testament le moulin à son fils ainé, l’âne au second, et le chat au plus jeune. Ce dernier se sentait défavorisé et se demandait bien ce qu’il ferait avec seulement un chat.
Le chat, qui entendait cela lui dit d’un air posé et sérieux : Ne soyez pas triste, mon maître ; vous n’avez qu’à me donner un sac et me faire faire une paire de bottes pour aller aux champs, et vous verrez que vous n’êtes pas si mal lotis que vous le croyez.
Quoique le maître du chat n’eut pas grand espoir, il lui avait vu faire tant de tours de passe-passe pour prendre des rats et des souris, qu’il se dit qu’il ne perdrait rien à essayer.
Lorsque le chat eut ses bottes et son sac, il courut vers un champs où il y avait de nombreux lapins. Il mit une carotte dans le sac et attrapa vite un jeune lapin inexpérimenté. Tout fier de sa proie, il s’en alla chez le roi et demanda à lui parler.
Arrivé dans la salle du trône, il fit une grande révérence au roi, et lui dit :
– Sire, voici un lapin chassé para M. le marquis de Carabas ( C’était le nouveau nom qu’il avait donné à son maître ). Il m’a chargé de vous l’apporter en cadeau.
– Dis à ton maître, répondit le roi, que je le remercie chaleureusement.
Une autre fois il prit deux perdrix dans son sac et il alla ensuite les présenter au roi, comme il avait fait avec le lapin. Le roi, fin gourmet, accepta avec joie, et lui fit donner à boire.
Le chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, d’apporter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son maître.
Un jour il apprit que le roi devait passer près de la rivière durant un voyage en carrosse, avec sa fille, la plus belle princesse du monde
Il dit à son maître : Si vous suivez mon conseil, votre fortune est faite : vous n’avez qu’à vous baigner dans la rivière à l’endroit que je vous indiquerai, et ensuite vous me laissez faire.
Le marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseillait, sans rien y comprendre. Alors qu’il se baignait, le cortège du roi arriva, et le chat se mit à crier de toute sa force : Au voleur! Au voleur!
Le roi reconnu le chat qui était devenu son ami, et il ordonna à ses gardes d’aller porter secours au M. le marquis de Carabas.
Le chat inventa qu’un voleur avait emporté les habits et le cheval de son maître qui se trouvait bien embêté pour rentrer chez lui. Le roi fit apporter immédiatement de nouveaux habits neuf pour le faux marquis et l’invita à monter dans son carrosse.
En le voyant, la fille du roi tomba éperdument amoureuse du jeune marquis et lui aussi se pris d’amour pour la princesse. Il continuèrent ensemble la promenade. Le chat couru en avant sur le chemin jusqu’à rencontrer des paysans qui fauchaient leurs champs. Il leur dit : Si vous ne dites pas au roi que les prés que vous fauchez appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté.
Quelques minutes plus tard le roi arriva et demanda aux paysans à qui étaient les champs qu’ils fauchaient. C’est à M. le marquis de Carabas, dirent-ils tous ensemble, effrayés par la menace du chat botté. Le roi fut impressionné para la fortune du Marquis de Carabas.
Le chat, qui allait toujours en avance devant le carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu’il rencontrait: Si vous ne dites pas au roi que les prés que vous fauchez appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté ; et le roi était étonné des grands biens du marquis.
Le chat botté arriva enfin dans un beau château, appartenant à un ogre très riche. Il était le propriétaire de toutes les terres qu’ils avaient traversé.
– On m’a dit, dit le chat à l’ogre, que vous avez le pouvoir de vous changer en toutes sortes d’animaux, que vous pouviez, par exemple, vous transformer en lion, en éléphant.
Cela est vrai, répondit l’ogre brusquement. Et il se transforma immédiatement en Lion devant le chat botté effrayé qui sauta en l’air.
Une fois l’orgre redevenu lui-même, le chat botté revenu de sa frayeur, lui dit :
– On m’a dit aussi que vous saviez vous changer en petit animaux, les rats ou les souris, mais je ne peux pas le croire…,
Piqué au vif, l’orgre se changea immédiatement en souris et se mit à courir sur le plancher.
Le chat botté se jeta dessus et le mangea.
Quelques minutes après, arrivait le roi et sa troupe.
Le chat s’avança devant le château et prononça gravement:
– Bienvenus chez le Marquis de Carabas, mon maître!
– Comment! S’écria le roi. Ce domaine est à vous, Monsieur le Marquis? Vous m’impressionez!
Il n’eut pas le temps d’en dire plus car le chat botté les entraîna dans la grande salle pour s’atabler autour d’un magnifique banquet que l’ogre avait organisé pour ses amis. Le roi était si impressionné et se délectait tellement en dégustant les innombrables mets du buffet et les grands vins de la cave, qu’il offrit la main de sa fille au Marquis de Carabas.
Celui-ci accepta et ils se marièrent le jour même.
C’est ainsi que le jeune fils du meunier devint prince, et que le chat botté devint grand seigneur et ne courut plus après les souris que pour se divertir.
D’après charles Perrault, modernisé par Roland Beaussant, contesdefees.com
Blanche Neige

D’après les frères Grimm. Lu par Sophie de Pas (Écuries des Vallées). Illustrations à l’aquarelle d’Isabelle Beaussant – de Pas.
C’était au milieu de l’hiver, et les flocons de neige tombaient comme des plumes. Une reine était assise près de sa fenêtre au cadre d’ébène et cousait. Et comme elle cousait et regardait la neige, elle se piqua les doigts avec son épingle et trois gouttes de sang en tombèrent.
Et voyant ce rouge si beau sur la neige blanche, elle se dit :
« Oh ! si j’avais un enfant blanc comme la neige, rouge comme le sang et noir comme l’ébène ! »
Bientôt elle eut une petite fille qui était aussi blanche que la neige, avec des joues rouges comme du sang et des cheveux noirs comme l’ébène ; ce qui fit qu’on la nomma Blanche-Neige. Et lorsque l’enfant eut vu le jour, la reine mourut.
Un an après, le roi prit une autre femme. Elle était belle, mais fière et hautaine à ne pouvoir souffrir qu’aucune autre la surpassât en beauté. Elle avait un miroir merveilleux ; et quand elle se mettait devant lui pour s’y mirer, elle disait :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et le miroir répondait :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle. »
Alors elle était contente, car elle savait que le miroir disait la vérité.
Mais Blanche-Neige grandissait et devenait toujours plus belle ; et quand elle eut sept ans, elle était aussi belle que le jour, plus belle que la reine elle-même. Et lorsqu’elle demanda une nouvelle fois à son miroir :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Il lui répondit aussitôt :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que vous. »
La reine, consternée, devint livide de rage et d’envie. Depuis ce moment, la vue de Blanche-Neige lui bouleversa le cœur, tant la petite fille lui inspirait de haine. L’envie et la jalousie ne firent que croître en elle, et elle n’eut plus de repos ni jour ni nuit. Enfin, elle fit venir un chasseur du palais et lui dit :
« Portez l’enfant dans la forêt ; je ne veux plus l’avoir devant les yeux ; là, vous la tuerez et vous m’apporterez son coeur, comme preuve de l’exécution de mes ordres. »
Le chasseur obéit et emmena l’enfant avec lui ; et quand il eut tiré son couteau de chasse pour percer le cœur de l’innocente Blanche-Neige, voilà que la petite fille commença à pleurer et dit :
« Ah ! mon bon chasseur, laisse-moi la vie ! Je courrai dans la forêt sauvage et ne reviendrai jamais. »
Elle était si belle que le chasseur eut pitié d’elle et dit :
« Va, pauvre enfant ! »
Il pensait en lui-même :
« Les bêtes féroces vont te dévorer bientôt. »
Pourtant, il se sentit le cœur soulagé d’un grand poids à l’idée qu’il avait pu se dispenser de l’égorger. Et comme il vit courir devant lui un sanglier, il le tua et rapporta son coeur à la reine qui se réjouit en croyant sa volonté accomplie.
Pendant ce temps, la pauvre enfant errait toute seule dans l’épaisse forêt, et elle avait si grand’peur qu’elle regardait d’un air inquiet tous les arbres et toutes les feuilles, ne sachant où trouver du secours. Puis elle se mit à courir sur les pierres pointues et sur les épines, et les bêtes féroces bondissaient à côté d’elle, mais sans lui faire aucun mal. Elle courut aussi longtemps que ses pieds purent la porter, jusqu’à la brune, et elle aperçut alors une petite cabane où elle entra pour se reposer. Tout dans cette cabane était petit, mais si gentil et si propre qu’on ne saurait le décrire. Il y avait une petite table recouverte d’une nappe blanche avec sept petites assiettes, chaque assiette avec sa petite cuiller, puis sept petits couteaux, sept petites fourchettes et sept petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept petits lits l’un à côté de l’autre, couverts de draps blancs comme la neige.
Blanche-Neige avait très-faim et très-soif. Elle mangea une cuillerée de légumes avec une bouchée de pain dans chaque assiette, et but dans chaque gobelet une goutte de vin, car elle ne voulait pas prendre une seule part tout entière. Puis, comme elle était fatiguée, elle essaya de se coucher dans un des petits lits ; mais l’un était trop long, l’autre trop petit, et enfin il n’y eut que le septième qui fût à sa taille ; elle y resta donc, fit sa prière et s’endormit.
La nuit venue, les maîtres de la cabane arrivèrent ; c’étaient des nains qui cherchaient de l’or dans les montagnes. Ils allumèrent leurs petites lampes, et quand le logis fut éclairé, ils virent bientôt que quelqu’un avait passé par là, car tout n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.
Le premier dit :
« Qui s’est assis sur ma chaise ? »
Le second :
« Qui a mangé dans mon assiette ? »
Le troisième :
« Qui a pris de mon pain ? »
Le quatrième :
« Qui a touché à mes légumes ? »
Le cinquième :
« Qui a piqué avec ma fourchette ? »
Le sixième :
« Qui a coupé avec mon couteau ? »
Et le septième :
« Qui a bu dans mon gobelet ? »
Puis le premier se retourna et il vit que son lit était un peu affaissé.
« Qui s’est couché dans mon lit ? » dit-il.
Et les autres d’accourir et dire :
« Dans le mien aussi, il y a eu quelqu’un. »
Mais le septième, en regardant son lit, aperçut Blanche-Neige qui y était couchée et dormait. Il appela ses frères, qui se hâtèrent de venir et se récrièrent d’étonnement ; et chacun alla chercher sa lampe pour mieux contempler Blanche-Neige.
« Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, répétaient les nains, que cette enfant est belle ! »
Ils étaient ravis de l’admirer et se gardèrent bien de l’éveiller ; le septième nain dormit une heure dans le lit de chacun de ses compagnons jusqu’au point du jour. Le matin, quand Blanche-Neige sortit de son sommeil, elle vit les petits hommes et fut effrayée. Mais ils se montrèrent fort aimables et lui demandèrent son nom.
« Je m’appelle Blanche-Neige, » dit-elle.
— Par quel hasard, reprirent les nains, es-tu venue dans notre maison ? »
Alors elle leur conta son histoire : comment sa belle-mère avait voulu la faire tuer, comment le chasseur l’avait épargnée, et comment elle avait couru tout le jour jusqu’à ce qu’elle rencontrât la petite cabane. Les nains lui dirent :
« Veux-tu faire notre ménage, les lits, la cuisine, coudre, laver, tricoter ? En ce cas, nous te garderons avec nous et tu ne manqueras de rien. »
Blanche-Neige leur promit tout ce qu’ils désiraient et resta chez eux. Elle vaquait aux soins du ménage. Le matin, les nains s’en allaient pour chercher dans les montagnes de l’airain et de l’or ; le soir, ils rentraient au logis, où le dîner devait se trouver prêt. Toute la journée la jeune fille était seule, et ils l’avertissaient en partant de se tenir sur ses gardes : « Car, disaient les bons petits hommes, ta marâtre saura bientôt que tu es ici ; n’ouvre à personne ! »
En effet quelques temps après, la reine, qui pensait bien être de nouveau la plus belle femme du pays, voulu en avoir le cœur net, et elle se mit devant son miroir et lui dit :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Aussitôt le miroir de répondre :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
La reine pâlit de colère ; elle savait que le miroir ne mentait pas, et elle compris que le chasseur l’avait trompée et que Blanche-Neige vivait encore. Elle songea immédiatement aux moyens de la tuer ; car aussi longtemps qu’elle ne serait pas la plus belle, elle sentait qu’elle n’aurait pas de repos. Enfin, elle imagina de se maquiller le visage et de s’habiller en vieille marchande, de façon à se rendre méconnaissable. Ainsi déguisée, elle alla dans les sept montagnes, chez les sept nains, frappa à la porte de la cabane et cria :
« De belles marchandises ! Achetez, achetez ! »
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
« Bonjour, ma bonne femme ; que vendez-vous là ? »
— De bonnes marchandises, de belles marchandises, reprit l’autre, des lacets de toutes les couleurs ! »
Et elle tira de sa boîte un lacet tressé de soies de diverses couleurs.
« Je peux laisser entrer cette brave femme, » pensa Blanche-Neige.
Et tirant le verrou de la porte, elle ouvrit à la vieille et lui acheta le beau lacet.
« Enfant, dit la vieille, de quelle façon êtes-vous lacée ? Je vais vous montrer comment il faut faire. »
Blanche-Neige, sans aucun soupçon, se plaça devant elle, et se fit lacer avec le nouveau lacet ; mais la vieille le serra si fort que la jeune fille en perdit la respiration et tomba comme morte.
« Maintenant, tu as fini d’être la plus belle, » dit la marâtre, et elle s’en alla au plus vite.
Vers le soir, les sept nains revinrent à la cabane, mais quel ne fut pas leur trouble en apercevant leur chère Blanche-Neige étendue par terre sans mouvement et comme inanimée ! Ils la relevèrent, et quand ils eurent vu le lacet qui l’étranglait, ils le coupèrent ; alors elle commença à respirer faiblement et revint à elle peu à peu. Les nains écoutèrent le récit de ce qui s’était passé et dirent :
« La vieille marchande n’était autre que la reine ; prends garde de n’ouvrir à personne, désormais, en notre absence. »
La méchante reine, dès qu’elle fut de retour chez elle, alla droit à son miroir et lui demanda :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et le miroir magique de répondre :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige, au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
Lorsque la reine entendit cela, tout son sang se porta au cœur, tant sa colère fut violente à l’idée que Blanche-Neige était en vie.
« A présent, dit-elle, il faut que je trouve un moyen infaillible de la perdre ! »
Et, avec son art de sorcière, elle fabriqua un peigne empoisonné. Puis elle se déguisa de nouveau, sous la figure d’une autre vieille bohémienne. Elle s’en fut par les sept montagnes, chez les sept nains, frappa à la porte, et dit :
« Bonnes marchandises à vendre ! Achetez ! »
Blanche-Neige regarda par la fenêtre ; mais elle répondit :
— Je ne dois faire entrer personne ; passez votre chemin.
— On vous permettra bien de regarder seulement, » repartit la vieille, qui tira le peigne empoisonné et le mit sous les yeux de la jeune fille.
Il plut tellement à celle-ci qu’elle se laissa entraîner à ouvrir la porte. Lorsqu’elle eut acheté le peigne, la vieille dit :
« Attends je vais te peigner comme il faut. »
La pauvre Blanche-Neige, sans nulle méfiance, laissa faire la vieille ; mais à peine avait-elle entré le peigne dans les cheveux de sa victime, que le poison commença à agir, et que la jeune fille tomba par terre, comme frappée de mort.
« Eh bien, ma belle, dit la vieille en ricanant ; cette fois c’en est fait de toi ! »
Puis elle sortit.
Par bonheur, le soir approchait, et c’était l’heure du retour des nains. En voyant Blanche-Neige étendue ainsi, ils pensèrent tout de suite à sa belle-mère et cherchèrent partout la cause de ce qui venait d’arriver. Ils mirent la main sur le peigne empoisonné, et, à peine l’eurent-ils retiré, que Blanche-Neige reprit connaissance et raconta ce qui avait eu lieu. Les nains lui recommandèrent plus vivement que jamais de ne laisser pénétrer personne jusqu’à elle.
Tandis que la charmante enfant se remétait pour la troisième fois de ses frayeurs, la reine, dans son palais, consultait le miroir suspendu au mur :
« Miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et comme naguère il répondait :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige, au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
Lorsque la marâtre entendit cette nouvelle réponse, elle trembla de fureur.
« Blanche-Neige mourra, s’écria-t-elle, quand il devrait m’en coûter la vie ! »
Puis elle s’enferma dans une chambre secrète où personne n’entrait, et y prépara une pomme empoisonnée, superbe à voir, blanche et rose de peau, fraîche à croquer ; cette pomme avait le pouvoir de tuer quiconque en goûterait un morceau. Lorsqu’elle l’eut bien apprêtée, la reine se peignit la figure, et, déguisée en paysanne, retourna dans les sept montagnes, au pays des sept nains. Parvenue à la cabane où demeurait Blanche-Neige, elle frappa, et la jeune fille mit la tête à la fenêtre.
« Je ne dois laisser entrer personne, dit-elle, les nains me l’ont défendu.
— Soit ! répliqua la paysanne, cela m’est égal ; on m’achètera mes pommes ailleurs ; tenez, en voici une, je vous la donne.
— Non, dit Blanche-Neige, je ne dois rien prendre.
— Auriez-vous peur de quelque poison ? dit la vieille ; regardez, voici ma pomme coupée en deux moitiés : mangez la rouge, moi je mangerai la blanche. »
Mais la pomme était préparée avec tant d’art, que le côté rouge seul était empoisonné. Blanche-Neige avait bien envie de la belle pomme, et lorsque la paysanne se mit à en manger la moitié, la pauvre petite ne put y tenir davantage ; elle tendit la main et prit la moitié où se trouvait le poison. A peine ses lèvres s’y furent-elles posées, qu’elle tomba morte sur le sol. La reine la considéra avec des yeux terribles, rit aux éclats et dit :
« Blanche comme neige ! rouge comme sang ! noire comme l’ébène ! cette fois-ci les nains ne te réveilleront point ! »
Et lorsqu’elle interrogea son miroir, selon sa formule habituelle :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Il répondit enfin :
« Madame la reine, la plus belle, c’est vous ! »
Alors, le cœur envieux de la marâtre fut satisfait, autant que peut l’être un cœur envieux.
Les nains, en arrivant à la maison, le soir, trouvèrent Blanche-Neige étendue encore une fois par terre, sans haleine et sans mouvement. Ils la relevèrent, cherchèrent la cause de ce nouveau malheur, la desserrèrent, peignèrent ses cheveux, et lui lavèrent le visage avec de l’eau et du vin ; mais rien n’y fit : la pauvre enfant était morte et resta morte.
Ils la couchèrent et se mirent tous les sept autour d’elle, veillant et pleurant pendant trois jours. Puis ils voulurent l’enterrer ; mais elle avait si bien l’air d’une personne vivante, tant ses joues étaient fraîches et roses, qu’ils se dirent :
« Nous ne pouvons la mettre dans la terre noire. »
Ils lui firent un cercueil de verre pour qu’on pût la voir de tous côtés, l’ensevelirent dedans et écrivirent dessus en lettres d’or, qu’elle était fille de roi, et se nommait Blanche-Neige. Ensuite ils placèrent le cercueil sur le haut de la montagne, et l’un d’eux restait toujours auprès d’elle pour la garder. Les oiseaux vinrent aussi pleurer Blanche-Neige : le premier fut un hibou, le second un corbeau, et le troisième une colombe.
Blanche-Neige était ainsi depuis bien longtemps dans son cercueil et ne changeait pas de figure, ne semblant toujours qu’endormie, car elle était toujours blanche comme neige, avec des joues rouges comme du sang, sous ses beaux cheveux noirs comme l’ébène.
Or, il advint qu’un fils de roi, allant par la forêt, arriva chez les nains pour y passer la nuit. Il vit Blanche-Neige couchée dans le cercueil de verre sur la montagne, et lut ce qui s’y trouvait écrit en lettres d’or. Alors il dit aux nains :
« Livrez-moi ce cercueil, je vous donnerai ce que vous voudrez. »
Mais les nains répondirent :
« Nous ne le livrerions pas pour tout l’or du monde !
— Eh bien, reprit-il d’un ton suppliant, faites-m’en présent ; car je ne peux plus vivre sans voir Blanche-Neige. »
Les bons petits nains, touchés de ses prières, eurent pitié de lui et lui permirent d’emporter le cercueil. Les serviteurs du prince le soulevèrent sur leurs épaules ; mais, ayant heurté du pied une grosse racine, ils tombèrent, et par l’effet du choc, le cœur de la pomme sortit de la gorge de Blanche-Neige. Presque aussitôt, elle rouvrit les yeux, se redressa et dit :
« Mon Dieu ! où suis-je ?
— Avec moi qui t’aime plus que tout au monde ! s’écria le fils de roi plein de joie. »
Et il lui raconta ce qui s’était passé.
« Viens avec moi dans le château de mon père, dit-il, et tu seras ma femme. »
Et Blanche-Neige sentit bien qu’elle l’aimait aussi, et elle s’en fut avec lui, et la noce fut préparée en grande pompe.
On n’oublia pas d’inviter la méchante belle-mère à la fête. Lorsqu’elle se fut parée de ses plus riches atours, elle se mit devant son petit miroir et dit :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Le miroir répondit :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici;
Mais la jeune reine est plus belle que vous ! »
La méchante femme se récria de fureur ; dans son trouble, elle ne savait plus que faire. Lorsqu’elle arriva au mariage, elle reconnut Blanche-Neige et resta immobile de terreur et d’angoisse.
Le jeune roi la fit vêtir de haillon et l’enferma dans un cachot avec pour seul compagnon son miroir, qui lui répêta jusqu’à sa mort qu’elle n’était pas la plus belle et qu’elle ne le serait plus jamais.
La petite sirène

Conte de Hans Christian Andersen, Version de Contesdefees.com. lllustrations de Ivan Âkovlevič Bilibin (1876-1942).
Il était une fois un roi qui avait six belles filles. Mais ce roi n’appartenait pas au monde des humains. Son royaume était sous la mer, dans un endroit reculé, où les poissons scintillaient comme de petits bijoux parmi les rochers escarpés et les récifs.
Le roi et les six princesses vivaient dans un palais merveilleux, construit de corail scintillant et de conques luisantes. La mère des filles était décédée, mais la grand-mère prenait grand soin de ses petites-filles.
La plus jeune des princesses était aussi la plus jolie. Ses longs cheveux se gonflaient comme un nuage doré et sa queue brillait d’étincelles vertes, bleues et argentées.
S’il y avait une chose que les princesses aimaient, c’était d’écouter leur grand-mère leur raconter des histoires du monde au-dessus de la mer. « Là, leur disait la vieille femme, des êtres humains marchent avec des choses étranges appelées jambes. Et des poissons bizarres appelés oiseaux nagent dans les airs en agitant leurs longues nageoires. Plus la vieille sirène parlait de ce monde mystérieux, plus la petite sirène voulait aller le voir.
« Quand tu auras quinze ans, promit la grand-mère, tu iras le voir.
Lorsque l’aînée des sœurs eut quinze ans, elle nagea jusqu’à la surface, et le lendemain, elle revint pour raconter les merveilles qu’elle avait vue.
-Il y a des villes éblouissantes de lumières et de rires humains, dit-elle. Il y a d’énormes navires, hauts comme des châteaux, qui sillonnent la mer au soleil.
Les princesses grandissaient et chaque année, l’une après l’autre, elles atteignaient toutes l’âge où elles pouvaient nager jusqu’au monde des humains. Elles revenaient et racontaient toutes des histoires étranges et belles. Enfin, la plus jeune des petites sirènes eut quinze ans et pu enfin réaliser son rêve comme ses sœurs.
Quand elle monta à la surface pour la première fois, le soleil couchant peignait le ciel de rose et d’or. Près d’elle, un beau navire glissait lentement sur l’océan, car le vent était léger.
Alors que la petite sirène regardait le bateau, un beau prince sortit sur le pont pour contempler la mer. Il ne savait pas que la petite sirène le regardait, ne pouvant détacher ses yeux de son visage.
Il fit bientôt nuit, et bientôt le vent se renforça, et le navire commença à tanguer.
Une horrible tempête se leva, et arracha les voiles et le gréement, et de gigantesques vagues s’écrasèrent contre le pont et brisèrent la coque. Alors que le navire coulait, la petite sirène vit que le prince était en train de se noyer.
Elle le soutint et nagea avec précaution jusqu’au rivage le plus proche. Le matin, quand le vent se fut calmé et que le soleil se leva, la petite sirène resta là au bord de l’eau à veiller sur le prince endormi.
Peu de temps après, elle vit arriver un groupe de filles de la ville la plus proche qui venaient voir la mer. Quand elles atteignirent la plage où se trouvait le prince, il se réveilla et sourit tandis qu’elles l’aidaient à marcher. La petite sirène, cachée derrière un rocher, se sentit très triste, car elle avait peur de ne plus jamais le revoir.
Après ce jour, la petite sirène remontait souvent à la surface, car elle avait envie de revoir le prince. Elle contemplait son beau palais et pouvait parfois le voir se promener parmi ses courtisans. Elle devint de plus en plus triste, et un jour elle décida d’aller voir la sorcière de la mer et de lui demander conseil.
Cette sorcière vivait dans un endroit sombre et profond de l’océan, où les serpents marins semaient la terreur dans l’eau glacée. Voyant la petite sirène, la sorcière éclata de rire.
« Je sais pourquoi tu es ici ! » dit-elle. Tu veux te rendre dans le monde des humains pour voir ton prince. Tu veux que je transforme ta queue de sirène en jambes humaines, aussi laides soient-elles. Connais-tu le prix à payer ?
« Non, » murmura la princesse, « mais je donnerai tout pour devenir humaine. »
« Tu devras me donner ta voix, avec laquelle tu chantes si bien, » dit la sorcière. Alors je pourrai te transformer en humaine, avec d’affreuses jambes pour marcher. Mais rappelle-toi que si le prince ne t’aime pas de tout son cœur et ne te prend pas pour épouse, tu te transformeras en écume de mer et tu disparaîtras à jamais. Tu ne pourras plus rentrer chez ton père. « D’accord », dit la petite sirène. C’était déjà décidé.
Ensuite, la sorcière de la mer donna à boire une potion magique à la petite sirène. Pendant qu’elle buvait, une profonde tristesse l’envahit, car elle réalisait quel grand sacrifice elle était en train de faire. Lorsqu’elle remonta à la surface et nagea jusqu’au palais du prince, sa tristesse disparut dès qu’elle aperçut le jeune homme qu’elle aimait. Elle avait maintenant de belles jambes mais était incapable de parler car la sorcière lui avait bel et bien pris sa voix. Le prince voulut tout de suite recevoir la belle étrangère, et bien qu’elle ne puisse pas parler, il aimait sa compagnie et voulait que la jeune fille soit toujours à ses côtés.
Chaque jour, la petite sirène aimait davantage le jeune prince, mais elle réalisait qu’il n’avait pas l’intention de l’épouser. Il aimait pourtant sa compagnie et sentait qu’ils étaient unis par quelque chose.
-Tu me rappelles une jeune fille que j’ai connu autrefois, lui disait-il. Elle m’avait sauvé la vie, C’est la seule femme que je pourrais jamais aimer.
La pauvre petite sirène essayait de gesticuler et mimer mais elle ne n’arrivait pas à lui expliquer que cette fille était devant lui. Et elle ne savait pas écrire. Elle était vraiment malheureuse mais le destin semblait en avoir décidé ainsi.
Au bout de quelques mois, le roi et la reine pressèrent le prince de se trouver une fiancée. Après avoir refusé de nombreuses fois, il accepta finalement d’aller rencontrer la princesse d’un pays voisin. La petite sirène, bien sûr, monta à bord du navire royal avec lui, bien qu’elle en eût le cœur brisé.
Lorsque le prince mit le pied sur le rivage et rencontra la princesse voisine, il fut tellement fasciné par sa beauté qu’il se convainquit lui-même qu’elle était la fille qui l’avait sauvé du naufrage.
-C’est toi! s’exclama-t-il, ma sauveuse! J’ai retrouvé la fille que j’aimerai toute ma vie. Veux-tu m’épouser ?
Bientôt commencèrent les préparatifs du magnifique mariage, avec des milliers de fleurs, des robes de soie et des bijoux. Tout le monde était plein d’enthousiasme et criait de joie de voir un couple si heureux. Seule la petite sirène restait silencieuse et de ses yeux, pour la première fois, tombèrent des larmes que personne ne vit.
Cette nuit-là, lorsque le prince et sa femme se rendirent dans leur cabine sur le navire royal, la petite sirène se tenait sur le pont, fixant l’eau sombre. À l’aube, elle se transformerait en écume et ne pourrait plus jamais voir, entendre ou aimer.
Mais à ce moment-là, ses sœurs montèrent à la surface de la mer. Leurs cheveux étaient coupés presque à ras.
« Nous avons donné nos cheveux à la sorcière de la mer, » dirent-elles, « en échange de ce couteau. Si tu tues le prince avec ce couteau pendant la nuit, tu seras libérée du charme et tu pourras revenir au royaume de la mer avec nous. »
La petite sirène prit le couteau, mais lorsqu’elle se retrouva à côté du prince endormi, elle réalisa qu’elle ne pourrait jamais lui faire de mal. En pleurant, elle lança le couteau et se jeta à la mer.
Mais à sa grande surprise, la petite sirène ne se transforma pas en écume, mais elle se mit à flotter dans les airs; le bateau s’éloignait rapidement. Autour d’elle, elle aperçut de merveilleuses créatures de lumière dorée.
« Nous sommes les filles de l’air, lui dirent-elles. Nous sommes heureuses en faisant du bien autour de nous. Maintenant que tu es l’une des nôtres, petite sirène, tu pourras enfin être heureuse.”
Alors la petite sirène regarda une dernière fois vers le soleil, contempla le prince et sa femme, qui étaient sur le pont du navire, et pour la première fois depuis longtemps, elle sourit.
Le vilain petit canard

Conte de Hans Christian Andersen. Traduction originale de 1862. Illustrations de Bertall, Job.
Que la campagne était belle ! On était au milieu de l’été ; les blés agitaient des épis d’un jaune magnifique, l’avoine était verte, et dans les prairies le foin s’élevait en monceaux odorants ; la cigogne se promenait sur ses longues jambes rouges, en bavardant de l’égyptien, langue qu’elle avait apprise de madame sa mère. Autour des champs et des prairies s’étendaient de grandes forêts coupées de lacs profonds.
Oui vraiment, la campagne était bien belle. Les rayons du soleil éclairaient de tout leur éclat un vieux domaine entouré de larges fossés, et de grandes feuilles de bardane descendaient du mur jusques dans l’eau ; elles étaient si hautes que les petits enfants pouvaient se cacher dessous, et qu’au milieu d’elles on pouvait trouver une solitude aussi sauvage qu’au centre de la forêt. Dans une de ces retraites une cane avait établi son nid et couvait ses œufs ; il lui tardait bien de voir ses petits éclore. Elle ne recevait guère de visites ; car les autres aimaient mieux nager dans les fossés que de venir jusque sous les bardanes pour barboter avec elle.
Enfin les œufs commencèrent à crever les uns après les autres ; on entendait « pi-pip ; » c’étaient les petits canards qui vivaient et tendaient leur cou au dehors.
« Rap-rap, » dirent-ils ensuite en faisant tout le bruit qu’ils pouvaient.
Ils regardaient de tous côtés sous les feuilles vertes, et la mère les laissa faire ; car le vert réjouit les yeux.
« Que le monde est grand ? dirent les petits nouveau-nés à l’endroit même où ils se trouvèrent au sortir de leur œuf.
— Vous croyez donc que le monde finit là ? dit la mère. Oh ! non, il s’étend bien plus loin, de l’autre côté du jardin, jusque dans les champs du curé ; mais je n’y suis jamais allée. Êtes-vous tous là ? continua-t-elle en se levant. Non, le plus gros œuf n’a pas bougé : Dieu ! que cela dure longtemps ! J’en ai assez. »
Et elle se mit à couver, mais d’un air contrarié.
« Eh bien ! comment cela va-t-il ? dit une vieille cane qui était venue lui rendre visite.
— Il n’y a plus que celui-là que j’ai toutes les peines du monde à faire crever. Regardez un peu les autres : ne trouvez-vous pas que ce sont les plus gentils petits canards qu’on ait jamais vus ? ils ressemblent tous d’une manière étonnante à leur père ; mais le coquin ne vient pas même me voir.
— Montrez-moi un peu cet œuf qui ne veut pas crever, dit la vieille. Ah ! vous pouvez me croire, c’est un œuf de dinde. Moi aussi j’ai été trompée une fois comme vous, et j’ai eu toute la peine possible avec le petit ; car tous ces êtres-là ont affreusement peur de l’eau. Je ne pouvais parvenir à l’y faire entrer. J’avais beau le happer et barboter devant lui, rien n’y faisait. Que je le regarde encore : oui, c’est bien certainement un œuf de dinde. Laissez-le là, et apprenez plutôt aux autres enfants à nager.
— Non, puisque j’ai déjà perdu tant de temps, je puis bien rester à couver un jour ou deux de plus, répondit la cane.
— Comme vous voudrez, » répliqua la vieille ; elle s’en alla.
Enfin le gros œuf creva. « Pi-pip, » fit le petit, et il sortit. Comme il était grand et vilain ! La cane le regarda et dit : « Quel énorme caneton. Il ne ressemble à aucun de nous. Serait-ce vraiment un dindon ? ce sera facile à voir : il faut qu’il aille à l’eau, quand je devrais l’y traîner. »
Le lendemain, il faisait un temps magnifique : le soleil rayonnait sur toutes les vertes bardanes ; la mère des canards se rendit avec toute sa famille au fossé. « Platsh ! » et elle sauta dans l’eau. « Rap-rap, » dit-elle ensuite, et chacun des petits plongea l’un après l’autre ; et l’eau se referma sur les têtes. Mais bientôt ils reparurent et nagèrent avec rapidité. Les jambes allaient toutes seules, et tous se réjouissaient dans l’eau, même le vilain grand caneton gris.
« Ce n’est pas un dindon, dit-elle. Comme il se sert habilement de ses jambes, et comme il se tient droit ! C’est mon enfant aussi : il n’est pas si laid, lorsqu’on le regarde de près. Rap-rap ! Venez maintenant avec moi : je vais vous faire faire votre entrée dans le monde et vous présenter dans la cour des canards. Seulement ne vous éloignez pas de moi, pour qu’on ne marche pas sur vous, et prenez bien garde au chat. »
Ils entrèrent tous dans la cour des canards.
Quel bruit on y faisait ! Deux familles s’y disputaient une tête d’anguille, et à la fin ce fut le chat qui l’emporta.
« Vous voyez comme les choses se passent dans le monde, » dit la cane en aiguisant son bec ; car elle aussi aurait bien voulu avoir la tête d’anguille. « Maintenant, remuez les jambes, continua-t-elle ; tenez-vous bien ensemble et saluez le vieux canard là-bas. C’est le plus distingué de tous ceux qui se trouvent ici. Il est de race espagnole, c’est pour cela qu’il est si gros, et remarquez bien ce ruban rouge autour de sa jambe : c’est quelque chose de magnifique, et la plus grande distinction qu’on puisse accorder à un canard. Cela signifie qu’on ne veut pas le perdre, et qu’il doit être remarqué par les animaux comme par les hommes. Allons, tenez-vous bien ; non, ne mettez pas les pieds en dedans : un caneton bien élevé écarte les pieds avec soin ; regardez comme je les mets en dehors. Inclinez-vous et dites : « Rap ! »
Ils obéirent, et les autres canards qui les entouraient les regardaient et disaient tout haut : « Voyez un peu ; en voilà encore d’autres, comme si nous n’étions pas déjà assez. Fi, fi donc ! Qu’est-ce que ce canet-là ? Nous n’en voulons pas. »
Et aussitôt un grand canard vola de son côté, se jeta sur lui et le mordit au cou.
« Laissez-le donc, dit la mère, il ne fait de mal à personne.
— D’accord ; mais il est si grand et si drôle, dit l’agresseur, qu’il a besoin d’être battu.
— Vous avez là de beaux enfants, la mère, dit le vieux canard au ruban rouge. Ils sont tous gentils, excepté celui-là ; il n’est pas bien venu : je voudrais que vous pussiez le refaire.
— C’est impossible, dit la mère cane. Il n’est pas beau, c’est vrai ; mais il a un si bon caractère ! et il nage dans la perfection : oui, j’oserais même dire mieux que tous les autres. Je pense qu’il grandira joliment et qu’avec le temps il se formera. Il est resté trop longtemps dans l’œuf, et c’est pourquoi il n’est pas très-bien fait. »
Tandis qu’elle parlait ainsi, elle le tirait doucement par le cou, et lissait son plumage. « Du reste, c’est un canard, et la beauté ne lui importe pas tant. Je crois qu’il deviendra fort et qu’il fera son chemin dans le monde. Enfin, les autres sont gentils ; maintenant, mes enfants, faites comme si vous étiez à la maison et si vous trouvez une tête d’anguille, apportez-la-moi. »
Et ils firent comme s’ils étaient à la maison.
Mais le pauvre canet qui était sorti du dernier œuf fut, pour sa laideur, mordu, poussé et bafoué, non-seulement par les canards, mais aussi par les poulets.
« Il est trop grand, » disaient-ils tous, et le coq d’Inde qui était venu au monde avec des éperons et qui se croyait empereur, se gonfla comme un bâtiment toutes voiles dehors, et marcha droit sur lui en grande fureur et rouge jusqu’aux yeux. Le pauvre canet ne savait s’il devait s’arrêter ou marcher : il eut bien du chagrin d’être si laid et d’être bafoué par tous les canards de la cour.
Voilà ce qui se passa dès le premier jour, et les choses allèrent toujours de pis en pis. Le pauvre canet fut chassé de partout : ses sœurs mêmes étaient méchantes avec lui et répétaient continuellement : « Que ce serait bien fait si le chat t’emportait, vilaine créature ! » Et la mère disait : « Je voudrais que tu fusses bien loin. » Les canards le mordaient, les poulets le battaient, et la bonne qui donnait à manger aux bêtes le repoussait du pied.
Alors il se sauva et prit son vol par-dessus la haie. Les petits oiseaux dans les buissons s’envolèrent de frayeur. « Et tout cela, parce que je suis vilain, » pensa le caneton. Il ferma les yeux et continua son chemin. Il arriva ainsi au grand marécage qu’habitaient les canards sauvages. Il s’y coucha pendant la nuit, bien triste et bien fatigué.
Le lendemain, lorsque les canards sauvages se levèrent, ils aperçurent leur nouveau camarade.
« Qu’est-ce que c’est que cela ? » dirent-ils : le canet se tourna de tous côtés et salua avec toute la grâce possible.
« Tu peux te flatter d’être énormément laid ! dirent les canards sauvages ; mais cela nous est égal, pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. »
Le malheureux ! est-ce qu’il pensait à se marier, lui qui ne demandait que la permission de coucher dans les roseaux et de boire de l’eau du marécage ?
Il passa ainsi deux journées. Alors arrivèrent dans cet endroit deux jars sauvages. Ils n’avaient pas encore beaucoup vécu ; aussi étaient-ils très-insolents.
« Écoute, camarade, dirent ces nouveaux venus ; tu es si vilain que nous serions contents de t’avoir avec nous. Veux-tu nous accompagner et devenir un oiseau de passage ? Ici tout près, dans l’autre marécage, il y a des oies sauvages charmantes, presque toutes demoiselles, et qui savent bien chanter. Qui sait si tu n’y trouverais pas le bonheur, malgré ta laideur affreuse ! »
Tout à coup on entendit « pif, paf ! » et les deux jars sauvages tombèrent morts dans les roseaux, et l’eau devint rouge comme du sang.
« Pif, paf ! » et des troupes d’oies sauvages s’envolèrent des roseaux. Et on entendit encore des coups de fusil. C’était une grande chasse ; les chasseurs s’étaient couchés tout autour du marais ; quelques-uns s’étaient même postés sur des branches d’arbres qui s’avançaient au-dessus des joncs. Une vapeur bleue semblable à de petite nuages sortait des arbres sombres et s’étendait sur l’eau ; puis les chiens arrivèrent au marécage : « platsh, platsh ; » et les joncs et les roseaux se courbaient de tous côtés. Quelle épouvante pour le pauvre caneton ! il plia la tête pour la cacher sous son aile ; mais en même temps il aperçut devant lui un grand chien terrible : sa langue pendait hors de sa gueule, et ses yeux farouches étincelaient de cruauté. Le chien tourna la gueule vers le caneton, lui montra ses dents pointues et, « platsh, platsh, » il alla plus loin sans le toucher.
« Dieu merci ! soupira le canard ; je suis si vilain que le chien lui-même dédaigne de me mordre ! »
Et il resta ainsi en silence, pendant que le plomb sifflait à travers les joncs et que les coups de fusil se succédaient sans relâche.
Vers la fin de la journée seulement, le bruit cessa ; mais le pauvre petit n’osa pas encore se lever. Il attendit quelques heures, regarda autour de lui, et se sauva du marais aussi vite qu’il put. Il passa au-dessus des champs et des prairies ; une tempête furieuse l’empêcha d’avancer.
Sur le soir, il arriva à une misérable cabane de paysan, si vieille et si ruinée qu’elle ne savait pas de quel côté tomber : aussi restait-elle debout. La tempête soufflait si fort autour du caneton qu’il fut obligé de s’arrêter et de s’accrocher à la cabane : tout allait de mal en pis.
Alors il remarqua qu’une porte avait quitté ses gonds et lui permettait, par une petite ouverture, de pénétrer dans l’intérieur : c’est ce qu’il fit.
Là demeurait une vieille femme avec son matou et avec sa poule ; et le matou, qu’elle appelait son petit-fils, savait arrondir le dos et filer son rouet : il savait même lancer des étincelles, pourvu qu’on lui frottât convenablement le dos à rebrousse-poil. La poule avait des jambes fort courtes, ce qui lui avait valu le nom de Courte-Jambe. Elle pondait des œufs excellents, et la bonne femme l’aimait comme une fille.
Le lendemain on s’aperçut de la présence du caneton étranger. Le matou commença à gronder, et la poule à glousser.
« Qu’y a-t-il ? » dit la femme en regardant autour d’elle. Mais, comme elle avait la vue basse, elle crut que c’était une grosse cane qui s’était égarée. « Voilà une bonne prise, dit-elle : j’aurai maintenant des œufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un canard ! Enfin, nous verrons. »
Elle attendit pendant trois semaines ; mais les œufs ne vinrent pas. Dans cette maison, le matou était le maître et la poule la maîtresse ; aussi ils avaient l’habitude de dire : « Nous et le monde ; » car ils croyaient faire à eux seuls la moitié et même la meilleure moitié du monde. Le caneton se permit de penser que l’on pouvait avoir un autre avis ; mais cela fâcha la poule.
« Sais-tu pondre des œufs ? demanda-t-elle.
— Non.
— Eh bien ! alors, tu auras la bonté de te taire. »
Et le matou le questionna à son tour : « Sais-tu faire le gros dos ? sais-tu filer ton rouet et faire jaillir des étincelles ?
— Non.
— Alors tu n’as pas le droit d’exprimer une opinion, quand les gens raisonnables causent ensemble. »
Et le caneton se coucha tristement dans un coin ; mais tout à coup un air vif et la lumière du soleil pénétrèrent dans la chambre, et cela lui donna une si grande envie de nager dans l’eau qu’il ne put s’empêcher d’en parler à la poule.
« Qu’est-ce donc ? dit-elle. Tu n’as rien à faire, et voilà qu’il te prend des fantaisies. Ponds des œufs ou fais ron-ron, et ces caprices te passeront.
— C’est pourtant bien joli de nager sur l’eau, dit le petit canard ; quel bonheur de la sentir se refermer sur sa tête et de plonger jusqu’au fond !
— Ce doit être un grand plaisir, en effet ! répondit la poule. Je crois que tu es devenu fou. Demande un peu à Minet, qui est l’être le plus raisonnable que je connaisse, s’il aime à nager ou à plonger dans l’eau. Demande même à notre vieille maîtresse : personne dans le monde n’est plus expérimenté ; crois-tu qu’elle ait envie de nager et de sentir l’eau se refermer sur sa tête ?
— Vous ne me comprenez pas.
— Nous ne te comprenons pas ? mais qui te comprendrait donc ? Te croirais-tu plus instruit que Minet et notre maîtresse ?
— Je ne veux pas parler de moi.
— Ne t’en fais pas accroire, enfant, mais remercie plutôt le créateur de tout le bien dont il t’a comblé. Tu es arrivé dans une chambre bien chaude, tu as trouvé une société dont tu pourrais profiter, et tu te mets à raisonner jusqu’à te rendre insupportable. Ce n’est vraiment pas un plaisir de vivre avec toi. Crois-moi, je te veux du bien ; je te dis sans doute des choses désagréables ; mais c’est à cela que l’on reconnaît ses véritables amis. Suis mes conseils, et tâche de pondre des œufs ou de faire ron-ron.
— Je crois qu’il me sera plus avantageux de faire mon tour dans le monde, répondit le canard.
— Comme tu voudras, » dit le poulet.
Et le canard s’en alla nager et se plonger dans l’eau ; mais tous les animaux le méprisèrent à cause de sa laideur.
L’automne arriva, les feuilles de la forêt devinrent jaunes et brunes : le vent les saisit et les fit voltiger. En haut, dans les airs, il faisait bien froid ; des nuages lourds pendaient, chargés de grêle et de neige. Sur la haie le corbeau croassait tant il était gelé : rien que d’y penser, on grelottait. Le pauvre caneton n’était, en vérité, pas à son aise.
Un soir que le soleil se couchait glorieux, toute une foule de grands oiseaux superbes sortit des buissons ; le canet n’en avait jamais vu de semblables : ils étaient d’une blancheur éblouissante, ils avaient le cou long et souple. C’étaient des cygnes. Le son de leur voix était tout particulier : ils étendirent leurs longues ailes éclatantes pour aller loin de cette contrée chercher dans les pays chauds des lacs toujours ouverts. Ils montaient si haut, si haut, que le vilain petit canard en était étrangement affecté ; il tourna dans l’eau comme une roue, il dressa le cou et le tendit en l’air vers les cygnes voyageurs, et poussa un cri si perçant et si singulier qu’il se fit peur à lui-même. Il lui était impossible d’oublier ces oiseaux magnifiques et heureux ; aussitôt qu’il cessa de les apercevoir, il plongea jusqu’au fond, et, lorsqu’il remonta à la surface, il était comme hors de lui. Il ne savait comment s’appelaient ces oiseaux, ni où ils allaient ; mais cependant il les aimait comme il n’avait encore aimé personne. Il n’en était pas jaloux ; car comment aurait-il pu avoir l’idée de souhaiter pour lui-même une grâce si parfaite ? Il aurait été trop heureux, si les canards avaient consenti à le supporter, le pauvre être si vilain !
Et l’hiver devint bien froid, bien froid ; le caneton nageait toujours à la surface de l’eau pour l’empêcher de se prendre tout à fait ; mais chaque nuit le trou dans lequel il nageait se rétrécissait davantage. Il gelait si fort qu’on entendait la glace craquer ; le canet était obligé d’agiter continuellement les jambes pour que le trou ne se fermât pas autour de lui. Mais enfin il se sentit épuisé de fatigue ; il ne remuait plus et fut saisi par la glace.
Le lendemain matin, un paysan vint sur le bord et vit ce qui se passait ; il s’avança, rompit la glace et emporta le canard chez lui pour le donner à sa femme. Là, il revint à la vie.
Les enfants voulurent jouer avec lui ; mais le caneton, persuadé qu’ils allaient lui faire du mal, se jeta de peur au milieu du pot au lait, si bien que le lait rejaillit dans la chambre. La femme frappa ses mains l’une contre l’autre de colère, et lui, tout effrayé, se réfugia dans la baratte, et de là dans la huche à farine, puis de là prit son vol au dehors.
Dieu ! quel spectacle ! la femme criait, courait après lui, et voulait le battre avec les pincettes ; les enfants s’élancèrent sur le tas de fumier pour attraper le caneton. Ils riaient et poussaient des cris : ce fut un grand bonheur pour lui d’avoir trouvé la porte ouverte et de pouvoir ensuite se glisser entre des branches, dans la neige ; il s’y blottit tout épuisé.
Il serait trop triste de raconter toute sa misère et toutes les souffrances qu’il eut à supporter pendant cet hiver rigoureux.
Il était couché dans le marécage entre les joncs, lorsqu’un jour le soleil commença à reprendre son éclat et sa chaleur. Les alouettes chantaient. Il faisait un printemps délicieux.
Alors tout à coup le caneton put se confier à ses ailes, qui battaient l’air avec plus de vigueur qu’autrefois, assez fortes pour le transporter au loin. Et bientôt il se trouva dans un grand jardin où les pommiers étaient en pleine floraison, où le sureau répandait son parfum et penchait ses longues branches vertes jusqu’aux fossés. Comme tout était beau dans cet endroit ! Comme tout respirait le printemps !
Et des profondeurs du bois sortirent trois cygnes blancs et magnifiques.
Ils battaient des ailes et nagèrent sur l’eau. Le canet connaissait ces beaux oiseaux : il fut saisi d’une tristesse indicible.
« Je veux aller les trouver, ces oiseaux royaux ; ils me tueront, pour avoir osé, moi, si vilain, m’approcher d’eux ; mais cela m’est égal ; mieux vaut être tué par eux que d’être mordu par les canards, battu par les poules, poussé du pied par la fille de basse-cour, et que de souffrir les misères de l’hiver. »
Il s’élança dans l’eau et nagea à la rencontre des cygnes. Ceux-ci l’aperçurent et se précipitèrent vers lui les plumes soulevées. « Tuez-moi, » dit le pauvre animal ; et, penchant la tête vers la surface de l’eau, il attendait la mort.
Mais que vit-il dans l’eau transparente ? Il vit sa propre image au-dessous de lui : ce n’était plus un oiseau mal fait, d’un gris noir, vilain et dégoûtant, il était lui-même un cygne !
Il n’y a pas de mal à être né dans une basse-cour lorsqu’on sort d’un œuf de cygne.
Maintenant il se sentait heureux de toutes ses souffrances et de tous ses chagrins ; maintenant pour la première fois il goûtait tout son bonheur en voyant la magnificence qui l’entourait, et les grands cygnes nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.
De petits enfants vinrent au jardin et jetèrent du pain et du grain dans l’eau, et le plus petit d’entre eux s’écria : « En voilà un nouveau ! » et les autres enfants poussèrent des cris de joie : « Oui, oui ! c’est vrai ; il y en a encore un nouveau. » Et ils dansaient sur les bords, puis battaient des mains ; et ils coururent à leur père et à leur mère, et revinrent encore jeter du pain et du gâteau, et ils dirent tous : « Le nouveau est le plus beau ! Qu’il est jeune ! qu’il est superbe ! »
Et les vieux cygnes s’inclinèrent devant lui.
Alors, il se sentit honteux, et cacha sa tête sous son aile ; il ne savait comment se tenir, car c’était pour lui trop de bonheur. Mais il n’était pas fier. Un bon cœur ne le devient jamais. Il songeait à la manière dont il avait été persécuté et insulté partout, et voilà qu’il les entendait tous dire qu’il était le plus beau de tous ces beaux oiseaux ! Et le sureau même inclinait ses branches vers lui, et le soleil répandait une lumière si chaude et si bienfaisante ! Alors ses plumes se gonflèrent, son cou élancé se dressa, et il s’écria de tout son cœur : « Comment aurais-je pu rêver tant de bonheur, pendant que je n’étais qu’un vilain petit canard. »
Les habits neufs de l’empereur

