Les trois petits cochons
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Il était une fois 3 petits cochons qui vivaient avec leur maman dans une petite maison.
Le plus jeune et le plus paresseux s’appelait Nouf Nouf, et jouait de la flûte.
Le second, un peu moins paresseux, s’appelait Nif Nif et jouait du violon.
L’aîné, le plus courageux et travailleur des trois, s’appelait Naf Naf, et jouait du piano.
Il grandissaient heureux en s’amusant et en jouant de la musique.
Mais un jour, leur mère les réunit et leur dit:
“Mes enfants, vous avez beaucoup grandi, et notre maison est bien trop petite pour nous tous maintenant. Il est temps que vous partiez faire votre vie et construisiez chacun votre propre maison. Je vous ai préparé un petit baluchon et demain vous partirez chacun de votre côté.
Mais surtout! Faîtes bien attention au grand méchant loup! S’il venait à rôder dans la région, vous devrez vous défendre et vous protéger, pour ne pas vous faire manger.”
Le lendemain, ils s’embrassèrent tous en versant de chaudes larmes et chacun prit sa route de son côté.
Nouf Nouf le plus jeune gambadait gaiement en jouant une jolie mélodie avec sa flûte, ce qui enchantait les petits oiseaux. Après quelques heures de chemin, il rencontra un paysan et son âne qui tirait une charrette de paille. Il lui dit:
“Bien le bonjour monsieur, pourriez-vous me vendre un peu de paille pour construire ma cabane?”
“Bien sûr mon petit! Tiens! Voilà un beau ballot”
Et non loin de là, le petit cochon construisit sa maison de paille en moins de temps qu’il ne faut pour dire ouf.
Content de lui, il reprit sa flûte et s’en alla en sautillant voir comment ses frères s’en sortaient.
Nif Nif le cadet, qui était presque aussi paresseux que son benjamin, marchait au hasard de la route lorsqu’il rencontra un charpentier transportant une charrette pleine de planches et de fagots de bois.
“Eureka!” Se dit le petit cochon. “Voici ma chance!”
Et il s’adressa ainsi au bonhomme:
“Bonjour Monsieur, auriez-vous un peu de bois pour construire ma maison, s’il vous plaît?”
“Bien sûr mon enfant” Répondit l’artisan, et il lui offrit quelques dizaines de planches et 2 fagots pour toit.
Tout heureux, Nif Nif s’en alla construire sa maison de bois non loin de là. À la fin de la journée, il avait presque fini lorsqu’il entendit s’approcher la jolie mélodie de la flûte de son frère Nouf Nouf. Il se dépêcha de terminer sa cabane pour pouvoir le rejoindre avec son violon et ainsi poursuivre leur route en dansant, à la recherche de leur grand frère Naf Naf.
Naf Naf l’aîné, et le plus intelligent et travailleur des trois avait été voir un maçon et lui avait acheté des briques, des tuiles et du ciment, pour se construire une vraie maison solide et prête à toute épreuve.
Mais évidemment, cette construction demandait beaucoup plus de temps, et lorsque ses frères le trouvèrent, il avaient à peine commencé à poser les briques du rez-de-chaussée.
Nif Nif et Nouf Nouf éclatèrent de rire et se moquèrent de lui à en perdre haleine.
“Ha ha ha ! À quoi bon te fatiguer ainsi! disait Nouf Nouf.
“Hi hi hi ! Viens plutôt jouer de la musique et danser avec nous!” Disait Nif Nif.
“Non!” Dit Nouf Nouf. “Pauvre imprudents sans cervelle! N’avez-vous pas écouté notre maman? Que ferez-vous si vient le loup? Croyez-vous que vos pauvres cabanes vous protégeront?”
Nif Nif et Nouf Nouf éclatèrent de rire encore plus fort, se roulant dans l’herbe jusqu’à en perdre le souffle et lui disaient:
“Quel âge as-tu pour croire à ces histoires de loups? Arrête de perdre ton temps et viens avec nous.”
Naf Naf devint tout rouge et s’écria:
“Non, non et non! Rira bien qui rira le dernier quand le grand méchant loup frappera à vos portes.”