Il y a très longtemps, vivait un empereur qui aimait plus que tout les habits neufs, à tel point qu’il dépensait toute sa fortune dans sa garde-robe. Il ne se souciait pas des parades militaires, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, sauf si cela lui permettait d’exhiber ses vêtements neufs. Il avait un costume pour chaque heure de chaque jour de la semaine et tandis qu’on dit habituellement d’un roi qu’il est au conseil, on disait toujours de lui : « L’empereur est dans sa garde-robe ! »
Dans la grande ville où il habitait, la vie était gaie et chaque jour beaucoup d’étrangers arrivaient. Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être tisserands et être capables de pouvoir tisser la plus belle étoffe que l’on pût imaginer. Non seulement les couleurs et le motif seraient exceptionnellement beaux, mais les vêtements qui en seraient confectionnés posséderaient l’étonnante propriété d’être invisibles aux yeux des idiots et des incompétents.
« Quels vêtements merveilleux ceux doivent être », se dit l’empereur. « Si j’en avais de pareils, je pourrais découvrir qui, de mes sujets, ne sied pas à ses fonctions et départager les intelligents des imbéciles ! Je dois sur le champ me faire tisser cette étoffe ! » Il donna aux deux escrocs une avance sur leur travail et ceux-ci se mirent à l’ouvrage.
Ils installèrent deux métiers à tisser, mais ils firent semblant de travailler car il n’y avait absolument aucun fil sur le métier. Ils demandèrent la soie la plus fine et l’or le plus précieux qu’ils prirent pour eux et restèrent sur leurs métiers vides jusqu’à bien tard dans la nuit.
« Je voudrais bien savoir où ils en sont avec l’étoffe ! », se dit l’empereur. Mais il se sentait mal à l’aise à l’idée qu’elle soit invisible aux yeux de ceux qui sont sots ou mal dans leur fonction. Il se dit qu’il n’avait rien à craindre pour lui-même, mais préféra envoyer quelqu’un d’autre pour voir comment cela se passait. La rumeur faisant son travail, chacun dans la ville connaissait maintenant les qualités exceptionnelles de l’étoffe et tous étaient impatients de savoir si leur voisin était inapte ou idiot.
« Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre auprès des tisserands », se dit l’empereur. « Il est le mieux à même de juger de l’allure de l’étoffe; il est d’une grande intelligence et personne ne fait mieux son travail que lui ! »
Le vieux et bon ministre alla donc dans l’atelier où les deux escrocs étaient assis, travaillant sur leurs métiers vides. Que Dieu nous garde ! », pensa le ministre en écarquillant les yeux. « Je ne vois rien du tout ! » Mais il se garda bien de le dire.
Les deux escrocs l’invitèrent à s’approcher et lui demandèrent si ce n’étaient pas là en effet un joli motif et de magnifiques couleurs. Puis, ils lui montrèrent un métier vide. Le pauvre vieux ministre écarquilla encore plus les yeux, mais il ne vit toujours rien, puisqu’il n’y avait rien. « Mon Dieu, pensa-t-il, serais-je sot ? Je ne l’aurais jamais cru et personne ne doit le savoir ! Serais-je un incompétent ? Non, il ne faut surtout pas que je raconte que je ne peux pas voir l’étoffe. »
« Eh bien, qu’en dites-vous ? », demanda l’un des tisserands.
« Oh, c’est ravissant, tout ce qu’il y a de plus joli ! », répondit le vieux ministre, en regardant au travers de ses lunettes. « Ces motifs et ces couleurs ! Je ne manquerai pas de dire à l’empereur que tout cela me plaît beaucoup ! »
« Nous nous en réjouissons ! », dirent les deux tisserands. Puis, ils décrivirent les couleurs et discutèrent du motif. Le vieux ministre écouta attentivement afin de pouvoir lui-même en parler lorsqu’il serait de retour auprès de l’empereur; et c’est ce qu’il fit.
Les deux escrocs exigèrent encore plus d’argent, plus de soie et plus d’or pour leur tissage. Ils mettaient tout dans leurs poches et rien sur les métiers; mais ils continuèrent, comme ils l’avaient fait jusqu’ici, à faire semblant de travailler.
L’empereur envoya bientôt un autre fonctionnaire de confiance pour voir où en était le travail et quand l’étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme ce qui était arrivé au ministre : il regarda et regarda encore, mais comme il n’y avait rien sur le métier, il ne put rien y voir.
« N’est-ce pas là un magnifique morceau d’étoffe ? », lui demandèrent les deux escrocs en lui montrant et lui expliquant les splendides motifs qui n’existaient tout simplement pas.
« Je ne suis pas sot, se dit le fonctionnaire; ce serait donc que je ne conviens pas à mes fonctions ? Ce serait plutôt étrange, mais je ne dois pas le laisser paraître ! » Et il fit l’éloge de l’étoffe, qu’il n’avait pas vue, puis il exprima la joie que lui procuraient les couleurs et le merveilleux motif. « Oui, c’est tout-à-fait merveilleux ! », dit-il à l’empereur.
Dans la ville, tout le monde parlait de la magnifique étoffe, et l’empereur voulu la voir de ses propres yeux tandis qu’elle se trouvait encore sur le métier. Accompagné de toute une foule de dignitaires, dont le ministre et le fonctionnaire, il alla chez les deux escrocs, lesquels s’affairaient à tisser sans le moindre fil.
« N’est-ce pas magnifique ? », dirent les deux fonctionnaires qui étaient déjà venus. « Que Votre Majesté admire les motifs et les couleurs ! » Puis, ils montrèrent du doigt un métier vide, s’imaginant que les autres pouvaient y voir quelque chose.
« Comment !, pensa l’Empereur, mais je ne vois rien ! C’est affreux ! Serais-je sot ? Ne serais-je pas fait pour être empereur ? Ce serait bien la chose la plus terrible qui puisse jamais m’arriver. »
« Magnifique, ravissant, parfait, dit-il finalement, je donne ma plus haute approbation ! » Il hocha la tête, en signe de satisfaction, et contempla le métier vide; mais il se garda bien de dire qu’il ne voyait rien. Tous les membres de la suite qui l’avaient accompagné regardèrent et regardèrent encore; mais comme pour tous les autres, rien ne leur apparût et tous dirent comme l’empereur : « C’est véritablement très beau ! » Puis ils conseillèrent à l’Empereur de porter ces magnifiques vêtements pour la première fois à l’occasion d’une grande fête qui devrait avoir lieu très bientôt.
Merveilleux était le mot que l’on entendait sur toutes les lèvres, et tous semblaient se réjouir. L’empereur décora chacun des escrocs d’une croix de chevalier qu’ils mirent à leur boutonnière et il leur donna le titre de gentilshommes tisserands.
La nuit qui précéda le matin de la fête, les escrocs restèrent à travailler avec seize chandelles. Tous les gens pouvaient se rendre compte du mal qu’ils se donnaient pour terminer les habits de l’empereur. Les tisserands firent semblant d’enlever l’étoffe de sur le métier, coupèrent dans l’air avec de gros ciseaux, cousirent avec des aiguilles sans fils et dirent finalement : « Voyez, les habits neufs de l’empereur sont à présent terminés ! »
« Voyez, Majesté, voici le pantalon, voilà la veste, voilà le manteau ! » et ainsi de suite. « C’est aussi léger qu’une toile d’araignée; on croirait presque qu’on n’a rien sur le corps, mais c’est là toute la beauté de la chose ! »
« Oui, oui ! », dirent tous les courtisans, mais ils ne pouvaient rien voir, puisqu’il n’y avait rien.
« Votre Majesté Impériale veut-elle avoir l’insigne bonté d’ôter ses vêtements afin que nous puissions lui mettre les nouveaux, là, devant le grands miroir ! »
L’empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent comme s’ils lui enfilaient chacune des pièces du nouvel habit qui, apparemment, venait tout juste d’être cousu. L’empereur se tourna et se retourna devant le miroir.
« Dieu ! comme cela vous va bien. Quels dessins, quelles couleurs », s’exclamait tout le monde.
« Ceux qui doivent porter le paravent au-dessus de Votre Majesté ouvrant la procession sont arrivés », dit le maître des cérémonies.
« Je suis prêt », dit l’empereur. « Est-ce que cela me va bien ? » Et il en se tourna encore une fois devant le miroir, car il devait faire semblant de bien contempler son costume.
Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet, faisant semblant d’attraper et de soulever la traîne. Ils allèrent et firent comme s’ils tenaient quelque chose dans les airs; ils ne voulaient pas risquer que l’on remarquât qu’ils ne pouvaient rien voir.
C’est ainsi que l’Empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ceux qui se trouvaient dans la rue ou à leur fenêtre disaient : « Les habits neufs de l’empereur sont admirables ! Quel manteau magnifique avec sa traîne de toute beauté, comme elle s’étale avec splendeur ! » Personne ne voulait laisser paraître qu’il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans sa fonction ou simplement un sot. Aucun habit neuf de l’empereur n’avait connu un tel succès.
« Mais il n’a pas d’habit du tout ! », cria tout à coup un petit enfant dans la foule.
« Entendez la voix de l’innocence ! », dit le père; et chacun murmura à son voisin ce que l’enfant avait dit.
Puis la foule entière se mit à crier : « Mais il n’a pas d’habit du tout ! » L’empereur frissonna de peur, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit : » Maintenant, je dois tenir bon jusqu’à la fin de la procession. » Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n’existait pas.
Hans Christian Andersen (1805-1875),
Titre original : Les Habits neufs du Grand-Duc
Adapté par Contesdefees.com de la traduction de David Soldi.
Contes d’Andersen, 1876.
La belle au bois dormant

De Charles Perrault
Il était une fois un roi et une reine qui étaient très tristes de n’avoir pas d’enfants. Ils rencontrèrent tous les médecins et les magiciens du monde. Et finalement la reine attendit un bébé et accoucha d’une fille.
À son baptême, on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu’on pût trouver dans le pays (il s’en trouva sept), afin que chacune d’elles lui fit un don, comme c’était la coutume des fées en ce temps-là, et que la princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.
Après les cérémonies du baptême, toute la compagnie revint au palais du roi où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d’elles un couvert magnifique, avec un étui d’or massif où il y avait une cuillère, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée, qu’on n’avait pas invité, parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle n’était sortie de sa tour, et qu’on la croyait morte ou enchantée.
Le roi lui fit donner un couvert ; mais il ne pu lui donner un étui d’or massif comme aux autres, parce que l’on n’en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crut qu’on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes fées, qui se trouva auprès d’elle l’entendit ; et jugeant qu’elle pourrait donner quelque mauvais don à la petite princesse, alla, dès qu’on fut sorti de table se cacher derrière la tapisserie afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer, autant qu’il lui serait possible, le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu’elle serait la plus belle personne du monde ; celle d’après, qu’elle aurait de l’esprit comme un ange ; la troisième, qu’elle aurait une grâce admirable à tout ce qu’elle ferait ; la quatrième, qu’elle danserait parfaitement bien ; la cinquième, qu’elle chanterait comme un rossignol ; la sixième, qu’elle jouerait de toutes sortes d’instruments à la perfection. Le tour de la vieille fée étant venu, elle dit, en branlant la tête encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d’un fuseau, et qu’elle en mourrait.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n’y eût personne qui ne pleurât face à cette horrible prédiction. Dans ce moment la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles :
— Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n’en mourra pas ; il est vrai que je n’ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que cette vieille fée a fait. La princesse se percera la main d’un fuseau ; mais au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d’un roi viendra la réveiller.
Le roi, pour tâcher d’éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à toutes personnes de filer au fuseau, ni d’avoir des fuseaux chez soi, sur peine de la vie.
Au bout de quinze ou seize ans, alors que le roi et la reine étaient partis en voyage, la jeune princesse s’amusait à courir un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, elle arriva jusqu’au haut d’un donjon dans une petite pièce, où une bonne vieille était là toute seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n’avait pas entendu parler de l’interdiction que le roi avait faites de filer au fuseau.
— Que faites-vous là, ma bonne femme ? dit la princesse.
— Je file, ma belle enfant, lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
— Ah ! que cela est joli, reprit la princesse, comment faites-vous ? Donnez-le-moi que je voie si j’en ferais bien autant.
Elle n’eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était nerveuse, un peu étourdie, et que la prédiction des fées l’ordonnait ainsi, elle s’en perça la main, et tomba évanouie.
La bonne vieille, bien embarrassée, cria au secours : on vint de tous les côtés, on jeta de l’eau au visage de la princesse, on la dévêtue, on lui frappa dans les mains, on lui frotta les tempes avec de l’eau de la reine de Hongrie ; mais rien ne la faisait revenir.
Alors le roi, qui était monté au bruit, se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu’il fallait que cela arrivât, puisque les fées l’avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d’or et d’argent. On eût dit un ange, tant elle était belle ; car son évanouissement n’avait pas ôté les couleurs vives de son teint : ses joues étaient incarnates, et ses lèvres comme du corail ; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l’entendait respirer doucement, ce qui faisait voir qu’elle n’était pas morte.
Le roi ordonna qu’on la laissât dormir en repos, jusqu’à ce que son heure de se réveiller fût venue. La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en la condamnant à dormir cent ans, était dans le royaume de Mataquin, à douze mille lieues de là, lorsque l’accident arriva à la princesse ; mais elle en fut avertie en un instant par un petit nain, qui avait des bottes de sept lieues (c’était des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues d’une seule enjambée).
La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d’une heure arriver dans un chariot de feu, traîné par des dragons. Le roi alla la saluer à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu’il avait fait ; mais comme elle était très prévoyante, elle pensa que quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée et toute seule dans ce vieux château : voici ce qu’elle fit.
Elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi et la reine), gouvernantes, filles d’honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers, maîtres d’hôtel, cuisiniers, marmitons, galopins, gardes, suisses, pages, valets de pied ; elle toucha aussi tous les chevaux qui étaient dans les écuries, avec les palefreniers, les gros chiens de bassecour, et la petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui était auprès d’elle sur son lit.
Dès qu’elle les eut touchés, ils s’endormirent tous, pour ne se réveiller qu’en même temps que leur maîtresse, afin d’être tout prêts à la servir quand elle en aurait besoin. Les broches mêmes, qui étaient au feu, toutes pleines de perdrix et de faisans, s’endormirent, et le feu aussi.
Tout cela se fit en un moment ; les fées n’étaient pas longues à leur besogne. Alors le roi et la reine, après avoir baisé leur chère enfant sans qu’elle s’éveillât, sortirent du château, et firent publier des défenses à qui que ce soit d’en approcher. Ces défenses n’étaient pas nécessaires ; car il poussa, en un quart d’heure, tout autour du parc, une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d’épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n’y aurait pu passer ; en sorte qu’on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore à condition d’être bien loin. On ne douta point que la fée n’eût fait là encore un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu’elle dormirait, n’eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d’une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c’était que des tours qu’il voyait au-dessus d’un grand bois fort épais. Chacun lui répondit selon qu’il en avait entendu parler. Les uns disaient que c’était un vieux château où il revenait des esprits ; les autres, que tous les sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu’un ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfants qu’il pouvait attraper, pour les manger à son aise, et sans qu’on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois.
Le prince ne savait qu’en croire, lorsqu’un vieux paysan prit la parole, et lui dit :
— Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j’ai ouï dire à mon père qu’il y avait dans ce château une princesse, la plus belle qu’on eût su voir ; qu’elle y devait dormir cent ans et qu’elle serait réveillée par le fils d’un roi, à qui elle était réservée.
Le jeune prince, à ce discours, se sentit tout de feu ; il crut sans balancer qu’il mettrait fin à une si belle aventure ; et poussé par l’amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qui en était. À peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écartèrent d’elles-mêmes pour le laisser passer. Il marcha vers le château, qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entra ; et, ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens n’avait pas pu le suivre, parce que les arbres s’étaient rapprochés dès qu’il avait été passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin : un prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu’il vit d’abord était capable de le glacer de crainte.
C’était un silence affreux : l’image de la mort s’y présentait partout, et ce n’était que des corps étendus d’hommes et d’animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien, au nez bourgeonné et à la face vermeille des suisses, qu’ils n’étaient qu’endormis, et leurs tasses où il y avait encore quelques gouttes de vin, montraient assez qu’ils s’étaient endormis en buvant.
Il passa une grande cour pavée de marbre ; il monta l’escalier, il entra dans la salle des gardes qui étaient rangés en haie, la carabine sur l’épaule, et ronflants de leur mieux. Il traversa plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis. Il entra dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il eût jamais vu :
une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approcha en tremblant et en admirant et se mit à genoux auprès d’elle.
Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la princesse s’éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu’une première vue ne semblait le permettre :
— Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre.
Le prince, charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il l’assura qu’il l’aimait plus que lui-même. Ses discours étaient maladroits ; peu d’éloquence, beaucoup d’amour. Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner ; elle avait eu le temps de songer à ce qu’elle aurait à lui dire, car la bonne fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir des songes agréables.
Enfin il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas encore dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire.
Cependant tout le palais s’était réveillé avec la princesse ; chacun songeait à faire sa charge, et comme ils n’étaient pas tous amoureux, ils mouraient de faim ; la dame d’honneur, pressée comme les autres, s’impatienta, et dit tout haut à la princesse que la viande était servie. Le prince aida la princesse à se lever ; elle était tout habillée et fort magnifiquement, mais il se garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme sa
Grand-mère, et qu’elle avait un collet monté ; elle n’en était pas moins belle.
Ils passèrent dans un salon de miroirs, et y soupèrent, servis par les officiers de la princesse. Les violons et les hautbois jouèrent de vieilles pièces, mais excellentes, quoiqu’il y eût près de cent ans qu’on ne les jouât plus ; et après souper, sans perdre de temps, le grand aumônier les maria dans la chapelle du château, et la dame d’honneur leur tira le rideau : ils dormirent peu, la princesse n’en avait pas grand besoin, et le prince la quitta dès le matin pour retourner à la ville, où son père devait être en peine de lui.
Le prince lui dit qu’en chassant il s’était perdu dans la forêt, et qu’il avait couché dans la hutte d’un charbonnier, qui lui avait fait manger du pain noir et du fromage. Le roi son père, qui était un bonhomme, le crut ; mais sa mère n’en fut pas bien persuadée, et voyant qu’il allait presque tous les jours à la chasse, et qu’il avait toujours une raison en main pour s’excuser, quand il avait couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu’il n’eût quelque amourette ; car il vécut avec la princesse plus de deux ans entiers, et en eut deux enfants, dont le premier, qui fut une fille, fut nommée Aurore, et le second un fils qu’on nomma Jour, parce qu’il paraissait encore plus beau que sa sœur.
La reine essaya mainte fois de le faire parler; mais il n’osait jamais lui confier à son secret :
En effet il la craignait autant qu’il l’aimait, car elle était de race des ogres, et le roi ne l’avait épousée qu’à cause de ses grands biens. On disait même tout bas à la cour qu’elle avait les inclinations des ogres et qu’en voyant passer de petits enfants, elle avait toutes les peines du monde à se retenir de se jeter sur eux pour les dévorer; ainsi le prince ne voulut jamais rien dire.
Mais quand le roi fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, et qu’il se vit le maître, il déclara publiquement son mariage, et alla en grande cérémonie quérir la reine sa femme dans son château. On lui fit une entrée magnifique dans la capitale, où elle entra accompagnée de ses deux enfants.
Quelque temps après le roi alla faire la guerre à l’empereur Cantalabutte son voisin. Il laissa la régence du royaume à la reine sa mère, et lui recommanda fort sa femme et ses enfants : il devait être à la guerre tout l’été, et dès qu’il fut parti, la reine mère envoya sa bru et ses enfants à une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible appétit.
Elle y alla quelques jours après, et dit un soir à son maître d’hôtel :
— Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore.
— Ah ! madame, dit le maître d’hôtel…
— Je le veux, dit la reine (et elle le dit d’un ton d’ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je veux la manger à la sauce Robert.
Ce pauvre homme voyant bien qu’il ne fallait pas se jouer à une ogresse, prit son grand couteau, et monta à la chambre de la petite Aurore : elle avait pour lors quatre ans et vint en sautant et en riant se jeter à son cou, et lui demander un bonbon. Il se mit à pleurer : le couteau lui tomba des mains, et il alla dans la basse-cour couper la gorge à un petit agneau, et lui fit une si bonne sauce, que sa maîtresse l’assura qu’elle n’avait jamais rien mangé de si bon. Il avait emporté en même temps la petite Aurore, et l’avait donnée à sa femme, pour la cacher dans le logement qu’elle avait au fond de la basse-cour.
Huit jours après, la méchante reine dit à son maître d’hôtel :
— Je veux manger à mon souper le petit Jour.
Il ne répliqua pas, résolu à la tromper comme l’autre fois ; il alla chercher le petit Jour, et le trouva avec un petit fleuret à la main, dont il croisait le fer avec un gros singe ; il n’avait pourtant que trois ans. Il le porta à sa femme qui le cacha avec la petite Aurore, et donna à la place du petit Jour un petit chevreau fort tendre, que l’ogresse trouva admirablement bon.
Cela était fort bien allé jusque-là ; mais un soir cette méchante reine dit au maître d’hôtel :
— Je veux manger la reine à la même sauce que ses enfants.
Ce fut alors que le pauvre maître d’hôtel désespéra de la pouvoir encore tromper. La jeune reine avait vingt ans passés, sans compter les cent ans qu’elle avait dormi : sa peau était un peu dure, quoique belle et blanche ; et le moyen de trouver, dans la ménagerie, une bête aussi dure que cela ? Il prit la résolution, pour sauver sa vie, de couper la gorge à la reine, et monta dans sa chambre, dans l’intention de ne pas perdre plus de temps ; S’étant convaincu, il entra, le poignard à la main, dans la chambre de la jeune reine. Il ne voulut pourtant point la surprendre et il lui dit avec beaucoup de respect l’ordre qu’il avait reçu de la reine mère.
— Faites votre devoir, lui dit-elle, en lui tendant le col, exécutez l’ordre qu’on vous a donné ; j’irai revoir mes enfants, mes pauvres enfants que j’ai tant aimés.
Elle les croyait morts, depuis qu’on les avait enlevés sans lui rien dire.
— Non, non, madame, lui répondit le pauvre maître d’hôtel tout attendri, vous ne mourrez point, et vous allez tout de suite revoir vos enfants ; mais ce sera chez moi où je les ai cachés, et je tromperai encore la reine en lui faisant manger une jeune biche en votre place.
Il la mena aussitôt à sa chambre, et la laissant embrasser ses enfants et pleurer avec eux, il alla accommoder une biche, que la reine mangea à son souper, avec le même appétit que si c’eût été la jeune reine ; elle était bien contente de sa cruauté, et elle se préparait à dire au roi, à son retour, que les loups enragés avaient mangé la reine sa femme et ses deux enfants.
Un soir qu’elle rôdait à son ordinaire dans les cours et basses-cours du château à la recherche de quelque viande fraîche, elle entendit dans une salle basse le petit Jour qui pleurait, parce que la reine sa mère le grondait, à cause qu’il avait été méchant ; et elle entendit aussi la petite Aurore qui demandait pardon pour son frère. L’ogresse reconnut la voix de la reine et de ses enfants, et furieuse d’avoir été trompée, elle
commanda, dès le lendemain au matin, avec une voix épouvantable qui faisait trembler tout le monde, qu’on apportât au milieu de la cour une grande cuve, qu’elle fit remplir de crapauds, de vipères, de couleuvres et de serpents, pour y faire jeter la reine et ses enfants, le maître d’hôtel, sa femme et sa servante : elle avait donné l’ordre de les amener les mains liées derrière le dos.
Ils étaient là, et les bourreaux se préparaient à les jeter dans la cuve, lorsque le roi, qu’on n’attendait pas si tôt, entra dans la cour à cheval ; il demanda tout étonné ce que voulait dire cet horrible spectacle. Personne n’osait l’en instruire, quand l’ogresse, enragée de voir ce qu’elle voyait, se jeta elle-même la tête la première dans la cuve, et fut dévorée en un instant par les vilaines bêtes qu’elle y avait fait mettre.
Le roi en fut triste malgré tout: elle était sa mère ; mais il s’en consola bientôt avec sa belle femme et ses enfants.
Les trois petits cochons

Il était une fois 3 petits cochons qui vivaient avec leur maman dans une petite maison. Ils s’appelaient Nif Nif, Nouf, Nouf et Naf Naf.
Un jour, leur mère les réunit et leur dit:
“Mes enfants, vous avez beaucoup grandit, et notre maison est bien trop petite pour nous tous maintenant. Demain vous partirez pour construire chacun votre maison. Et surtout faîtes bien attention au grand méchant loup”
Le lendemain, ils s’embrassèrent tous et partirent.
Nouf Nouf le plus jeune et le plus paresseux, rencontra un paysan et lui demanda un peu de paille pour construire sa maison en quelques minutes.
Nif Nif le second, un peu moins paresseux, demanda du bois à un bûcheron et se construisit une maison en bois en quelques heures.
Naf Naf, l’aîné et le plus travailleur, acheta des briques à un maçon et se construisit une solide maison de brique en plusieurs jours.
Ses frères qui avait terminé bien avant lui, se moquaient de lui en rigolant et en jouant de la musique devant lui.
Mais Naf Naf leur reprochait leur paresse et leur disait:
– Nous verrons bien quand le loup viendra! Rira bien qui rira le dernier!
Quelques jours plus tard, un horrible et énorme grand méchant loup sortit de la forêt.
Il vit d’abord la maison de Nouf Nouf et cria:
“Petit cochon, ouvre-moi ta porte ou je soufflerai, et ta maison s’envolera!”
“Non, jamais de la vie” dit Nouf Nouf en tremblant.
Alors le grand méchant loup remplit ses poumons et commença à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
En quelques secondes, la maison s’envola.
Nouf Nouf, se mit à courir de toutes ses forces vers la cabane de son frère Nif Nif.
Nif Nif lui ouvrit la porte juste à temps car ils entendirent rugir la voix du loup:
“Petits cochons! Petits cochons! Ouvrez-moi la porte!”
“Non non!” S’exclama Nif Nif. “Nous ne t’ouvrirons pas!”
Le loup répondit:
“Puisque c’est comme ça, je vais souffler, souffler, souffler, et votre maison s’envolera.”
Alors il gonfla sa poitrine et se mit à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
La cabane resista un peu mais s’envola bien vite.
Nouf Nouf et Nif Nif se mirent à courir, courir, courir, en direction de la maison de briques de leur frère Naf Naf.
Naf Naf les laissa entrer juste à temps.
De grands coups retentirent à la porte. “Boum Boum Boum ». C’était le loup.
« Petits cochons, petits cochons! Ouvrez-moi la porte ou je soufflerai, soufflerai, soufflerai, et votre maison s’envolera.”
“Non” dit Naf Naf, “Nous ne t’ouvrirons pas”
Alors le Loup souffla de toutes ses forces:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
La maison ne bougea pas d’un pouce.
Enragé, il souffla à nouveau:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
Mais la maison resista, solide comme un roc.
Il souffla, souffla et souffla encore jusqu’à perdre haleine.
“Hufufufufufu”
À bout de souffle, le grand méchant loup, chercha une autre idée pour entrer dans la maison. Il aperçut la cheminée sur le toit, commença à escalader le mur pour y descendre et attraper son repas.
Heureusement, Naf Naf, avait entendu les pas du loup sur le toit, et il avait mis rapidement une grande marmite d’eau chaude à bouillir sur le feu.
Lorsque le grand méchant loup descendit par le conduit de la cheminée, il se brûla tellement fort, qu’il sauta à plusieurs mètres en passant par la cheminée en sens inverse.
Il courut, courut, courut jusqu’à disparaître complètement. Et on ne le revit plus jamais dans la région.
Les trois petits cochons sortirent tout heureux de la maison de briques et se mirent à danser en rond en chantant:
”Qui a peur du grand méchant loup, c’est peut-être vous? C’est pas nous!”
Naf Naf put enfin se joindre à la flûte de Nouf Nouf et au violon de Nif Nif en les accompagnant gaiement sur son piano.
Finalement, il invita ses frères à vivre dans sa maison en attendant qu’ils construisent chacun leur propre maison de brique.
Blanche neige

D’après les frères Grimm. Illustrations à l’aquarelle d’Isabelle Beaussant – de Pas.
Il était une fois le roi et la reine d’un beau pays qui vivaient dans un grand château.
Un jour, ils eurent une fille qu’ils appelèrent Blanche-Neige, car sa peau était blanche comme la neige.
Mais peu de temps après la reine mourut, et le roi se remaria avec une femme très belle, mais très orgueilleuse et méchante.
Elle possédait un miroir magique à qui elle demandait:
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Et le miroir répondait toujours:
– Majesté, vous êtes la plus belle!
Et il lui disait toujours la même chose car c’était vrai.
Mais des années plus tard, alors que Blanche Neige devenait une jeune femme, elle lui demanda comme toujours:
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Le miroir lui répondit:
– C’est Blanche Neige la plus belle!
Et c’était bien vrai. Blanche Neige était devenue une magnifique femme, tout en cultivant une simplicité admirable. Elle passait de longues heures dans la nature, amie des fleurs et des animaux.
En réalisant cela au travers de son miroir, la reine entra dans une colère sans mesure et demanda à un chasseur d’emmener Blanche Neige dans la forêt et de ne revenir qu’après l’avoir tué et de lui ramener son coeur.
Le chasseur fut pris de pitié et ne fut pas capable de tuer la jeune fille. Il lui dit de courir le plus loin possible et tua un vieux sanglier pour faire croire à la reine qu’il ramenait le coeur de Blanche Neige.
Celle-ci avait suivit son conseil et avait couru pendant des heures et des heures à travers la forêt profonde.
Elle s’arrêta en voyant une petite maison dans une clairière et frappa à la porte. Ne recevant pas de réponse, elle poussa la porte et entra.
Elle vit sept petites chaises autour de la table et s’assit sur la première.
Puis elle vit sept assiettes déjà préparées et goûta une cuillère de chacune d’elles car elle avait très faim.
Puis elle but dans un des sept verres car elle avait très soif.
Et comme elle était très fatiguée elle s’écroula de tout son long sur les sept petits lits et s’endormit.
La nuit venue, les maîtres de la cabane arrivèrent ; c’étaient des nains qui cherchaient de l’or dans les montagnes. Ils allumèrent leurs petites lampes, et quand le logis fut éclairé, ils virent bientôt que quelqu’un était passé par là, car tout n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.
Le premier dit :
« Qui s’est assis sur ma chaise ? »
Le second :
« Qui a mangé dans mon assiette ? »
Le troisième :
« Qui a pris de mon pain ? »
Le quatrième :
« Qui a touché à mes légumes ? »
Le cinquième :
« Qui a piqué avec ma fourchette ? »
Le sixième :
« Qui a coupé avec mon couteau ? »
Et le septième :
« Qui a bu dans mon gobelet ? »
Puis le premier se retourna et il vit que son lit était défait.
« Qui s’est couché dans mon lit ? » dit-il.
Et les autres accoururent et dire :
« Dans le mien aussi, il y a eu quelqu’un. »
Alors ils aperçurent Blanche-Neige qui était couchée en travers des sept petits lits et qui dormait. Ils poussèrent des cris d’étonnement ; et chacun alla chercher sa lampe pour mieux contempler Blanche-Neige.
« Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, répétaient les nains, que cette jeune fille est belle ! »
Après s’être remis de leurs émotions, et qu’ils eurent écouté l’histoire de Blanche Neige, les nains lui proposèrent de rester chez eux à l’abri tant qu’elle le voudrait.
Le lendemain ils partirent travailler dans la montagne en lui recommandant de n’ouvrir à personne.
Ils vécurent ainsi quelques jours heureux. Blanche Neige prenait soin de la maison et préparait des plats délicieux faisant la joie de ses hôtes.
Pendant ce temps, la méchante reine interrogea à nouveau son miroir :
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Le miroir lui répondit:
– C’est Blanche Neige la plus belle!
Elle en perdit le souffle :
– Comment ? Blanche Neige n’est pas morte ?
– Non, dit le miroir, elle habite chez les nains de la montagne.
Elle se rendit compte que le chasseur l’avait trompé et entra dans une colère folle. Elle mis rapidement au point une ruse de sorcière, car c’est bien ce qu’elle était. Elle se déguisa en vieille femme, pris un panier de pommes, et alla cueillir des herbes venimeuses dans la forêt. Elle enduit une des pommes avec son mélange assassin et repartit.
Elle se dirigea vers la cabane des nains.
Lorsqu’elle arriva, Blanche Neige était seule car les nains étaient partis travailler dans la montagne.
– Qui est-ce ? Demanda Blanche Neige lorsqu’elle frappa à la porte.
– Une marchande de pommes, ouvre-moi la porte, mon enfant.
– Je ne peux pas ma bonne Dame. Les nains me l’ont interdit. Dit Blanche Neige
– Regarde mes belles pommes, dit la sorcière en montrant une belle pomme rouge par la fenêtre. Elles sont délicieuses. Goûtes-en une. Je te l’offre.
Et pour appuyer son geste elle croqua une des pommes qui n’étaient pas empoisonnée.
Blanche Neige se laissa convaincre et goûta la pomme que la femme lui offrait. À peine avait-elle croqué un morceau, qu’elle tomba inanimée sur le sol.
La reine s’enfuit en ricanant de folie. Elle se perdit dans la montagne et tomba dans un précipice. On entendit plus jamais parler d’elle.
Lorsque les nains arrivèrent à la maison après leur travail, ils découvrir Blanche Neige effondrée et crurent qu’elle était morte car elle ne respirait plus.
Ils pleurèrent longtemps et finalement décidèrent de mettre son corps sous une cloche de verre qu’il construisirent pour pouvoir continuer à l’admirer.
Elle restait toujours aussi belle jour après jour et ils se relevaient autour d’elle pour la veiller.
Quelques jours plus tard un Prince aperçut la scène et s’approchant par curiosité, il tomba immédiatement amoureux fou de la beauté de Blanche Neige.
Il demanda au nain la permission de retirer la cloche et s’approchant de la jeune femme il lui murmura un secret à l’oreille.
Quelques secondes plus tard, Blanche Neige ouvrait les yeux en souriant à son Prince miraculeux.
Puis il partirent tous les deux avec les nains pour demander la main de la jeune femme au Roi son père et célébrer un beau mariage.
Baba Yaga

Conte populaire russe. Version modernisée par Contesdefees.com.
Il était une fois un vieil homme veuf qui vivait seul dans une hutte avec sa fille Natasha. Ils étaient heureux jusqu’à ce que le vieil homme décide de se remarier.
La nouvelle femme menait la vie dure à la petite fille. Plus de pain et de confiture sur la table, plus de jeu de cache-cache autour du samovar pendant l’heure du thé. C’était même pire que ça, car elle n’avait plus du tout le droit de prendre le thé. La belle-mère disait que les petites filles ne devraient pas prendre de thé, et encore moins manger du pain avec de la confiture. Elle lançait à la fille un morceau de pain et lui ordonnait de sortir dans la cour pour manger. Ensuite, la belle-mère commença à convaincre son mari que tout ce qui n’allait pas était de la faute de la fille. Et le vieil homme croyait sa nouvelle épouse, pensant pouvoir lui faire confiance. La pauvre Natasha restait seule dans la cour, mouillant la croûte de pain sec avec ses larmes et la mangeant toute seule dans le froid. Ensuite, elle entendait la belle-mère lui crier d’entrer et de laver les ustensiles à thé, ranger la maison, brosser le sol et nettoyer les bottes pleines de boue.
Un jour, la belle-mère décida qu’elle ne pouvait plus supporter Natasha une minute de plus. Mais comment faire pour se débarrasser d’elle pour de bon ? Alors elle se souvint de sa sœur, la terrible sorcière Baba Yaga aux jambes squelettiques, qui vivait dans la forêt. Et un horrible plan commença à se former dans sa tête.
Le lendemain matin, le vieil homme s’en alla rendre visite à des amis du village voisin. Dès que le vieil homme fut hors de vue, la méchante belle-mère appela Natasha.
« Va chez ma sœur, ta chère petite tante, qui habite dans la forêt, dit-elle, et demande-lui une aiguille et du fil pour raccommoder une chemise.
« Mais nous avons une aiguille et du fil », dit Natasha en tremblant, car elle savait que sa tante était Baba Yaga, la sorcière, et qu’aucun enfant qui s’approchait d’elle n’était jamais revenu.
« Tait-toi et obéi ! », cria la belle-mère, en grinçant des dents, faisant comme un bruit de pinces qui claquent.
« Comment la trouverai-je ? » dit Natasha en tremblant. Elle avait entendu dire que Baba Yaga poursuivait ses victimes en volant dans un mortier et un pilon géants, et qu’elle avait des dents de fer avec lesquelles elle mangeait les enfants.
La belle-mère saisi le nez de la petite fille et le pinça.
« C’est ton nez, » dit-elle. « Peux tu le sentir? »
— Oui, murmura la pauvre fille.
« Tu suivras la route dans la forêt jusqu’à ce que tu arrives à un arbre tombé, » dit la belle-mère, « puis tu tourneras à gauche, et tu suivras ton nez pour trouver ta tante. Maintenant, vas-y, paresseuse! ». Elle fourra dans la main de la jeune fille un mouchoir dans lequel elle avait mis quelques morceaux de pain rassis, du fromage et quelques morceaux de viande.
Natasha se retourna et regarda sa belle-mère à la porte, les bras croisés, la dévisageant. Elle ne pouvait rien faire d’autre que d’obéir et partir dans la forêt.
Elle marcha le long de la route à travers la forêt jusqu’à ce qu’elle arrive à l’arbre tombé. Puis elle tourna à gauche. Son nez lui faisait toujours mal là où la belle-mère l’avait pincé, alors elle savait qu’elle devait continuer tout droit.
Finalement, elle arriva à la hutte de Baba Yaga, la sorcière aux jambes squelettiques. La hutte étaient entourée d’une barrière très haute. Elle poussa la grille d’entrée qui s’ouvrit en grinçant misérablement, comme si cela lui faisait mal de bouger. Natasha remarqua un bidon d’huile rouillé sur le sol.
« Quelle chance », dit-elle, remarquant qu’il restait de l’huile dans le bidon. Et elle versa les gouttes d’huile restantes dans les gonds de la grille.
À l’intérieur de l’enclos se trouvait la hutte de Baba Yaga. Elle ne ressemblait à aucune autre hutte qu’elle eu jamais vue, car elle se tenait sur des pattes de poule géantes et marchait dans la cour. Alors que Natasha s’approchait, la maison se retourna pour lui faire face et il lui sembla que ses fenêtres étaient des yeux et sa porte une bouche. Une servante de Baba Yaga se tenait dans la cour. Elle pleurait amèrement à cause des tâches que la sorcière lui avait confiées et s’essuyait les yeux sur son jupon.
« Quelle chance que j’ai un mouchoir. » Dit Natasha. Elle dénoua son mouchoir, le secoua pour le nettoyer et mit soigneusement les morceaux de nourriture dans ses poches. Elle donna le mouchoir à la servante de Baba Yaga, qui s’essuya les yeux dessus et sourit à travers ses larmes.
Près de la hutte se tenait un chien énorme, très maigre, qui rongeait un vieil os.
« Quelle chance que j’aie du pain et de la viande. » Dit la petite fille. Cherchant dans sa poche ses morceaux de pain et de viande, Natasha dit au chien : « J’ai bien peur que ce soit un peu rassis, mais c’est mieux que rien, j’en suis sûr. Et le chien l’avala aussitôt et se lécha les lèvres.
Natasha atteignit la porte de la hutte. Tremblante, elle frappa un coup.
« Entrez, » couina une horrible voix.
La petite fille entra. Là était assis Baba Yaga, la sorcière aux jambes squelettiques, assise à tisser sur un métier à tisser. Dans un coin de la hutte, un chat noir maigre observait un trou de souris.
« Bonjour ma tante, » dit Natasha, essayant de ne pas montrer sa peur.
« Bonne journée à vous, ma nièce, » dit Baba Yaga.
« Ma belle-mère m’a envoyé vous demander une aiguille et du fil pour raccommoder une chemise. »
« Vraiment ? » sourit la sorcière ironiquement en montrant ses dents de fer, car elle savait combien sa sœur détestait sa belle-fille. « Assis-toi ici au métier à tisser et continue mon tissage, pendant que je vais chercher l’aiguille et le fil.
La petite fille s’assit au métier à tisser et commença à tisser.
Baba Yaga chuchota à sa servante : « Écoute-moi ! Prépare un bain très chaud et lave ma nièce. Frotte-la. Je vais en faire un délicieux repas. »
Alors que la servante entrait chercher la cruche pour remplir l’eau du bain, Natasha dit: « Je vous en prie, s’il vous plaît ne soyez pas trop rapide pour faire le feu, et s’il vous plaît, portez l’eau du bain dans une passoire, afin que l’eau puisse s’écouler. » La servante ne dit rien mais elle mit en effet beaucoup de temps à préparer le bain.
Baba Yaga s’approcha de la fenêtre et dit de sa voix la plus douce : « Est-ce que tu tisses, petite nièce ? Est-ce que tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante », répondit Natasha.
Lorsque Baba Yaga s’éloigna de la fenêtre, la petite fille parla au chat noir affamé qui surveillait le trou de souris.
« Que fais-tu? »
« J’attends une une souris », répondit le pauvre chat. « Je n’ai pas mangé depuis trois jours. »
« Quelle chance ! », dit Natasha, « il me reste du fromage ! » Et elle donna son fromage au chat noir, qui l’englouti d’une bouchée. Puis il dit : « Petite fille, veux-tu sortir d’ici ?
« Oh, mon chaton chéri, » dit Natasha, « bien sûr que j’aimerai sortir d’ici ! Car je crains que Baba Yaga essaie de me manger avec ses dents de fer. »
« C’est exactement ce qu’elle a l’intention de faire », dit le chat. « Mais je sais comment t’aider. »
Juste à ce moment, Baba Yaga revenait à la fenêtre.
« Tu tisses, petite nièce ? » Demanda t-elle. « Tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante », dit Natasha, tandis que le métier à tisser faisait cliquetis, cliquetis, cliquetis.
Baba Yaga s’éloigna à nouveau.
Le chat chuchota à Natasha : « Il y a un peigne sur le tabouret et il y a une serviette pour ton bain. Tu dois les prendre tous les deux et courir pendant que Baba Yaga est encore dans le bain. Baba Yaga te poursuivra. Quand elle le fera, tu jetteras la serviette derrière toi, et elle se transformera en une grande et large rivière. Il lui faudra un peu de temps pour s’en remettre. Quand elle franchira la rivière, tu jetteras la le peigne derrière toi. Il se transforma en une forêt tellement impénétrable qu’elle ne la traversera jamais. »
« Mais elle entendra le métier à tisser s’arrêter », répondit Natasha, « et elle saura que je suis parti. »
« Ne t’inquiète pas, je m’en occupe », dit le maigre chat noir.
Le chat prit la place de Natasha au métier à tisser.
Cliquetis clac, cliquetis clac; le métier à tisser ne s’était jamais arrêté un instant.
Natasha vérifia que Baba Yaga était toujours dans le bain, puis elle sauta hors de la hutte.
Le gros chien bondit pour la mettre en pièces. Mais au moment où il allait lui sauter dessus, il la reconnu et s’arrêta.
« Tu es la petite fille qui m’a donné le pain et la viande », dit-il. « Bonne chance à toi, petite fille », et il s’allongea la tête entre les pattes. Elle lui caressa la tête et lui gratta les oreilles.
Quand elle arriva à la grille, elles s’ouvrit doucement, doucement, sans faire le moindre bruit, grâce à l’huile qu’elle avait versée auparavant dans ses gonds.
Alors, elle se mit à courir de toutes ses forces!
Pendant ce temps, le maigre chat noir était assis au métier à tisser. Cliquetis clac, cliquetis clac, chantait le métier à tisser grâce au chat qui tissais et s’emmêlait dans les fils en désordre.
Baba Yaga revint alors à la fenêtre.
« Tu tisses, petite nièce ? » demanda-t-elle d’une voix aiguë. « Tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante, » dit le mince chat noir, emmêlant et emmêlant le fil, tandis que le métier à tisser faisait cliquetis, cliquetis, cliquetis.
« Ce n’est pas la voix de mon dîner », s’écria Baba Yaga, et elle sauta dans la hutte en faisant grincer ses dents de fer. Derrière le métier à tisser, elle ne vit pas de petite fille, mais seulement le pauvre chat noir, tout emmêlé dans les fils !
« Grrr! » dit Baba Yaga, et elle sauta sur le chat. « Pourquoi n’as-tu pas arraché les yeux de la petite fille ?
Le chat retroussa sa queue et arqua son dos. « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as donné que de l’eau et tu m’as fait chasser pour mon dîner. La petite fille m’a donné du vrai fromage. »
Baba Yaga était folle de rage. Elle attrapa le chat et le secoua de toutes ses forces. Alors, se tournant vers la servante, elle la saisi par le col, et cria : « Pourquoi as-tu mis si longtemps à préparer le bain ?
« Ah ! » trembla la servante, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as jamais offert ne serait-ce qu’un chiffon, alors que la petite fille m’a donné un joli mouchoir. »
Baba Yaga la maudit et se précipita dans la cour.
Voyant la grille grande ouverte, elle cria : « Grille! Pourquoi n’as-tu pas couiné quand elle t’a ouvert ? »
« Ah ! » dit la grille, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu n’as jamais daigné me verser ne serait-ce qu’une goutte d’huile sur les gonds, et je grinçais tous les jours pour ma plus grande honte. La petite fille m’a huilé et grâce à elle je peux maintenant m’ouvrir et me fermer sans un bruit. »
Baba Yaga claqua la grille. Se retournant, elle pointa son long doigt vers le chien. « Toi! » cria t-elle, « pourquoi ne l’as tu pas mis en pièces quand elle est sortie en courant de la maison? »
« Ah ! » dit le chien, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as jamais jeté autre chose qu’une vieille croûte d’os, mais la petite fille m’a donné de la vraie viande et du vrai pain. »
Baba Yaga se précipita dans la cour, les maudissant et les frappant tous, tout en criant à tue-tête.
Puis elle sauta dans son mortier géant. Battant le mortier avec un pilon géant pour le faire aller plus vite, elle s’envola dans les airs et rattrapa bientôt Natasha en fuite.
Là, loin devant elle au sol, elle aperçut la jeune fille courant à travers les arbres, trébuchant et regardant avec effroi par-dessus son épaule.
« Tu ne m’échapperas pas! » dit Baba Yaga en riant horriblement et elle dirigea son mortier volant droit vers la petite fille.
Natasha courait plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. Bientôt, elle put entendre le mortier de Baba Yaga cogner sur le sol derrière elle et ses dents de métal grincer d’un bruit strident. Désespérément, elle se souvint des paroles du maigre chat noir et jeta la serviette derrière elle sur le sol. La serviette devint de plus en plus grosse, de plus en plus humide, et bientôt une rivière large et profonde se dressa entre la petite fille et Baba Yaga.
Natasha continua à courir. Oh, comme elle courait ! Lorsque Baba Yaga atteint le bord de la rivière, elle cria plus fort que jamais et jeta son pilon sur le sol, car elle savait qu’elle ne pouvait pas survoler une rivière enchantée. De rage, elle s’envola vers sa maison à pattes de poule. Là, elle rassembla toutes ses vaches et les conduisit à la rivière.
« Buvez, buvez! » leur cria t-elle, et les vaches burent toute la rivière jusqu’à la dernière goutte. Ensuite, Baba Yaga sauta à nouveau dans son mortier géant et survola le lit asséché de la rivière pour poursuivre sa proie.
Natasha avait pris de l’avance en courant, et elle pensait enfin être libérée de la terrible sorcière. Mais son cœur se glaça de terreur quand elle vit à nouveau fondre sur elle la silhouette sombre depuis le ciel et entendit les dents de fer grincer horriblement.
« Cette fois c’est la fin pour moi! » se désespéra t-elle. Puis elle se souvint soudain de ce que le chat avait dit à propos du peigne.
Natasha jeta le peigne derrière elle, et le peigne devint de plus en plus gros, et ses dents se transformèrent en une épaisse forêt, si épaisse que même Baba Yaga ne pouvait y entrer.
La sorcière aux jambes d’os, grinça des dents et hurla de rage et de frustration, et s’en retourna finalement vers sa hutte à pattes de poule.
La petite fille fatiguée, arriva finalement à la maison.
Elle avait peur d’entrer et de voir sa méchante belle-mère. Alors, au lieu d’entrer, elle attendit dehors dans le hangar.
Quand elle vit passer son père, elle courut vers lui.
« Où étais-tu? » cria son père. « Et pourquoi ton visage est-il si rouge ?
La belle-mère blêmit quand elle vit la petite fille, elle n’en croyait pas ses yeux et ses dents grincèrent au point de se casser.
Mais Natasha n’avait pas peur, et elle courut jusqu’à son père et monta sur ses genoux. Elle lui raconta tout ce qui s’était passé. Lorsque le vieil homme apprit que la belle-mère avait envoyé sa fille se faire manger par Baba Yaga, la sorcière, il était tellement en colère qu’il la chassa de la hutte et ne la laissa jamais revenir.
À partir de ce moment-là, il prit lui-même bien soin de sa fille et ne laissa plus personne s’interposer entre eux.
Autour de la table à nouveau remplie de pain et de confiture, le père et la fille jouèrent à nouveau à cache-cache derrière le samovar, et vécurent heureux pour toujours.
Le petit Poucet

De Charles Perrault, version adaptée de Wikipédia.
Un bûcheron et sa femme n’avaient plus de quoi nourrir leurs sept garçons.
Un soir, alors que les enfants dormaient, les parents se résignèrent, la mort dans l’âme, à les perdre dans la forêt.
Heureusement, le plus petit de la fratrie, âgé de sept ans, surnommé Petit Poucet en raison de sa petite taille, espionnait la conversation.
Prévoyant, il se munit de petits cailloux blancs qu’il laissa tomber un à un derrière afin que lui et ses frères puissent retrouver leur chemin.
Le lendemain, le père mit son sinistre plan à exécution. Mais le Petit Poucet et ses frères regagnèrent vite leur logis grâce aux cailloux semés en chemin.
Les parents furent tout heureux de les revoir car, entre-temps, le seigneur du village avait enfin remboursé aux bûcherons l’argent qu’il leur devait.
Mais ce bonheur ne dura que le temps de cette prospérité éphémère.
Lorsqu’ils se retrouvèrent dans la pauvreté première, les parents décidèrent à nouveau d’abandonner leurs sept enfants dans la forêt.
Cette fois, ils s’assurèrent de fermer la porte de la maison à clef afin que le Petit Poucet ne puisse pas aller ramasser des cailloux.
Il tenta donc à la place, au moment du trajet, de laisser tomber des petits morceaux du pain que leur mère leur avait donné à lui et à ses frères, mais le pain fut mangé par des oiseaux.
Et c’est ainsi que lui et ses frères se retrouvèrent perdus dans la forêt.
Ils arrivèrent alors devant un château où ils demandèrent le logis.
La femme habitant en cette maison essaya de les persuader de ne pas entrer car son mari était un ogre qui mangeait les petits enfants.
Mais le Petit Poucet, préférant l’ogre aux loups de la forêt, insista pour y entrer avec ses frères.
Le soir venu, la femme les cacha sous un lit, mais son ogre de mari attiré par une « odeur de chair fraîche » eut vite fait de découvrir la cachette des jeunes enfants.
« Ça sent la chair fraîche! » dit-il en les attrapant.
Elle réussit toutefois à le convaincre de remettre au lendemain son festin.
Les petits furent ensuite couchés dans la chambre des sept filles de l’ogre.
Durant la nuit, Poucet échangea son bonnet et celui de ses frères contre les couronnes d’or des filles de l’ogre. Il eut for raison, car l’ogre entra dans la chambre pendant la nuit, et, croyant trouver les sept garçons, tua ses sept filles.
L’ogre retourna se recoucher en rêvant au festin macabre qui l’attendait.
Le lendemain matin, les petits s’enfuirent avant l’aube, et en se réveillant, découvrant son erreur, l’ogre fou de rage partit à leur recherche en enfilant ses bottes de sept lieues.
Fatigué, il s’assit sur une pierre sous laquelle les enfants s’étaient justement cachés et il s’endormit.
Le Petit Poucet saisissant cette chance, retira les bottes magiques de l’ogre, en prenant soin de ne pas le réveiller.
Puis il convainquit ses frères de rentrer chez leurs parents tandis qu’il enfilait les bottes de sept lieues et courait jusqu’au château de l’ogre pour s’emparer de son trésor.
Les parents furent heureux de retrouver leurs enfants et d’avoir de quoi les nourrir grâce au courage et à l’intelligence du Petit Poucet.
Moralité de Perrault
« On ne s’afflige point d’avoir beaucoup d’enfants,
Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,
Et d’un extérieur qui brille ;
Mais si l’un d’eux est faible ou ne dit mot,
On le méprise, on le raille, on le pille ;
Quelquefois cependant c’est ce petit marmot
Qui fera le bonheur de toute la famille. »
Peter Pan