Voyant qu’il ne céderait pas, les deux jeunes frères s’en allèrent en sautillant et retournèrent chacun dans sa cabane à la nuit tombée.
Quelques jours passèrent et ils profitaient gaiement de leur vie insouciante tout en rendant visite à Naf Naf pour s’amuser à ses dépends, en inventant des chansons moqueuses qui lui faisaient répéter:
“Rira bien qui rira le dernier!” En même temps qu’il poursuivait son ouvrage.
Quelques jours plus tard, Naf Naf avait à peine posé la dernière brique de la cheminée de sa maison, que sortit de la forêt un horrible et énorme grand méchant loup. Il était noir et gris, et ses yeux jaunes étaient féroces, ses dents immenses et son ventre creux laissait apercevoir ses côtes saillantes.
Il sentit immédiatement l’odeur alléchante des trois petits cochons tout proches et sa gueule se mit à saliver jusqu’à former une épaisse écume blanche.
“Voici enfin le festin que j’attends depuis des semaines. Je ne vais en faire qu’une bouchée!” Se dit-il.
Il entendit alors la musique des deux petits cochons qui revenaient de chez leur grand frère et commença à courir derrière eux en grognant.
Nif Nif et Nouf Nouf l’entendirent juste à temps, et se mirent à courir de toutes leurs forces vers leurs maisons en se séparant à mi-chemin.
Le loup avait suivis Nouf Nouf et celui-ci avait à peine fermé sa porte qu’il entendit frapper:
“Boum boum boum! Petit cochon, dit le loup, ouvre-moi ta porte ou je soufflerai, et ta maison s’envolera!”
“Non, jamais de la vie” dit Naf Naf en tremblant.
Alors le grand méchant loup remplit ses poumons et commença à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
En quelques secondes, toute la paille de la fragile maison avait disparu, et le petit cochon se retrouva tout surpris d’être aussi vite démuni.
Il se mit à courir de toutes ses forces vers la cabane de son frère Nif Nif.
“Nif Nif! Nif Nif!” Cria t-il en s’approchant. “Ouvre-moi vite! Le grand méchant loup me poursuit!”
Nif Nif, qui n’en croyait pas ses oreilles en tire-bouchon, ouvrit la porte et la referma juste au moment où le loup arrivait, s’écrasant le museau sur la planche de bois.
Nif Nif dit à Nouf Nouf tout tremblant: “Tu es à l’abri maintenant, ma maison de bois résistera!”
Mais ils entendirent rugir la voix du loup:
“Petits cochons! Petits cochons! Ouvrez-moi la porte!”
“Non non!” S’exclama Nif Nif. “Nous ne t’ouvrirons pas!”
Le loup répondit:
“Puisque c’est comme ça, je vais souffler, souffler, souffler, et votre maison s’envolera.”
Alors il gonfla sa poitrine et se mit à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
La cabane se mit à trembler en résistant un peu.
Alors le grand méchant loup prit une nouvelle inspiration et souffla encore plus fort.
“Pffffffffffffffffff Hoooooooooooo Pfffffffffffffffffffff!”
Cette fois, les planches s’envolèrent d’un coup, et les deux petits cochons se retrouvèrent avec seulement la porte entre les mains.
Nif Nif jeta la porte au loup et ils se mirent à courir, courir, courir, en direction de la maison de briques de leur frère Naf Naf.
Celui-ci les entendant arriver, regarda ce qu’il se passait par la fenêtre. Il vit le grand méchant loup derrière ses deux frères qui couraient éperdument dans sa direction.
Il eut le temps de fermer les volets et d’ouvrir la porte pour les sauver in extremis.
“Que vous avais-je dit, petits cochons sans cervelle!” Cria t-il à ses deux frères tremblant de peur et de n’avoir jamais couru aussi vite de leur vie.
“Vous êtes bien contents d‘avoir une vraie maison pour vous protéger maintenant!”
“Pardonne-nous Naf Naf!” dirent-ils en pleurant.
À ce moment, de grands coups retentirent à la porte. C’était le loup.