Ce conte fait 53 pages
Pays ou culture du conte : Angleterre.
Écrit par James Matthew Barrie (1860-1937)
Table des matières
Chapitre 1 : Peter Pan arrive Tous les enfants grandissent. Tous, sauf un. Ils le savent très tôt et même si Wendy le sait depuis fort longtemps, elle n’y pensait pas beaucoup jusqu’au jour où elle a rencontré Peter Pan. Wendy vivait dans une grande maison de Londres avec ses parents, Monsieur et Madame DARLING et ses deux frères, John et Michael. Ils étaient très heureux entourés de l’amour de leurs parents. Madame DARLING les aimait tendrement. Monsieur DARLING les aimait aussi mais il était fort occupé par ses problèmes d’argent. La bonne qui s’occupait des enfants n’était pas à l’image de ce que Monsieur DARLING souhaitait mais c’était tout ce qu’il pouvait se permettre. C’était un chien de Terre-Neuve, appelé Nana. Ils l’avaient trouvée dans les jardins de Kensington et comme elle semblait abandonnée, ils l’avaient engagée. Nana n’était pas un chien ordinaire. C’était en réalité une vraie perle. Elle savait d’un coup d’œil juger si l’un de ses protégés était souffrant. Et lorsque Madame DARLING amenait des visiteurs imprévus dans la chambre des enfants, avant même que ceux-ci n’atteignent le seuil de la chambre, les enfants se trouvaient tous trois vêtus de frais, cheveux lissés. Comme toutes les bonnes, Nana avait droit à un soir de congé par semaine. C’était alors Madame DARLING qui la remplaçait. Un soir que Madame DARLING remettait de l’ordre dans l’esprit des enfants endormis comme le fait chaque soir chaque maman partout sur la terre, elle y découvrit un mot incompréhensible pour elle chez chacun des trois enfants : PETER. Elle ne connaissait aucun Peter. Le lendemain, Madame DARLING, fort intriguée par toute cette histoire, a questionné Wendy : — Qui est ce Peter, ma chérie ? Et Wendy de raconter le pays imaginaire là où elle habite dans une maison de feuilles et a un loup pour animal domestique. John a même ajouté qu’il y a une lagune survolée par des flamants roses. Madame DARLING est bouleversée par cette conversation. En cherchant bien tout au fond de sa mémoire, elle croit se rappeler que Peter Pan vit chez les fées. Cette nuit là, Madame DARLING est inquiète. La chambre des enfants si calme, si reposante présente quelque chose d’étrange. Les jouets sont pourtant rangés dans leur coffre, les livres sont posés dans la bibliothèque. Elle prend son ouvrage et se met à broder. Peu à peu, sa tête s’incline et doucement, très doucement, elle s’endort. Elle rêve… Dans son rêve, le pays de l’imaginaire dont Wendy a parlé se rapproche. L’étrange petit garçon est là ; sorti du pays de l’imaginaire pour lui rendre visite ! Soudain, la fenêtre s’ouvre et l’enfant de son rêve tombe sans bruit sur le sol. Il n’est pas seul. Une lumière brillante, aveuglante même, l’accompagne. C’est sans aucun doute cette lumière étincelante qui réveille Madame DARLING. Elle sursaute, pousse un cri et lorsqu’elle voit l’enfant, quelque chose en elle lui dit que c’est Peter Pan. Il est comme tous les autres enfants, bien qu’habillé de feuilles. Madame DARLING ne parvient pas à détacher ses yeux de lui et lorsqu’il l’aperçoit — comme chaque fois qu’il voit un adulte -, il lui fait une horrible grimace. Chapitre 2 : L’ombre Nana, qui revenait de sa sortie nocturne, en entendant le cri de Madame DARLING se précipite dans la chambre des enfants et dans un grognement terrible se jette sur l’intrus qui avait osé pénétrer dans son domaine. Mais c’était sans compter sur la rapidité de Peter qui d’un bond s’enfuit par la fenêtre. Madame DARLING dévale les trois étages et sort dans la rue à la recherche du corps de l’enfant qui avait dû se tuer dans sa chute. Elle ne voit rien mais en levant les yeux vers le ciel, elle aperçoit ce qui devait être une étoile filante. En rentrant dans la chambre, elle retrouve Nana qui tenait dans sa gueule l’ombre de l’enfant. En se jetant sur lui, elle avait refermé la fenêtre et l’ombre n’avait pas eu le temps de s’enfuir. Madame DARLING la prend, la roule soigneusement et la range dans un tiroir. Il faudra absolument qu’elle parle à son mari de toute cette étrange histoire. Une semaine passa. C’était un vendredi soir comme les autres ; jour du bain, et comme à chaque fois, Michael ne voulait pas de bain. Il avait beau tempêter, battre des pieds Nana restait intraitable. Madame DARLING, vêtue de sa robe du soir blanche, entre dans la chambre des enfants. — Votre père et moi allons dîner ce soir au numéro 27, dit-elle, nous ne serons donc pas bien loin. Monsieur DARLING entre à son tour. Il tient à la main sa cravate et semble de fort méchante humeur : — Je n’arrive pas attacher cette maudite cravate ! Je te préviens, si je ne parviens pas à la mettre, nous ne sortirons pas ce soir ! Madame DARLING très calmement lui noue sa cravate. La mauvaise humeur semblait passée et elle se préparait à lui parler de l’étrange petit garçon, lorsque Nana entra dans la chambre. En passant à proximité de Monsieur DARLING, elle le frôle. Le superbe pantalon se retrouve couvert de poils. Monsieur DARLING entre dans une colère noire en disant que c’était une erreur d’avoir un chien pour bonne. Madame DARLING se décide alors à lui raconter la venue de Peter Pan et il éclate de rire. Lorsqu’elle lui montre l’ombre, il a l’air plus songeur. C’est à ce moment que Nana, revient avec le sirop de Michael qui a son habitude refuse de le prendre. — Quand j’avais ton âge, dit Monsieur DARLING, je prenais toujours mes médicaments sans faire d’histoires… (ce qui bien entendu était faux) Si je n’avais pas égaré ma bouteille de sirop, je t’aurais montré l’exemple. Elle sort et revient quelques instants plus tard en tenant à la main la précieuse bouteille. Monsieur DARLING est pâle. C’est qu’il est très mauvais ce sirop. Il se sent pris au piège. Il a alors l’idée de verser le sirop dans l’écuelle de Nana en pensant que ses enfants riraient de la bonne farce jouée au chien. Nana lape l’infâme breuvage et rentre dans sa niche en pleurant. Wendy voudrait bien consoler son chien mais Monsieur DARLING à nouveau en colère déclare : — Ce chien n’a rien à faire ici. Sa place est dans la cour et je vais aller l’y attacher immédiatement. Il la saisit par son collier et l’emmène rudement. Attachée dans la cour, Nana aboie flairant le danger. Madame DARLING ne se sent pas non plus très rassurée. Elle vérifie la fenêtre et allume les veilleuses en disant à Michael : — Les veilleuses sont les yeux que les mamans laissent derrière elles pour protéger leurs enfants. Elle les embrasse et sort de la chambre en leur jetant un dernier regard sans se douter qu’elle ne les reverrait pas avant longtemps. Dès que Monsieur et Madame DARLING sont entrés au 27, la plus petite étoile de la voie lactée dit : — Tu peux y aller, Peter ! Un ordre qui lance Peter et Clochette sur le chemin de la chambre des enfants. Chapitre 3 : Partons… Tout est calme et paisible dans la chambre des enfants. Soudain, une minuscule boule de lumière fonce dans la pièce suivie presque immédiatement de Peter Pan. — Clochette, sais-tu où est mon ombre ? demande-t-il. Peter ouvre le tiroir de la commode et prend son ombre sans faire attention à Clochette qui y était entrée et referme le tiroir, emprisonnant la petite fée. Comment faire pour attacher une ombre lorsqu’on est un petit enfant. Bien sûr, elle ne colle pas toute seule ; le savon non plus, cela ne marche pas. Alors Peter s’assied sur le sol et se met à pleurer. Ses sanglots réveillent Wendy. — Pourquoi pleures-tu petit garçon ? demande celle-ci à Peter. Je m’appelle Wendy, Wendy, Moira, Angela DARLING. Peter fait une grimace. Une aiguille, du fil… ça risque de faire un peu mal mais en petit garçon courageux, il ne dira rien. — Voilà, c’est terminé ! dit Wendy. Puisque tu n’as rien dit, je vais te donner un baiser. En voyant qu’il lui tend la main, Wendy comprend que Peter ne sait pas ce que c’est qu’un baiser et elle lui tend le dé qu’elle vient juste d’utiliser pour coudre. Peter veut à son tour lui offrir quelque chose et il lui donne un gland. — Quel est ton âge, Peter ? lui demande Wendy. Tout en parlant, Peter se souvient de Clochette. Il la cherche et la retrouve dans le tiroir de la commode. Les paroles qu’elle lui dit à sa sortie, ne sont vraiment pas à rapporter ici. Il faut dire que Clochette est une fée fort peu ordinaire. Wendy n’a d’yeux que pour la fée. Comme elle aimerait avoir aussi une fée comme celle-ci mais Clochette ne semble pas de cet avis. — Où habites-tu maintenant ? demande Wendy à Peter. C’est bien plus qu’il n’en faut à Wendy. Elle réveille ses frères John et Michael afin qu’ils l’accompagnent. Ils sont tous les trois enthousiastes à l’idée de voir des sirènes, des pirates et des indiens. Mais comment faire pour voler ?Peter souffle alors un peu de pollen des fées qu’il avait encore sur la main et ils s’élancent dans les airs et tournoient dans la chambre. Monsieur et Madame DARLING, que Nana étaient allés rechercher après avoir brisé sa chaîne, ont juste le temps d’apercevoir de l’extérieur quatre ombres qui volent dans la chambre des enfants car, lorsqu’ils arrivent enfin à l’étage dans la chambre des enfants, tous trois sont partis avec Peter pour le pays de l’imaginaire.
Chapitre 4 : Le voyage «Deuxième à droite et tout droit jusqu’au matin», tel est le chemin qu’empruntent Wendy, John, Michael, Peter et Clochette pour se rendre au pays de nulle part. C’est tellement gai de voler qu’ils perdent beaucoup de temps en chemin et la fatigue s’installe. C’est très dangereux de s’endormir en volant, dès que les yeux se ferment, les corps tombent et Peter trouve tout ça bien drôle. Il rattrape Michael juste au moment où celui-ci va sombrer dans la mer. Peter aime fanfaronner ; il caresse le dos d’un requin, vole un peu de nourriture à un oiseau de proie, disparaît pour vivre de mystérieuses aventures et revient près des autres dans un éclat de rire en oubliant ce qui lui est arrivé. Wendy est inquiète. Peter ne va-t-il pas les oublier ? Comment faire pour s’arrêter ? Où se cache l’île ? Il y a si longtemps qu’ils volent. — Nous y voici, dit Peter. En effet, dans un dernier rayonnement du soleil, les enfants voient apparaître l’Ile. Il la reconnaissent du premier coup d’œil : la lagune aux sirènes, le camp des Peaux-Rouges, le louveteau de Wendy — tout comme dans leurs rêves. Peter est passablement agacé de voir que les enfants connaissent si bien son île. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent, ils éprouvent de plus en plus de difficultés comme si des mains invisibles les retenaient pour qu’ils n’atterrissent pas. Peter ne veut pas leur dire qu’il était en train de combattre les fées et demande à John d’un air détaché : — Tu veux prendre d’abord le thé ou vivre tout de suite une aventure ? Wendy et Michael préfèrent le thé mais John, intrigué aimerait bien connaître sa première aventure. — Regarde en dessous de nous, il y a un pirate endormi. Si tu veux, on peut aller le tuer, dit Peter. En disant ces derniers mots, le visage de Peter s’est durci. Il ne semble pas l’aimer beaucoup et raconte aux enfants comment il lui a coupé la main droite qu’il a remplacée par un crochet en fer. Il leur fait promettre aussi qu’en cas de bataille avec Crochet, ils le lui laisseraient. C’est à ce moment que Clochette prévient Peter que les pirates ont sorti leur gros canon et s’apprêtent à leur envoyer un boulet. — C’est à cause de la lumière de Clochette, elle ne peut pas l’éteindre. Il faut absolument la cacher. La solution est trouvée dans le haut de forme que John a emporté. Clochette se retrouve entre les mains de Wendy et elle n’aime vraiment pas ça. Tout est silencieux quand soudain une énorme déflagration projette les enfants dans les airs. Clo sort du chapeau et entraîne Wendy. Clochette n’est pas méchante. Comme toutes les fées, elle est parfois gentille, parfois méchante. Elle est tellement petite qu’elle n’a de place que pour un seul sentiment à la fois et en ce moment, elle est terriblement jalouse de Wendy. Pauvre Wendy, elle ne sait pas combien la petite fée la déteste et elle remet son sort entre ses mains.
Chapitre 5 : L’ île À l’approche de Peter, l’île s’est remise à vivre. Pendant son absence, les fées allongent leur grasse mâtinée, les Peaux-Rouges festoient, les enfants perdus et les pirates ne songent pas le moins du monde à se faire la guerre. Mais à son arrivée, tout le monde reprend son rôle. Ce soir-là, les enfants perdus attendent Peter ; les pirates cherchent les enfants perdus ; les Peaux-Rouges pistent les pirates et les animaux sauvages suivent les Peaux-Rouges. Tous tournent cependant autour de l’île sans que jamais un groupe rattrape l’autre. Les enfants perdus sont venus accueillir leur capitaine. Le nombre d’enfants varie en fonction de ceux qui sont tués dans les combats mais aussi de ceux que Peter supprime parce qu’ils ont grandi. Pour l’instant, ils sont six. Ils portent des peaux d’ours tués de leurs propres mains : il y La Guigne qui manque toujours une bonne part des aventures parce qu’il a le dos tourné au bon moment ; il y a Bon Zigue, toujours joyeux ; il y a La Plume qui taille des sifflets de bois et danse sur ses propres musiques ; il y a Le Frisé qui, même innocent, s’accuse toujours de tous les méfaits et il y a les jumeaux toujours l’un contre l’autre avec un air qui implore le pardon. Juste derrière les enfants viennent les pirates, armés jusqu’aux dents et qui chantent le même horrible refrain : «Tenez bon, hissez la voile ! Nous sommes les pirates, Si la mort nous sépare, Nous nous retrouverons en enfer !» Leur chef, Jacques Crochet est vautré sur un chariot tiré et poussé par ses hommes aiguillonnés de temps à autre par son horrible harpon. Il est vêtu à la mode du temps de Charles II. Il porte aux lèvres un ingénieux porte-cigares qui lui permet de fumer deux cigares en même temps. Dans la suite des pirates, viennent les Peaux-Rouges. Ils sont sur le chemin de la guerre luisants de peinture et d’huile tenant à la main des couteaux ou des tomahawks et portant fièrement à leur ceinture les scalps des pirates ou des enfants perdus. La dernière de leur groupe est Lis Tigré, leur princesse coquette, glaciale et ardente. Ils marchent sans faire aucun bruit et seule leur respiration peut les trahir. Pour finir, viennent les animaux sauvages : lions, ours, tigres tous affamés. Le dernier animal à apparaître est un gigantesque crocodile. Ce défilé pourrait durer éternellement mais les enfants s’arrêtent. Ils aimeraient que Peter soit déjà de retour pour apprendre la suite de l’histoire de Cendrillon. Les enfants s’arrêtent de parler. Ils entendent au loin une chanson qu’ils connaissent bien : «Le pavillon à tête de mort ! La belle vie, une corde de chanvre ! Et l’on va boire la grande tasse !» Tels des lapins, il détalent et disparaissent dans leur maison souterraine par les sept passages creusés dans les arbres. Les pirates se mettent à la recherche des enfants pendant que Crochet raconte à son second l’histoire de sa vie et pourquoi il a tellement peur du crocodile qui le pourchasse de mers en mers depuis que Peter lui a donné sa main à manger. Le crocodile a avalé un réveil en sorte que dès qu’il arrive dans les parages, il peut l’entendre. Tout en parlant, il s’assied sur un énorme champignon. — Il est brûlant, dit-il en se relevant d’un bond et en l’examinant. C’était une cheminée ; Crochet venait de découvrir le repaire des enfants perdus. Il lui restait juste à savoir où se trouvait Peter. Crochet et son second se mettent alors à danser et à chanter : «Larguez les ris quand je parais, Ils crèvent de peur ! Il ne vous reste plus de chair sur les os, Quand Crochet vous a serré la main.» Ils s’arrêtent subitement car un tic-tac bien connu approche… Crochet reconnaît le bruit du réveil avalé par le crocodile et s’enfuit à toutes jambes, tremblant de peur. Bon Zigue, poursuivi par une meute de loups, arrive près des enfants perdus en leur expliquant qu’il a aperçu un grand oiseau blanc qui semble épuisé et répète à chaque coup d’aile « Pauvre Wendy ». C’est à ce moment que les enfants aperçoivent à leur tour cet étrange oiseau que l’on nomme un Wendy et que Clochette surgit et crie à l’attention des garçons : — Peter veut que vous tuiez le Wendy ! Vite La Guigne ! La Guigne ajuste sa flèche et tire. Wendy s’abat sur le sol, une flèche dans la poitrine.
Chapitre 6 : La petite maison Les enfants arrivent près de l’oiseau blanc. — Mais ce n’est pas un oiseau, dit La Plume, c’est une dame. C’est alors qu’ils entendent le cocorico strident de Peter et peu après il se pose à proximité d’eux. — Bonjour les gars, j’ai une grande surprise pour vous. Je vous ai ramené une maman. Vous ne l’avez pas encore vue ? Les garçons ne répondent pas mais ils reculent d’un pas laissant à Peter le soin de découvrir Wendy, étendue sur le sol, une flèche plantée dans le cœur. Il ôte la flèche et demande : — À qui est cette flèche ? Peter s’apprête à transpercer La Guigne avec la flèche mais son bras est retenu en l’air. Wendy a levé son bras et retient celui de Peter. — Je crois bien qu’elle vient de dire Pauvre La Guigne, dit Bon Zigue. Une note plaintive s’élève. Clochette pleure parce que Wendy est vivante. Les garçons racontent alors à Peter la traîtrise de Clochette. Il se met très en colère et bannit Clochette de l’île. Elle doit s’en aller pour toujours. Wendy lève à nouveau son bras et Peter adoucit la sentence : Clochette ne sera punie que durant une semaine. Les garçons ne peuvent laisser Wendy dans cet état et il est impossible de la descendre dans la maison souterraine. C’est pourquoi ils décident de construire autour d’elle une petite maison. Chacun se met à l’ouvrage même John et Michaël sont embauchés et deviennent bûcherons. Il faut aussi un médecin pour Wendy. La Plume se charge de ce rôle ; il ausculte Wendy et pose son diagnostic : Avec du bouillon de viande dans une tasse à bec, elle sera guérie. — Si seulement je connaissais ses goûts ! soupire Peter. Et Wendy se met alors à chanter doucement : «Je voudrais avoir une jolie maison La plus petite jamais vue, Avec de drôles de petits murs rouges, Et un toit de mousse tout vert.» Les enfants se dépêchent de réaliser le souhait de Wendy et chantent : «Nous avons construit les murs et le toit, Et fabriqué une la jolie porte. Dis-nous maintenant Maman Wendy, Ce qui te ferait encore plaisir ?» Wendy leur répond : «J’aimerais avoir maintenant Des fenêtres très gaies Avec des roses à l’extérieur Et des bébés à l’intérieur !» Il n’y a ni roses, ni bébés. Il faut juste imaginer et chanter : «Les roses sont à l’extérieur Et les bébés attendent à la porte. Nous ne pouvons nous faire nous-mêmes Car on nous a déjà faits.» La maison est très réussie mais il lui manque une cheminée. Peter prend le chapeau de John et après en avoir détaché le fond, il le pose sur le toit. De joie, la petite hutte se met à fumer. Peter s’approche de la porte et frappe. La porte s’ouvre et Wendy apparaît sur le seuil l’air fort étonné. Les garçons perdus l’entourent et lui demandent : — Madame Wendy, voulez-vous être notre maman ? L’histoire terminée, elle les borde dans le grand lit de la maison souterraine et rentre se coucher dans sa maison. Peter décide de monter la garde devant la porte de Wendy pour la protéger des pirates et des animaux sauvages mais il ne tarde pas à s’endormir. Les fées qui reviennent de la fête doivent escalader le corps endormi de Peter et lui tirent le nez avant de poursuivre leur route.
Chapitre 7 : La maison souterraine Le lendemain matin, la première chose que Peter doit faire est de mesurer Wendy et ses frères afin de leur trouver des arbres creux. Peter est en effet persuadé qu’ils seront plus en sécurité dans la maison souterraine. Trouver un arbre qui corresponde exactement aux mesures des enfants n’est pas chose facile. Pour Wendy et Michaël, il n’y a aucun problème. Celui de John, par contre doit être légèrement modifié. La technique pour descendre et remonter est assez simple ; dès qu’on s’installe dans le tronc, on retient sa respiration et on descend à une vitesse raisonnable. Pour remonter, les choses sont un peu plus compliquées. Il faut expirer et inspirer alternativement tout en se contorsionnant. Au bout de trois jours, ils ont tous acquis la technique et peuvent entrer et sortir sans difficulté. Ils aiment beaucoup leur nouvelle maison ; surtout Wendy. Elle est pourtant fort simple, composée d’une seule pièce. Sur le sol, poussent des champignons trapus qui servent de tabourets. Au centre de la pièce, c’est un arbre imaginaire qui essaye de pousser. Il est scié chaque matin de sorte qu’il retrouve juste la bonne taille pour le goûter où il est couvert d’une porte qui sert de plateau. Il est ensuite de nouveau scié pour permettre aux enfants de jouer. Il y a aussi une immense cheminée qui permet de sécher le linge. Le dernier élément de mobilier est un lit qui est rabattu la journée, ouvert chaque soir à 6 heures et demie et dans lequel les enfants dorment tous ensemble. Tous les garçons y dorment à l’exception de Michaël que Wendy considère comme son bébé et qui dort dans un panier suspendu. Dans le mur, il y a une niche, guère plus grande qu’une cage d’oiseau. C’est l’appartement de Clochette. Personne n’aurait pu rêver à un endroit aussi exquis. Il est séparé du reste de la pièce par un rideau léger et est aménagé avec de superbes tapis, un chandelier et du mobilier de prix qui donne à l’ensemble un air prétentieux et vieillot. Wendy dans ses nouvelles attributions, n’a plus une seconde à elle. Il faut faire la cuisine, coudre, raccommoder et raconter des histoires aux enfants en sorte que les semaines passent et qu’elle trouve à peine le temps de remonter prendre l’air ou alors seulement accompagnée de son ouvrage. Elle songe parfois à ses parents et est certaine qu’ils ont laissé la fenêtre de la chambre ouverte pour leur retour. Ce qui la chagrine surtout, c’est que John ne se souvient que vaguement de ses parents et que Michaël a fini par la considérer comme sa vraie mère. Pour graver le souvenir dans leurs mémoires, elle les soumet à des interrogations écrites sur ce sujet. Les résultats ne sont guère brillants mais tous les enfants y participent, sauf Peter qui s’estime bien au-dessus de ces enfantillages. Il faut dire que Peter ne sait ni lire, ni écrire. Peter, pour passer le temps, a inventé un nouveau jeu. Il se livre aux activités que John et Michaël avaient pratiqué jusqu’alors durant leur vie : il reste assis sur un tabouret sans bouger, il lance une balle en l’air, il sort se promener et rentre sans voir tué grand chose d’autre qu’un grizzly. Bien entendu, Peter oblige tout le monde à être ravi de cette nouvelle activité. Au bout de quelques jours, ce jeu ne lui plaît plus et il part seul à l’aventure. Sont-elles réelles ou imaginaires les aventures qu’il dit avoir vécues ? Nul ne le sait. Certaines le sont, du moins en partie, puisque les enfants les ont également vécues. Les raconter toutes prendrait cependant bien trop de temps et d’espace. C’est pourquoi nous devrons nous limiter à quelques hauts faits de la vie sur l’île. Il y a la bataille sanguinaire contre les indiens au cours de laquelle Peter a subitement décidé de changer de camp et de devenir Peau-Rouge : le combat aurait tourné court si les vrais Peaux-Rouges n’avaient décidé à leur tour d’inverser les rôles et d’être, pour cette fois, les enfants perdus. Il y a l’histoire où les Peaux-Rouges ont attaqué la maison souterraine : ils sont restés coincés dans les troncs d’arbre creux et i l a fallu les extraire comme des bouchons. Celle où Peter a délivré, dans la lagune aux sirènes, Lis Tigré, la jolie princesse indienne tombée aux mains des pirates. Celle où Crochet a trébuché sur le gâteau au sucre vert qu’il avait déposé pour les enfants mais que Wendy arrivait toujours à leur ôter des mains au dernier moment. Il y a aussi celle de l’oiseau imaginaire qui avait bâti son nid sur une branche d’arbre surplombant la lagune. Le nid est tombé à l’eau et Peter a exigé qu’on laisse l’oiseau tranquille pour couver. Il y a celle où Clochette et les autres fées ont trouvé Wendy endormie sur une feuille et ont essayé de la chasser de l’île. Heureusement la feuille a cédé et Wendy est revenue sur le rivage à la nage. Celle où Peter a défié les lions et où aucun de ceux-ci n’a osé traverser un cercle tracé par Peter sur le sol. Laquelle choisir ? Le mieux est de tirer au sort… C’est fait et ce sera… la lagune aux sirènes !
Chapitre 8 : La lagune aux sirènes La lagune aux sirènes est l’endroit préféré des enfants. Ils y passent de longues heures à jouer, nager, flotter. Lorsqu’ils étaient fatigués, ils se couchaient sur le sable ou sur l’Îlot des Abandonnés qui n’émergeait qu’à marée basse. Dans la lagune, il y a de vraies sirènes par centaines mais, et c’est là un grand chagrin de Wendy, elles ne sont pas très sympathiques. Elles traitent tous les enfants avec mépris, sauf Peter. Elles détestent Wendy aussi et dès qu’elle apparaît dans la lagune, les sirènes l’éclaboussent de leur queue. Le moment le plus saisissant pour observer les sirènes est la nuit à la pleine lune. Elles poussent d’étranges gémissements lorsque la lune monte dans le ciel. À ce moment, l’endroit est dangereux pour les mortels. Un jour, alors que les garçons dorment sur l’îlot, le soleil disparaît, la surface de l’eau se ride et des ombres sinistres s’étalent. Il fait froid et sombre. Wendy est terrorisée, transie de peur. Elle devrait réveiller les garçons mais elle ne le fait pas. Heureusement, Peter a senti le danger dans son sommeil. Il bondit sur ses pieds, l’oreille aux aguets et s’écrie : — Les pirates, plongez. Le canot approche. Il y a trois personnes à son bord : deux pirates et Lis Tigré, la belle princesse indienne. Elle venait d’être capturée alors qu’elle tentait de monter sur le navire des pirates, un poignard entre les dents. Les pirates avaient pour instruction de la laisser sur l’Ilot des Abandonnés, chevilles et poignets liés jusqu’à ce que la marée la recouvre et qu’elle périsse noyée. Peter et Wendy ont tout entendu de la conversation des pirates. Ils savent qu’elle est promise à une mort horrible. Peter n’est pas de ceux qui choisissent la facilité et comme il imite à la perfection la voix de Crochet il crie à l’intention des pirates : — Ohé du canot, marins d’eau douce ! Relâchez la princesse. Les pirates ne se le font pas répéter deux fois et ils tranchent les liens de la princesse qui glisse telle une anguille et plonge dans la mer. Un autre « Ohé du bateau » retentit. Cette fois, c’est le vrai capitaine Crochet qui nage en direction de l’embarcation. Ses hommes l’aident à se hisser dans l’embarcation. — Tout va bien capitaine, demandent les pirates ? Pour toute réponse, ils obtiennent un soupir puis le capitaine déclare : — Rien ne va, les garçons ont trouvé une maman. Se souvenant de la Peau-Rouge, Crochet demande à ses hommes où elle se trouve. — Nous l’avons relâchée ainsi que vous nous l’avez ordonné, répond le second. Nous avons entendu votre voix. Peter ne sait bien entendu pas se retenir et engage un jeu de questions-réponses avec Crochet en empruntant sa voix. Crochet veut absolument savoir à qui il a à faire. Peter ne peut résister à la tentation et répond à chaque question. Son fol orgueil une fois de plus l’emporte trop loin et Peter donne son véritable nom. — Nous le tenons, crie Crochet. Prenez-le mort ou vif. En réponse, Peter appelle les enfants : — À l’attaque, rentrez-leur dans le chou. La bataille est courte mais âpre. Le choc a lieu sur le rocher. Peter et Crochet escaladent l’îlot chacun d’un côté et en cherchant une prise, leurs bras se rencontrent. Ils se trouvent nez à nez. Peter saisit le poignard qui se trouve à la ceinture de Crochet et s’apprête à le lui planter dans le corps quand il s’aperçoit que son ennemi est plus bas que lui. Alors, il lui tend la main et le capitaine sans honneur le mord. Peter reste là , les yeux écarquillés devant cette trahison , pétrifié comme tous les enfants quand ils ressentent la première trahison des adultes. Crochet en profite pour le griffer deux fois avec sa main de fer. C’est le tic-tac du crocodile qui sauve Peter. Crochet nage désespérément vers son bateau, tenaillé par une peur atroce et poursuivi par le crocodile. Les garçons trouvent le canot des pirates et regagnent le rivage en appelant Peter et Wendy. Mais ils ont une telle confiance en Peter qu’ils ne s’inquiètent pas pour lui. Il doit avoir regagné la maison en volant. La lagune redevient silencieuse. Peter hisse Wendy évanouie sur le rocher. La marée recouvre le rocher de plus en plus. — Nous sommes sur le rocher, Wendy, dit Peter mais bientôt l’eau l’aura entièrement recouvert. Nous devons partir. Wendy doit bien avouer qu’elle est trop fatiguée. Ils demeurent sur place attendant une mort prochaine quand une chose plus légère qu’un baiser effleure Peter. C’est la queue du cerf-volant de Michaël. Peter tire sur la corde et la ceint autour de la taille de Wendy. Il la pousse hors du rocher et Wendy s’envole emportée par le cerf-volant. Peter est tout seul. Le récif est de plus en plus petit et bientôt, il sera entièrement submergé. Peter a un peu peur puis soudain, il sourit : « Mourir, ça c’est une aventure ».
Chapitre 9 : L’Oiseau Imaginaire Les sirènes se retirent dans leurs chambres sous la mer. La mer monte et lèche déjà les pieds de Peter. Pour passer le temps, en attendant, la mort, Peter fixe un papier qui flotte sur les vagues. Le papier lutte contre les flots et Peter applaudit à chaque fois qu’il remporte une victoire sur la vague. Le papier se dirige vers Peter car il n’est autre que l’oiseau imaginaire. Il a appris à se servir de ses ailes comme rames et il vient pour sauver Peter en lui offrant son nid ou pourtant se trouvent encore ses œufs. Dès que Peter reconnaît l’oiseau, il se met à lui demander ce qu’il fait là. L’oiseau lui répond mais, comme ils ne parlent pas le même langage, c’est un véritable dialogue de sourds et chacun perd ses bonnes manières et se lance des injures. Mais, l’oiseau est résolu à sauver l’enfant, sans doute à cause de ses dents de lait, ou tout simplement parce qu’elle est une maman. Malgré sa fatigue, l’oiseau amène le nid à proximité du rocher et s’envole pour mieux faire comprendre à Peter ce qu’elle lui a crié pendant de longues minutes. Peter prend les deux œufs dans ses mains Que va-t-il bien pouvoir en faire ? L’oiseau cache sa tête sous ses ailes. Sur le rocher, se dresse un piquet. Un pirate a perdu son chapeau dans la bagarre. Il est en toile goudronnée, imperméable avec un large bord. Peter dépose les œufs dans le chapeau qui flotte. L’oiseau a maintenant un nouveau nid. Elle descend et e remet à couver. Peter quand à lui, monte dans le véritable nid, y plante le piquet et attache sa chemise en guise de voile. Chacun part vers son destin en se souhaitant bon voyage. Peter aborde dans un endroit où l’oiseau pourra retrouver son nid facilement. Hélas pour le pirate, son chapeau a été définitivement adopté par l’oiseau. D’ailleurs aujourd’hui encore, les oiseaux imaginaires construisent des nids en forme de chapeau avec un large bord où leurs petits peuvent pendre le frais. La fête bat son plein dans la maison souterraine. Chacun a une aventure à raconter mais, la plus incroyable, c’est que l’heure du coucher est passée depuis longtemps. Pour gagner encore un peu de temps, les enfants réclament des pansements et des bandages. Cependant, Wendy n’est pas dupe et les met au lit sans tarder. Le lendemain, pourtant chacun reçoit son pansement et les enfants peuvent boiter à leur aise ou porter le bras en écharpe. Chapitre 10 : Un foyer heureux Grâce au sauvetage de Lis Tigré par Peter, les Peaux-Rouges deviennent les meilleurs amis des enfants. La nuit, ils veillent au-dessus de la maison souterraine pour la protéger de l’attaques de pirates qui ne manquera certainement pas d’arriver. Le jour, ils rôdent dans les alentours, fumant le calumet de la paix avec l’air d’attendre des sucreries. Ils ont baptisé Peter Pan le « Grand-Père Blanc » et ils se prosternent devant lui ce qui n’arrange pas son caractère. S’ils vénèrent Peter, ils ont par contre moins d’égards pour les enfants qui ne sont considérés que comme de simples braves. Wendy, gardienne du foyer et mère ne veut prêter l’oreille à aucune plainte contre Peter qui se fait appeler «père » par les enfants. Elle-même est traitée de squaw — ce qui ne lui fait pas plaisir. Un soir, alors que la journée s’est déroulée sans problème, les Peaux-Rouges sont à leur poste au-dessus de la maison. Les enfants prennent leur repas imaginaire et Peter est à la recherche du crocodile afin de connaître l’heure. Les enfants sont particulièrement chahuteurs et le bruit est assourdissant. Chacun a à se plaindre de son voisin car il est de règle dans la maison de ne pas rendre les coups mais de dire : « J’ai à me plaindre de Un tel »… Un pas que Wendy reconnaît immédiatement s’approche. Peter arrive avec des noisettes pour les enfants et l’heure pour elle. Un des jumeaux s’approche de Peter : — Papa, on voudrait bien danser mais on aimerait que tu danses avec nous ainsi que maman. Les enfants prétendent toujours que c’est samedi soir lorsqu’ils ont envie de faire quelque chose d’exceptionnel. Ils enfilent leur chemise de nuit et se mettent à danser. Wendy coud, Peter se chauffe près du feu. Elle lui pose la main sur l’épaule et lui demande : — Peter chéri, avec une famille si nombreuse, bien sûr, je ne suis plus ce que j’étais, mais tu ne m’échangerais pas contre une autre n’est-ce pas ? Avec assurance, il lui répond qu’il a pour elle les sentiments d’un fils dévoué. Wendy avait deviné juste, il ne lui reste qu’à être sa mère ; Peter ne veut pas grandir… — C’est bizarre, dit encore Peter, tu es comme Lis Tigré. Elle non plus ne veut pas être ma mère. Peut-être que Clochette acceptera… La petite fée, qui a tout entendu, fait une réponse qui n’a pas besoin de traduction. Wendy met au lit les enfants et leur chante une chanson effrayante ; ils se mettent à nouveau à danser sans imaginer qu’au-dessus d’eux des ombres bien plus menaçantes vont bientôt se refermer sur eux. Une fois couchés, Wendy leur raconte leur histoire préférée et Peter qui déteste cette histoire, d’ordinaire quitte la pièce ou se bouche les oreilles. Mais ce soir là, il l’écoute…
Chapitre 11 : L’histoire « Il était une fois un monsieur » raconte Wendy immédiatement interrompue par les garçons perdus. — J’aurais préféré une dame. Elle poursuit son histoire « et une dame qui s’appelaient, Monsieur et Madame DARLING. Ils avaient trois enfants qui avaient une fidèle nurse appelée Nana. Un jour, Monsieur DARLING se fâcha contre Nana et l’enchaîna dans la cour. C’est ainsi que les enfants s’envolèrent pour le pays de l’imaginaire. La tristesse des parents fut immense ; imaginez les trois petits lits vides… ». — C’est triste à pleurer, dit un des jumeaux. « Il ne faut pas avoir peur, poursuit Wendy. L’amour d’une mère peut être immense. La fenêtre de la chambre est toujours restée ouverte car la maman savait qu’ils reviendraient un jour. Les enfants restèrent absents pendant des années et s’amusèrent beaucoup. » — Est-ce qu’ils sont rentrés maintenant, demande l’autre jumeau ? Wendy ne répond pas tout de suite mais explique combien la scène de bonheur à leur retour est indescriptible. Peter laisse échapper un soupir malheureux. — Tu te trompes complètement au sujet des mères, dit-il. Moi aussi je croyais que ma mère laisserait toujours la fenêtre ouverte mais, à mon retour, j’ai trouvé des barreaux à la fenêtre car ma maman m’avait oublié et un autre petit garçon dormait dans mon lit. Toutes les mères sont comme ça. — Wendy, rentrons à la maison ! disent John et Michaël en chœur. Il monte faire les préparatifs tout en s’efforçant de respirer le plus fort possible car un adage de l’Ile dit que chaque fois qu’on respire une grande personne tombe raide morte. Il donne ses instructions aux Peaux-Rouges et redescend dans la maison souterraine. Pendant son absence, les enfants perdus ont tenté de séquestrer Wendy car son départ est une véritable catastrophe pour eux. Peter ne peut accepter de garder une fille contre son gré et demande de réveiller Clochette qui aidera Wendy à traverser la mer. Clochette ne l’entend pas de cette oreille et il faut la menacer de la faire voir de tous en négligé pour qu’elle se lève enfin. Les garçons regardent Wendy et ses frères avec des yeux tristes. Ils partent pour un pays merveilleux et personne ne les a invités. — Mes amis, dit Wendy, si vous voulez tous venir avec moi, je suis certaine que maman et papa vous adopteront. L’invitation est bien entendu faite pour Peter mais chacun la prend pour soi et les enfants se mettent à sauter de joie. — Avant de partir, je vais te donner ton médicament Peter, dit Wendy et puis, prépare tes affaires. Wendy essaye de l’amadouer, il pourrait retrouver sa mère… — Non, Wendy, elle me dirait sûrement que je suis grand et je veux rester toujours un petit garçon et m’amuser. Les garçons perdus se regardent ; Peter ne vient pas… Va-t-il les laisser partir ? Ils sont rassurés lorsqu’ils l’entendent déclarer : — Si vous retrouvez vos mamans, j’espère qu’elles vous plairont. Maintenant, pas d’attendrissement, Tu es prête Clochette ? Alors, montre le chemin. Clo s’élance dans l’arbre le plus proche mais personne ne la suit car au même instant, les pirates lancent leur attaque contre les Peaux-Rouges. L’air est déchiré de cris et de cliquetis d’acier. Dans la maison, règne un silence glacial. Chacun tend les bras vers Peter dans un geste qui dit « Ne nous abandonne pas ». Il saisit son épée et dans ses yeux brille une ardeur guerrière.
Chapitre 12 : Pris au piège L’attaque des pirates a surpris tout le monde. Elle n’a bien entendu pas été menée selon les règles car pour surprendre les Peaux-Rouges, les blancs doivent se lever tôt. Selon les lois non écrites de la guerre sauvage, ce sont toujours les Peaux-Rouges qui attaquent les premiers juste avant l’aube car c’est le moment où le courage des blancs est à son point mort. De leur côté, les blancs doivent attendre derrière une palissade. Les novices montent la garde tandis que les vétérans dorment tranquillement en attendant la bataille. Toute la nuit, les éclaireurs indiens rampent comme des serpents parmi les hautes herbes en imitant le cri des coyotes. De nombreux Peaux-Rouges ont rejoint les terrains de chasses célestes au cours de cette attaque soudaine et vile imaginée par Crochet à l’encontre des lois de la guerre, entraînant cependant dans leur sillage de nombreux pirates. Crochet ne ressent pour sa part aucun triomphe de cette victoire si facile à acquérir. Son travail n’est pas terminé. C’est Peter qu’il veut. Pan, Wendy et toute leur bande mais d’abord : Pan ! On peut se demander comment un garçon aussi petit que Peter arrive à inspirer une telle haine à Crochet. Bien sûr, il a jeté au crocodile le bras du capitaine mais est-ce une raison suffisante ? Il a y plutôt chez Peter un je ne sais quoi qui le rend fou de rage et ce je ne sais quoi n’est autre que le toupet de Peter. La nuit, ce toupet l’obsède tel un insecte fastidieux. Aussi longtemps que Peter sera en vie, le capitaine ressentira le supplice d’un lion en cage face à un moineau. La question qui se pose maintenant est de descendre dans la maison souterraine ou plutôt de faire descendre les hommes par les troncs d’arbres. Il inspecte un à un ses hommes afin de distinguer les plus maigres. Les hommes se trémoussent en sachant que leur capitaine n’hésitera pas à les enfoncer jusqu’au fond avec une perche si nécessaire. Pendant ce temps, les enfants qui étaient devenus des statues, bouches ouvertes, se sont ressaisis. Ils écoutent. Le tohu-bohu a cessé et les enfants se demandent quel parti a gagné la bataille. Les pirates ont entendu la question … mais ils ont aussi entendu la réponse. — « Si les indiens ont gagné, ils ne vont pas tarder à faire battre le tam-tam en guise de victoire… » Crochet demande à un de ses hommes de battre le tam-tam. — « Le tam-tam, s’écrire Peter ! Les Peaux-Rouges ont gagné ». Les enfants répondent à cette affirmation par des cris de joie qui sonnent comme une musique divine aux oreilles scélérates qui écoutent en haut. Les enfant renouvellent leurs adieux à Peter, ce qui surprend les pirates mais les réconfortent : ils n’auront pas à descendre puisque l’ennemi se prépare à remonter. Ils s’en frottent les mains. Crochet donne ses ordres : un homme à chaque arbre et les autres en file à deux mètres de distance.
Chapitre 13 : Croyez-vous aux fées ? Plus tôt on en aura fini avec ces horreurs, mieux ça vaudra. Le premier à émerger de son arbre fut Le Frisé. Il fut happé par Cecco qui le passa à Smee, qui le passa à Starkey, qui le passa au Truand qui le passa à Plat-de-Nouilles et, catapulté de l’un à l’autre, il atterrit aux pieds du terrible capitaine. Tous les garçons furent cueillis sans pitié à la sortie ; plusieurs se trouvèrent en l’air en même temps, comme des ballots de marchandises jetés de main en main. Wendy qui sortit la dernière eut droit à un traitement de faveur. Avec une feinte galanterie, Crochet la salua d’un coup de chapeau puis, lui offrant le bras, l’escorta jusqu’à l’endroit où l’on bâillonnait ses compagnons. Il le fit d’un air si distingué que Wendy, fascinée, en oublia de pleurer. Après tout, ce n’était qu’une petite fille. Qu’on nous pardonne de révéler qu’elle subit un instant le charme de Crochet : si nous dénonçons cette faiblesse, c’est qu’elle devait avoir d’étranges conséquences. Wendy aurait-elle refusé avec hauteur le bras de Crochet (ce que nous aurions été heureux d’écrire), on l’aurait lancée en l’air comme les autres, Crochet n’aurait pas été présent au moment où on ligotait les enfants, il n’aurait pas découvert le secret de La Plume, et sans ce secret, il n’aurait pas pu attenter traîtreusement à la vie de Peter. Afin d’empêcher les garçons de s’envoler, on les avait pliés en deux, les genoux recroquevillés jusqu’aux oreilles, et l’on s’apprêtait à les lier chacun en botte ; pour ce faire, le capitaine avait coupé une corde de neuf bouts d’égale longueur. Tout alla bien jusqu’au tour de La Plume qui se révéla aussi exaspérant que ces colis qui accaparent toute la ficelle et ne laissent plus rien pour faire le nœud. De rage, les pirates le bourraient de coups de pied, tout comme on s’acharne sur un paquet alors qu’il serait plus juste de s’en prendre à la ficelle. Paradoxalement, ce fut Crochet qui leur intima de réfréner leur brutalité. Un air de malicieux triomphe lui retroussait la lèvre. Pendant que ses comparses suaient sang et eau à tasser d’un côté le malheureux La Plume qui aussitôt débordait de l’autre, le sagace Crochet fouillait d’un œil inquisiteur l’intérieur de ce colis réfractaire, à la recherche de causes et non d’effets, et sa jubilation montra qu’il les avait trouvées. La Plume comprit que Crochet avait découvert son secret, à savoir qu’un garçon, aussi gonflé soit-il, n’a nul besoin d’un arbre là où un homme moyen se contente d’un bâton. Piteux La Plume ! comme il regrettait à présent son goût invétéré pour la boisson ! À force de boire des quantités d’eau quand il avait chaud, il était devenu si bouffi qu’il avait dû en cachette élargir le tronc de son arbre pour s’y faufiler. Maintenant, le capitaine des pirates en savait assez pour être sûr de tenir Peter à sa merci. Pas un mot du noir projet qui germait dans les sombres cavernes de son esprit ne franchit ses lèvres ; il fit simplement signe d’emporter les captifs au bateau. Quant à lui, il désirait rester seul. Mais comment les transporter ? On aurait pu faire rouler comme des barriques jusqu’à la plage si la majeure partie de la route n’avait été formée de marécages. Une fois de plus, le génie de Crochet surmonta l’obstacle. Montrant la petite hutte de Wendy, il déclara qu’elle servirait de moyen de transport. Les enfants furent entassés à l’intérieur, quatre robustes gaillards la hissèrent sur leurs épaules, les autres se mirent en rang derrière, et l’étrange procession s’ébranla tout en chantant l’hymne odieux des pirates. Si les enfants pleuraient, leurs pleurs devaient être noyés sous ces hurlements. Toutefois, avant de disparaître, la petite hutte lâcha un mince jet de fumée, comme pour narguer Crochet. Ce dernier prit très mai ce défi. Cela tarit jusqu’à la dernière goutte de pitié qui restait encore dans son cœur de flibustier maudit. Demeuré seul, il s’approcha sur la pointe des pieds de l’arbre de La Plume, et s’assura qu’il pourrait descendre par le tronc. Longtemps il se tint là, à ruminer ses pensées, son feutre gisant sur le gazon comme un oiseau de mauvais augure, de sorte qu’une brise légère jouait dans ses cheveux. Si sombre que fût son dessein, ses yeux bleus gardaient la douceur de la pervenche. Il épiait de toutes ses oreilles les entrailles de la terre, mais tout était silencieux en haut comme en bas ; la maison souterraine semblait parfaitement vide. Peter dormait-il, ou attendait-il au pied de l’arbre de La Plume, son poignard à la main ? Le seul moyen de le savoir était de descendre. Crochet fit glisser doucement son manteau jusqu’à terre puis, se mordant les lèvres jusqu’au sang, il pénétra à l’intérieur de l’arbre. C’était incontestablement un homme courageux. Pourtant, il dut s’arrêter un moment pour éponger son front qui ruisselait comme une chandelle. Alors, silencieusement, il s’élança vers l’inconnu. Il arriva sain et sauf à l’extrémité du tronc et s’immobilisa à nouveau, afin de reprendre haleine. À mesure que ses yeux s’accoutumaient à la faible clarté des lieux, ils distinguaient peu à peu la forme des objets. Mais le seul sur lequel son regard avide s’arrêta après l’avoir longtemps cherché et trouvé enfin, ce fut le grand lit. Et sur le lit, Peter profondément assoupi. Ignorant tout de la tragédie qui s’était déroulée là-haut, Peter, après le départ des enfants, continua à jouer gaiement de la flûte, sans nul doute pour se prouver à lui-même que tout lui était bien égal. Ensuite, il décida de ne pas prendre son médicament, comme pour ennuyer Wendy. Puis il s’étendit sur et non sous la couverture, rien que pour l’offenser davantage. (Wendy les bordait toujours consciencieusement car on risque de prendre froid sans s’en apercevoir au cours de la nuit.) Enfin, il faillit pleurer, mais réalisant soudain combien elle serait dépitée si, au lieu de pleurer, il éclatait de rire, il éclata d’un rire arrogant en plein milieu duquel il s’endormit. Parfois, mais rarement, il rêvait, et ses rêves étaient plus douloureux que ceux des autres garçons. Pendant des heures, il ne parvenait pas à s’extraire de ces cauchemars où il gémissait pitoyablement, et qui, d’après moi, devaient avoir trait au mystère de son existence. Dans ces moments-là, Wendy avait l’habitude de le tirer du lit pour l’asseoir sur ses genoux, et elle inventait toutes sortes de cajoleries pour le consoler. Lorsqu’il s’apaisait, elle le recouchait sans l’éveiller, afin qu’il ne sût rien de l’humiliant traitement qu’elle lui avait fait subir. Mais en ce moment Peter dormait d’un sommeil sans rêve. Un de ses bras pendait hors du lit, une de ses jambes était repliée vers le haut, et le reste de son rire flottait encore sur sa bouche entrouverte qui découvrait les petites perles blanches. Ce fut dans cette attitude sans défense que Crochet le trouva. Il se tenait silencieux au creux de l’arbre, contemplant son mortel ennemi à l’autre bout de la chambre. Nulle pitié n’allait donc attendrir ce cœur endurci ? L’homme n’était pas entièrement mauvais ; il aimait les fleurs (on me l’a assuré) et la musique légère (il ne se défendait pas mal au clavecin) ; et, pour être sincère, le caractère idyllique de la scène le remua profondément. S’il avait écouté la voix de son meilleur moi, il serait remonté. Mais une chose l’arrêtait : l’air impertinent que Peter gardait jusque dans son sommeil. Cette bouche entrouverte, ce bras pendant nonchalamment, cette jambe repliée vous narguaient avec un aplomb si offensant que le cœur de Crochet se durcit comme le roc. Si dans sa rage le capitaine avait explosé en mille morceaux, chacun de ces morceaux, indifférent à la catastrophe, se serait jeté sur le dormeur. La lampe qui éclairait faiblement le lit laissait le capitaine lui-même dans l’obscurité. Au premier pas qu’il fit en avant, son pied rencontra un obstacle : la porte de l’arbre. Vers le haut, elle ne comblait pas entièrement l’ouverture du tronc, et jusque-là, Crochet avait regardé pardessus. Il chercha le loquet, et découvrit avec irritation que celui-ci était placé très bas, hors de son atteinte. Dans le désordre de ses pensées, il crut percevoir sur le visage et dans l’attitude de Peter une sorte de satisfaction narquoise qui porta sa fureur à son comble. Il secoua la porte, essaya de la défoncer. Son ennemi allait-il en fin de compte lui échapper ? Mais qu’était-cela ? Ses yeux venaient de tomber sur le médicament de Peter, posé sur une tablette parfaitement à sa portée. Il devina immédiatement ce que c’était et sut que le dormeur était en son pouvoir. De peur d’être pris vivant, Crochet portait toujours sur lui une horrible mixture fabriquée par ses soins à partir de toutes les bagues à poison qui lui étaient tombées entre les mains. Cette décoction jaunâtre, inconnue de la science, était sans doute le plus virulent des toxiques. Crochet versa cinq gouttes de ce liquide dans la tasse. Ce faisant, sa main tremblait, de joie plus que de honte, et s’il évitait de regarder le dormeur, c’était de peur d’en répandre à côté. Longuement il contempla sa victime avec une joie mauvaise, puis fit demi-tour et remonta à l’air libre au prix de mille contorsions. Lorsqu’il réapparut à l’autre extrémité du tronc, on eût dit le mal en personne surgissant de sa tanière. Rabattant son chapeau sur ses yeux, il s’enveloppa dans son manteau comme pour dérober aux ténèbres de la nuit le plus noir de ses éléments, et il se fraya un chemin à travers la forêt tout en se marmottant d’étranges choses à lui-même. Peter continuait à dormir. La lumière de la lampe vacilla puis s’éteignit, laissant la pièce dans le noir ; mais Peter dormait toujours. Le crocodile devait sonner dix heures quand enfin il s’assit subitement dans son lit, réveillé par il ne savait quoi. Quelqu’un frappait très doucement à la porte de son arbre. Ces petits coups prudents avaient une résonance sinistre dans le silence des lieux. Peter porta la main à son poignard, puis il parla. — Qui est là ? Il n’y eut pas de réponse, sinon qu’au bout d’un assez long moment, les petits coups reprirent contre la porte. — Qui est là ? Pas de réponse. Cela le fit palpiter d’émotion, ce qu’il adorait, au reste. En deux enjambées il atteignit la porte. À la différence de celle de La Plume, la sienne fermait entièrement l’orifice du tronc, si bien qu’il ne pouvait ni voir qui frappait ni en être vu. — Je n’ouvrirai pas tant que vous n’aurez pas dit qui vous êtes, lança-t-il. Enfin, le visiteur se décida à parler, d’une voix qui tintinnabulait joliment. — Laisse-moi entrer, Peter. C’était Clochette. Rapidement, Peter lui ouvrit. Elle se précipita dans la chambre, rouge de surexcitation et sa robe couverte de boue. — Qu’y a-t-il ? Alors, en une seule phrase grammaticalement incorrecte mais aussi longue qu’un ruban de prestidigitateur, elle lui raconta la capture de Wendy et des garçons. Le cœur de Peter bondit dans sa poitrine. Wendy prisonnière sur un bateau de pirates, elle qui aimait tant l’ordre et la propreté ! — Je la délivrerai ! s’écria-t-il. Tout en bondissant sur ses armes, il aperçut son -médicament : voilà qui ferait plaisir à Wendy, s’il le buvait. Et il tendit la main vers le breuvage fatal. — Non ! cria Clo de sa voix perçante. Elle avait entendu Crochet se parler tout haut dans la forêt et se vanter d’avoir empoisonné Peter. — Pourquoi non ? demanda Peter. Hélas ! Clochette ne pouvait l’expliquer puisqu’elle ignorait le secret de l’arbre de La Plume. Mais les paroles du capitaine ne laissaient place à aucun doute. Il y avait du poison dans la tasse de Peter. — Si Crochet était venu, je l’aurais vu, protesta le garçon. Je ne dors jamais. Il porta la tasse à ses lèvres. Pas le moment de discuter mais d’agir : vive comme l’éclair, Clo se plaça entre la bouche et la tasse et but le breuvage jusqu’à la lie. — Tu oses boire mon médicament ! s’indigna Peter. Mais au lieu de répondre, la fée battait de l’aile, vacillante. — Clo ! qu’y a-t-il ? Ses ailes la portaient à peine, pourtant elle vint se poser sur son épaule, lui mordilla tendrement le menton et murmura à son oreille. — Espèce d’imbécile. Et elle se traîna jusqu’à son lit où elle s’affaissa. Peter s’agenouilla tristement près de la petite chambre de Clo. La lumière de la petite fée pâlissait de minute en minute ; si elle venait à s’éteindre, ce serait pour toujours, et Peter le savait. Ses larmes causèrent un tel plaisir à Clochette qu’elle lui posa un doigt sur la joue pour les sentir rouler. Elle parlait d’une voix si faible qu’il ne saisit pas tout de suite ce qu’elle disait. Puis il comprit. Clo pensait qu’elle pourrait être sauvée si des enfants proclamaient bien haut qu’ils croient aux fées. Peter tendit aussitôt les bras. Il n’y avait pas d’enfants ici, et c’était la nuit, mais Peter s’adressait à tous ceux qui rêvent au pays de l’imaginaire et qui, par conséquent, se trouvaient plus proches de lui que vous ne le pensez : garçons et filles en chemise de nuit, bébés Peaux-Rouges suspendus aux arbres dans leur berceau. — Croyez-vous aux fées ? cria Peter. Clochette s’assit vivement sur sa couche, anxieuse de connaître son sort. Elle crut d’abord entendre des réponses affirmatives, mais elle n’en était pas certaine. — Qu’en penses-tu ? demanda-t-elle à Peter. Beaucoup applaudirent. Certains s’abstinrent. Et quelques garnements sifflèrent. Puis les applaudissements cessèrent brusquement, comme si toutes les mamans du monde s’étaient précipitées en même temps dans les chambres des enfants pour voir ce qui s’y passait. Mais Clo était sauvée. D’abord sa voix tinta de nouveau. Puis elle bondit de son lit. Enfin elle se remit à voltiger dans la pièce, d’un vol plus joyeux et hardi que jamais. Elle oublia de remercier ceux qui avaient applaudi, mais elle aurait bien aimé tenir les voyous qui avaient osé siffler ! — Et maintenant, allons délivrer Wendy ! La lune voguait dans un ciel lourd de nuages, quand Peter émergea de son arbre, couvert d’armes mais peu vêtu quant au reste. Ce genre de nuit ne convenait pas tellement à sa périlleuse entreprise, car il projetait de survoler le terrain de très près, afin de ne perdre aucun indice. Mais, avec cette lumière intermittente, voler bas l’eût obligé à traîner son ombre parmi les arbres, ce qui risquait de déranger les oiseaux et d’avertir l’ennemi de sa présence. Du coup, il regretta d’avoir baptisé les oiseaux de 1’lle de noms par trop barbares, si bien que ces farouches volatiles se laissaient difficilement approcher. Il n’y avait donc d’autre solution que de se frayer un chemin à la manière Peau-Rouge, dont heureusement il était un adepte fervent. Mais voilà, dans quelle direction chercher ? Rien ne l’assurait que les enfants avaient été emmenés à bord du navire. La neige était tombée et avait recouvert d’une légère couche toute trace de pas. Un silence de mort pesait sur 1’lle comme si la nature était encore sous le coup du récent carnage. Peter avait initié les enfants à certaines coutumes de la forêt qu’il avait lui-même apprises de Lis Tigré et de Clo. Il espérait qu’en ces heures d’épreuve, les enfants s’en étaient souvenus. La Plume n’avait pas dû manquer l’occasion de faire une entaille aux arbres, par exemple, Le Frisé avait sans doute semé des graines, ou Wendy avait abandonné son mouchoir à un endroit bien en vue. Mais pour repérer de tels indices, il aurait fallu attendre jusqu’au matin ; or, le temps pressait. Les puissances d’en haut avaient choisi Peter pour cette mission, mais elles n’avaient pas l’intention de l’aider. À part le crocodile qui, à un moment, le dépassa, aucun être vivant ne manifestait sa présence. Pourtant la mort, il le savait, pouvait l’attendre à l’arbre suivant, ou surgir par derrière pour le surprendre. Il lança son terrible défi : — À nous deux, capitaine Crochet ! Tantôt il rampait dans les herbes comme un serpent, tantôt il bondissait à travers les clairières baignées de lune, un doigt sur la bouche et son poignard prêt à frapper. Il était suprêmement heureux.
Chapitre 14 : Sur le bateau pirate Une lueur verte lorgnant sur la rade du Kidd, à l’embouchure de la Rivière des Pirates, signalait l’endroit où louvoyait cet infâme repaire du crime, le Jolly-Roger, crasseux jusqu’à la coque et aussi répugnant qu’un sol souillé de plumes ensanglantées. Cette terreur des mers se passait de vigie tant l’horreur de sa renommée la protégeait de toute attaque. La nuit l’enveloppait de son épais manteau qui ne laissait filtrer aucun bruit, si ce n’est le ronron de la machine à coudre de Smee. Pathétique Smee, si travailleur et si serviable, la crème de la banalité ! Je ne sais ce qui le rendait si pathétique, peut-être sa parfaite ignorance de l’être ? Quoi qu’il en fût, les hommes les plus virils devaient se détourner de lui pour ne pas céder à l’émotion que sa vue inspirait ; et certains soirs d’été, il avait attendri Crochet jusqu’aux larmes. Mais de cela, comme du reste, il était loin de se douter. Quelques pirates, accoudés aux bastingages, s’adonnaient à la boisson dans les miasmes de la nuit ; d’autres se vautraient sur les barriques, jouant aux dés ou aux cartes ; les quatre gaillards qui avaient transporté la petite hutte étaient affalés sur le pont où, jusque dans leur sommeil, ils roulaient habilement d’un côté ou de l’autre, pour éviter les coups de griffe que Crochet distribuait au passage. Crochet arpentait pensivement le pont. 0 homme insondable ! C’était son heure de triomphe. Il avait à jamais écarté Peter de son chemin, et les autres garçons captifs sur le brick marcheraient bientôt sur la planche. C’était le pire de ses exploits depuis le jour fameux où il avait mis Barbercue à sa botte. Quand on sait combien l’homme n’est qu’une outre de vanité, on ne sera pas surpris de voir Crochet parcourir le pont d’un pas vertigineux, la tête enflée par les vents de la gloire. Pourtant, nulle allégresse ne transparaissait dans sa démarche, qui se réglait sur le mécanisme de son esprit ténébreux. Crochet se sentait profondément abattu. Ce sentiment qui s’emparait de lui lorsqu’il se recueillait en lui-même dans la quiétude de la nuit provenait de son douloureux isolement. Jamais cet homme énigmatique ne se sentait plus seul qu’entouré de ses valets rampants. Non, ils n’appartenaient pas au même monde. Crochet n’était pas son vrai nom. Même encore de nos jours, révéler sa véritable identité mettrait le pays à feu et à sang. Mais ceux qui savent lire entre les lignes l’auront déjà deviné, il avait fréquenté l’une des meilleures écoles ; il en avait gardé les usages qui restaient collés à lui comme des vêtements (avec lesquels ils ont en effet plus d’un rapport). Aussi lui était-il déplaisant, même à cette période avancée de sa carrière, de prendre un bateau à l’abordage sans avoir fait toilette au préalable. Il affectait cette démarche traînante, privilège de l’éducation qu’il avait reçue. Mais par-dessus tout, il avait conservé le culte du bon ton. Le bon ton ! Au pire de sa déchéance, il n’oubliait pas que c’était la seule chose qui importât vraiment. Des tréfonds de son âme montait un grincement de gonds rouillés, puis un tap-tap-tap sévère, martelant la nuit comme quelqu’un qui ne trouve pas le sommeil. — N’as-tu pas quelque peu détonné, aujourd’hui ? Telle était l’éternelle question. Question plus alarmante encore, n’était-il pas de, mauvais ton de tant se soucier du bon ton ? Ces pensées le torturaient jusque dans ses organes vitaux, telles une épine fichée dans son corps, plus acérée que sa griffe de fer. Tant que durait ce supplice, la sueur ruisselait de sa face cireuse jusque sur son gilet. Il avait beau s’éponger la figure de ses manches, rien n’endiguait ce flux. Ah ! N’enviez pas le malheureux Crochet. Brusquement lui vint le pressentiment de sa ruine prochaine, comme si le défi terrible de Peter avait déjà atteint sa cible. Une mélancolique envie de prononcer ses dernières paroles s’empara de lui, de crainte que plus tard, on ne lui en laisserait pas le temps. Misérable Crochet ! s’écria-t-il. Son ambition l’aura perdu ! (À ses heures les plus sombres, il se citait à la troisième personne.) — Aucun enfant ne m’aime. Cette réflexion saugrenue ne l’avait jamais troublé auparavant. Lui était-elle inspirée par le ronron de la machine à coudre de Smee ? Monologuant à voix haute, Crochet contempla longuement Smee en train de coudre placidement des ourlets : le maître d’équipage croyait dur comme fer que les enfants avaient peur de lui. Peur de lui ! Qui avait peur de Smee ? Surtout pas les gosses qui l’avaient adoré dès le début. Il leur avait dit des choses abominables, les avait frappés avec la paume, parce qu’avec le poing il n’aurait jamais pu ; mais, plus que jamais, les enfants s’étaient accrochés à ses basques et Michael avait même essayé ses lunettes. Dire au pauvre Smee que les enfants le trouvaient sympathique ? Crochet en mourait d’envie, mais c’eût été trop cruel. Alors, il retourna ce mystère dans son esprit : pourquoi le trouvaient-ils sympathique ? Il traquait cette énigme avec un acharnement de limier. Qu’était-ce donc qui rendait Smee si sympathique ? La réponse jaillit, terrible : — « Le bon ton ? » L’Irlandais possédait-il cette qualité sans le savoir, ce qui est le plus élevé de tous les tons ? Poussant un cri de rage, le capitaine leva sa main de fer au-dessus de la tête de Smee, mais une réflexion suspendit son geste : « Griffer quelqu’un sous prétexte qu’il fait preuve de bon ton, qu’est-ce que c’est ? » — « Une preuve de mauvais ton ! » Aussi impuissant que moite de sueur, le malheureux Crochet tomba en avant comme une fleur fauchées. Les hommes d’équipage le croyant hors circuit pour un moment, la discipline se relâcha aussitôt. Ils se livrèrent à une bacchanale effrénée, qui le remit immédiatement debout. Toutes traces de faiblesse humaine étaient effacées de sa personne, comme s’il avait reçu un seau d’eau. — La paix, cancres ! Ou je vous étrille ! Le chahut cessa aussitôt. — Les enfants sont-ils bien enchaînés ? Ils ne risquent pas de s’envoler ? On tira les garçons de la cale pour les aligner devant le capitaine, mais celui-ci ne semblait pas s’apercevoir de leur présence. Il flânait nonchalamment, tout en fredonnant non sans talent quelques mesures d’un refrain polisson, tandis que ses doigts jouaient avec un paquet de cartes. De temps à autre, son cigare jetait une lueur rougeâtre, sur sa figure. — Maintenant, mes mignons, dit-il avec vivacité, six d’entre vous vont passer sur la planche, mais j’ai besoin de deux garçons de cabine. Qui se porte volontaire ? « Ne l’irritez pas inutilement », leur avait recommandé Wendy dans la cale. La Guigne fit donc un pas en avant d’un air poli. L’idée de servir pareil maître ne lui souriait guère, et son instinct lui soufflait qu’en la circonstance, il serait judicieux de rejeter la responsabilité de son refus sur une personne absente ; quoique un peu nigaud, il savait que seules les mères acceptent de jouer le rôle de tampon. Tous les enfants le savent, et tout en les méprisant pour cela, ne se privent pas d’en abuser. Aussi La Guigne expliqua-t-il prudemment : — Voyez-vous, monsieur, je ne crois pas que ma mère aurait aimé me voir devenir pirate. Et la tienne, La Plume ? Il fit un clin d’œil à La Plume qui répondit comme à regret : — Je ne crois pas non plus. Et vous, les Jumeaux ? Et les porte-parole furent brutalement remis dans le rang. — Et toi, mon garçon, reprit Crochet à l’adresse de John. Tu m’as l’air un peu plus déluré que le reste. N’as-tu jamais rêvé d’être pirate, p’tit gars ? John avait déjà fait l’expérience de ce genre de tentation, en classe de mathématiques ; et cela le flattait d’être remarqué par Crochet. Il voulait que ce fût John qui prît la décision, de même que John voulait que ce fût lui. — Resterons-nous les sujets respectueux de Sa Majesté ? demanda John. Jusque-là, John ne s’était peut-être pas très bien conduit, mais son courage brilla soudain de tout son éclat. Furieux, les pirates les frappèrent sur la bouche, tandis que Crochet rugissait : — Vous venez de signer votre arrêt de mort ! Qu’on fasse monter leur mère, et qu’on prépare la planche ! Les garçons pâlirent en voyant Bill le Truand et Cecco apprêter l’instrument de leur supplice, mais ils firent brave contenance quand Wendy parut. Les mots me manquent pour décrire le mépris qu’éprouvait Wendy à l’égard des pirates. Aux yeux des garçons, le titre de pirate pouvait garder quelque prestige, mais tout ce qu’elle voyait, elle, c’est que le bateau n’avait pas été nettoyé depuis des siècles. Pas un seul hublot sur lequel on ne pût écrire « Cochons ! » avec son doigt ! Et Wendy ne s’était pas gênée pour le faire. Mais au moment où les garçons l’entouraient, elle n’avait de pensée que pour eux. — Alors, ma belle, dit Crochet d’une voix sirupeuse, on va voir ses enfants se promener sur la planche. Bien que raffiné dans son maintien, ses recueillements l’avaient fait transpirer si abondamment que sa fraise de dentelle en était toute maculée. Il vit que Wendy fixait son regard dessus, et il tenta vivement de la faire disparaître mais trop tard. — Sont-ils condamnés à mourir ? demanda Wendy sur un tel ton de mépris qu’il faillit s’en trouver mal. Wendy fut héroïque. — Voici mes dernières paroles, mes chers enfants, dit-elle d’une voix ferme. Je vous dirai ce que vous auraient dit vos vraies mamans : Les pirates eux-mêmes écoutaient avec respect, et La Guigne s’écria nerveusement : — Je ferai ce que souhaite ma mère. Et toi, Zigue, que vas-tu faire ? Mais Crochet avait retrouvé sa voix et ordonna à Smee d’attacher Wendy au mât. Smee obéit. — Écoute, ma douce, souffla-t-il à la fillette, je te sauverai si tu me promets d’être ma mère. À mon regret, je dois dire qu’à ce moment-là, pas un garçon ne regardait de son côté. Tous les yeux étaient fixés sur la planche qui les attendait pour une brève et ultime promenade. Ils ne pensaient plus à leur vaillante promesse. Ils ne pensaient plus à rien. Ils regardaient, transis de peur. Crochet leur sourit, les dents serrées, et se dirigea vers Wendy dans l’intention de l’obliger à regarder les garçons s’avancer un par un sur la planche fatale. Mais il n’alla pas jusqu’à elle ; il n’entendit pas le cri d’angoisse qu’il avait espéré lui arracher. Un autre son vint frapper son oreille. Tic tac tic tac tic… Pirates, garçons, Wendy — tous l’entendirent et toutes les têtes se tournèrent dans la même direction, c’est-à-dire non vers la mer d’où provenait le bruit, mais vers Crochet. Chacun savait que ce qui allait arriver ne concernait plus que lui ; d’acteurs, ils redevenaient spectateurs. Le capitaine était affreusement changé, disloqué, comme si on lui avait déboîté toutes les articulations. Il s’affaissa en un petit pas. Le tic-tac se rapprochait régulièrement, précédé de ce pronostic effrayant : « Le crocodile se prépare à grimper à bord. » Même la griffe de fer pendait, inerte, comme consciente que l’ennemi ne lui en voulait pas à elle, intrinsèquement. Ainsi abandonné de tous, un autre homme que Crochet se fût laissé aller au désespoir, gisant les yeux fermés à l’endroit même de sa chute. Mais le cerveau surhumain de Crochet luttait encore et, sur ses directives, le capitaine se traîna à genoux le long du pont, fuyant le plus loin possible de ce tic-tac. Les pirates lui ouvrirent respectueusement le passage. Quand il eut atteint le bastingage, il s’écria d’une voix rauque : — Cachez-moi ! On l’entoura aussitôt ; tous les yeux se détournèrent de la créature qui montait à bord. Nul n’avait l’intention de lutter contre elle. C’était le Destin. Lorsque Crochet eut entièrement disparu, la curiosité délia les membres des garçons qui se ruèrent de l’autre côté du bateau pour voir le crocodile grimper à bord. Alors ils eurent la plus étrange surprise que leur réservait cette Nuit des Nuits. Ce n’était pas le crocodile qui venait à leur secours, mais… Peter. Il leur fit signe de se retenir de crier d’admiration, pour ne pas éveiller les soupçons de l’ennemi. Et il continua à tictaquer.
Chapitre 15 : «À nous deux, capitaine Crochet» Il nous arrive à tous d’étranges choses, sur le chemin de la vie, sans que nous y prenions garde tout de suite. Ainsi, par exemple, nous découvrons subitement que, depuis un laps de temps indéterminé, disons une demi-heure, nous n’y entendons plus que d’une oreille. C’est le genre d’expérience que fit Peter cette nuit-là. Quand nous l’avons vu pour la dernière fois, il traversait furtivement l’Île, un doigt sur les lèvres, et le poignard prêt à frapper. Lorsque le crocodile le dépassa, il ne remarqua rien de particulier ; ce n’est qu’un peu plus tard qu’il se souvint de ne pas avoir entendu son tic-tac familier. Il trouva d’abord ce fait inquiétant, puis conclut avec raison que le réveil avait dû s’arrêter. Sans se demander un instant ce que peut éprouver une créature brutalement privée de son plus intime compagnon, Peter réfléchit à la façon dont il pourrait utiliser la catastrophe à son propre avantage ; et il décida de faire tic-tac afin que les bêtes sauvages, le prenant pour le crocodile, le laissent passer sans encombre. Il tictaquait à merveille, mais le résultat fut inattendu. Le crocodile étant de ceux qui l’entendirent se mit à le suivre, soit dans le but de récupérer ce qu’il avait perdu, soit simplement comme un ami qui croit de nouveau faire tic-tac (on ne le saura jamais), car, comme tous les gens esclaves d’une idée fixe, c’était une créature stupide. Peter atteignit le rivage sain et sauf, et poursuivit sa route ; ses jambes entrèrent dans l’eau comme si elles ignoraient qu’elles pénétraient dans un élément différent. Ainsi font un grand nombre d’animaux qui passent de la terre au milieu aquatique, mais pas un humain de ma connaissance. Tout en nageant, Peter n’avait qu’une seule pensée : « Cette fois, ce sera Crochet ou moi ! » Il s’était tellement habitué à son tic-tac qu’il le faisait machinalement maintenant, sans même s’en rendre compte. S’en serait-il aperçu qu’il aurait cessé aussitôt, car il ne lui vint pas à l’esprit d’aborder le navire en se servant de ce tic-tac — encore que ce procédé soit ingénieux. Au contraire, il fut persuadé qu’il avait escaladé le flanc du brick sans faire plus de bruit qu’une souris. Aussi fut-il tout surpris de voir les pirates trembler devant lui, et Crochet au milieu d’eux, aussi pitoyable que s’il entendait le crocodile. Le crocodile ! Peter n’eut pas plus tôt pensé à lui qu’il entendit son tic-tac, et il jeta un bref coup d’œil derrière lui. Puis il réalisa qu’il était lui-même l’auteur de ce bruit et saisit en un éclair toute la situation. « Comme je suis intelligent ! » se dit-il tout en faisant signe aux garçons de garder leurs applaudissements pour plus tard. À ce moment, Ed Teynte le quartier-maître surgit du gaillard d’avant et s’avança sur le pont. À présent, lecteur, regarde ta montre et chronomètre l’action. Peter frappe juste et fort. De ses mains, John bâillonne l’infortuné pirate et étouffe son cri d’agonie. Celui-ci s’effondre en avant. Quatre garçons se précipitent et amortissent le bruit de sa chute. Peter donne le signal et le cadavre est jeté par-dessus bord. Un plouf ! puis le silence. Combien cela a duré ? — Et d’un ! dit La Plume. (Le compte a commencé.) Peter disparut sur la pointe des pieds dans la cabine. Il était temps car plus d’un pirate prenait son courage à deux mains pour regarder autour de soi. Chacun percevait maintenant le souffle haletant de l’autre, ce qui prouvait que le terrible son avait cessé. — Il est parti, capitaine, dit Smee en essuyant ses lunettes. Tout est calme. Lentement, Crochet sortit la tête de dessous sa fraise, et tendit si fort l’oreille qu’il aurait pu ouïr l’écho du tic-tac. N’entendant rien, il se remit fermement sur ses pieds. Car à présent que les garçons l’avaient vu mollir, il les haïssait plus que jamais. Et il entonna l’infâme couplet que voici : « Yo ho, yo ho, la jolie planche ! Promenons-nous à petits pas Jusqu’à ce qu’elle penche et nous envoie Boire à la grande tasse ! » Pour terroriser davantage ses prisonniers, et bien que sa dignité en pâtit, il se mit à danser sur une planche imaginaire tout en chantant et grimaçant. Quand il eut fini, il lança : — Voulez-vous une caresse du chat à neuf queues, avant de marcher sur la planche ? Tous tombèrent à genoux. — Non ! non ! supplièrent-ils d’une voix lamentable qui amena un sourire sur la face cruelle des pirates. La cabine ! Peter aussi était dans la cabine ! Les enfants échangèrent un regard. — On y va ! répondit gaiement le Truand à son capitaine Les garçons le suivirent des yeux tandis qu’il pénétrait dans la cabine ; ils s’aperçurent à peine que Crochet avait repris sa chanson, accompagné de ses chiens serviles « Yo ho, yo ho, le chat griffu ! N’oubliez pas qu’il a neuf queues, Et quand elles écrivent sur votre dos… » La suite, on ne la saura jamais, car un hurlement horrible jailli de la cabine interrompit les chanteurs. La plainte se répandit sur le pont avant de se perdre au loin. Un chant de victoire lui succéda, que les garçons connaissaient fort bien, et qui effraya les pirates plus encore que le hurlement. — Qu’était-ce ? demanda Crochet. Après une minute d’hésitation, l’italien Cecco s’élança dans la cabine. Il en ressortit chancelant et hagard. Eh bien, chien ! qu’est-il arrivé au Truand ? siffla Crochet en se campant devant lui. — Il lui est arrivé qu’il est mort, poignardé ! dit Cecco d’une voix blanche. L’air de jubilation des garçons, les regards de détresse des pirates, rien de tout cela n’échappa à Crochet. — Cecco, dit-il de son ton le plus ferme, retourne à la cabine, et ramène-moi ce chanteur de cocoricos ! Cecco, le brave des braves, refusa en tremblant ; mais Crochet caressait sa griffe d’un air sinistre. — Tu as bien dit que tu irais, Cecco ? dit-il rêveusement. Cecco partit en levant les bras de désespoir. Cette fois, plus de chant, tous écoutaient. De nouveau s’éleva un cri d’agonie, puis un autre de victoire. Personne ne souffla mot, sauf La Plume. — Et de trois ! dit-il. D’un geste, Crochet rassembla ses troupes. — Stupides harengs saurs ! tonna-t-il. Lequel d’entre vous va me ramener ce pousseur de cocoricos ? Une mutinerie ? demanda Crochet plus aimable que jamais. Et Starkey mène le bal ! — Pitié, capitaine, gémit Starkey tremblant des pieds à la tête. Il saisit une lanterne et brandissant son crochet d’un air menaçant : — J’irai moi-même chercher cet animal ! dit-il. Et il entra résolument dans la cabine. « Et de cinq ! » Oh ! comme La Plume trépignait d’impatience. Il s’humecta les lèvres pour être prêt à le dire, mais Crochet ressortit de la cabine en titubant, et sans sa lanterne. — Quelque chose a soufflé la flamme, dit-il d’une voix mal assurée. Son peu d’empressement à retourner dans la cabine impressionna défavorablement l’équipage, et de nouveaux appels à la mutinerie s’élevèrent. Tous les pirates sont superstitieux. Et Cookson observa . — On dit que le signe le plus sûr pour reconnaître un bateau maudit, c’est quand il y a à bord une personne de plus qu’on n’en peut compter. J’ai entendu dire, marmonna Mullins, jours les bateaux pirates qu’ « il » hante tout près de leur fin. Avait-il une queue, capitaine ? On dit que quand « il » vient, ajouta un troisième avec un regard de haine pour Crochet, « il » prend l’apparence du plus méchant des hommes qui se trouvent à bord. Avait-il un crochet ? railla insolemment Cookson. Et l’un après l’autre, tous répétèrent : Ce navire est voué à sa perte. Sur ce, les enfants ne purent s’empêcher de pousser des hourras. Crochet avait presque oublié ses prisonniers ; alors qu’il se balançait d’un pied sur l’autre en tournant autour d’eux, son regard s’alluma soudain. — Les gars ! lança-t-il à l’équipage, j’ai une idée. Ouvrez la porte de la cabine, et poussez les gamins là-dedans. Qu’ils se débrouillent avec le chanteur de cocoricos. S’ils le tuent, tant mieux pour nous ; s’il les tue, tant pis pour eux et ce n’est pas mal pour nous. Pour la dernière fois, ces chiens rampants admirèrent leur capitaine et exécutèrent fidèlement ses ordres. Les garçons, feignant de se regimber, furent poussés à l’intérieur de la cabine dont la porte se referma sur eux. — Et maintenant, écoutons ! cria Crochet. Tous écoutèrent, sans que personne osât regarder la porte. Si, une seule osa, Wendy, qui pendant tout ce temps était restée attachée au mât. Elle ne s’attendait ni à un cri d’agonie ni à un cocorico de triomphe, mais à voir réapparaître Peter. Elle n’attendit pas longtemps. Peter avait enfin trouvé ce qu’il cherchait : la clef qui libérerait les enfants de leurs chaînes. Quand ils se glissèrent hors de la cabine, armés de toutes les armes qu’ils avaient pu dénicher, Peter leur fit signe de se tenir cachés jusqu’à ce qu’il eût coupé les liens qui retenaient Wendy. Ce fut tôt fait et alors, rien n’eût été plus facile que de s’envoler tous ensemble. Oui, mais voilà : le défi de Peter, « À nous deux, capitaine Crochet ! », leur barrait la route. Peter souffla à l’oreille de Wendy d’aller se cacher avec le reste de la bande et lui-même prit sa place au pied du mât, enveloppé dans le manteau de la fillette. Alors, prenant sa respiration, il poussa son cocorico de victoire. Les pirates crurent pour le coup que tous les garçons gisaient morts dans la cabine. Crochet essaya de ranimer leur courage. Mais il avait fait d’eux des chiens, et ces chiens lui montraient leurs crocs. S’il détournait les yeux, ils lui sauteraient dessus. — Les gars, reprit-il, prêt à cajoler ou à frapper selon les besoins de la cause mais sans abdiquer le moins du monde, je sais ce que c’est. Il y a un oiseau de malheur à bord. Ils se précipitèrent vers ce qu’ils croyaient être Wendy. — Plus personne ne peut vous sauver, mam’zelle ! railla Mullins. Si ! répondit le personnage emmitouflé dans le manteau. — Qui donc ? L’instant d’après, tout le navire retentissait du cliquetis des armes. Si les pirates s’étaient regroupés, ils auraient pu remporter la victoire. Mais l’assaut leur avait fait perdre la tête, et ils couraient çà et là, frappant au hasard, chacun se croyant le dernier survivant de l’équipage ; à un contre un, ils étaient les plus forts, mais comme ils se bornaient à se défendre, cela permettait aux garçons de chasser par paire et de choisir leur proie. Certains de ces scélérats se jetaient à la mer ; d’autres se cachaient dans des coins sombres où La Plume, qui ne combattait pas, allait les dénicher avec une lanterne qu’il leur braquait en plein visage, de sorte qu’à moitié aveuglés, ils faisaient des victimes toutes prêtes pour les épées fumantes des autres garçons. On n’entendait que le fracas des armes, de temps à autre un cri de douleur ou un plouf !, et La Plume comptant d’un ton monocorde — cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze. Lorsqu’il n’en resta plus un seul à bord, un groupe de garçons pleins d’ardeur entoura Crochet qui sembla ravi de l’aubaine tandis qu’il les tenait à distance dans son cercle de feu. Ils étaient venus à bout de ses hommes, mais à lui seul il était de taille à lutter contre eux tous. Chaque fois qu’ils revenaient à la charge, il les repoussait loin de lui. Il avait soulevé un garçon avec son crochet et s’en servait comme d’un bouclier, lorsqu’un autre, qui venait de passer son épée au travers de Mullins, se jeta dans la mêlée. — Levez vos épées, les gars ! s’écria le nouveau venu, cet homme m’appartient ! Et Crochet se trouva soudain face à face avec Peter. Les autres reculèrent et formèrent . un cercle autour d’eux. Les deux adversaires échangèrent un long regard ; Crochet frissonnait légèrement, et Peter arborait son étrange sourire. — Ainsi, Pan, dit enfin Crochet, tout ceci est ton œuvre ! Sans échanger d’autres paroles, ils se mirent à l’ouvrage, et pendant un moment, il n’y eut d’avantage ni d’un côté ni de l’autre. Peter était un magnifique escrimeur, et parait les coups avec une rapidité foudroyante ; il feintait, puis allongeait une botte qui surprenait la défense adverse. Malheureusement, la portée insuffisante de ses coups le handicapait puisqu’il ne pouvait toucher l’ennemi. Crochet, aussi brillant sinon aussi preste dans le jeu du poignet, le forçait à reculer sous l’élan de ses assauts, espérant en finir rapidement grâce à une botte secrète que lui avait enseignée Barbecue, autre fois à Rio. Mais à son vif désappointement, la botte fut détournée à chacune de ses tentatives. Il voulut alors frapper le coup de grâce avec son crochet de fer qui déchirait l’air. Peter esquiva, se faufila par-dessous, et allongea un coup décisif qui transperça le capitaine entre les côtes. À la vue de son propre sang, dont — vous vous en souvenez — la couleur peu ordinaire lui était insupportable, l’épée tomba de sa main et il se trouva à la merci de Peter. — Achève-le ! crièrent les garçons. Mais d’un geste sublime, Peter invita son ennemi a ramasser son épée. Crochet ne se le fit pas dire deux fois, avec cependant le sentiment tragique que Peter lui donnait une leçon de savoir-vivre. Jusque-là, il croyait combattre un démon, mais de plus sombres soupçons l’assaillirent. — Qui es-tu donc, Pan ? cria-t-il. Cette réponse absurde prouvait néanmoins que Peter n’avait pas la moindre idée de ce qu’il était, ce qui est le degré suprême du bon ton. — En garde ! cria Crochet, désespéré. Il combattait à présent comme une faux faite homme, chaque coup de sa terrible lame eût coupé en deux n’importe quel adversaire, adulte ou enfant. Mais Peter voltigeait autour de lui, comme si le vent des épées fendant l’air le chassait hors de la zone de danger. Et il pointait, piquait, sans trêve. Crochet se sentit perdu. Ce cœur passionné ne demandait plus à battre. Il ne sollicitait plus qu’une faveur avant de se glacer pour toujours voir Peter commettre une vilenie. Abandonnant la lutte, il se rua vers la soute aux munitions et y mit le feu. — Dans deux minutes, s’écria-t-il, le bateau explosera ! « Pour le coup, le naturel va revenir au galop ! » présumait-il. Mais Peter sortit de la soute tenant la mèche enflammée dans ses mains et la jeta par-dessus bord. Crochet lui-même, comment se comportait-il en cet instant suprême ? Si corrompu qu’il fût, nous nous réjouissons, sans pour autant sympathiser avec lui, qu’il sût finir en beauté, fidèle aux traditions de sa race. Les garçons volaient autour de lui, moqueurs et méprisants. Tandis qu’il titubait sur le pont, distribuant au hasard des coups impuissants, son esprit n’était plus avec eux ; il était affalé sur les terrains de jeu d’antan, renvoyé définitivement et surveillant la partie comme un joueur sur la touche, mais quelle touche ! Ses souliers étaient corrects, son gilet était correct, son nœud de cravate, ses bas étaient corrects. Adieu, ô Jacques Crochet, nous te saluons, bien que tu ne sois pas tout à fait un héros ! Car le voici arrivé à son heure dernière. Alors que Peter volait lentement vers lui, le poignard levé, il sauta par-dessus le bastingage et plongea dans les flots. Il ignorait que le crocodile l’y attendait ; c’est exprès que nous avons arrêté le réveil, afin de lui épargner cette information douloureuse : n’est-ce pas la moindre des choses que de lui témoigner quelque respect au moment de son trépas ? Il eut un dernier triomphe que nous lui reconnaîtrons sans lésiner. Comme il enjambait le bastingage, d’un geste il invita Peter à se servir de son pied plutôt que de son poignard. De sorte qu’au lieu de frapper, Peter shoota. Crochet avait obtenu la faveur qu’il désirait tant ! — Choquant ! s’écria-t-il joyeusement, et il se livra d’un cœur content au crocodile. Ainsi périt Jacques Crochet. — Dix-sept ! proclama La Plume. Mais il se trompait dans ses calculs. Quinze seulement payèrent pour leurs crimes cette nuit là et deux purent regagner le rivage. Starkey qui devait être capturé par les Peaux-Rouges et condamné à leur servir de bonne d’enfants, mélancolique dégringolade pour un pirate ; et Smee, qui désormais erra à travers le monde en lunettes, gagnant une maigre subsistance à prétendre qu’il était le seul homme que Jacques Crochet eût jamais craint. Pendant ce temps-là, Wendy s’était tenue en dehors du combat, regardant Peter avec des yeux brillants. Maintenant que tout était terminé, elle retrouva son importance. Elle les admirait tous également, et frissonna délicieusement quand Michael lui montra la place où il avait tué un pirate. Puis elle les amena dans la cabine de Crochet, et pointant un doigt vers la montre du défunt capitaine, suspendue à un clou : — Une heure et demie ! dit-elle. L’heure tardive lui importait plus que le reste. Rapidement, elle les installa dans les couchettes des pirates, et nous pouvons être sûrs que cela ne traîna pas. Peter eut le droit d’arpenter le pont jusqu’à ce qu’il s’endormît au pied du canon. Un de ses cauchemars vint le visiter, il pleura longtemps dans son sommeil, et Wendy dut le serrer bien fort contre elle.
Chapitre 16 : Le retour Deux coups de cloche, ce matin-là, les invitèrent à agiter leurs guiboles, car la mer était grosse. La Guigne, promu maître d’équipage, était avec eux, un bout de corde à la main et une chique de tabac dans la bouche. Tous avaient revêtu les habits de pirates raccourcis jusqu’aux genoux, s’étaient rasés de frais, et déambulaient sur le pont d’une démarche authentiquement chaloupée en remontant leurs pantalons. Inutile de dire qui était le capitaine. Quant à Bon Zigue et John, ils étaient respectivement premier et deuxième seconds. Il y avait une femme à bord. Le reste n’était que simples mathurins et se tenait sur le gaillard d’avant. Peter ne lâchait plus la barre, mais il rassembla l’équipage pour lui adresser une brève allocution. Il espérait que tous feraient leur devoir comme de vaillants petits gars, mais il ne se cachait pas qu’ils étaient le rebut de Rio et de la Côte de l’Or, et les prévint que s’ils essayaient de le mordre, il les déchirerait sans pitié. Ce langage rude alla droit au cœur des matelots qui l’acclamèrent vigoureusement. Quelques ordres secs furent donnés, et ils firent virer de bord le navire en direction du continent. Après avoir consulté la carte, le capitaine Pan calcula que, si ce temps se maintenait, ils atteindraient les Açores aux environs du 21 juin, après quoi ils auraient tout loisir pour finir le voyage en volant. Certains souhaitaient que le navire rentrât dans la légalité, d’autres voulaient qu’il reste un bateau pirate ; mais le capitaine les traitait comme des chiens, et ils n’osaient lui exprimer leurs vœux, pas même par pétition. Il était plus sûr de s’en tenir à une stricte obéissance. La Plume eut droit à une douzaine de coups de fouet pour avoir eu l’air perplexe alors qu’on lui ordonnait de relever la sonde. D’après l’opinion générale, Peter se conduisait pour l’instant de façon correcte uniquement pour endormir les soupçons de Wendy, mais on sentait qu’il ne tarderait pas à changer d’attitude, dès que serait prêt le nouveau costume que la fillette lui taillait contre son gré dans les plus méchants habits de Crochet. Par la suite, la rumeur courut que la première nuit où il porta ce costume, il resta longtemps assis dans la cabine, le porte-cigares de Crochet aux lèvres, et tous les doigts d’une main repliés, à l’exception de l’index qu’il tenait recourbé en l’air de façon menaçante, comme un crochet. Au lieu d’observer le bateau, cependant, nous ferions mieux maintenant de retourner au foyer déserté depuis si longtemps par nos trois sans-cœur. Honte à nous d’avoir si complètement négligé le N° 14 ; pourtant, nous sommes certains que Mme Darling ne nous en blâmera pas. Si nous étions revenus plus tôt pour lui témoigner notre compassion, elle nous aurait probablement crié : « Ne faites pas l’idiot ! Est-ce que je compte, moi ? Retournez là-bas et ayez l’œil sur les enfants ! » Aussi longtemps que les mères se conduiront ainsi, leurs enfants en profiteront, et elles ne peuvent que s’y résigner. Aussi nous aventurons-nous dans cette chambre familière uniquement parce que ses occupants légaux sont déjà sur le chemin du retour. Nous les devançons simplement pour nous assurer que les lits sont tout prêts et que M. et Mme Darling n’ont pas l’intention de sortir le soir. Nous ne sommes rien de plus que des serviteurs. Mais enfin, pourquoi les lits seraient-ils tout prêts, alors que leurs propriétaires les ont quittés avec une si ingrate précipitation ? Ils seraient bien attrapés si, en rentrant, ils découvraient que leurs parents sont partis à la campagne. Telle est la leçon qu’ils méritent depuis que nous les avons rencontrés. Mais si nous arrangions les choses de cette façon, Mme Darling ne nous le pardonnerait jamais. Par-dessus tout, ce que nous aimerions faire, ce serait de lui dire, à elle, à la manière dont le font les auteurs, que les enfants sont en route et arriveront jeudi en huit. Cela gâcherait complètement la surprise que Wendy, John et Michael ont projetée. Ils ont tout réglé sur le bateau : le bonheur de maman, le cri de joie de papa, les bonds en l’air de Nana qui veut être la première à les embrasser, alors qu’ils feraient mieux de se préparer à une bonne raclée. Ah ! que ce serait exquis de leur gâcher ce plaisir en révélant la nouvelle à l’avance ! De sorte que, lorsqu’ils feraient leur entrée solennelle, Mme Darling n’offrirait pas même un baiser à Wendy, et que M. Darling s’exclamerait d’un ton bougon : « Zut alors ! voilà encore les garçons ! » Mais nous n’obtiendrions pas un remerciement pour ça. Nous commençons à connaître Mme Darling, depuis le temps, et sommes sûrs qu’elle nous reprocherait de priver les enfants de leur petit plaisir. Mais, chère madame, jeudi en huit, c’est seulement dans dix jours. En vous prévenant dès maintenant, nous vous épargnons dix jours de tristesse ! — Oui, mais à quel prix ! En frustrant les enfants de dix minutes de joie. Vous le voyez, cette femme n’a pas de caractère. Nous qui avions l’intention de dire des choses extraordinairement gentilles à son sujet, nous la méprisons et garderons nos louanges pour nous. A-t-elle vraiment besoin qu’on lui dise de tenir tout prêt, quand tout est déjà prêt ? Les lits sont faits, elle ne quitte jamais la maison, et, notez-le bien, la fenêtre est ouverte. Puisque nous ne lui servons à rien, autant retourner sur le bateau. Toutefois, nous sommes ici, alors restons-y et regardons. Voilà ce que nous sommes, de simples spectateurs. Puisque personne n’a vraiment besoin de nous, contentons-nous d’observer et tâchons de dire des choses vexantes dans l’espoir que quelques-unes blesseront. Le seul changement qui se remarque dans la chambre des enfants, c’est qu’entre neuf heures du matin et six heures du soir, la niche ne s’y trouve pas. Lorsque les enfants s’envolèrent, M. Darling eut le sentiment que tout le blâme retombait sur lui pour avoir enchaîné Nana qui, du début jusqu’à la fin, s’était montrée plus raisonnable que lui. Nous l’avons constaté, c’était un homme tout simple. Il aurait même pu passer pour un garçon, s’il avait pu se guérir de sa calvitie. Mais, par ailleurs, il avait le sens de la justice, et un courage de lion pour accomplir ce qu’il croyait être son devoir. Ayant longuement réfléchi à toute l’affaire après le départ des enfants, il se mit à marcher à quatre pattes et S’introduisit en rampant dans la niche. Mme Darling eut beau tendrement l’inviter à sortir de là, il lui opposa chaque fois une réponse triste mais ferme : — Non, chère mienne, c’est la place qui me revient. Pris d’amers remords, il jura qu’il ne quitterait pas la niche tant que les enfants ne seraient pas de retour. Cela faisait pitié à voir, bien sûr. Mais M. Darling, quoi qu’il fit, poussait tout à l’extrême ; sinon, il laissait rapidement tomber. Jamais il n’y eut homme plus humble que George Darling, lui naguère si orgueilleux, alors qu’il se tenait le soir dans sa niche, et bavardait avec sa femme de leurs enfants et de leurs habitudes charmantes. À l’égard de Nana, il faisait preuve d’une sollicitude touchante. Il ne lui aurait jamais permis de revenir dans sa niche, mais pour le reste, il faisait ses quatre volontés. Chaque matin, la niche avec M. Darling dedans était portée jusqu’à un fiacre qui les emmenait au bureau et les ramenait à six heures à la maison de la même façon. On mesurera la force de caractère qu’il fallait à cet homme, si l’on se souvient combien il était sensible à l’opinion de ses voisins, lui dont chaque mouvement suscitait à présent une curiosité étonnée. Intérieurement, il devait souffrir le martyre ; mais il affichait une calme dignité, même quand de jeunes personnes Critiquaient sa petite maison, et soulevait poliment son chapeau chaque fois qu’une dame regardait à l’intérieur. Cela aurait pu être grotesque, en vérité c’était plein de grandeur. Bientôt on comprit le sens profond de sa conduite, et le cœur généreux du public s’en émut. Des cohortes de badauds suivaient son fiacre, en l’acclamant chaudement ; de charmantes jeunes filles le prenaient d’assaut pour réclamer un autographe. Des interviews parurent dans les meilleurs journaux, les gens bien l’invitaient à dîner et ajoutaient : — Soyez gentil, venez dans votre niche. Au cours de cette semaine si fertile en événements, Mme Darling attendait le retour de George, assise dans la chambre des enfants. Elle autrefois si guillerette, on eût dit la tristesse en personne. Toute sa gaieté s’était évanouie du fait de la perte de ses enfants. Et nous ne nous sentons plus la force de l’accabler de nos sarcasmes. Si elle aimait trop ces fichus gamins, après tout pouvait-elle s’en empêcher ? Regardez-la, elle s’est endormie sur sa chaise. Le coin de sa bouche, la première chose que l’on regarde, est presque flétri. Sa main étreint nerveusement son cœur, comme s’il lui faisait mal. Certains préfèrent Peter, d’autres Wendy ; nous, c’est elle que nous préférons. Supposons que, pour lui faire plaisir, nous lui murmurions dans son sommeil que les moutards vont bientôt revenir. Ils ne sont plus qu’à quelques kilomètres de la fenêtre maintenant, et ils volent ferme, mais nous ne le dirons pas, nous murmurerons seulement qu’ils sont en route. Rien que cela… Dommage, nous n’aurions pas dû ! car Mme Darling a sursauté, appelant ses enfants par leur nom, et il n’y a personne dans la pièce sauf Nana. — Oh Nana ! j’ai rêvé que mes chéris étaient de retour. Nana a les yeux embués de larmes. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de poser gentiment la patte sur les genoux de sa maîtresse. À ce moment arrive la niche. M. Darling passe la tête au-dehors pour embrasser sa femme. Son visage est plus las que naguère, mais son expression est plus douce. Il tend son chapeau à Liza qui le prend avec mépris. Cette fille n’a aucune imagination, elle est incapable de comprendre les motifs d’un tel homme. Au-dehors, la foule qui a accompagné le fiacre jusqu’à la porte continue à pousser des acclamations. Naturellement, M. Darling ne peut y rester insensible. — Écoutez, dit-il. C’est tout de même réconfortant. Liza hausse les épaules, mais M. Darling n’a pas un mot de reproche. Ses succès mondains n’ont pas gâté son caractère, ils l’ont adouci. Pour le moment, il est assis moitié dans la niche, moitié au-dehors, et parle de ces succès avec sa femme. il lui presse la main pour la rassurer car elle craint que cela ne lui ait tourné la tête. — Comme j’ai été faible, soupire-t-il. Oh mon Dieu, comme j’ai été faible ! Mme Darling lui demande vivement pardon ; et, comme il sent qu’il s’assoupit, il se couche en rond dans la niche. — Joue-moi quelque chose pour m’endormir, s’il te plaît, la prie-t-il. M Darling se dirige vers le piano qui se trouve à côté, dans la salle de jeux, mais son mari ajoute étourdiment : À son tour, il lui demande pardon, et elle va se mettre au piano. Il ne tarde pas à s’endormir. Et, tandis qu’il dort, Wendy, John et Michael entrent en volant dans la chambre. Non, non ! Tel était bien le charmant programme qu’ils avaient prévu avant que nous quittions le bateau, c’est pourquoi nous l’avons écrit. Mais il a dû se passer quelque chose depuis lors, car à leur place ce sont Peter et Clochette qui entrent en volant. Les premiers mots de Peter expliquent tout. — Vite, Clo ! chuchote-t-il, ferme la fenêtre, mets la barre. Très bien. Il nous faudra repartir par la porte. Et quand Wendy arrivera, elle croira que sa mère ne veut plus d’elle. Elle sera obligée de s’en retourner avec moi. Maintenant nous comprenons ce qui n’avait cessé de nous intriguer jusque-là : pourquoi Peter, après avoir exterminé les pirates, est resté sur le bateau au lieu de rentrer dans l’Ile et de laisser Clo escorter les enfants sur le continent. Il avait mijoté sa ruse depuis le début. À présent, loin d’éprouver le moindre remords, il danse et saute de joie. Puis il jette un coup d’œil furtif dans l’autre pièce pour voir qui est en train de jouer. — C’est la maman de Wendy, souffle-t-il à Clochette. Elle est jolie, mais la mienne l’est davantage. Sa bouche est pleine de dés, mais pas autant que celle de ma maman. Il adore se vanter de sa mère, bien qu’il ignore tout d’elle, évidemment. Mme Darling est en train de jouer « Home, sweet home » ; Peter ne connaît pas cet air, mais il devine qu’il signifie : « Reviens, Wendy, Wendy, Wendy ». Et il lance, triomphant : — Vous ne reverrez jamais plus Wendy, madame, car la fenêtre est solidement bouclée. De nouveau, il jette un coup d’œil à côté, où la musique s’est tue ; il voit que M. Darling a posé sa tête sur le bois du piano, deux larmes perlent dans ses yeux. « Elle veut que j’enlève la barre, pense Peter, mais je ne le ferai pas, pas moi en tout cas ! » Un autre coup d’œil : les larmes sont toujours là, à moins que deux autres ne les aient remplacées. « Elle aime passionnément Wendy », se dit Peter et il lui en veut de ne pas comprendre qu’il ne peut pas lui rendre Wendy. La raison est pourtant simple: « Moi aussi, je l’aime passionnément. Nous ne pouvons l’avoir tous les deux,Madame. » Mais la dame n’a pas l’air de s’accommoder de cette raison, et Peter est malheureux. Même lorsqu’il cesse de la regarder, elle ne le laisse pas partir. Il sautille de-ci, de-là, fait des grimaces, mais quand il s’arrête, c’est comme si elle était en lui, frappant à la fenêtre. — Bon, ça va ! finit-il par dire, la gorge serrée. Et il enlève la barre de la fenêtre. Nous n’en voulons pas, de ces sottes mamans. Et il s’envole. Ce fut ainsi que Wendy, John et Michael trouvèrent malgré tout la fenêtre ouverte, et c’était plus qu’ils ne méritaient. Ils se posèrent sur le plancher sans la moindre vergogne. Le plus jeune des trois avait tout oublié de la maison. — John, dit-il en regardant autour de lui d’un air de doute, il me semble que je suis déjà venu ici. Et il se précipita pour regarder à l’intérieur. — Peut-être Nana est dedans ? demanda Wendy. John émit un sifflement de surprise. — Tiens ! dit-il, il y a un homme dans la niche. Quel coup pour lui si ç’avait été les premières paroles qu’il dût entendre de son petit Michael ! Wendy et John, quant à eux, étaient un peu déconcertés de découvrir leur père dans la niche. — Assurément, dit John comme quelqu’un qui ne se fie plus à sa mémoire, il n’avait pas l’habitude de dormir dans la niche. Tout de même, dit ce bandit de John, quelle insouciance de la part de maman ! Ne pas être là pour notre retour ! À ce moment, Mme Darling se remit à jouer. — C’est maman ! s’écria Wendy en jetant un coup d’œil. Mais une nouvelle aussi joyeuse devait être annoncée avec douceur et ménagement, pensa Wendy qui avait un meilleur plan. — Mettons-nous au lit ; ainsi, quand maman entrera dans la chambre, tout sera comme si nous n’étions jamais partis. En effet, quand Mme Darling revint dans la chambre s’assurer que son mari dormait, tous les lits étaient occupés. Les enfants s’attendaient à ce qu’elle pousse un grand cri, mais cela ne vint pas. Elle les vit, mais ne crut pas qu’ils étaient là. Elle les avait vus si souvent dans leurs lits, en rêve, qu’elle crut tout simplement que son rêve revenait la hanter. Elle s’assit dans sa chaise près du feu, où elle les avait si souvent bercés dans ses bras. Ils ne comprenaient plus, et la peur les étreignit tous trois. — Maman ! cria Wendy. Mais si, ils les serrèrent ! Ils entourèrent Wendy, John, Michael, qui avaient bondi hors du lit pour se jeter contre elle. — George ! George ! cria Mme Darling lorsqu’elle put parler. Et M. Darling s’éveilla pour partager son bonheur, et Nana entra en trombe. On n’aurait pu rêver plus charmant tableau, mais il n’y avait personne pour le voir, si ce n’est un étrange garçon qui regardait derrière la fenêtre. Il lui arrivait de connaître des félicités inouïes, interdites aux autres enfants, mais, en ce moment, il regardait à travers la vitre la seule joie qui lui était à jamais refusée.
Chapitre 17 : Bien des ans ont passé… J’espère que vous souhaitez savoir ce qu’il advint des autres garçons. Ils attendaient au rez-de-chaussée, pour laisser à Wendy le temps de s’expliquer à leur sujet ; et, quand ils eurent compté jusqu’à cinq cents, ils montèrent. Ils montèrent par l’escalier, pensant que cela ferait meilleure impression. Ils s’alignèrent en rang devant Mme Darling, tête nue, et auraient donné cher pour ne pas être habillés en pirates. Ils se taisaient mais leurs yeux parlaient pour eux et imploraient Mme Darling de les garder. Ils auraient dû regarder également M. Darling, mais ils oublièrent de le faire. Naturellement, M Darling dit aussitôt qu’elle les garderait. Mais M. Darling semblait bizarrement démoralisé et ils virent bien que six, pour lui, était un bien grand nombre. — Je dois reconnaître, dit-il à Wendy, que tu ne fais pas les choses à moitié. Remarque mesquine que les Jumeaux prirent pour eux. Le premier des Jumeaux ne manquait pas de fierté, et dit en rougissant : — Si vous nous trouvez encombrants, monsieur, nous pouvons nous en aller. Mais l’orage grondait encore au-dessus de lui : il savait qu’il se conduisait mal mais ne pouvait s’en empêcher. — Nous pourrions dormir pliés en deux, suggéra Bon Zigue. Alors M. Darling fondit en larmes et la vérité éclata. Il était aussi heureux qu’ elle de les garder, dit-il, mais on aurait pu, à son avis, lui demander aussi son consentement, au lieu de le traiter comme un zéro sous son propre toit. — Je ne trouve pas qu’il soit un zéro ! s’écria aussitôt La Guigne. Et toi, Le Frisé ? Il s’avéra qu’aucun d’eux ne le regardait comme une nullité ; ridiculement satisfait, il déclara qu’il trouverait de la place pour eux tous dans le salon, à condition qu’ils puissent y tenir. Nous y tiendrons, assurèrent-ils. En ce cas, suivez le guide ! lança-t-il gaiement. Je vous préviens, je ne suis pas certain que nous ayons un salon, mais nous faisons semblant d’en avoir un, ce qui revient au même. Hop là ! Il partit en dansant à travers la maison, tous crièrent hop là ! et dansèrent à sa suite, à la recherche du salon. Je ne sais plus s’ils le trouvèrent. En tout cas, ils trouvèrent des recoins où ils tinrent très bien. Quant à Peter, il revit encore une fois Wendy avant de s’envoler. Il ne vint pas exactement à la fenêtre, mais il la frôla en passant, de sorte que, si Wendy voulait, elle pût ouvrir et l’appeler. Ce qu’elle fit. — Salut, Wendy, au revoir, dit-il. Et… tu n’as pas envie de dire quelques mots à mes parents, au sujet de… d’une question délicate ? — Non. Mme Darling s’approcha de la fenêtre, car elle surveillait désormais sa Wendy d’un œil vigilant. Elle dit à Peter qu’elle adoptait les garçons perdus et qu’elle le garderait volontiers, lui aussi. — Et vous m’enverriez à l’école ? s’enquit-il prudemment. Et Mme Darling lui tendit les bras, mais il la repoussa. — Arrière, ma bonne dame ! Personne ne m’aura ! personne ne fera de moi un homme ! Peter promit de ne pas oublier, et il s’envola. Il emporta avec lui le baiser de Mme Darling. Ce baiser que personne n’avait pu prendre, ce fut Peter qui le ravit, et sans aucune difficulté. Bizarre, n’est-ce pas ? Et elle n’eut même pas l’air fâchée. Bien entendu, tous les garçons durent aller à l’école. La plupart entrèrent en troisième, mais La Plume fut d’abord mis en quatrième, puis en cinquième. La première étant le niveau le plus élevé. Au bout d’une semaine d’école, ils comprirent combien ils avaient été bêtes de ne pas rester dans 1’lle, mais c’était trop tard ; bientôt ils se rangèrent et devinrent aussi ordinaires que vous ou moi ou Dupont junior. Chose triste à dire, ils perdirent peu à peu le don de voler. Au début, Nana les attachait par les pieds aux barreaux du lit, pour qu’ils rie s’envolent pas pendant la nuit ; le, jour, une de leurs distractions favorites était de faire semblant de tomber de l’autobus. Mais petit à petit, ils cessèrent de tirer sur leurs liens, au lit, et s’aperçurent qu’il était douloureux de choir d’un autobus. À la fin, ils ne savaient même plus voler après leur chapeau. Ils appelaient ça manquer d’exercice, mais en vérité, cela voulait dire qu’ils n’y croyaient plus. Michael y crut plus longtemps que les autres, en dépit des railleries que cela lui attirait. Aussi était-il présent quand Peter vint chercher Wendy à la fin de la première année. Elle s’envola dans la robe même qu’elle avait tissée au pays de l’imaginaire avec des feuilles et des baies sauvages. Sa seule crainte était qu’il remarquât combien la robe était devenue courte, mais il n’y fit pas attention, tant il avait à dire à propos de lui-même. Elle avait espéré qu’ils frissonneraient ensemble au souvenir du bon vieux temps, mais de nouvelles aventures avaient chassé les anciennes de son esprit. — Qui est le capitaine Crochet ? demanda-t-il avec curiosité quand elle lui parla de l’ex-ennemi numéro un. Quand, sans trop y croire, elle demanda si la fée Clo serait heureuse de la revoir, il répondit : — Qui est la fée Clo ? Mais elle eut beau lui expliquer, il avait tout oublié. — Tu comprends, dit-il, elles sont si nombreuses. Je suppose que celle-là est morte. Sans doute avait-il raison, car les fées vivent peu longtemps, mais elles sont si petites qu’un temps très court leur semble une éternité. Wendy eut encore le chagrin de découvrir que pour Peter, l’an passé était plus proche qu’hier. Cette année lui avait semblé si longue, à elle. Mais il était plus séduisant que jamais et le nettoyage de printemps de la hutte dans les arbres se déroula délicieusement. L’année suivante, il ne fut pas au rendez-vous. Elle l’attendit, vêtue d’une robe neuve car l’ancienne n’eût pas été convenable. Mais il ne vint pas. — Il est peut-être malade, dit Michael. Michael se rapprocha et lui chuchota, avec un frisson — Et s’il n’existait pas ? Wendy se serait mise à pleurer si Michael ne l’avait devancée. Peter revint l’an d’après et, chose curieuse, il ne se rendait pas compte qu’il avait sauté une année. Ce fut la dernière fois que Wendy, fillette, le vit. Pendant quelque temps encore, elle essaya de ne pas éprouver de trop gros chagrins pour l’amour de lui ; puis elle sentit qu’elle le trahissait le jour où elle obtint le prix d’excellence. Mais les années passèrent sans ramener l’insouciant infidèle. Lorsque enfin ils se revirent, Wendy était une femme mariée et Peter n’était plus pour elle qu’un peu de poussière sur le coffre où elle avait conservé ses jouets. Wendy était devenue une grande personne. Inutile de gémir sur son sort. Elle était de celles qui aiment grandir, et finit même par devenir adulte de son propre gré, un jour plus tôt que les autres filles. Entre-temps, tous les garçons étaient devenus des adultes rassis, aussi cela ne vaut-il guère la peine de s’étendre sur leur compte. Vous pourriez voir chaque jour les Jumeaux, Bon Zigue et Le Frisé se rendre au bureau, chacun portant une serviette et un parapluie. Michael conduit une locomotive ; La Plume a épousé une dame titrée, il est devenu lord. Voyez-vous ce juge en perruque qui sort par cette porte de fer ? Jadis, c’était La Guigne. Et ce barbu qui n’a pas une histoire à raconter à ses enfants, autrefois ce fut John. Wendy se maria en robe blanche et voile rose. Il est étrange que Peter ne vint pas à l’église pour empêcher les bans d’être publiés. D’autres années se sont écoulées. À présent, Wendy a une fille. Ceci mériterait qu’on l’écrive non à l’encre mais en lettres d’or. L’enfant s’appelle Jane. Depuis toujours, elle a un regard étrangement interrogateur, comme si dès son arrivée sur le continent, elle avait déjà des questions à poser. Et quand elle a été en âge de les poser, toutes ou presque concernaient Peter Pan. Jane adore qu’on lui en parle, et Wendy lui raconte tout ce qu’il lui est possible de se rappeler, dans la chambre même où eut lieu le fameux envol. Cette chambre est maintenant celle de Jane car son père l’a achetée au taux de trois pour cent au père de Wendy qui n’a plus de goût pour les escaliers. Mme Darling est morte déjà, et oubliée. Il n’y a plus que deux lits dans la chambre, celui de Jane et celui de sa bonne, car Nana aussi a vécu. Elle est morte à un âge avancé et, à la fin, il devenait difficile de faire bon ménage avec elle, fermement convaincue qu’elle était d’être la seule à savoir s’y prendre avec les enfants. Une fois par semaine, la bonne de Jane a son jour de congé ; alors Wendy se charge de coucher l’enfant. C’est l’heure bénie des histoires. Jane a inventé de faire une tente en soulevant son drap au-dessus de la tête de sa mère et de la sienne. Et dans cette obscurité redoutable, elle chuchote : — Dis-moi ce que tu vois. D’autres fois, Wendy admet qu’elle voit en effet quelque chose. — Je crois bien que c’est cette chambre. Les voilà embarquées dans la grande aventure de la nuit où Peter revint chercher son ombre. — Stupide garçon ! dit Wendy, il essayait de la recoller avec du savon ! Comme il n’y arrivait pas, il s’est mis à pleurer, ce qui m’a réveillée. Alors j’ai recousu son ombre pour lui. Wendy a dit cela avec un sourire. Cela montre à quel point elle est adulte. — À quoi ressemblait son chant ? demanda un soir la petite Jane. Wendy essaya d’imiter le cri de victoire de Peter. — Non, ce n’était pas comme ceci, dit gravement Jane, mais comme cela. Et elle l’imita tellement mieux que sa mère que Wendy en fut un peu saisie. — D’où sais-tu que c’était ainsi, ma chérie ? Puis une nuit le drame arriva. On était au printemps. Jane avait eu son histoire et dormait maintenant dans son lit. Wendy était assise sur le plancher, tout près du feu qui éclairait ses travaux de raccommodage, car il n’y avait pas d’autre lumière dans la chambre ; et, tandis qu’elle raccommodait, elle entendit un chant triomphal. Puis la fenêtre s’ouvrit, comme jadis, et Peter se posa sur le sol. Il n’avait absolument pas changé, et Wendy vit tout de suite qu’il avait encore ses dents de lait. Il était un petit garçon, et elle, une grande personne. Elle se blottit près du feu, sans oser faire un mouvement, désemparée et comme prise en faute, elle, la grande femme. — Salut, Wendy ! Il ne remarquait aucune différence, étant surtout occupé de lui-même, et dans la faible clarté, il pouvait prendre la robe blanche de Wendy pour la chemise de nuit dans laquelle il l’avait vue pour la première fois. — Salut, Peter, dit-elle d’une voix éteinte en se tassant pour paraître plus petite. Quelque chose en elle pleurait : « Femme, femme, laisse-moi. » — Tiens, où est John ? demanda Peter s’apercevant qu’il manquait un troisième lit. Mais aussitôt elle se reprocha de manquer de loyauté à son égard aussi bien qu’envers Jane. — Ce n’est pas Michael, se hâta-t-elle de corriger, de peur qu’un châtiment ne vint fondre sur sa tête. Peter regarda. — C’est un nouvel enfant ? Sûrement, il allait comprendre maintenant. Mais non, pas le moins du monde! — Peter, dit-elle en hésitant, tu n’espères pas que je vais m’envoler avec toi ? Il ajouta d’un ton de léger reproche — As-tu oublié que le moment est venu de faire le nettoyage de printemps ? À quoi bon lui rappeler qu’il en avait laissé passer plus d’un ? — Je ne peux pas venir, s’excusa-t-elle, je ne sais plus du tout voler. Elle s’était levée ; et la peur enfin assaillit le garçon. — Qu’y a-t-il ? cria-t-il en reculant. Pour autant que je sache, ce fut la seule fois dans sa vie où Peter eut peur. — N’allume pas, supplia-t-il. Elle caressa doucement les cheveux du tragique petit orphelin. Elle n’était pas une petite fille au cœur brisé de chagrin à cause de lui ; elle était une femme adulte, que tout cela faisait sourire, pourtant ses sourires étaient mouillés. Alors elle alluma la lampe, et Peter vit. Il poussa un cri de souffrance ; et quand cette superbe créature se pencha vers lui pour le soulever dans ses bras, il recula farouchement. — Qu’y a-t-il ? demanda-t-il encore. Cette fois, elle ne pouvait plus se dérober. — Je suis vieille, Peter. J’ai déjà plus de vingt ans. Il y a longtemps que j’ai grandi. Mais il la crut, et fit un pas vers l’enfant endormie, son poignard levé. Bien sûr, il ne la frappa pas. Au lieu de frapper, il s’assit sur le plancher et sanglota. Et Wendy ne sut comment le consoler, elle qui autrefois le faisait si bien. Elle n’était qu’une femme, maintenant, et elle se précipita hors de la chambre pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Peter pleurait toujours à chaudes larmes, et ses sanglots finirent par réveiller Jane. Elle s’assit dans son lit, immédiatement intéressée. — Pourquoi pleures-tu, petit garçon ? dit-elle. Peter se leva et lui fit une révérence qu’elle lui rendit de son lit. — Bonjour, dit-il. Quand Wendy revint, tout embarrassée, elle trouva Peter assis sur le bois du lit et poussant son cocorico victorieux, tandis que Jane en chemise de nuit voletait à travers la chambre dans une extase solennelle. — C’est ma mère, déclara Peter. Jane descendit et se tint à ses côtés avec, sur son visage, cette expression qu’il aimait à voir chez les dames qui le regardaient. — Il a tellement besoin d’une mère, dit Jane. — Je sais, admit Wendy d’un air malheureux. Personne ne le sait aussi bien que moi. — Au revoir, dit Peter à Wendy. Il s’éleva dans l’air et l’impudente petite Jane en fit autant. Déjà, elle volait mieux qu’elle ne marchait. Wendy se rua à la fenêtre. — Non ! non ! cria-t-elle. Bien sûr, Wendy finit par céder et les laissa s’envoler ensemble. La dernière vision que nous ayons d’elle la montre à la fenêtre, regardant les enfants s’éloigner dans le ciel jusqu’à ce qu’ils ne soient pas plus grands que les étoiles. Et tandis que vous contemplez Wendy, vous voyez ses cheveux blanchir, sa silhouette redevenir petite, car tout cela s’est passé il y a fort longtemps. Jane est à présent une grande personne ordinaire, mère d’une fillette nommée Margaret. Et chaque fois que revient l’époque du nettoyage de printemps, Peter (sauf les années où il oublie) vient chercher Margaret et l’emmène au pays de l’imaginaire, où elle lui raconte des histoires dont il est le héros et qu’il écoute passionnément. Quand Margaret grandira, elle aura une fille, destinée à être à son tour la mère de Peter ; et les choses continueront ainsi, aussi longtemps que les enfants seront joyeux, innocents et sans-cœur. |
Hansel et Gretel

Dans une chaumière près de la forêt vivait un bûcheron avec ses deux enfants, qui s’appelaient Hansel et Gretel. Sa femme était morte à leur naissance, et il s’était remarié quelques années après. Mais sa nouvelle femme était méchante et égoïste et n’aimait pas les enfants.
Les temps étaient durs et ils ne gagnaient plus d’argent. Un soir la marâtre dit à son mari:
– Il n’y a plus assez d’argent pour nous nourrir tous. Les enfants doivent partir et se débrouiller seuls. Demain, tu vas les emmener dans la forêt et les abandonner.
Le père protesta. Mais sa femme insista tellement et tellement, qu’il finit par céder.
Hansel, qui était dans la pièce voisine, avait tout entendu.
Le lendemain, ils partirent tous, sous prétexte d’aller ramasser du bois dans la forêt. Il marchèrent tant que quand ils s’arrêtèrent, les enfants s’endormirent. Et quand ils se réveillèrent, les parents étaient partis et ils étaient seuls. La nuit tombait et les cris des loups commençaient à s’entendre au loin.
Hansel et Gretel tremblaient de peur, mais le garçon essaya de rassurer sa soeur en lui disant:
– Ne t’inquiète pas Gretel, la nuit dernière, j’ai entendu que notre belle-mère voulait nous perdre, et j’ai semé des bouts de pains tout au long de la journée, pour retrouver notre chemin et revenir à la maison.
Mais ils eurent beau chercher les miettes de pain, ils n’en trouvaient aucune, car les oiseaux les avaient toutes mangé !
Désespérés, ils commencèrent à marcher parmi les arbres et ne voyaient presque plus rien dans la nuit noire. Ils grelottaient de froid, de faim et de peur.
Alors qu’ils avaient perdu tout espoir, ils aperçurent soudain une belle petite maison dans une clairière de la forêt. Mais quelle ne fut pas leur surprise en découvrant qu’elle était entièrement faite de sucreries. Le toit était en chocolat, décoré de bonbons colorés, et les portes et fenêtres étaient en caramel. Il y avait un petit jardin couvert de fleurs en sucre, d’arbres en sucettes, et du sirop de fraise coulait de la fontaine.
Stupéfaits, les enfants s’approchèrent et commencèrent à manger tout ce qui était devant eux.
Après un moment, une vieille femme ridée sortit de la maison et les salua gentiment.
– Je vois que vous êtes perdus et affamés, mes petits ! Dit-elle. Entrez, ne restez pas là ! Dans ma maison, vous serez à l’abri et aurez toutes les sucreries que vous voulez.
Les enfants, heureux et confiants, entrèrent dans la maison sans se douter qu’ils avaient affaire à une méchante sorcière qui avait construit une maison de chocolat et de bonbons pour attirer les enfants et les manger !
Une fois à l’intérieur, elle verrouilla la porte, prit Hansel et l’enferma dans une cage. Gretel, terrifiée, se mit à pleurer.
– Toi, petite, arrête de pleurnicher ! A partir de maintenant, tu seras ma servante et tu devras cuisiner pour ton frère. Je veux qu’il devienne très gros et dans quelques semaines je le mangerai. Si tu n’obéis pas, tu subiras le même sort.
La pauvre petite fille dût obéir. Chaque jour, à contre-coeur, elle apportait des plats, des desserts et des confiseries à son frère Hansel. Le soir, la sorcière venait dans la cellule pour voir si le garçon avait pris du poids.
– Passe ta main à travers la grille, lui disait-elle pour voir si son bras avait grossi.
Hansel avait bien grossis, car il ne pouvait resister à autant de bonnes choses, mais pour tromper la sorcière, il faisait passer un os de poulet à travers les barreaux au lieu de son doigt. La sorcière, qui était presque aveugle, pensait qu’Hansel ne grossissait pas. Pendant des semaines, il réussit à la tromper, mais un jour, la méchante femme en a eu assez.
– Ton frère ne prend pas de poids, et je suis fatiguée d’attendre ! Dit-elle à Gretel. « Prépare le four, je vais le manger aujourd’hui ».
Gretel, malgré sa peur, imagina un stratagème et lui dit qu’elle ne savait pas comment allumer le feu. La sorcière s’approcha donc du four.
– Tu es donc inutile ! Se plaignit-elle en s’accroupissant devant le four, « Je vais devoir le faire moi-même ! »
Alors, lorsque le feu commença à être très chaud, Gretel prit son courage à deux mains, et poussa la sorcière dans le four en refermant la porte derrière elle. La sorcière mourut en quelques instants. Gretel prit les clés de la cage et libéra son frère.
Libres et hors de danger, les deux enfants explorèrent la maison et trouvèrent un tiroir contenant des pièces d’or, des bijoux et des pierres précieuses. Ils en remplirent leurs poches, prirent de la nourriture et des bonbons et s’enfuirent.
Ils s’enfoncèrent à nouveau dans la forêt et retrouvèrent enfin le chemin de la maison familiale, guidés par le soleil et les oiseaux.
Au loin, ils aperçurent leur père qui pleurait, assis dans le jardin. Quand il les vit au loin, il courut pour les embrasser tendrement. Il leur demanda pardon et leur dit qu’il avait chassé sa mauvaise femme.
Hansel et Gretel lui pardonnèrent et lui montrèrent les trésors qu’ils avaient apportés et ils n’eurent plus jamais faim.
Adaptation du conte de fées des frères Grimm. Lu par Womantica. Illustrations de Adrian Ludwig Richter, Arthur Rackham, Theodor Hosemann et Alexander Zick
Alice au pays des merveilles