“Boum Boum Boum. Petits cochons, petits cochons! Ouvrez-moi la porte ou je soufflerai, soufflerai, soufflerai, et votre maison s’envolera.”
Naf Naf lui dit d’un ton ferme:
“Souffle si tu veux, loup. Ma maison est trop solide pour toi!”
Le grand méchant loup, furieux d’entendre cela, pris une grande inspiration:
“Huuuuuuuuuu”
Et souffla de toutes ses forces:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
La maison ne bougea pas d’un pouce.
Enragé, il souffla à nouveau:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
Mais la maison resista, solide comme un roc.
Il souffla, souffla et souffla encore jusqu’à perdre haleine.
“Hufufufufufu”
Il devait se rendre à l’évidence que cette fois, son puissant souffle ne suffirait pas.
Alors, il commença à rôder autour de la maison, à la recherche d’une autre idée pour atteindre son festin tant désiré.
Pendant ce temps-là, les trois petits cochons se réjouissaient en s’embrassant et en dansant:
“Nous sommes sauvés!” disaient les deux plus jeunes.
Mais Naf Naf, méfiant, leur dit: “Attendez, nous ne sommes pas encore tirés d’affaires, tant que le grand méchant loup rôde dans les parages.
Il ne croyait pas si bien dire, car le loup avait eu une idée en examinant toute la maison de brique. Il avait aperçu la cheminée sur le toit, et avait commencé à escalader le mur pour y accéder et y descendre pour attraper son repas.
Heureusement, Naf Naf, qui était aux aguets, avait entendu les pas du loup sur le toit, et il avait mis rapidement une grande marmite d’eau chaude à bouillir sur le feu.
Lorsque le grand méchant loup descendit par le conduit de la cheminée, il se brûla tellement fort, qu’il sauta à plusieurs mètres en repassant par la cheminée en sens inverse.
Il courut, courut, courut jusqu’à disparaître complètement. Et on ne le revit plus jamais dans la région.
Les trois petits cochons sortirent tout joyeux de la maison de briques et se mirent à danser en rond en chantant:
”Qui a peur du grand méchant loup, c’est peut-être vous? C’est pas nous!”
Naf Naf put enfin se joindre à la flûte de Nouf Nouf et au violon de Nif Nif en les accompagnant gaiement sur son piano.
Finalement, il invita ses frères à vivre dans sa maison en attendant qu’ils construisent chacun leur propre maison de brique.
Version écrite par Roland beaussant de Contesdefees.com
Illustrations de Leonard Leslie Brooke (1862 – 1940)
Le Petit Chaperon Rouge
Adaptation para CDF du texte original de Charles Perrault avec les illustrations de M. Fauron
Il était une fois, dans un village, une petite fille, si jolie et si gentille, que tous ceux qui la connaissaient l’aimaient. Sa mère l’adorait, et sa grand’mère encore plus, si cela est possible.
La vieille dame lui avait fabriqué une cape de couleur rouge ou chaperon. La couleur et la forme de cette cape allaient si bien à la fillette qu’elle s’en habillait tout le temps ; et bientôt, tout le monde aux alentours ne la connut plus que sous le nom de petit Chaperon Rouge.
Un jour, la maman du petit Chaperon Rouge avait fait de belles galettes dorées. Elle appela sa petite fille et lui dit :
— J’ai appris que ta grand’mère était malade, va voir comment elle se porte, et donne-lui ce petit pot de beurre frais et cette galette feuilletée;
mais surtout ne t’amuse pas en route; car tu dois revenir avant le coucher du soleil.
L’enfant embrassa sa mère, et partit gaiment, promettant d’ètre bien sage.
La grand’mère du petit Chaperon Rouge vivait dans le hameau voisin. Elle habitait une jolie maison blanche, près d’un moulin.
Pour y arriver, on devait traverser un bois assez grand, et c’etait une agréable promenade.
Chaperon Rouge marchait d’un pas pressé, sa galette sous le bras et son pot de beurre à la main, suivant une clairière qui aboutissait au moulin.
À peine avait-elle fait un bout de chemin, qu’elle aperçut compère le Loup.