D’après l’oeuvre de Lewis Carroll. Version courte par Contesdefees.com. Illustrations de John Tenniel (1820-1914).
Par une chaude après-midi d’été, Alice était assise au bord à la rivière et rêvassait. Elle était sur point de s’assoupir quand soudain, elle vit passer devant elle un lapin blanc qui portait une élégante veste en velours et avait l’air très pressé en regardant tout le temps sa montre.
– Je suis en retard! – Dit soudain le lapin en regardant sa montre.
Intriguée, Alice le suivit pendant un moment jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un terrier. Sans réfléchir, elle entra après lui et tomba soudain dans un long puits qui finit par déboucher dans une pièce qui avait de nombreuses portes minuscules et fermées. Le lapin n’était plus là.
Au centre de la pièce, il y avait une table en verre et sur cette table était posée une clé en or. Alice prit la clé et essaya d’ouvrir toutes les portes jusqu’à ce que l’une d’elles s’ouvre enfin.
De l’autre côté, elle aperçut un beau jardin mais la porte était trop petite pour qu’elle puisse la traverser. Elle referma la porte et reposa la clé sur la table.
Elle regarda alors à nouveau la table et vit une bouteille sur laquelle était écrit : « Bois-moi ». Elle but quelques gouttes, et commença soudain à rapetisser. Elle devint si petite qu’elle pouvait maintenant passer la porte du jardin. Mais alors, elle réalisa qu’elle avait oublié la clé sur la table et qu’elle ne pouvait plus l’atteindre maintenant qu’elle était minuscule.
Maintenant qu’elle pouvait voir sous la table, et elle découvrit justement une petite boîte contenant un gâteau et sur laquelle était écrit : « Mange-moi ». Alice croqua un morceau du gâteau et commença à grandir et grandir jusqu’à ce qu’elle mesure environ trois mètres de haut et se cogne au plafond avec sa tête. Mais bien sûr, maintenant elle ne pouvait plus aller au jardin et cela la fit pleurer. Des larmes géantes coulaient de ses joues.
À ce moment là, le lapin blanc réapparut dans la pièce avec une paire de gants blancs dans une main et un grand éventail dans l’autre.
« La duchesse sera fâchée si je la fais attendre ! – Dit-il.
– Monsieur Lapin ! Attendez un moment s’il vous plaît – cria Alice.
Mais le lapin s’enfuit à toute vitesse. À tel point qu’il en laissa tomber ses gants blancs et son éventail.
Comme il faisait très chaud dans ce terrier, Alice ramassa l’éventail du lapin et commença à s’éventer avec. Réalisant qu’elle redevenait petite, elle le relâcha rapidement avant qu’il ne soit trop tard. Elle essaya à nouveau de récupérer la clé sur la table, mais elle glissa et se retrouva soudain jusqu’au menton dans de l’eau salée.
Mais ce n’était pas de l’eau salée. C’était la mare de larmes qu’elle avait produit plus tôt en pleurant ! Bientôt l’étang se remplit de toutes sortes d’animaux : une souris, des oiseaux, un canard et même un dodo…
Ils commencèrent à nager ensemble et atteignirent le bord de l’étang. Comme ils étaient tous trempés et voulaient se sécher, le dodo proposa un jeu amusant : chacun devait courrir en rond et s’arrêter quand il voudrait. Alice pensait que c’était un jeu un peu étrange, mais comme ils gagnaient tous, c’était amusant.
Puis le lapin blanc arriva à nouveau. Il était très nerveux et cherchait partout quelque chose.
– Je dois les trouver ! Il faut que je les retrouve sans une égratignure ou bien la duchesse… Alice, en entendant le lapin, sut tout de suite qu’il cherchait ses gants blancs et son éventail.
– Mary Ann va chez toi tout de suite et apporte-moi une paire de gants et un éventail !
Surprise qu’on la prenne pour quelqu’un d’autre, Alice obéit pourtant sans broncher au Lapin, trop curieuse d’en savoir plus sur cette histoire.
Dans la maison qui se trouvait juste à côté, il y avait une table sur laquelle se trouvaient un éventail et deux ou trois paires de petits gants blancs. À côté il y avait une bouteille en verre sans étiquette.
Elle décida de l’essayer et d’un coup, elle grandit tellement qu’elle resta coincée à l’intérieur de la maison sans pouvoir sortir.
Le lapin et les autres animaux essayèrent de l’aider à sortir, la poussèrent, la tirèrent et songèrent même à brûler la maison, mais tout à coup il se mit à pleuvoir des cailloux ! Évidemment ce n’étaient pas des cailloux ordinaires, et Alice découvrit qu’ils se transformaient en biscuits à thé lorsqu’elles tombaient au sol.
Elle en mangea un et…. Que pensez-vous qu’il arriva? Alice redevint petite et courut hors de la maison. Elle entra dans la forêt voisine et décida que la première chose à faire était de retrouver sa taille, et la seconde, d’aller enfin visiter le beau jardin derrière la petite porte du terrier.
Une fois ceci décidé, elle aperçu une chenille géante qui se prélassait sur un champignon géant, en fumant tranquillement sur son grand narguilé et en jetant de mystérieux nuages de fumée.
– Qui es tu? – demanda la chenille
– Je ne suis plus très sûre. J’ai changé de taille tellement de fois que je me sens un peu confuse – dit Alice.
– Quelle taille voudrais-tu faire ?
– J’aimerais être un peu plus grande…
– Voici mon conseil: Un côté te fera grandir et l’autre rétrécir. – Répondit la chenille.
Puis elle descendit du champignon et s’en alla dans l’herbe.
– Un côté de quoi? Pensa Alice.
– Du champignon! Cria la Chenille au loin comme si elle avait lu dans les pensées d’Alice.
Alors Alice mordit du côté droit du champignon. Elle rapetissa tellement vite que son menton cogna ses pieds.
Alors elle mordit du côté gauche du champignon. Mais son cou commença à pousser tellement haut que ses mains n’atteignaient plus sa tête. Un oiseau la prit même pour un serpent.
Elle mordit encore d’un côté et de l’autre plusieurs fois jusqu’à retrouver sa taille normale.
Elle reprit son chemin dans la forêt et arriva à une clairière au centre de laquelle se trouvait une minuscule maison d’un mètre de haut. Elle mangea un autre morceau de champignon pour se mettre à la bonne taille et entra dans la maison.
Dans la cuisine, il y avait une cuisinière qui préparait une soupe qui sentait bon le poivre. À côté d’elle il y avait un chat qui n’arrêtait pas de sourire et au centre il y avait la Duchesse. Elle était assise sur un tabouret et berçait un bébé dans ses bras. C’était certainement un endroit très curieux.
– Excusez-moi, pourriez-vous me dire pourquoi le chat sourit d’une oreille à l’autre ? demanda Alice.
– Parce que c’est un chat du Cheshire – dit la Duchesse.
Puis elle dit:
– Au fait, je dois aller jouer au croquet avec la reine. Prends ça! Tu peux le bercer si tu veux. Attrape!
Et la Duchesse lança le bébé à Alice.
Alice sortit et retourna dans la forêt avec le bébé qui, au bout d’un moment, ressemblait de moins en moins à un enfant. Lorsqu’elle le posa sur le sol, il s’était transformé en un joli petit cochon et il se mit à trotter joyeusement.
Alice commençait à se sentir perdue lorsqu’elle rencontra à nouveau le chat du Cheshire.
– Chat du Cheshire, pourriez-vous me dire quelle direction je dois prendre ?
– Ça dépend où tu veux aller… Si tu continues par là tu rencontreras le Chapelier et si tu vas par là ce sera le Lièvre de Mars. Mais peu importe, car ils sont tous les deux aussi fous.
Alice décida de rendre visite au Lièvre de Mars, car elle connaissait déjà un chapelier et était plus curieuse de connaître un lièvre.
Dans le jardin de la maison du Lièvre, lui et le Chapelier prenaient le thé. Alice décida de s’asseoir à côté d’eux, bien qu’ils ne l’aient pas invité.
– En quoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? – Demanda le Chapelier à Alice en écarquillant les yeux.
Après quelques instants de réflexion, Alice finit par abandonner.
– je ne sais pas, dit-elle.
– Moi non plus. Je n’en ai aucune idée! – répondit le Chapelier.
Tout à coup, le Lièvre dit:
– Au fait, il est six heures. Il est toujours six heures ici. C’est donc l’heure du thé.
Ils commencèrent à prendre le thé en discutant de choses absurdes. Alice ne comprenait presque rien à ce qu’ils racontaient, alors elle décida de partir.
Elle retourna dans la forêt et y trouva un arbre avec une porte. Elle entra et se retrouva enfin à nouveau dans la pièce du terrier avec au centre la table en verre et autours les petites portes.
Cette fois-ci, Alice s’assura d’abord de prendre la clé en or sur la table, puis elle ouvrit la porte qui menait au jardin. Elle prit le champignon de la chenille et en mangea de petits bouts jusqu’à atteindre environ cinquante centimètres de haut. Enfin elle franchit la porte et entra dans le magnifique jardin.
À peine arrivée dans le jardin, Alice entendit un grand bruit et vit arriver vers elle des soldats, des courtisans et des notables, tous habillés comme des cartes à jouer. À l’avant de ce cortège sonnaient les tambours et les trompettes des soldats de carte. Et au bout de tout cette cour elle reconnut le lapin blanc à sa veste de velours, qui accompagnait le Roi et la Reine de cœur.
– Qui est-ce? – Demanda la reine en désignant Alice
– Je suis Alice, Votre Majesté.
– Tu sais jouer au croquet ?
– Oui – répondit Alice
– Alors viens!
Elle n’avait jamais vu jouer au croquet comme cela auparavant. Les boules étaient des hérissons, les maillets étaient des flamants roses, et les soldats se courbaient pour former les arceaux.
De plus, ils jouaient tous en même temps et se disputaient tout le temps et chaque fois que la reine se mettait en colère, elle criait:
– Coupez-lui la tête !
Mais n’y avait plus de joueurs, car tous avaient déjà été condamnés à mort par la reine, la partie de croquet était terminée.
Après cela, Alice partit et continua ses aventures au pays des merveilles, rencontrant la tortue Mock et le Griffon, un animal fantastique mi-aigle, mi-lion.
Puis elle dut revenir au royaume des cartes car un grand procès avait commencé et elle était appelé à témoigner.
Tous les habitants du pays des merveilles étaient rassemblés dans la salle du tribunal.
Le lapin blanc sonna trois fois de la trompette et annonça les chefs d’accusation :
– La reine de cœur a fait des tartelettes un jour d’été et le valet de cœur les a volé et caché.
Une grande agitation éclata dans la salle. Les témoins commencèrent à témoigner.
Le premier à parler fut le Chapelier, suivi de la cuisinière de la Duchesse, puis arriva le tour d’Alice.
Mais comme elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait grandi à nouveau, en se levant d’un coup, elle renversa tout le banc et avec lui tous les animaux qui étaient assis dessus.
Une fois la calme revenu, Alice déclara qu’elle ne savait rien de cette affaire de tarte.
Le procès se poursuit et, alors que l’accusé, le Valet de Coeur, était sur le point d’être condamné, Alice intervint pour l’aider.
Elle déclara qu’il était absurde de condamner à mort un pauvre valet de cœur pour une simple affaire de tarte.
Mais à ce moment là, la reine entra dans une colère folle.
-Coupez-lui la tête !! – cria t’elle de toutes ses forces en désignant Alice
Puis tout le jeu de cartes s’éleva dans les airs et tomba sur Alice. Mais…
– Alice, réveille-toi ! Tu dors depuis longtemps – lui répétait sa sœur en la secouant doucement.
– Hein? Ah oui… Si tu savais tout ce dont j’ai rêvé… Et la petite fille se mit à raconter à sa sœur, en se rappelant toutes les aventures étranges qu’elle avait vécues au Pays des Merveilles.
Quand elle eut fini, Alice se leva et partit et sa sœur s’endormit en rêvant aux aventures d’Alice. Et devinez qui arriva à cet instant en regardant sa montre…
Autres illustrations de Arthur Rackham
Barbe Bleue

Version originale du livre Les Contes de Perrault, textes originaux modernisés par Pierre Féron (chanoine), Casterman, 1902
Illustrations de Gustave Doré, 1901
Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies, et des carrosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était personne qui ne s’enfuît de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles. Il lui en demanda une en mariage. Elles n’en voulaient point toutes deux, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues.
La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur mère et trois ou quatre de leurs meilleures amies à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations : enfin tout alla si bien que la cadette commença à trouver que le maître du logis était un fort honnête homme. Dès qu’on fut de retour à la ville, le mariage se conclut.
Au bout d’un mois, la Barbe-Bleue dit à sa femme qu’il était obligé de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de conséquence ; qu’il la priait de se bien divertir pendant son absence ; qu’elle fît venir ses bonnes amies ; qu’elle les menât à la campagne, si elle voulait ; que partout elle fît bonne chère. « Voilà, lui dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles ; voilà celles de la vaisselle d’or et d’argent, qui ne sert pas tous les jours ; voilà celles de mes coffres-forts où est mon or et mon argent ; celles des cassettes où sont mes pierreries, et voilà le passe-partout de tous les appartements. Pour cette petite clef-ci, c’est la clef du cabinet au bout de la grande galerie de l’appartement bas : ouvrez tout, allez partout ; mais, pour ce petit cabinet, je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte que, s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. »
Elle promit d’observer exactement tout ce qui lui venait d’être ordonné, et lui monte dans son carrosse, et part pour son voyage.
Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que le mari y était, à cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles et plus riches les unes que les autres. Elles montèrent ensuite aux garde-meubles, où elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sophas des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs où l’on se voyait depuis les pieds jusqu’à la tête, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil doré, étaient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eût jamais vues. Elles ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie, qui, cependant, ne se divertissait point à voir toutes ces richesses, à cause de l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le cabinet de l’appartement bas.
Elle fut si pressée de sa curiosité, que, sans considérer qu’il était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Étant arrivée à la porte du cabinet, elle s’y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son mari lui avait faite, et considérant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissante ; mais la tentation était si forte, qu’elle ne put la surmonter : elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet.
D’abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étaient fermées. Après quelques moments, elle commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé, et que, dans ce sang, se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs : c’était toutes les femmes que la Barbe-Bleue avait épousées, et qu’il avait égorgées l’une après l’autre. Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet qu’elle venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main.
Après avoir un peu repris ses sens, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta à sa chambre pour se remettre un peu ; mais elle n’en pouvait venir à bout, tant elle était émue.
Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois ; mais le sang ne s’en allait point : elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès, il demeura toujours du sang, car la clef était fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtait le sang d’un côté, il revenait de l’autre.
La Barbe-Bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son prompt retour.
Le lendemain, il lui demanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante, qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé. « D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres ? — Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table. — Ne manquez pas, dit la Barbe-Bleue, de me la donner tantôt. »
Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe-Bleue, l’ayant considérée, dit à sa femme : Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ? — Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. — Vous n’en savez rien ! reprit la Barbe-Bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues.
Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, affligée comme elle était ; mais la Barbe-Bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher. « Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure. — Puisqu’il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu. — Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit la Barbe-Bleue ; mais pas un moment davantage. »
Lorsqu’elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit : Ma sœur Anne, car elle s’appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent point ; ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui ; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. — La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Et la sœur Anne lui répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
Cependant la Barbe Bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme : Descends vite, ou je monterai là-haut. — Encore un moment, s’il vous plaît, lui répondait sa femme ; et aussitôt elle criait tout bas : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Et la sœur Anne répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
Descends donc vite, criait la Barbe-Bleue, ou je monterai là-haut. — Je m’en vais, répondait la femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci… — Sont-ce mes frères ? — Hélas ! non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons…
Ne veux tu pas descendre ? criait la Barbe-Bleue — Encore un moment, répondait sa femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore… Dieu soit loué ! s’écria-t-elle un moment après ; ce sont mes frères. Je leur fais signe tant que je puis de se hâter.
La Barbe-Bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds tout épleurée et tout échevelée. « Cela ne sert de rien, dit la Barbe-Bleue ; il faut mourir. » Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir. « Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu ; » et, levant son bras…
Dans ce moment, on heurta si fort à la porte que la Barbe-Bleue s’arrêta tout court. On ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux cavaliers, qui mettant l’épée à la main, coururent droit à la Barbe-Bleue. Il reconnut que c’était les frères de sa femme, l’un dragon et l’autre mousquetaire, de sorte qu’il s’enfuit aussitôt pour se sauver ; mais les deux frères le poursuivirent de si près qu’ils l’attrapèrent avant qu’il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort.
La pauvre femme était presque aussi morte que son mari, et n’avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères.
Il se trouva que la Barbe-Bleue n’avait point d’héritiers et qu’ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur avec un gentilhomme, une autre partie à acheter des charges de capitaines à ses deux frères, et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu’elle avait passé avec la Barbe-Bleue.
Les Fées

Conte de Perrault, modernisé en 1902 par Pierre Féron et en 2021 par Contesdefees.com
Il était une fois une veuve qui avait deux filles : l’aînée lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses, qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette était le vrai portrait de son père pour la douceur et l’honnêteté. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée et, en même temps, avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.
Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allât, deux fois le jour, puiser de l’eau à une grande demi-lieue du logis, et qu’elle en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire.
« Oui dà, ma bonne mère, » lui dit la jeune fille ; et, rinçant aussitôt sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et la lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu’elle bût plus aisément. La bonne femme, ayant bu, lui dit : « Vous êtes si bonne et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don ; car c’était une fée qui avait pris la forme d’une pauvre femme de village, pour voir jusqu’où irait l’honnêteté de cette jeune fille. Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une pierre précieuse. »
Lorsque cette fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine.
« Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d’avoir tardé si longtemps ; » et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux gros diamants.
« Que vois-je là ! dit sa mère tout étonnée ; je crois qu’il lui sort de la bouche des perles et des diamants. D’où vient cela, ma fille ? » (Ce fut là la première fois qu’elle l’appela sa fille).
La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de diamants.
« Vraiment, dit la mère, il faut que j’y envoie ma fille. Fanchon, tu as bien vu ce qui sort de la bouche de ta sœur, quand elle parle ; cela ne te plairait-il pas d’avoir le même don ? Tu n’as qu’à aller puiser de l’eau à la fontaine, et, quand une pauvre femme te demandera à boire, tu lui en donneras bien honnêtement. — Il manquerait plus que ça!, répondit la soeur, aller à la fontaine ! — Je veux que tu y ailles, reprit la mère, et tout de suite. »
Elle y alla, mais en grommelant. Elle prit le plus beau flacon d’argent qui fût dans le logis. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la fontaine, qu’elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue, qui vint lui demander à boire. C’était la même fée qui était apparue à sa sœur, mais qui avait pris l’air et les habits d’une princesse, pour voir jusqu’où irait la malhonnêteté de cette fille.
— Je suis venue ici, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire ! Justement j’ai apporté un flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à Madame ? Allez-y, prenez-le et buvez!
— Vous n’êtes guère honnête, reprit la fée, sans se mettre en colère. Eh bien ! puisque vous êtes si peu serviable, je vous donne pour don qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud.
Quand sa mère l’aperçut, elle lui cria : Eh bien ! ma fille !
— Eh bien ! ma mère ! lui répondit la méchante sœur, en jetant deux vipères et deux crapauds.
— Ô ciel, s’écria la mère, que vois-je là ? C’est la faute de ta sœur : elle me le paiera ; et aussitôt elle courut pour la battre. La pauvre enfant s’enfuit et alla se sauver dans la forêt voisine.
Le fils du roi, qui revenait de la chasse, la rencontra et, la voyant si triste, lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer !
« Hélas ! Monsieur, c’est ma mère qui m’a chassée du logis. »
Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, la pria de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du roi considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à une autre, l’emmena au palais du roi son père, où il l’épousa.
Pour sa sœur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d’un bois.
Cendrillon

Conte original de Charles Perrault modernisé en 1902 par Pierre Féron, retouché par contesdefees.com. Illustrations de Gustave Doré, 1902.
Il était une fois un gentilhomme qui épousa, en secondes noces, une femme, la plus hautaine et la plus fière qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait, de son côté, une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans exemple : elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde.
Les noces ne furent pas plus tôt faites que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur : elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et les meubles, qui frottait la chambre de madame et celles de medemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dans des chambres avec parquet où elles avaient des lits à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu’à la tête. La pauvre fille souffrait avec patience et n’osait s’en plaindre à son père, qui l’aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement.
Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle allait se mettre au coin de la cheminée, et s’asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu’on l’appelait communément dans le logis Cendrillon. Cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus digne que ses sœurs, bien qu’elles soient vêtues très magnifiquement.
Un jour le fils du roi donna un bal auquel il invita toutes les personnes de qualité du royaume. Nos deux demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux. Nouvelle peine pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui pliait leurs manchettes. On ne parlait que de la manière dont on s’habillerait. — Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. — Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes. — On envoya quérir la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des mouches de la bonne.
Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit même à les coiffer ; ce qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient : « Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au bal ? — Hélas ! mesdemoiselles, vous vous moquez de moi ; ce n’est pas là ce qu’il me faut. — Tu as raison, on rirait bien, si on voyait une Cendrillon aller au bal. — Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien.
Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie. On rompit plus de douze lacets, à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toute la journée devant le miroir. Enfin l’heureux jour arriva ; on partit, et Cendrillon les suivit des yeux, le plus longtemps qu’elle put.
Lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait, « Je voudrais bien… je voudrais bien… » Elle pleurait si fort qu’elle ne put achever. Sa marraine, qui était fée, lui dit : « Tu voudrais bien aller au bal, n’est-ce pas ? — Hélas ! oui, dit Cendrillon en soupirant. — Eh bien ! seras-tu bonne fille ? dit sa marraine, je t’y ferai aller. » — Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille. » — Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.
Ensuite elle alla regarder dans la souricière, où elle trouva six souris toutes en vie. Elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et, à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval : ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé.
Comme elle était en peine de quoi elle ferait un cocher : « Je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a pas quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher. — Tu as raison, dit sa marraine, va voir. » — Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La fée en prit un d’entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, et, l’ayant touché, il fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues.
Ensuite elle lui dit : « Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir ; apporte-les-moi. » — Elle ne les eut pas plus tôt apportés, que sa marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse, avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés comme s’ils n’eussent fait autre chose de toute leur vie.
La fée dit alors à Cendrillon : « Eh bien ! voilà de quoi aller au bal : n’es-tu pas bien aise ? — Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ? » — Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse ; mais sa marraine lui recommanda, sur toutes choses, de ne pas passer minuit, l’avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses beaux habits reprendraient leur première forme.
Elle promit à sa marraine qu’elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie. Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir. Il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler cette inconnue. Le roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si aimable personne. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, des semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles.
Le fils du roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite l’invita à danser. Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage. Elle alla s’asseoir auprès de ses sœurs et leur fit mille honnêtetés ; elle leur fit part des oranges et des citrons que le prince lui avait donnés, ce qui les étonna fort car en réalité, elles ne la reconnaissaient pas.
Alors qu’elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts ; elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s’en alla le plus vite qu’elle put. Dès qu’elle fut arrivée, elle alla trouver sa marraine, et, après l’avoir remerciée, elle lui dit qu’elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal.
Comme elle était occupée à raconter à sa marraine tout ce qui s’était passé au bal, les deux sœurs frappèrent à la porte ; Cendrillon alla leur ouvrir. « Que vous êtes longtemps à revenir ! » leur dit-elle en baillant, en se frottant les yeux, et en s’étendant comme si elle n’eût fait que de se réveiller ; elle n’avait cependant pas eu envie de dormir, depuis qu’elles s’étaient quittées. — « Si tu étais venue au bal, lui dit une de ses sœurs, tu ne t’y serais pas ennuyée ; il est venu la plus gentille princesse, la plus gentille qu’on puisse jamais voir ; elle nous a fait mille civilités ; elle nous a donné des oranges et des citrons. » — Cendrillon ne se sentait pas de joie ; elle leur demanda le nom de cette princesse ; mais elles lui répondirent qu’on ne la connaissait pas, que le fils du roi donnerait toutes choses au monde pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit : « Elle était donc bien gentille ? Mon Dieu ! que vous êtes heureuses ? ne pourrais-je point la voir ? Hélas ! mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours. — Vraiment, dit mademoiselle Javotte, je suis de cet avis ! Prêter mon habit à un vilain Cendrillon comme cela ! il faudrait que je fusse bien folle. » Cendrillon s’attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait été grandement embarrassée, si sa sœur eût bien voulu lui prêter son habit.
Le lendemain, les deux sœurs retournèrent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois.
La jeune demoiselle ne s’ennuyait point et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé ; de sorte qu’elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu’elle ne croyait point qu’il fût encore onze heures ; elle se leva, et s’enfuit aussi légèrement qu’aurait fait une biche. Le prince la suivit. Elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement. Cendrillon arriva chez elle, bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits ; rien ne lui étant resté de sa magnificence, qu’une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu’elle avait laissée tomber.
On demanda aux gardes de la porte du palais s’ils n’avaient point vu sortir une princesse : ils dirent qu’ils n’avaient vu sortir personne qu’une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l’air d’une paysanne que d’une demoiselle.
Quand les deux sœurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s’étaient encore bien diverties, et si la belle dame y avait été ; elles lui dirent que oui, mais qu’elle s’était enfuie, lorsque minuit avait sonné, et si promptement qu’elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde ; que le fils du roi l’avait ramassée, et qu’assurément il était fort désireux de connaître la personne à qui appartenait la petite pantoufle.
Elles dirent vrai ; car, peu de jours après, le fils du roi fit publier, à son de trompe, qu’il épouserait celle dont le pied serait bien ajusté à la pantoufle. On commença à l’essayer aux princesses, ensuite aux duchesses et à toute la cour, mais inutilement. On l’apporta chez les deux sœurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout. Cendrillon, qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant : « Que je voie si elle ne me serait pas bonne ! » Ses sœurs se mirent à rire et à se moquer d’elle. Le gentilhomme qui faisait l’essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, dit que cela était très juste, et qu’il avait l’ordre de l’essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et, approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu’il y entrait sans peine, et qu’elle y était ajustée comme un gant. L’étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l’autre petite pantoufle, qu’elle mit à son pied. Là-dessus arriva la marraine, qui, ayant donné un coup de baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la personne qu’elles avaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva et leur dit, en les embrassant, qu’elle leur pardonnait de bon cœur, et qu’elle les priait de l’aimer bien toujours. On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était, et, peu de jours après, il l’épousa. Cendrillon, qui était bonne, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria, dès le jour même, à deux grands seigneurs de la cour.
Riquet à la houppe

Conte original de Charles Perrault modernisé en 1902 par Pierre Féron. Illustrations de Gustave Doré, 1902 et autres gravures non signées.
Il était une fois une reine qui avait un fils si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine. Une fée, qui se trouva à son baptême, assura qu’il ne laisserait pas d’être aimable, parce qu’il aurait beaucoup d’esprit : elle ajouta même qu’il pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire, donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne qu’il épouserait.
Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui était bien affligée d’avoir pour enfant un si vilain marmot. Il est vrai que cet enfant ne commença pas plus tôt à parler, qu’il dit mille jolies choses, et qu’il avait dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel, qu’on en était charmé. J’oubliais de dire qu’il avait une petite houppe de cheveux sur la tête, ce qui fit qu’on le nomma Riquet à la Houppe, car Riquet était le nom de la famille.
La reine d’un royaume voisin avait deux filles. La première était plus belle que le jour. La même fée qui avait assisté à la naissance du petit Riquet à la Houppe, voulut modérer la joie de la reine ; elle lui déclara que cette petite princesse n’aurait point d’esprit, et qu’elle serait aussi stupide qu’elle était belle. Cela mortifia beaucoup la reine ; mais elle eut un bien plus grand chagrin ; car sa seconde fille se trouva extrêmement laide. « Ne vous affligez point tant, madame, lui dit la fée, votre fille sera récompensée d’ailleurs, et elle aura tant d’esprit, qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il lui manque de la beauté. — Dieu le veuille, répondit la reine ; mais n’y aurait-il pas moyen de faire avoir un peu d’esprit à l’aînée ? — Je ne puis rien pour elle, madame, du côté de l’esprit, lui dit la fée ; mais je puis tout, du côté de la beauté ; et, comme il n’y a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira. »
A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crurent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de la cadette. Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil, et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminée, sans en casser une ; ni boire un verre d’eau, sans en répandre la moitié sur ses habits.
Quoique la beauté soit un grand avantage, cependant la cadette l’emportait presque toujours sur son aînée, dans toutes les compagnies. D’abord on allait du côté de l’aînée, pour la voir et pour l’admirer ; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables ; et on était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avait plus personne au près d’elle, et que tout le monde s’était rangé autour de la cadette. L’aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien ; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. La reine, toute sage qu’elle était, ne pût s’empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise : ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.
Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C’était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui avait quitté le royaume de son père, pour la voir et lui parler. Il l’aborde, avec tout le respect et toute la politesse imaginable. Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu’elle était fort mélancolique, il lui dit : « Je ne comprends point, madame, comment une personne peut être aussi triste que vous le paraissez ; car, quoique je puisse me vanter d’avoir vu une infinité de personnes, je puis dire que je n’en ai jamais vu dont la distinction approche de la vôtre.
— Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse et en demeura là. — La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un grand avantage, et, quand on le possède, je ne vois pas qu’il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup.
— J’aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous, et avoir de l’esprit, que d’avoir de la beauté comme j’en ai, et être bête autant que je le suis.
— Il n’y a rien, madame, qui montre davantage qu’on a de l’esprit, que de croire ne pas en avoir, et il est de naturel que, plus on en a, plus on croit en manquer.
— Vous avez peut-être raison dit la princesse ; mais je sais que je suis fort bête, et c’est de là que vient le chagrin qui me tue.
— Si ce n’est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur.
— Et comment ferez-vous ? dit la princesse.
— J’ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l’esprit autant qu’on en saurait avoir à la personne que je dois épouser ; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez autant d’esprit qu’on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m’épouser. »
La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien. « Je vois, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne m’en étonne pas ; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre. »
La princesse avait si peu d’esprit, et en même temps une si grande envie d’en avoir, qu’elle s’imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais ; de sorte qu’elle accepta la proposition qui lui était faite. Elle n’eût pas plus tôt promis à Riquet à la Houppe qu’elle l’épouserait dans un an à pareil jour, qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’était auparavant : elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d’une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença, dès ce moment, une conversation soutenue avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d’une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir donné plus d’esprit qu’il ne s’en était réservé pour lui-même.
Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d’un changement si subit et si extraordinaire ; car autant qu’on lui avait ouï dire de bêtises auparavant, autant lui entendait-on dire des choses bien sensées et infiniment spirituelles. Toute la cour en eut une joie qui ne se peut imaginer ; il n’y eut que sa cadette qui n’en fut pas bien aise, parce que, n’ayant plus sur son aînée l’avantage de l’esprit, elle ne paraissait plus auprès d’elle qu’une guenon fort désagréable. Le roi se conduisait par ses avis, et allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement.
Le bruit de ce changement s’étant répandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins la demandèrent en mariage ; mais elle n’en trouvait point qui eût assez d’esprit, et elle les écoutait tous, sans s’engager avec aucun.
Un jour elle retourna par hasard se promener dans le même bois où elle avait trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodément à ce qu’elle avait à faire. Dans le temps qu’elle se promenait, rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent et qui agissent. Ayant prêté l’oreille plus attentivement, elle ouït que l’on disait : «Apporte-moi cette marmite ; » l’autre : « Donne-moi cette chaudière ; » l’autre : « Mets du bois dans ce feu. » La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d’officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois, autour d’une table fort longue, et qui tous, la cuillère à la main et le couteau dans l’autre, se mirent à travailler en cadence, au son d’une chanson harmonieuse.
La princesse, étonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient. « C’est, madame, lui répondit le plus bavard de la bande, pour le prince Riquet à la Houppe, dont les noces se feront demain. » La princesse, encore plus surprise qu’elle ne l’avait été, et se ressouvenant tout à coup qu’il y avait un an qu’à pareil jour elle avait promis d’épouser le prince Riquet à la Houppe, pensa tomber de son haut. Ce qui faisait qu’elle ne s’en souvenait pas, c’est que, quand elle fit cette promesse, elle était encore bête, et qu’en prenant le nouvel esprit que le prince lui avait donné, elle avait oublié toutes ses sottises.
Elle n’eut pas fait trente pas, en continuant sa promenade, que Riquet à la Houppe se présenta à elle, brave, magnifique, et comme un prince qui va se marier. « Vous me voyez, dit-il, madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour exécuter la vôtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes.
— Je vous avouerai franchement, répondit la princesse, que je n’ai pas encore pris ma résolution là-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez.
— Vous m’étonnez, madame, lui dit Riquet à la Houppe.
— Je le crois, dit la princesse, et assurément, si j’avais affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrassée. Une princesse n’a que sa parole, me dirait-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis ; mais, comme celui à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis sûre qu’il entendra raison. Vous savez que, quand je n’étais qu’une bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser ; comment voulez-vous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile que je n’étais, je prenne aujourd’hui une résolution que je n’ai pu prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tout de bon à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’ôter ma bêtise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais.
— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, serait bien reçu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je n’en use pas de même, dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que celles qui n’en ont pas ? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhaité d’en avoir ? Mais venons au fait, s’il vous plaît. A la réserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous déplaise ? Êtes vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manières ?
— Nullement, répondit la princesse ; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire.
— Si cela est ainsi, reprit Riquet à la Houppe, je vais être heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable des hommes.
— Comment cela se peut-il faire ? lui dit la princesse.
— Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous souhaitez que cela soit ; et afin, madame, que vous n’en doutiez pas, sachez que la même fée qui, au jour de ma naissance, me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qu’il me plairait, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celui à qui vous voudrez bien faire cette faveur.
— Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable ; et je vous en fais le don, autant qu’il est en moi. »
La princesse n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la Houppe parut, à ses yeux, l’homme du monde le mieux fait et le plus aimable qu’elle eût jamais vu.
Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent cette métamorphose. Ils disent que la princesse, ayant fait réflexion sur la persévérance de Riquet, sur sa discrétion et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps ni la laideur de son visage ; que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos ; et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boîter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait. Ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants ; et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’héroïque.
Quoi qu’il en soit, la princesse lui promit sur-le-champ de l’épouser, pourvu qu’il en obtînt le consentement du roi son père. Le roi, ayant su que sa fille avait beaucoup d’estime pour Riquet à la Houppe, qu’il connaissait d’ailleurs pour un prince très spirituel et très sage, le reçut avec plaisir pour son gendre. Dès le lendemain, les noces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l’avait prévu, et selon les ordres qu’il en avait donnés longtemps auparavant.
Peau d’âne

D’après Charles Perrault, version de contesdefees.com
Il était une fois le roi le plus puissant de la terre, aussi bon en paix que terrible en guerre. Ses voisins le respectaient et le craignaient et la plus grande tranquillité régnait dans le royaume. Sa femme était si aimante et pleine d’esprit, que si le roi était heureux en tant que souverain, il l’était davantage en tant que mari. Ils eurent une fille, et comme elle était très gentille et très jolie, ils se consolèrent de n’avoir pas eu d’autres enfants.
Le palais était vaste et magnifique. Partout il y avait des courtisans et des serviteurs. Les écuries étaient pleines de beaux chevaux et de jolis poneys. Mais elles étaient surtout connues pour héberger un âne. Cet âne célèbre avait le privilège que ce qu’il mangeait sortait transformé en pièces d’or étincelantes. Ceci expliquait en grande partie la fortune du royaume.
Mais un jour, le bonheur des époux royaux fut troublé par une maladie grave dont souffrit la reine, qui s’aggravait malgré le recours à toutes les sciences et à la sagesse des médecins. La malade comprit que sa dernière heure approchait et elle dit au roi :
-Avant de mourir, je voudrais vous demander que si vous vous remariez…
-Jamais! Jamais! s’écria le roi en sanglotant.
-je sais que votre amour pour moi est irremplaçable, mais je veux que vous me juriez que vous ne vous remarierez que si vous trouvez une femme qui me surpasse en beauté et en sagesse.
Le roi jura les larmes aux yeux, et peu de temps après, la reine mourut, et le désespoir de son mari fut immense. La douleur bouleversa quelque peu sa raison, et quelques mois plus tard il fit comparaître devant lui toutes les jeunes femmes de la cour, puis celles de la ville puis celles de la campagne, disant qu’il épouserait celle qui était plus belle que la reine décédée; mais comme personne ne pouvait être comparé à elle, il n’en avay choisi aucune. Le roi finit par montrer des signes évidents de folie, et déclara un jour que la princesse, qui était en effet plus belle que sa mère, deviendrait sa femme. Les courtisans lui firent comprendre qu’un tel mariage était impossible parce que l’infante était sa fille, mais comme il est difficile de faire entendre raison à un fou, le roi n’en voulut rien entendre et cria qu’on voulait le tromper parce qu’il n’avait pas de fille.
La pauvre petite princesse, effrayée par la folie de son père, avait les larmes aux yeux lorsqu’elle se présenta chez sa marraine, la plus puissante fée du royaume. Celle-ci s’écria en la voyant :
-Je sais ce qui t’amène chez moi. La folie de ton père est telle que ne dois pas le refuser ouvertement. Dis-lui qu’avant d’accepter d’être sa femme, tu exiges une robe de la couleur du ciel. Comme cela n’existe pas, il ne pourra pas te la donner et devra abandonner son horrible projet.
La princesse suivit les conseils de la fée, et le roi appela tous les couturiers du royaume et leur dit qu’il les pendrait si ils ne fabriquaient pas une robe couleur ciel. Poussés par la peur, ils se mirent au travail, et deux jours plus tard, la princesse avait la robe. Les larmes aux yeux, elle fut forcée d’admettre que son souhait avait été satisfait. Sa marraine, qui était au palais, dit à voix basse :
-Demande maintenant une robe plus brillante que la lune. Il ne pourra pas te la donner et devra abandonner son horrible projet.
Dès que la princesse en fit la demande, le roi fit appeler les artisans brodeurs du palais et leur dit :
« Je veux une robe plus brillante que la lune dans quatre jours. »
Quatre jours plus tard, l’infante reçut la robe qui éclipsait l’éclat de la lune. Lorsque la marraine le vit, elle murmura à l’oreille de sa filleule :
-Demande-lui une robe plus lumineuse que le soleil. Il ne pourra pas te la donner et devra abandonner son horrible projet.
Le roi fit appeler un riche diamantaire et lui ordonna de confectionner une robe de brocart et de pierres précieuses, menaçant de se faire couper la tête s’il ne pouvait satisfaire ses désirs. Avant la fin de la semaine, l’infante avait la robe, et quand elle la vit, son désespoir fut grand car elle était plus brillante que l’étoile du jour. Alors sa marraine lui dit :
-Tant qu’il possède l’âne qui produit des pièces d’or, il pourra satisfaire toutes tes exigences. Demande-lui la peau de l’âne, il en a tellement besoin qu’il ne pourra réaliser ton souhait et abandonnera.
L’infante fit ce que la fée lui conseillait mais le roi ordonna sans hésiter de tuer l’âne, de l’écorcher et d’apporter la peau à la jeune femme, qui était désespérée car elle ne savait plus quoi demander. Sa marraine l’encouragea en lui rappelant qu’il n’y a rien à craindre tant qu’on a la santé, puis elle lui dit de fuir seule et déguisée vers un royaume lointain.
« Voici une boîte où nous mettrons toutes tes robes, tes bijoux, ton miroir, les diamants et les rubis. Dit-elle. Je te donne ma baguette: si tu la garde, dans ta main, la boîte restera toujours cachée sous terre ; Lorsque tu voudras l’ouvrir, touche le sol avec la baguette et immédiatement la boîte apparaîtra. Pour que personne ne te reconnaisse, couvre-toi de la peau de l’âne et ainsi personne ne croira qu’une belle princesse se cache sous un déguisement aussi horrible.
La princesse suivit les instructions de sa marraine et s’éloigna du château de son père. Dès que le roi s’aperçut de son absence, il entra dans une colère noire et il envoya des messagers à sa recherche.
La princesse quant à elle, continua sa route, demandant l’aumône à tous ceux qu’elle rencontrait et s’arrêtant dans toutes les maisons pour leur demander s’ils avaient besoin d’une bonne ; mais son apparence était si horrible que personne ne voulait la prendre à son service. Elle continua à marcher, loin, de plus en plus loin ; et finalement elle arriva dans une ferme dont le propriétaire avait besoin d’une gardienne de porcs, pour les frotter, balayer et nettoyer leur gamelle. Dans la cuisine, les domestiques se moquaient d’elle et la traitaient mal. Ils l’avaient rebaptisé Peau d’âne et tout le monde l’appelait ainsi à présent.
Le dimanche, elle pouvait se reposer, car dès qu’elle avait terminé ses tâches, elle entrait dans la cabane qui lui avait été assignée ; Une fois la porte fermée, elle ôtait sa peau d’âne, se coiffait, se parait de ses bijoux, enfilait tantôt la robe lune, tantôt la robe soleil ou la robe ciel. Elle se regardait dans le miroir et était heureuse de se voir jeune, blanche, rose et plus belle que les autres femmes. Ces moments de joie l’encourageaient à affronter la dureté de son travail et elle attendait patiemment le dimanche suivant.
La ferme où habitait Peau d’âne appartenait à un roi très puissant, qui y élevait des oiseaux rares et des animaux exotiques. Le fils du roi se rendait souvent à la ferme au retour de la chasse, et s’y reposait avec ses compagnons en prenant un verre. Le prince était très fier et beau, et lorsque Peau d’âne l’aperçut de loin, son coeur se mit à battre et elle se dit:
-Ses manières sont nobles, son visage est beau, son apparence agréable. Bienheureuse la femme qui recevra son amour !
Un jour, le prince s’arrêta à la ferme, et errant dans la cour pour examiner les oiseaux et les animaux, il arriva devant la misérable pièce où vivait Peau d’âne, et, entendant un bruit, il se mit à regarder par le trou de la serrure. Comme c’était dimanche, il vit la gardienne de porcs vêtue d’or et de diamants, plus belle que le soleil. Le prince l’admira, ébloui, incapable de contenir les battements de son cœur. Le blanc rosé de son teint, les contours de son visage, sa fraîche jeunesse, le tout mélé d’un certain air de grandeur rehaussé de pudeur, rendaient le prince fou d’amour.
Trois fois il leva le bras pour enfoncer la porte, mais autant de fois la peur d’être devant une fée le retint, et il se retira pensivement dans son palais. Depuis, il soupirait jour et nuit, fuyait tous les amusements, même la chasse, et perdait l’appétit. Il demanda qui était cette admirable beauté qui vivait au fond d’une ferme, au bout d’une ruelle affreuse, dans laquelle l’obscurité était complète en plein jour, et on lui répondit qu’elle s’appelait Peau d’âne, à cause de la fourrure qu’elle portait autour de son cou; ajoutant qu’il suffisait de la regarder pour être guérie de l’amour, car elle était plus laide que la plus horrible des bêtes.
Peu importe ce que les gens lui disaient, il ne voulait pas les croire, car l’image de la princesse était gravée dans son cœur. La reine, qui n’avait pas d’autre fils, pleurait en le voyant dépérir. En vain lui demanda-t-elle en quoi consistait sa maladie, car le prince restait sans voix, et la seule chose qu’il réussit à lui dire fut qu’il voulait manger une tarte faite par peau d’âne. La reine ne savait pas de qui parlait son fils, et ayant demandé, ils répondirent :
« Bonté divine Madame! » La peau d’âne est une affreuse taupe noire plus dégoûtante que le plus sale des garçons de cuisine.
— Cela n’a pas d’importance, s’écria la reine ; puisque le prince veut une tarte faite par elle, qu’elle le lui prépare immédiatement!
La mère aimait extraordinairement son fils, et si il lui avait demandé la lune, elle aurait tout tenté pour la lui apporter.
Ayant reçu commande de la tarte, Peau d’âne prit de la farine, du sel, du beurre et des œufs frais, et s’enferma dans sa chambre. Elle nettoya son visage, ses mains et ses bras ; elle mit un tablier d’argent et commença sa tarte. Pendant qu’elle travaillait, une de ses belles bagues lui glissa du doigt, et tomba dans le gâteau sans qu’elle s’en rende compte. Lorsque le fils du roi mangea la tarte avec grand appétit, il faillit avaler l’anneau. Heureusement, il le remarqua à son émeraude qui scintillait, et admira l’étroite bague en or, qui marquait la forme menue du doigt de sa belle propriétaire.
Fou de joie, il rangea la bague dans sa poche et ne s’en sépara plus. Mais sa maladie s’aggravait et les médecins consultés disaient qu’il avait le mal d’amour. Ses parents décidèrent de lui chercher une épouse, mais le prince répondit :
« Je n’épouserai que la jeune femme au doigt de laquelle cette bague passera. »
Grande fut la surprise du roi et de la reine lorsqu’ils entendirent une demande aussi étrange, mais comme l’état du prince était très grave, ils n’osèrent pas le vexer et annoncèrent aussitôt que la jeune femme à qui irait l’anneau épouserait le prince, même si elle n’était pas de sang royal.
Toutes les femmes du royaume arrivèrent pour essayer la bague, les princesses, suivies par les duchesses, les marquises, les comtesses et les baronnes. Aucune n’avait le doigt assez fin. Les femmes de conditions plus modestes n’eurent pas plus de chance. Toutes les servantes du royaume échouèrent. Toutes sauf une qu’on n’avait pas fait venir, car on disait au prince que ça ne valait pas la peine d’essayer.
-Pourquoi pas? s’écria le prince.
Ils souriaient tous, mais le prince ajouta :
– Faîtes venir cette Peau d’âne!
Écartant les haillons et la vieille peau d’âne, il découvrit une petite main fine comme de l’ivoire légèrement rosée ; ils firent l’épreuve, et la bague s’ajusta à son doigt immédiatement au grand étonnement des courtisans. Le prince ôta alors la peau d’âne et dut alors se couvrir les yeux pour soutenir le scintillement de la roble de soleil et admirer la beauté qui était apparu devant lui. De grands yeux bleus en amande, un regard doux, plein de majesté, des cheveux blonds rappelant les rayons du soleil ; sa taille était incroyablement mince ; ses diamants éblouissaient et son costume était si riche qu’il était sans comparaison. Tout le monde applaudit, surtout les dames, et le roi et la reine furent ravis de découvrir la fiancée de leur fils.
Les ordres furent aussitôt donnés pour que le mariage ait lieu et le roi invita tous les monarques voisins, qui quittèrent leurs royaumes, certains montés sur de gros éléphants, d’autres sur des chevaux harnachés d’or et d’argent, et certains s’embarquèrent sur des bateaux qui avaient des lampes violettes. Mais si tous les princes rivalisaient de luxe pour montrer leur puissance, aucun n’égalait le père de la jeune mariée, qui avait finalement retrouvé la raison. Sa surprise fut grande et sa joie plus grande quand il retrouva sa fille qu’il embrassa en pleurant de joie ; et grande fut aussi la surprise du prince de connaître l’origine de sa fiancée. A ce moment, la marraine apparut, expliqua tout ce qui s’était passé, puis le mariage fut célébré et tout le monde vécut heureux.
L’Éventail Magique

Conte traditionnel chinois – version créée par contesdefees.com
Le jeune Chen-Shao vendait du poisson dans l’échoppe de ses parents au marché. Ils gagnaient tellement peu d’argent qu’ils avaient à peine de quoi survivre. Mais ce qui le préocupait encore plus était, qu’à cause de leur pauvreté, aucune jeune femme ne voulait se marier avec lui.
– Ne t’inquiète pas. Lui disait sa mère. Tu es encore jeune et tu plais aux filles.
En effet, Chen-Shao était grand et beau, et toutes les jeunes femmes soupiraient en pensant à lui. Mais leurs parents les décourageaient, leur disant:
– La jeunesse passe vite. Que pourra t‘offrir cet affamé quand vous aurez trente ans? – Et toutes abandonnaient leur rêve de mariage avec Chen-Shao.
Un jour, le chef des pêcheurs arriva à l’échoppe de mauvaise humeur et avec une liste interminable à la main et s’adressa ainsi au père:
– Voici la liste de tout ce que tu me dois. Avec tout ça, je pourrais m’acheter un bateau tout neuf. Tu n’auras plus de poisson tant que tu ne nous rembourses pas.
– Si tu fais cela, ma famille mourra de faim. Protesta le père.
Alors, Chen-Shao s’approcha du chef des pêcheurs et lui dit:
– M’acceptes-tu comme marin sur ton bateau en paiement de la dette de mon père?
Le pêcheur appréciant sa forte carrure accepta et dit:
– Rendez-vous demain sur la plage, avant le lever du soleil.
Mais Chen-Shao ne porta pas chance à l’équipage car ce jour là, le bateau se brisa en deux et coula. Chen-Shao s’accrocha à un morceau de bois qui flottait et se laissa emporter par les vagues.
Après une nuit de frayeur au milieu des vagues, il arriva sur une île magnifique et vit une maisonnette en haut de la colline.
Lorsqu’il y arriva la porte s’ouvrit sur une jeune femme de toute beauté qui lui dit:
– Enfin te voilà. Cela fait si longtemps que je t’attends
– Tu m’attendais, moi? S’exclama Chen-Shao surpris. Je n’ai malheureusement pas le souvenir de t’avoir vu avant, dit-il, déjà sous le charme de la jeune fille.
– Tu ne m’as peut être jamais vu, mais moi, cela fait de nombreuses années que je te connais.
Elle lui raconta alors qu’elle était la fille du dieu de la mer et qu’elle chevauchait parfois jusqu’à sa maison, et qu’elle le contemplait dans son sommeil.
Chen-Shao se dit que cela devait être un rêve, mais en se réveillant le lendemain matin, il constata que sa bien aimée était toujours là et lui disait:
– Mais bien sûr que ce n’est pas un rêve. Mon père est bien le dieu de la mer et il ne sait pas que cette île que je lui ai demandé en cadeau, était destinée à t’accueillir. Il serait capable de te tuer si il l’apprenait. Tu ne dois sortir sous aucun prétexte.
– Pour toi, ma bien-aimée, je resterai caché dans l’espace d’un coquillage. Dit Chen-Shao.
Ainsi passèrent dix mois de bonheur absolu pour les deux amoureux. Un jour la jeune fille lui dit:
– Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma tante, je dois y aller pour ne pas éveiller les soupçons de mon père.
Chen-Shao était très triste car il ne pouvait plus vivre sans la jeune fille.
– Je serai de retour ce soir-même. Le consola-t-elle. Si tu t’ennuies, tu peux ouvrir la fenêtre du Nord, celle du Sud, celle de l ‘Est, mais en aucun cas celle de l’Ouest.
Puis elle sortit une épée faite de perles et lui dit:
– Si une créature étrange t’attaque, dit simplement: “Épée magique, coupe la tête de ce monstre” et elle te protégera.
La princesse monta sur ton cheval ailé et s’envola dans les nuages.
Le temps passait et Chen-Saho commençait à s’ennuyer. Il pensait à sa bien aimée et ne pouvait supporter l’attente de la revoir.
Il ouvrit la fenêtre du Nord et aperçut toutes les beautés du monde.
Puis il ouvrit la fenêtre du Sud et il vit tous les oiseaux du ciel réunis devant lui.
Il ouvrit la fenêtre de l’Est, et vit toutes les richesses de la mer.
Mais toutes ces merveilles ne pouvait lui faire oublier son amour et, dans sa folie amoureuse, il ouvrit la fenêtre de l’Ouest sans se rappeler du conseil de sa bien aimée.
Par la fenêtre interdite, Il vit deux créatures de la mer qui étaient sur une barque non loin de l’île. Les monstres l’aperçurent aussi car le charme qui cachait l’île était rompu. Ils abordèrent l’île pour le capturer. Mais Chen-Shao se souvint de l’épée et lui cria: “Épée magique, coupe la tête de ce monstre”. Et l’Épée égorgea les deux créatures.
La princesse qui était toujours chez sa tante eut un présentiment et pâlit. Sa tante, croyant à un malaise, lui donna un éventail magique qui, si on l’agitait très fort, avait le pouvoir de grossir les vagues et de créer des tempêtes. La princesse l’emporta avec elle sur son cheval ailé et revint à son île.
Après qu’il eut avoué sa faute et raconté toute sa mésaventure, elle consola Chen-Shao honteux, et lui dit:
– Nous devons partir d’ici car mon père enverra son armée pour te capturer en apprenant que tu as tué deux de ses soldats.
Mais juste à ce moment- là, des milliers de créatures sous-marines sortirent de la mer et entourèrent l’île pour les attaquer.
– Je vais me rendre. Dit Chen-Shao. Je suis responsable de cette situation.
Mais la jeune femme le retint, sortit l’éventail de sa tante et l’agita de toutes ses forces. Ceci provoqua la levée de vagues gigantesques qui balayèrent l’armée de la mer.
– Sauvons-nous d’ici. Dit-elle. Nous avons gagné une bataille, mais nous ne gagnerons pas la guerre.
Ils montèrent sur le cheval volant et se rendirent au village de Chen-Shao ou elle lui dit encore:
– Prends-moi pour épouse, ainsi mon père saura que je t’aime et arrêtera de nous poursuivre.
– Mais je suis pauvre. Dit Chen-Shao.
La jeune femme lui sourit et commença à secouer sa chevelure. Il en sortit perles, coraux, et d’autres nombreux trésors de la mer.
– Si cela te parait peu, nous en demanderons plus à mon père.
Mais Chen-Shao ne vécut pas dans le luxe. Il préféra aider son père au marché et ne sortit plus jamais en mer.
Quand il manquait de poisson, sa femme allait à la plage et chantait une étrange chanson qui faisait s’échouer de nombreux poissons sur le sable.
– Pourquoi es-tu surpris? Demandait-elle avec tendresse. Mon père est le dieu de la mer et c’est sa chanson préférée.
Et elle agitait l’éventail pour grossir les vagues et pour que sa tante sache qu’elle se rappelait d’elle.
Raiponce

Jacob et Wilhelm Grimm, version de Contesdefees.com, illustrations Arthur Rackham et autres.
Il était une fois un couple qui souhaitaient depuis longtemps avoir un enfant. Un jour enfin, leur voeux fut exaucé et la femme tomba enceinte.
Ces gens avaient à l’arrière de leur maison, une petite fenêtre depuis laquelle ils pouvaient apercevoir un splendide jardin où poussaient les plus belles fleurs et surtout de magnifiques raiponces ; mais il était entouré d’un haut mur et personne ne s’y risquait car il appartenait à une puissante magicienne que tous craignaient.
Tous les jours, la femme se tenait devant la fenêtre et regardait dans le jardin. Plus elle voyait les raiponces, plus l’envie d’en manger grandissait en elle.
Elle devint tellement obsédée par ces fleurs comestibles qu’elle commença à dépérir, pâlir et avoir l’air de plus en plus misérable.
Alors son mari prit peur et lui demanda :
— Que te manque-t-il ma chère épouse ?
— Hélas, répondit-elle, si je ne peux manger de ces raiponces du jardin derrière notre maison, je crois que je mourrai. »
L’homme qui aimait sa femme pensa :
— »Eh, laisseras-tu ton épouse mourir ? Va lui chercher des raiponces quoiqu’il put t’en coûter.
Lorsque le crépuscule fut arrivé, il escalada le mur du jardin de la magicienne, cueillit rapidement une pleine poignée de raiponces et les rapporta à son épouse. Elle s’en fit aussitôt une salade et la mangea d’un coup avidement. Elles lui plurent tant que le jour suivant, elle en eut encore trois fois plus envie. Pour la calmer, l’homme dut encore une fois escalader le mur du jardin. Il le fit à nouveau au crépuscule. Mais tandis qu’il grimpait au mur il fut brusquement effrayé car il aperçut la magicienne qui se tenait devant lui.
— Comment oses-tu me voler mes raiponces comme un brigand ? Tu vas être puni ! » , dit-elle avec courroux.
— Pitié ! répondit-il, veuillez me pardonner. Je ne l’ai fait que par nécessité. Mon épouse enceinte a vu vos raiponces depuis notre fenêtre et elle en conçut une telle envie qu’elle serait morte si elle n’avait pu en manger. » La magicienne laissa alors tomber son courroux et lui dit :
— »Prends-en autant que tu voudras, mais ta peine n’en sera pas modifiée: tu devras me donner l’enfant que ta femme mettra au monde. Il sera bien traité et je m’en occuperai comme une mère. »
L’homme par peur acquiesça à tout, et lorsque après quelques semaines sa femme accoucha, apparut immédiatement la magicienne, qui donna le nom de Raiponce à l’enfant et l’emmena avec elle.
Raiponce devint la plus belle enfant qui soit. Lorsqu’elle eut douze ans, la magicienne l’enferma dans une tour qui se dressait au milieu d’une forêt et qui ne possédait ni escalier ni porte ; seule tout en haut, s’ouvrait une petite fenêtre.
Les années passaient.
Quand la magicienne voulait entrer, elle se tenait au bas et criait :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Raiponce avait de très longs et splendides cheveux fins et filés comme de l’or. Elle ne les avait jamais coupé. Lorsque la voix de la magicienne lui parvenait, elle dénouait ses nattes, les passait autour d’un crochet de la fenêtre et les laissait tomber vingt pieds plus bas. Ainsi grâce à la chevelure immense, la magicienne pouvait grimper dans la tour.
Les années passaient lentement pour Raiponce, lorsqu’un jour, le fils du roi qui chevauchait par ces bois vint à passer près de la tour. Il entendit un chant qui était si doux qu’il s’arrêta et écouta. C’était Raiponce, qui dans sa solitude passait le temps en chantant et faisait résonner sa douce voix. Le fils du roi voulut monter auprès d’elle et chercha une porte : mais il n’en trouva aucune. Il s’en retourna alors chez lui. Mais le chant l’avait tellement ému, que chaque jour il partait pour les bois pour l’écouter. Une fois alors qu’il se tenait sous un arbre, il vit la magicienne venir et il l’entendit appeler :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Alors Raiponce laissa tomber ses tresses et la magicienne grimpa.
Le prince ayant compris comment atteindre la fenêtre attendit que la sorcière soit redescendue, puis il s’avança vers la tour et appela :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Aussitôt, la chevelure chut et le prince escalada la tour.
Raiponce fut d’abord bien effrayée qu’un homme vint jusqu’à elle alors qu’elle n’en avait jamais vu de sa pauvre vie de recluse. Cependant le prince commença à lui parler amicalement et lui raconta que son cœur avait été si profondément ému par son chant qu’il ne n’avait pu s’empêcher de revenir et risquer sa vie pour elle.
Il lui demanda immédiatement si elle voulait devenir sa femme et venir avec lui dans le château de ses parents.
Remise de sa frayeur et attendrie par l’amour et la beauté du prince, Raiponce lui prit la main et accepta en disant :
— Je veux bien venir avec toi mais je ne pourrai pas descendre. Va chercher un morceau de soie dont je ferai une échelle et lorsqu’elle sera prête, je descendrai pour que tu m’emportes sur ton cheval. »
Le prince accepta et redescendit par la chevelure de sa bien aimée.
Le lendemain, lorsque la sorcière monta, elle sentit immédiatement qu’un homme était entré dans la tour et elle s’ecria:
— Enfant maudite ! Je pensais t’avoir mise à l’écart du monde pour te garder à moi à jamais mais tu m’as trahie !
Dans sa colère elle attrapa la chevelure de Raiponce, saisit de sa main droite une paire de ciseaux et en un clin d’œil coupa les grandes tresses blondes.
Par un sort maléfique, elle envoya ensuite Raiponce dans une contrée lointaine et désertique, où elle dut vivre dans la privation et la peine.
Le soir même, la magicienne accrocha les tresses à la fenêtre et lorsque le prince arriva et appela :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Elle laissa tomber les cheveux. Le prince monta mais au lieu de sa chère Raiponce, il vit la magicienne qui lui jetait un regard méchant et empoisonné.
— »Ahah ! » ricana-t-elle « tu viens chercher ta bien-aimée, mais le bel oiseau n’est plus au nid et ne chante plus, le chat l’a emporté et il va de plus t’arracher les yeux. Raiponce est perdue pour toi, tu ne la reverras plus jamais ! »
Le prince sentit la douleur l’envahir et de désespoir, bondit par la fenêtre. Il survécut mais les épines du bosquet dans lequel il tomba lui crevèrent les yeux. Il erra aveugle dans la forêt ne mangeant que des racines et des baies et pleurant constamment la perte de sa chère promise.
Il erra ainsi plusieurs années misérablement et atteignit finalement la contrée déserte où Raiponce survivait péniblement avec les jumeaux qu’elle avait mis au monde, un garçon et une fille. Il entendit une voix, qui lui sembla familière. Il s’approcha et Raiponce le reconnut, elle se pendit à son cou et se mit à pleurer.
Deux de ses larmes tombèrent dans ses yeux et il recouvra ainsi la vue qu’il avait perdue.
Il l’emmena dans son royaume où ils furent accueillis avec joie. Ils y vécurent longtemps heureux et sereins.
La Belle et la Bête

Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et, comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres.
Ses filles étaient très-belles ; mais la cadette, surtout, se faisait admirer, et on ne l’appelait, quand elle était petite, que La belle enfant ; en sorte que le nom lui en resta ; ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs.
Cette cadette, qui était plus belle que ses sœurs, était aussi meilleure qu’elles. Les deux aînées avaient beaucoup d’orgueil, parce qu’elles étaient riches ; elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands ; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres.
Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage ; mais les deux aînées répondirent qu’elles ne se marieraient jamais, à moins qu’elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte.
La Belle (car je vous ai dit que c’était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l’épouser ; mais elle leur dit : qu’elle était trop jeune, et qu’elle souhaitait de tenir compagnie à son père pendant quelques années.
Or tout d’un coup le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu’une petite maison de campagne, bien loin de la ville.
Il dit en pleurant, à ses enfants, qu’il fallait aller demeurer dans cette maison, et, qu’en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre.
Ses deux filles aînées répondirent qu’elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu’elles avaient plusieurs amans qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu’elles n’eussent plus de fortune : les bonnes demoiselles se trompaient ; leurs amans ne voulurent plus les regarder, quand elles furent pauvres.
Comme personne ne les aimait à cause de leur fierté, on disait : « elles ne méritent pas qu’on les plaigne, nous sommes bien aises de voir leur orgueil abaissé ; qu’elles aillent faire les dames en gardant les moutons ». Mais en même temps, tout le monde disait : « pour la Belle, nous sommes bien fâchés de son malheur ; c’est une si bonne fille ; elle parlait aux pauvres gens avec tant de bonté ; elle était si douce, si honnête ». Il y eut même plusieurs gentilshommes qui voulurent l’épouser, quoiqu’elle n’eut pas un sou ; mais elle leur dit : qu’elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner son pauvre père dans son malheur, et qu’elle le suivrait à la campagne, pour le consoler et lui aider à travailler.
La pauvre Belle avait été bien affligée d’abord de perdre sa fortune ; mais elle s’était dit à elle-même : quand je pleurerai bien fort, mes larmes ne me rendront pas mon bien ; il faut tâcher d’être heureuse sans fortune.
Quand ils furent arrivés à leur maison de campagne, le marchand et ses trois fils s’occupèrent à labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison et d’apprêter à dîner pour la famille.
Elle eut d’abord beaucoup de peine, car elle n’était pas accoutumée à travailler comme une servante ; mais, au bout de deux mois, elle devint plus forte, et la fatigue lui donna une santé parfaite. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien elle chantait en filant.
Ses deux sœurs, au contraire, s’ennuyaient à la mort ; elles se levaient à dix heures du matin, se promenaient toute la journée, et s’amusaient à regretter leurs beaux habits et les compagnies. Voyez notre cadette, disaient-elles entre elles, elle a l’âme basse, et est si stupide qu’elle est contente de sa malheureuse situation.
Le bon marchand ne pensait pas comme ses filles. Il savait que la Belle était plus propre que ses sœurs à briller dans les compagnies. Il admirait la vertu de cette jeune fille, et surtout sa patience ; car ses sœurs, non contentes de lui laisser faire tout l’ouvrage de la maison, l’insultaient à tout moment.
Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre, par laquelle on lui marquait qu’un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d’arriver heureusement.
Cette nouvelle fit tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu’à la fin elles pourraient quitter cette campagne, où elles s’ennuyaient tant ; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles.
La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même, que tout l’argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses sœurs souhaitaient.
– Tu ne me pries pas de t’acheter quelque chose, lui dit son père.
– Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m’apporter une rose, car il n’en vient point ici.
Ce n’est pas que la Belle se souciât d’une rose ; mais elle ne voulait pas condamner, par son exemple, la conduite de ses sœurs, qui auraient dit, que c’était pour se distinguer qu’elle ne demandait rien.
Le bon homme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès pour ses marchandises, et, après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu’il était auparavant.
Il n’avait plus que trente milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants ; mais, comme il fallait passer un grand bois, avant de trouver sa maison, il se perdit.
Il neigeait horriblement ; le vent était si grand, qu’il le jeta deux fois en bas de son cheval, et, la nuit étant venue, il pensa qu’il mourrait de faim ou de froid, ou qu’il serait mangé des loups, qu’il entendait hurler autour de lui.
Tout d’un coup, en regardant au bout d’une longue allée d’arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d’un grand palais qui était tout illuminé.
Le marchand remercia Dieu du secours qu’il lui envoyait, et se hâta d’arriver à ce château ; mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une grande écurie ouverte, entra dedans ; et, ayant trouvé du foin et de l’avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d’avidité. Le marchand l’attacha dans l’écurie, et marcha vers la maison, où il ne trouva personne ; mais, étant entré dans une grande salle, il y trouva un bon feu, et une table chargée de viande, où il n’y avait qu’un couvert. Comme la pluie et la neige l’avaient mouillé jusqu’aux os, il s’approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même : le maître de la maison ou ses domestiques me pardonneront la liberté que j’ai prise, et sans doute ils viendront bientôt. Il attendit pendant un temps considérable ; mais onze heures ayant sonné, sans qu’il vit personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet qu’il mangea en deux bouchées, et en tremblant. Il but aussi quelques coups de vin, et, devenu plus hardi, il sortit de la salle, et traversa plusieurs grands appartements, magnifiquement meublés. À la fin il trouva une chambre où il y avait un bon lit, et comme il était minuit passé, et qu’il était las, il prit le parti de fermer la porte et de se coucher.
Il était dix heures du matin quand il se leva le lendemain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre à la place du sien qui était tout gâté. Assurément, dit-il, en lui-même, ce palais appartient à quelque bonne Fée qui a eu pitié de ma situation. Il regarda par la fenêtre et ne vit plus de neige ; mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. Il rentra dans la grande salle où il avait soupé la veille, et vit une petite table où il y avait du chocolat. Je vous remercie, madame la Fée, dit-il tout haut, d’avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. Le bon homme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et, comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs. En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une Bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. « Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête, d’une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses que j’aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; je ne vous donne qu’un quart d’heure pour demander pardon à Dieu. Le marchand se jeta à genoux, et dit à la bête, en joignant les mains : — Monseigneur, pardonnez-moi, je ne croyais pas vous offenser en cueillant une rose pour une de mes filles, qui m’en avait demandé. — Je ne m’appelle point monseigneur, répondit le monstre, mais la Bête. Je n’aime point les compliments, moi, je veux qu’on dise ce que l’on pense ; ainsi, ne croyez pas me toucher par vos flatteries ; mais vous m’avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu’une de vos filles vienne volontairement, pour mourir à votre place : ne me raisonnez pas ; partez, et si vos filles refusent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois mois. Le bon homme n’avait pas dessein de sacrifier une de ses filles à ce vilain monstre ; mais il pensa, au moins, j’aurai le plaisir de les embrasser encore une fois. Il jura donc de revenir, et la Bête lui dit qu’il pouvait partir quand il voudrait ; mais, ajouta-t-elle, je ne veux pas que tu t’en ailles les mains vides. Retourne dans la chambre où tu as couché, tu y trouveras un grand coffre vide ; tu peux y mettre tout ce qui te plaira ; je le ferai porter chez toi. En même temps, la Bête se retira, et le bon homme dit en lui-même ; s’il faut que je meure, j’aurai la consolation de laisser du pain à mes pauvres enfants.
Il retourna dans la chambre où il avait couché, et, y ayant trouvé une grande quantité de pièces d’or, il remplit le grand coffre, dont la Bête lui avait parlé, le ferma, et, ayant repris son cheval qu’il retrouva dans l’écurie, il sortit de ce palais avec une tristesse égale à la joie qu’il avait, lorsqu’il y était entré. Son cheval prit de lui-même une des routes de la forêt, et en peu d’heures, le bon homme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassemblèrent autour de lui ; mais, au lieu d’être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer en les regardant. Il tenait à la main la branche de roses, qu’il apportait à la Belle : il la lui donna, et lui dit : la Belle, prenez ces roses ; elles coûteront bien cher à votre malheureux père ; et tout de suite, il raconta à sa famille la funeste aventure qui lui était arrivée. À ce récit, ses deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle qui ne pleurait point. Voyez ce que produit l’orgueil de cette petite créature, disaient-elles ; que ne demandait-elle des ajustements comme nous ? mais non, mademoiselle voulait se distinguer ; elle va causer la mort de notre père et elle ne pleure pas. Cela serait fort inutile, reprit la Belle, pourquoi pleurerais-je la mort de mon père ? il ne périra point. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie, et je me trouve fort heureuse, puisqu’en mourant j’aurai la joie de sauver mon père et de lui prouver ma tendresse. Non, ma sœur, lui dirent ses trois frères, vous ne mourrez pas, nous irons trouver ce monstre, et nous périrons sous ses coups, si nous ne pouvons le tuer. Ne l’espérez pas, mes enfants, leur dit le marchand, la puissance de cette Bête est si grande, qu’il ne me reste aucune espérance de la faire périr. Je suis charmé du bon cœur de la Belle, mais je ne veux pas l’exposer à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que peu de temps à vivre ; ainsi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu’à cause de vous, mes chers enfants. Je vous assure, mon père, lui dit la Belle, que vous n’irez pas à ce palais sans moi ; vous ne pouvez m’empêcher de vous suivre. Quoique je sois jeune, je ne suis pas fort attachée à la vie, et j’aime mieux être dévorée par ce monstre, que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. On eut beau dire, la Belle voulut absolument partir pour le beau palais, et ses sœurs en étaient charmées, parce que les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Le marchand était si occupé de la douleur de perdre sa fille, qu’il ne pensait pas au coffre qu’il avait rempli d’or ; mais, aussitôt qu’il se fut renfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu’il était devenu si riche, parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville ; qu’il était résolu de mourir dans cette campagne ; mais il confia ce secret à la Belle qui lui apprit qu’il était venu quelques gentilshommes pendant son absence, et qu’il y en avait deux qui aimaient ses sœurs. Elle pria son père de les marier ; car elle était si bonne qu’elle les aimait, et leur pardonnait de tout son cœur le mal qu’elles lui avaient fait. Ces deux méchantes filles se frottaient les yeux avec un oignon, pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père ; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le marchand : il n’y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu’elle ne voulait pas augmenter leur douleur. Le cheval prit la route du palais, et sur le soir ils l’aperçurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l’écurie, et le bon homme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table magnifiquement servie, avec deux couverts. Le marchand n’avait pas le cœur de manger ; mais Belle s’efforçant de paraître tranquille, se mit à table, et le servit ; puis elle disait en elle-même : la Bête veut m’engraisser avant de me manger, puisqu’elle me fait si bonne chère. Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant ; car il pensait que c’était la Bête. Belle ne put s’empêcher de frémir en voyant cette horrible figure ; mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c’était de bon cœur qu’elle était venue ; elle lui dit, en tremblant, qu’oui. Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous suis bien obligé. Bon homme, partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu, la Belle. Adieu, la Bête, répondit-elle, et tout de suite le monstre se retira. Ah ! ma fille, lui dit le marchand, en embrassant la Belle, je suis à demi-mort de frayeur. Croyez-moi, laissez-moi ici ; non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, et vous m’abandonnerez au secours du ciel ; peut-être aura-t-il pitié de moi. Ils furent se coucher, et croyaient ne pas dormir de toute la nuit ; mais à peine furent-ils dans leurs lits que leurs yeux se fermèrent. Pendant son sommeil, la Belle vit une dame qui lui dit : « Je suis contente de votre bon cœur, la Belle ; la bonne action que vous faites, en donnant votre vie, pour sauver celle de votre père, ne demeurera point sans récompense ». La Belle, en s’éveillant, raconta ce songe à son père, et, quoiqu’il le consolât un peu, cela ne l’empêcha pas de jeter de grands cris, quand il fallut se séparer de sa chère fille.
Lorsqu’il fut parti, la Belle s’assit dans la grande salle, et se mit à pleurer aussi ; mais, comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne point se chagriner, pour le peu de temps qu’elle avait à vivre ; car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant, et de visiter ce beau château. Elle ne pouvait s’empêcher d’en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte, sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle.

« elle fut bien surprise de trouver une porte, sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle »
Elle ouvrit cette porte avec précipitation, et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait ; mais ce qui frappa le plus sa vue fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique. On ne veut pas que je m’ennuie, dit-elle, tout bas ; elle pensa ensuite, si je n’avais qu’un jour à demeurer ici, on ne m’aurait pas fait une telle provision. Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque, et vit un livre où il y avait écrit en lettres d’or : Souhaitez, commandez ; vous êtes ici la reine et la maîtresse. Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père, et de savoir ce qu’il fait à présent : elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise ! en jetant les yeux sur un grand miroir, d’y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. Ses sœurs venaient au-devant de lui, et, malgré les grimaces qu’elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu’elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s’empêcher de penser que la Bête était bien complaisante, qu’elle n’avait rien à craindre d’elle.
À midi, elle trouva la table mise, et, pendant son dîner elle entendit un excellent concert, quoiqu’elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s’empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ? — Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. — Non, répondit la Bête, il n’y a ici de maîtresse que vous. Vous n’avez qu’à me dire de m’en aller si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n’est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? — Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon. — Vous avez raison, dit le monstre, mais, outre que je suis laid, je n’ai point d’esprit : je sais bien que je ne suis qu’une Bête. — On n’est pas Bête, reprit la Belle, quand on croit n’avoir point d’esprit : un sot n’a jamais su cela. — Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre ; et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison, car tout ceci est à vous ; et j’aurais du chagrin, si vous n’étiez pas contente. — Vous avez bien de la bonté, lui dit la Belle. Je vous avoue que je suis bien contente de votre cœur ; quand j’y pense, vous ne me paraissez plus si laid. — Oh dame, oui, répondit la Bête, j’ai le cœur bon, mais je suis un monstre. — Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle ; et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d’hommes, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. — Si j’avais de l’esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier ; mais je suis un stupide, et tout ce que je puis vous dire, c’est que je vous suis bien obligé.
La Belle soupa de bon appétit. Elle n’avait presque plus peur du monstre ; mais elle manqua mourir de frayeur, lorsqu’il lui dit : « La Belle, voulez-vous être ma femme ? » Elle fut quelque temps sans répondre : elle avait peur d’exciter la colère du monstre, en le refusant : elle lui dit pourtant en tremblant : non la Bête. Dans ce moment, ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit ; mais Belle fut bientôt rassurée, car la Bête lui ayant dit tristement : Adieu donc la Belle, sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps pour la regarder encore. Belle se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête : Hélas ! disait-elle, c’est bien dommage qu’elle soit si laide, elle est si bonne !
Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs, la Bête lui rendait visite, l’entretenait pendant le souper, avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu’on appelle esprit, dans le monde. Chaque jour, Belle découvrait de nouvelles bontés dans ce monstre. L’habitude de le voir l’avait accoutumée à sa laideur ; et, loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre, pour voir s’il était bientôt neuf heures ; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n’y avait qu’une chose qui faisait de la peine à la Belle, c’est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur lorsqu’elle lui disait que non. Elle dit un jour : « Vous me chagrinez, la Bête ; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop sincère pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je serai toujours votre amie ; tâchez de vous contenter de cela. — Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup ; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais ». La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de l’avoir perdue ; et elle souhaitait de le revoir.
« Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout-à-fait ; mais j’ai tant d’envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. — J’aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. — Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m’avez fait voir que mes sœurs sont mariées, et que mes frères sont partis pour l’armée. Mon père est tout seul, souffrez que je reste chez lui une semaine. — Vous y serez demain au matin, dit la Bête ; mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n’aurez qu’à mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu, la Belle ». La Bête soupira selon sa coutume, en disant ces mots, et la Belle se coucha toute triste de la voir affligée. Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva dans la maison de son père ; et, ayant sonné une clochette qui était à côté de son lit, elle vit venir la servante qui fit un grand cri en la voyant. Le bon homme accourut à ce cri, et manqua mourir de joie en revoyant sa chère fille ; et ils se tinrent embrassés plus d’un quart-d ’heure. La Belle, après les premiers transports, pensa qu’elle n’avait point d’habits pour se lever ; mais la servante lui dit, qu’elle venait de trouver dans la chambre voisine un grand coffre plein de robes toutes d’or, garnies de diamants. Belle remercia la bonne Bête de ses attentions ; elle prit la moins riche de ces robes, et dit à la servante de serrer les autres, dont elle voulait faire présent à ses sœurs ; mais à peine eut-elle prononcé ces paroles, que le coffre disparut. Son père lui dit que la Bête voulait qu’elle gardât tout cela pour elle ; et aussitôt les robes et le coffre revinrent à la même place. La Belle s’habilla ; et, pendant ce temps on fut avertir ses sœurs qui accoururent avec leurs maris ; elles étaient toutes deux fort malheureuses. L’aînée avait épousé un gentilhomme, beau comme le jour ; mais il était si amoureux de sa propre figure, qu’il n’était occupé que de cela, depuis le matin jusqu’au soir, et méprisait la beauté de sa femme. La seconde avait épousé un homme qui avait beaucoup d’esprit ; mais il ne s’en servait que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la première. Les sœurs de la Belle manquèrent de mourir de douleur, quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui augmenta beaucoup, quand elle leur eut conté combien elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent dans le jardin pour y pleurer tout à leur aise, et elles se disaient : « Pourquoi cette petite créature est-elle plus heureuse que nous ? Ne sommes-nous pas plus aimables qu’elle ? — Ma sœur, dit l’aînée, il me vient une pensée ; tâchons de l’arrêter ici plus de huit jours ; sa sotte Bête se mettra en colère de ce qu’elle lui aura manqué de parole, et peut-être qu’elle la dévorera. — Vous avez raison, ma sœur, répondit l’autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes caresses ; et, ayant pris cette résolution, elles remontèrent, et firent tant d’amitié à leur sœur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux sœurs s’arrachèrent les cheveux, et firent tant les affligées de son départ, qu’elle promit de rester encore huit jours chez son père.
Cependant Belle se reprochait le chagrin qu’elle allait donner à sa pauvre Bête, qu’elle aimait de tout son cœur, et elle s’ennuyait de ne plus la voir. La dixième nuit qu’elle passa chez son père, elle rêva qu’elle était dans le jardin du palais, et qu’elle voyait la Bête couchée sur l’herbe et près de mourir, qui lui reprochait son ingratitude. La Belle se réveilla en sursaut, et versa des larmes. — Ne suis-je pas bien méchante, disait-elle, de donner du chagrin à une Bête qui a pour moi tant de complaisance ? Est-ce sa faute si elle est si laide, et si elle a peu d’esprit ? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n’ai-je pas voulu l’épouser ? Je serais plus heureuse avec elle, que mes sœurs avec leurs maris. Ce n’est ni la beauté, ni l’esprit d’un mari qui rendent une femme contente : c’est la bonté du caractère, la vertu, la complaisance ; et la Bête a toutes ces bonnes qualités. Je n’ai point d’amour pour elle, mais j’ai de l’estime, de l’amitié, de la reconnaissance. Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse : je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude. À ces mots, Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. À peine fut-elle dans son lit, qu’elle s’endormit ; et, quand elle se réveilla le matin, elle vit avec joie qu’elle était dans le palais de la Bête. Elle s’habilla magnifiquement pour lui plaire, et s’ennuya à mourir toute la journée, en attendant neuf heures du soir ; mais l’horloge eut beau sonner, la Bête ne parut point. La Belle alors craignit d’avoir causé sa mort. Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l’avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu’elle était morte.
Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure ; et, sentant que son cœur battait encore, elle prit de l’eau dans le canal, et lui en jeta sur la tête. La bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle : « Vous avez oublié votre promesse ; le chagrin de vous avoir perdue m’a fait résoudre à me laisser mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j’ai le plaisir de vous revoir encore une fois. — Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! je croyais n’avoir que de l’amitié pour vous ; mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. À peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles qu’elle vit le château brillant de lumière ; les feux d’artifices, la musique, tout lui annonçait une fête ; mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point sa vue : elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’Amour, qui la remerciait d’avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s’empêcher de lui demander où était la Bête. — Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m’avait condamné à rester sous cette figure, jusqu’à ce qu’une belle fille consentit à m’épouser, et elle m’avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n’y avait que vous dans le monde, assez bonne pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère ; et, en vous offrant ma couronne, je ne puis m’acquitter des obligations que je vous ai. La Belle, agréablement surprise, donna la main à ce beau prince pour se relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle manqua mourir de joie en trouvant, dans la grande salle, son père et toute sa famille, que la belle dame, qui lui était apparue en songe, avait transportée au château. — Belle, lui dit cette dame qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix : vous avez préféré la vertu à la beauté et à l’esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine : j’espère que le trône ne détruira pas vos vertus. — Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux sœurs de Belle, je connais votre cœur et toute la malice qu’il renferme. Devenez deux statues ; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre sœur, et je ne vous impose point d’autre peine que d’être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état qu’au moment où vous reconnaîtrez vos fautes ; mais j’ai bien peur que vous ne restiez toujours statues. On se corrige de l’orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse : mais c’est une espèce de miracle que la conversion d’un cœur méchant et envieux. Dans le moment, la fée donna un coup de baguette qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle, dans le royaume du prince. Ses sujets le virent avec joie, et il épousa la Belle qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu’il était fondé sur la vertu.
Conte du IIème siècle. Version de Jeanne Marie Leprince de Beaumont, Contes moraux pour l’instruction de la jeunesse, Barba, 1806 (p. 1-32). Illustrations de l’édition de 1870, Librairie Hachette & Cie.
Racontée par Sophie de Pas
Le Loup et les Sept Chevreaux

Conte des frères Grimm. Adaptation par contesdefees.com.
Une chèvre avait sept petits qu’elle aimait et qu’elle protégeait soigneusement du loup. Un jour, alors qu’elle devait sortir chercher à manger, elle convoqua tout le monde et dit : « Chers enfants, je dois sortir chercher de la nourriture, protégez-vous du loup et ne le laissez pas entrer. Faites très attention, car il fait souvent semblant d’être gentil mais on le reconnaît à sa voix rauque et à ses pattes noires ; Ne lui ouvrez la porte en aucun cas, car il vous mangerait tous en une bouchée. »
Puis elle s’en alla, mais bientôt le loup arriva à la porte d’entrée et dit d’une voix faussée: « Chers enfants, ouvrez-moi, je suis votre mère et j’ai apporté de belles choses du marché. » Mais les sept chevreaux répondirent : « Tu n’es pas notre mère, elle a une belle et jolie voix, mais ta voix est rauque, tu es le loup, nous ne t’ouvrirons pas! »
Alors le loup alla au magasin et acheta un gros morceau de craie, qu’il mangea pour affiner sa voix. Puis il retourna à la porte des sept biquets et cria d’une voix plus douce: « Chers enfants, laissez-moi entrer, je suis votre mère, je vous rapporte quelque chose à chacun de vous. » Mais il avait mis sa patte sur le bord de la fenêtre, et les chevreaux la virent et dirent : « Tu n’es pas notre mère, elle n’a pas de patte noire comme toi ; tu es le loup, nous ne t’ouvrirons pas. » Le loup furieux alla chez un boulanger et dit : » Boulanger, enduit ma patte de pâte fraîche « , et quand cela fut fait, il alla chez le meunier et dit : « Meunier, enduits ma patte de ta farine blanche. » Le meunier protesta. – » Si tu ne le fais pas, je te mangerai. » Alors le meunier s’exécuta.
Puis le loup retourna à la porte d’entrée des sept Chevreaux et dit : « Chers enfants, laissez-moi entrer, je suis votre mère, je rapporte un cadeau pour chacun d’entre vous. » Les sept Chevreaux voulaient d’abord voir la patte, et comme ils virent qu’elle était blanche comme neige et entendirent le loup parler si doucement, ils crurent cette fois que c’était leur mère pour de bon et ouvrirent la porte, et le loup entra. Lorsqu’ils le reconnurent, ils se cachèrent au plus vite, l’un sous la table, le deuxième dans le lit, le troisième dans le four, le quatrième dans la cuisine, le cinquième dans l’armoire, le sixième sous un grand bol ; le septième dans l’horloge au mur. Mais le loup les trouva et les avala tous, à l’exception du plus jeune qui était dans l’horloge.
Bien rassasié, le Loup s’en alla, et peu après la maman chèvre revint à la maison. Quelle tristesse en voyant que le loup avait mangé ses chers enfants. Elle pensa qu’ils étaient tous morts et pleurait amèrement lorsque soudain, le plus jeune sauta de l’horloge murale et raconta comment tout s’était passé.
Pendant ce temps là, le loup qui avait trop mangé, alla dans un champs, se coucha au soleil et tomba dans un profond sommeil. La maman chèvre, en l’apercevant, se demanda si elle pouvait encore sauver ses enfants, et dit au plus jeune : « Prends du fil, une aiguille et des ciseaux et suis-moi. » Puis elle s’approcha du loup en train de ronfler : « Voilà le grand méchant loup bien endormi, dit-elle en le regardant de tous côtés, passe-moi vite les ciseaux. Le petit lui tendit les ciseaux et elle ouvrit le ventre du loup d’un coup.
Les six petits biquets sortirent indemnes car heureusement le loup les avaient avalé sans les croquer. Leur mère les embrassa en pleurant et leur dit d’aller tout de suite chercher de grosses et lourdes briques, avec lesquelles ils remplirent le ventre du loup, le recousirent et s’enfuirent se cacher derrière une haie.
Quand le loup se réveilla, il avait mal et il dit : «j’ai l’estomac bien lourd ». Il pensa que boire de l’eau lui ferait du bien, et ayant trouvé un puits, il se pencha pour boire.
Mais le poids des pierres était tel, qu’il l’entraîna vers l’avant et le méchant loup tomba au fonds du puits.
Lorsque les sept biquets et leur mère virent cela, il sautèrent de joie et dansèrent autour du puits.
Sinbad le marin

Il y a très longtemps, vivait à Bagdad un jeune homme qui se plaignait de la dureté de son travail de transporteur. Un jour, après avoir terminé sa journée, il s’assit pour se reposer un moment près de la porte de la maison d’un riche marchand. L’homme, qui était à l’intérieur, l’entendit se plaindre.
– Travailler et travailler encore. Est-ce donc ça la vie?
Le marchand eut pitié du garçon et l’invita à un dîner chaud. Le garçon accepta et fut étonné d’entrer dans une maison aussi luxueuse avec des mets si riches sur la table.
« Je ne sais pas quoi dire, monsieur !… Je n’ai jamais vu autant de richesse.
– C’est vrai – répondit poliment l’homme – J’ai beaucoup de chance, mais je veux te dire comment j’ai obtenu tout ce que tu vois. Personne ne m’a rien donné et j’aimerais que tu comprennes que c’est le fruit de beaucoup d’efforts.
Le marchand, qui s’appelait Sinbad, raconta son histoire au garçon intrigué.
– En mourant, commença t-il, mon père me laissa une bonne fortune, mais je la gaspillais jusqu’à ce qu’il ne me reste plus rien. Je décidais donc de me faire marin.
– Marin! Quelle merveille!
– Oui, mais ce ne fut pas si facile. Lors du premier voyage, je tombais à l’eau et nageais jusqu’à une île qui s’avéra être le dos d’une baleine. Heureusement, je réussis à m’échapper, accroché à un baril flottant dans l’eau, jusqu’à ce que le courant me dépose sur les rives d’une ville inconnue. J’errais pendant des jours, jusqu’à ce que je sois embauché sur un nouveau bateau qui me ramena finalement à Bagdad. Ce furent des jours très durs !
Il finit de parler et donna au garçon cent pièces d’or en échange de revenir le lendemain écouter ses histoires. Le jeune homme, les poches pleines, sautait de joie. La première chose qu’il fit fut d’acheter un bon morceau de viande pour inviter ses amis.
Le lendemain, il retourna chez Sinbad, comme convenu. Après le dîner, l’homme ferma les yeux et se souvint d’une autre partie de sa vie.
– Mon deuxième voyage fut très étrange… J’aperçus une île et échouais le bateau sur le bord de la plage. Je commençais à chercher de la nourriture, et j’apperçu un œuf géant.
Aors que j’allais m’en emparer, un oiseau géant se posa sur mes épaules, m’attrapa avec ses puissantes griffes, et me souleva vers le ciel. Je volais comme un aigle et bien qu’effrayé au possible, je m’extasiais de voir la terre de si haut.
D’abord, Je pensais qu’il me jetterait au-dessus de la mer, mais il changea de direction, et me lâcha au dessus d’une vallée pleine de diamants. En tombant je me blessais grièvement, mais malgré cela je saisis l’occasion et ramassais autant de pierres précieuses que possible avant de retrouver mon équipage et le navire sur la plage.
Quand il eut fini de se remémorer son deuxième voyage, Sinbad donna cent autres pièces d’or au jeune homme, l’invitant à revenir le lendemain. Le garçon commençait à apprécier le récit des aventures du vieux Sinbad et il était toujours ponctuel à leur rendez-vous. Cette fois encore, l’homme se perdit dans les méandres de ses souvenirs enflammés.
– Cela te paraîtra étrange, dit-il. Grâce aux diamants, j’étais maintenant un homme riche et vivait comme un prince. Mais malgré cela, l’appel de la mer et du large étaient plus forts et je préparais donc un nouveau voyage. Cette fois encore, j’eu de nombreuses aventures passionnantes. Nous débarquâmes sur une île où vivaient des centaines de pygmées sauvages qui détruisirent notre bateau. Ils nous ligotèrent et nous amenèrent chez leur chef, qui était un grand géant borgne à l’air hideux.
– Un géant borgne? Quelle horreur!
« Oui, c’était terrifiant ! » Il mangeait tous mes marins, mais comme j’étais très maigre et qu’il était déjà bien rassasié, il me laissa sur le côté. Il s’endormit et j’en profitais pour attraper le tisonnier du feu, qui était brûlant, et le plantais dans son œil unique. Il entra dans une colère immense et criait à en faire trembler la montagne, mais il ne pouvait plus me voir et j’en profitait pour m’enfuir.
Ayant échappé au géant et à ses pygmées, je rencontrais un marchand qui me prit sur son bateau. Je l’aidais si bien à vendre ses toiles rares de port en port, qu’il m’associa à son entreprise et nous fîmes à nouveau fortune.
Le jeune homme s’exaltait en écoutant les histoires de l’intrépide marin. Que d’aventures cet homme avait vécues!…
Pendant sept nuits, Sinbad raconta sept nouvelles histoires, sept voyages, sept aventures toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Et chaque soir, après l’histoire, il lui donnait encore cent pièces.
À leur dernière rencontre, ils se dirent au revoir avec amitié. Avant que le jeune homme ne s’en aille, Sinbad voulut lui dire quelque chose d’important :
– Maintenant tu sais que, pour obtenir une chose, il y a toujours un prix à payer. Et aussi que le destin est quelque chose pour lequel il faut se battre et que chacun doit se forger. Personne dans cette vie ne donne quoi que ce soit gratuitement! Et si cela arrive, il faut savoir en faire bon usage. J’espère que l’argent que je t’ai donné t’aidera à démarrer de nouveaux projets et que mes histoires te serviront.
Le jeune homme comprit que le vieux Sinbad avait accomplis ses rêves, grâce à son courage, son intelligence et ses décisions. Maintenant, il avait sept cents pièces d’or, il était riche, mais il avait appris à ne pas s’endormir sur ses lauriers. Et quelques temps après, que croyez-vous qu’il fit avec son argent?
Adaptation courte du conte classique des Mille et une nuits. Illustration tiré de l’adaptation de Larousse par Mlle Latappy sauf la première (Roland Beaussant)
Le cadeau du brochet

Tiré du recueil de conte de Alexander Afanasyev
Émilien vivait dans un village au bord de la Volga avec ses deux frères et leurs femmes. Il était belle homme, mais il était aussi très paresseux et méprisait le travail. Il passait ses journées assis sur le fourneau dans la cuisine. Ses frères dirigeaient une affaire que leur avait laissée leur père décédé. Un jour il partirent en voyage pour vendre leurs marchandises le long de la rivière, laissant Émilien avec les femmes, promettant de revenir avec un caftan, des bottes rouges et un chapeau rouge pour leur frère.
Pendant les jours et les semaines où les frères furent partis, les épouses essayèrent en vain de faire travailler Émilien, jusqu’à ce qu’un jour, elles ne lui laissent que ce choix : Aller chercher de l’eau à la rivière gelée, ou bien il n’y aurait pas de dîner, pas de caftan, de bottes rouges et de chapeau.
Prenant cette cette menace très au sérieux, Émilien se mit rapidement en chemin, et atteignit la rivière, en grognant et se plaignant de ses problèmes tout en coupant la glace épaisse. Alors qu’il mettait de l’eau dans les seaux, il remarqua qu’il avait attrapé un poisson : un gros brochet. Émilien allait le ramener à la maison pour le dîner, mais le brochet le supplia, lui promettant que si Émilien le laissait partir, il n’aurait plus jamais besoin de travailler, ce qui était une offre tentante pour le paresseux. Tout ce qu’il aurait besoin de dire, c’était « Par ordre du brochet, et selon mon désir, je veux… » et tu ajouteras ton souhait et ta volonté serait faite. Émilien accepta, et à sa grande surprise, le sortilège fonctionna et ses vœux étaient tous réalisés.
Émilien ne cachait pas son nouveau talent, et bientôt le tsar en entendit parler et ordonna à ce « magicien » de comparaître devant lui dans son palais au bord de la mer Caspienne. Émilien, toujours aussi paresseux, ordonna à son fourneau de l’emmener au tsar en volant, en utilisant l’ordre du brochet. Il arriva aussitôt au palais devant le tsar, toujours allongé sur sa cheminée, où il regardait de haut le tsar et ne se comportait pas vraiment comme devrait le faire un sujet envers son monarque. Le tsar aurait ordonné qu’on lui coupe la tête s’il n’avait pas ardemment voulu découvrir le secret du pouvoir du garçon. Mais comme le garçon ne révélait pas son secret, il décida d’utiliser sa fille, la princesse, pour obtenir le secret. Après trois jours passés à partager des jeux, la princesse avait seulement appris qu’Émilien était beau, amusant et charmant. Elle voulait l’épouser. Le tsar fut d’abord en colère, puis décida qu’Émilien livrerait peut-être son secret à sa femme, s’il se mariait. Alors il organisa le mariage.
Au début, Émilien était horrifiée à cette idée, persuadé qu’une femme lui amènerait plus de problèmes que cela n’en valait la peine. Il accepta, cependant, et le festin de mariage eu lieu peu de temps après, ce qui fit même descendre Émilien de son poêle. Pendant le festin, Émilien avait de si terribles manières à table, et se tenait si mal, que le Tsar changea d’avis et décida de se débarrasser de lui. Une potion de sommeil fut ajoutée au vin du marié, qui fut ensuite enfermé tout endormi dans un tonneau et jeté à la mer. Son épouse fut bannie sur une île en face du palais royal. En flottant dans les vagues, Émilien rencontra son ami le brochet, qui lui permit de souhaiter à nouveau tout ce que son cœur désirait, puisqu’il n’avait pas abusé de son pouvoir.
Émilien souhaita d’obtenir la sagesse, et quand le brochet le poussa sur l’île, Émilien retrouva sa femme et tomba enfin amoureux d’elle à son tour. Il fit transformer la cabane de l’île en un magnifique palais, avec un pont de cristal reliant le continent, afin que sa femme puisse rendre visite à son père, le tsar, à qui elle avait pardonné sa méchanceté. Avec sa nouvelle sagesse, il fit amende honorable avec tout le monde, et vécu heureux.
La Princesse au petit pois

Il était une fois un prince qui voulait épouser une princesse, une princesse authentique. Pour la trouver, il parcourut le monde entier. Il rencontra beaucoup de princesses, mais il n’en trouvait aucune qui fut vraiment authentique ; à chaque fois, il manquait quelque chose, il y avait un je-ne-sais-quoi de suspect. Il finit donc par rentrer chez lui très triste, car il était vraiment déterminé à n’épouser qu’une princesse véritable.
Une après-midi, un terrible orage éclata ; la foudre et le tonnerre s’alternaient sans interruption, et il pleuvait fort; un vrai temps de chien. Au beau milieu de cette tempête, quelqu’un frappa à la porte du château, et le vieux roi vint ouvrir.
Derrière la porte il trouva une princesse ; Quelle surprise, mais bougre, comme la pluie et le mauvais temps l’avaient arrangée! L’eau dégoulinait sur ses cheveux et ses vêtements aplatis, et coulait de sa taille jusqu’à ses chaussures et ressortait par les talons ; Elle faisait piètre figure, mais cependant, elle se présenta en prétendant être une vraie princesse.
« Nous en aurons bientôt le cœur net », dit la vieille reine après que le roi lui eut amené la princesse. Et, sans dire un mot, elle entra dans la chambre de l’invitée, souleva le lit et posa un petit pois sur le sommier; puis elle empila vingt matelas par-dessus, et encore au-dessus, autant de couettes.
Tout le monde se coucha et la princesse monta sur sa montagne d’édredons pour dormir.
Le lendemain matin toute la famille lui demanda comment elle avait dormi.
« Horriblement mal ! » Répondit-elle. « Je n’ai pas dormi de la nuit! Je ne sais pas ce qu’a ce lit qui me fait si mal! Je suis couverte de bleus! »
Alors ils comprirent qu’elle était vraiment une princesse pour de vrai, puisque, malgré les vingt matelas et vingt couettes, elle avait senti le petit pois. Seul une vraie princesse pouvait être aussi sensible.
Satisfait et fidèle à son dessein, le prince la prit pour femme et le pois fut exposé au musée, où il peut encore être vu, si personne ne l’a dérobé.
Et voilà une vraie histoire authentique!
Jack et le haricot magique

Il était une fois une pauvre femme veuve qui vivait avec son fils Jack. Un jour, elle dit à son fils d’aller au marché pour y vendre la seule vache qu’ils avaient afin qu’ils puissent acheter de la nourriture pour passer le long hiver.
Jack partit avec sa vache au marché mais, en chemin, il rencontra un vieil homme qui lui proposa de lui échanger sa vache :
– Que me donnerez vous en échange de ma vache ? demanda Jack.
– Je te donnerai cinq haricots magiques, répondit le vieil homme.
Jack, qui aimait les histoires de magie, accepta et il rentra chez lui tout fier avec ses haricots.
Sa mère se mit en colère en voyant les haricots et pensa que son fils s’était fait berner par le vieil homme.
– Qu’allons-nous devenir maintenant, sans vache et sans argent et avec ces stupides haricots qui ne valent rien ! Et en colère, elle jeta les haricots par la fenêtre.
Jack était très triste et honteux et alla se coucher sans dîner.
Le lendemain, lorsqu’il se réveilla et regarda par la fenêtre, il vit qu’une énorme plante avait poussé là où sa mère avait lancé les haricots magiques, et s’élevait jusqu’aux nuages. Il grimpa sur la tige en s’accrochant aux branches et commença à monter vers le ciel. Il grimpa et grimpa jusqu’à ce qu’il atteigne les nuages et là, au loin, il aperçut un magnifique château.
Il marcha jusqu’au château et découvrit que c’était la maison d’un couple de géants, car les portes et les meubles était gigantesques. Dans la cuisine, il trouva la femme géante et lui demanda:
– Pouvez-vous me donner quelque chose à manger madame? Je n’ai pas mangé de la journée et j’ai très faim.
La femme, très gentille, lui donna du pain et du lait. Elle lui recommanda de partir dès qu’il aurait fini car son mari, le géant, avait très mauvais caractère et mangeait même les enfants.
Juste à ce moment-là, ils entendirent un grand claquement de porte: c’était le géant qui rentrait chez lui. Jack avait très peur mais il eut heureusement le temps de se cacher.
– Ça sent la chair fraîche d’enfant ici… Où est-il? Je le mangerai pour le dîner, j’ai très faim!
– Il n’y a pas d’enfant ici, mon chéri, juste moi. Dit la femme. Allez, tu dois être fatigué, mange le repas que je t’ai préparé et va faire une sieste.
Le géant, soupçonneux mais obéissant, prit son dîner et se rendit dans sa chambre. C’est là que Jack s’était caché, et depuis sa cachette, il vit le géant ouvrir une petite cage et en sortir une poule à laquelle il se mit à parler.
– Ponds donc un œuf, ma petite poule, dit le géant. Et sur ces mots, la poule pondit un œuf en or.
Alors le géant prit sa harpe et ordonna :
– Harpe, joue pour moi !
Alors la harpe commença à jouer de la musique, et des diamants et des pierres précieuses en sortirent.
Satisfait et repu, le géant s’endormit pour sa sieste.
Jack profita de ce moment pour attraper la poule et la harpe et sortit en courant de la pièce. Mais dans sa fuite, il toucha les cordes de la harpe et la mélodie réveilla la géant. Il vit Jack qui était déjà dehors et courut après lui.
– Je le savais! Te voici petit garnement! Je vais t’attraper, petit canaille ! Tu seras mon repas de ce soir !
Le géant criait en poursuivant Jack qui courait jusqu’au haricot.
Jack descendait aussi vite qu’il pouvait, sautant de branche en branche, sans s’arrêter une seconde. Il entendait le géant au dessus de lui qui criait et soufflait et arrachait les branches.
Il arriva au sol avant que le géant ne l’ait rattrapé et courut jusque chez lui devant sa mère éberluée. Il prit une hache et retourna au haricot géant qu’il se mit à couper aussi vite qu’il pouvait. La plante était fragile, et quand elle fut complètement coupée, elle tomba, entraînant dans sa chute le géant, qui mourut sur le coup.
Depuis ce jour, Jack et sa mère n’eurent plus jamais à se soucier de la nourriture et devinrent même riches grâce à la poule et à la harpe.
Un conte de Noël

D’après l’œuvre de Charles Dickens, A Christmas Carol (Un chant de Noël). Illustrations d’Arthur Rackham
Il y avait une fois, dans la grande ville de Londres, un vieux banquier qui s’appelait Ebenezer Scrooge. Il était très riche, mais il était surtout très avare, égoïste et grognon.
Scrooge était méchant et méprisant avec tout le monde et n’aidait jamais personne. Son seul employé, Bob Cratchit, devait travailler dans le froid toute la journée car Scrooge ne voulait pas payer le chauffage.
C’était la veille de Noël et une fois de plus, il avait refusé l’invitation de son neveu Fred à venir passer le réveillon dans sa famille, car il détestait les fêtes. « Les fêtes sont pour les paresseux! » Disait-il. Il reprocha même à Bob Cratchit de lui demander une avance sur son salaire pour acheter la dinde du réveillon, en disant qu’il exagérait déjà trop de ne pas venir travailler le jour de Noël.
Il ne savait que travailler : Comptant, calculant et amassant son immense fortune toute la journée, gardant tout pour lui, ne partageant ni son argent, ni son temps avec personne, et encore moins depuis que son associé Jacob Marley était mort il y a sept ans.
Après avoir fermé la boutique, il rentra dans son vieil appartement délabré et sale. Il cru d’abord apercevoir la tête de son ancien associé mort Jacob Marley à la place du pommeau de la porte d’entrée et il entra vite en essayant de l’oublier.
Il s’apprêtait à manger son maigre dîner auprès du faible et unique feu de cheminée qui lui servait de chauffage, avant d’aller se coucher comme tous les soirs, lorsque lui apparut le fantôme – cette fois pour de bon – qui le fit presque mourir de peur. C’était le spectre de son ancien associé Jacob Marley, qui se mit à lui parler ainsi avec une voix d’outre-tombe:
– Ebenezer! Regarde donc ce que tu es devenu, un vieux crouton rance qui ne pense plus qu’en Livres Sterling ! Tu étais plus drôle et gentil quand nous ouvrîmes notre première affaire il y a cinquante ans. Si tu continues comme cela, tu seras condamné à traîner tes livres de comptes, tes dossiers, tes coffres et tes clés pour le restant de tes jours et probablement au delà de la mort! Change ta vie! Redevient un homme meilleur! Soit bon et généreux avec les autres, rit et amuse-toi avec eux! »
Le vieux Scrooge était si effrayé de revoir son ancien associé qu’il resta sans rien dire avec la bouche ouverte.
– Écoute-moi bien, reprit le fantôme. Cette nuit tu recevras la visite de trois esprits, les trois esprits de Noël, celui du Noël passé, celui du Noël présent, et celui du Noël futur. Ce sera ta dernière chance de te sauver. Alors prête leur bien attention et agit en conséquence !
Et sur ces mots il disparut.
Il se mit au lit en tremblant, et peu après, le fantôme du Noël passé lui apparut. Il emmena Ebenezer Scrooge dans un voyage vers sa jeunesse dorée. Le vieil homme se reconnu en train de fêter Noël gaiement avec ses parents et ses amis: Il avait l’air si heureux. Puis il vit d’autres Noëls plus récents et beaucoup plus tristes et les terribles méchancetés qu’il avait commis alors.
Puis vint le fantôme du Noël présent qui lui montra une pauvre pièce joliment décorée avec du houx, du lierre et du gui. Il y avait là une table avec des saucisses, des pommes de terres, quelques poires, des pommes, des oranges et des gâteaux. C’était le logis de son employé Bob Cratchit et sa famille. Bob, sa femme et ses deux enfants étaient assis à la table. C’était là un bien maigre repas de fête, mais ils se réjouissaient tous et disaient que c’était le dîner de Noël le plus merveilleux qu’ils aient jamais vu.
Bien que pauvres, ils étaient heureux et s’aimaient tendrement. Ils l’aperçurent et l’invitèrent à s’assoir et à dîner avec eux. Mais Scrooge avait trop honte car, en plus, il avait aperçu le petit Tim, leur fils, qui était bien malade car les parents n’avaient pas assez d’argent pour payer le docteur. « Regarde! » Dit le fantôme « le petit garçon mourra bientôt si ils ne trouvent pas l’argent nécessaire pour payer le docteur. »
– Emmène-moi ailleurs; s’il te plaît, je n’en peux plus ! Supplia le vieil avare.
Le troisième fantôme était celui du Noël futur.
Il emmena Ebenezer Scrooge dans un cimetière où il lui montra une tombe abandonnée. Il y avait son nom inscrit sur la pierre.
– Oh monsieur le fantôme ! Dit le vieillard apeuré. « Je vais changer de vie, je vous le promet! Je serai aimable et généreux à partir de maintenant! »
Alors le fantôme disparut.
Quand Scrooge se réveilla le lendemain, il se rappela des trois fantômes et ce qu’ils lui avaient montré. C’était le matin de Noël et il pensa: « Quelle merveilleuse matinée ! »
Il sauta du lit et sourit pour la première fois depuis fort longtemps. Il s’habilla vite, sortit dans la rue, et alors qu’il marchait, il lançait des pièces à chaque mendiant qu’il voyait en leur souhaitant un joyeux Noël!
Il acheta toute sorte de plats et desserts délicieux et de nombreux cadeaux et se dirigea vers le pauvre logis de son employé Bob Cratchit. Il leur offrit tout ce qu’il avait acheté sur la route et leur donna l’argent pour que le médecin guérisse leur fils. Il ne s’était jamais senti aussi heureux de toute sa vie!
Alors, il reprit son chemin jusqu’à la maison de son neveu Fred pour célébrer Noël avec lui et sa famille.
Les fantômes de Noël et de son vieil associé avait réussit l’impossible: Changer la vie d’Ebenezer Scrooge qui fut désormais généreux et heureux jusqu’au dernier de ses jours.
Les deux frères – Chapitre I

Un conte des frères Grimm développé par Alexandre Dumas. Illustration de Stanisław Wyspiański (1896)
Il y avait une fois deux frères, l’un riche et l’autre pauvre.
Celui qui était riche était orfèvre et avait le cœur aussi dur que la pierre sur laquelle il touchait son or.
Celui qui était pauvre gagnait sa vie à faire des balais ; celui là était bon et honnête.
Le pauvre avait deux enfants, deux fils ; le riche n’en avait pas.
Ces deux fils étaient jumeaux et se ressemblaient au point que, dans leur enfance, leurs parents avaient dû adopter un signe pour les reconnaître.
Ils allaient et venaient souvent dans la maison du riche, et ils attrapaient parfois quelques miettes de sa table.
Or, il arriva que le pauvre, allant un jour au bois pour chercher de la bruyère, vit un oiseau d’or si beau, que jamais il n’en avait vu de semblable.
Il ramassa une pierre, la lui jeta, et atteignit l’oiseau. Mais, comme il l’avait atteint au bout de l’aile, et au moment où l’oiseau étendait cette aile pour s’envoler, il n’en tomba qu’une plume. Seulement, cette plaine était d’or.
Le pauvre faiseur de balais la ramassa et la porta chez son frère, qui l’examina, la toucha à la pierre d’épreuve, et dit :
— Elle est d’or pur, sans aucun alliage !
Et il lui donna beaucoup d’argent pour sa plume.
Le lendemain, le pauvre grimpa sur un bouleau pour en couper quelques brandies. Mais voilà que le meme oiseau qu’il avait vu la veille s’envola une seconde fois.
Alors il chercha soigneusement dans l’arbre et trouva son nid, lequel contenait un œuf qui était d’or, comme l’oiseau.
Il emporta cet œuf à la maison et le montra à son frère, qui lui dit encore :
— C’est de l’or