Justement, il était très affamé et fut ravi de la rencontre.
Il lui aurait été facile de sauter sur le petit Chaperon Rouge pour la dévorer; mais il se dit que, sûrement, les cris de l’enfant attireraient les bûcherons qui travaillaient non loin de là.
Il vaut mieux, pensa-t-il, agir par la ruse.
S’approchant doucement de la petite fille, il prit sa voix la plus aimable, pour lui souhaiter le bonjour; et il ajouta :
— Où allez-vous ainsi, ma belle enfant?
— Je vais chez ma grand’mère, répondit Chaperon Rouge, porter un petit pot de beurre et cette galette que ma mère lui envoie.
— Et où demeure votre grand’mère ? demanda encore le rusé personnage.
— Près du moulin qu’on voit tourner la-bas, riposta la naïve enfant.
— Elle habite ainsi toute seule ? insista le Loup.
— Oui, fit Chaperon Rouge, et maintenant elle est faible et malade.
— Ah! ah! repartit l’animal, très intéressant ! Je vais aller la guérir.
Prenez ce chemin-là, et moi celui-ci, nous verrons lequel de nous deux arrivera le plus vite.
La fillette entra dans le sentier que lui désignait le Loup.
Elle y aperçut des noisettes qu’elle se mit à croquer.
Puis elle cueillit du chèvrefeuille, qui paraissait fleurir tout exprès à la portée de sa main.
Pendant ce temps, le Loup, certain de n’être plus vu par la petite fille, continua la clairière et, en quelques bonds, atteignit le moulin.
Quand le Chaperon Rouge eut fait un gros bouquet, elle se laissa entrainer à attraper des papillons. Puis elle s’amusa à poursuivre un écureuil, à voir jouer des petits lapins.
Ils étaient si drôles, l’un rongeant une feuille, l’autre faisant sa toilette ! On aurait dit qu’il se frisait la moustache. Chaperon Rouge en rit si fort qu’elle les mit en fuite.
Tandis que le petit Chaperon Rouge flânait tout à son aise, compère le Loup frappait à la porte de la grand’mère.
— Qui est là? demanda une voix cassée.
— C’est votre petite-fille, Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un pot de beurre que ma mère vous envoie, répondit le Loup en imitant l’accent de la fillette.
— Tire la chevillette et la bobinette cherra, reprit la voix.
D’un coup de patte, le Loup tira la ficelle, le loquet tomba et la porte s’ouvrit.
Aussitôt, la méchante bête se jeta sur la pauvre vieille femme, qui était dans son lit, et la dévora en deux bouchées.
Puis, mettant son bonnet, il se glissa à sa place sous les couvertures, et attendit.
— Toc! toc! toc! fit-on a la porte au même moment.
— Qui est là? demanda le Loup en imitant la voix enrouée de sa malheureuse victime.
— C’est votre petite-fille, Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie.
— Tire la chevillette et la bobinette cherra, répliqua le Loup d’une voix cassée.
Chaperon Rouge obéit et entra, comme le Loup l’avait fait tout à l’heure.
Lorsque le féroce animal l’aperçut, il se cacha sous les draps, de façon à ne laisser voir que ses yeux et son bonnet.
— Grand’maman, comment vous portez-vous ? demanda Chaperon Rouge.
Un grognement lui répondit.
— Vous paraissez bien enrouée, dit encore l’enfant.
— Oui, je suis très enrhumée, prononça la voix nasillarde du Loup. Mets ta galette et le pot de beurre sur la table, continua l’horrible bête, et viens plus près moi.
Le Petit Chaperon Rouge s’approcha du lit.
Elle fut bien étonnée de voir combien sa grand’mère paraissait changée.
Elle écarta le rideau et s’arrèta effrayée, sans bien savoir pourquoi.
— Sans doute, pensa Chaperon Rouge, c’est ainsi que grand’maman a l’air dans son pijama !
Le Loup, qui jusque-là était resté tourné du côté de la muraille, sortit son museau.
— Oh! ma mère-grand, s’écria Chaperon Rouge, comme vous avez de grands yeux !
— C’est pour mieux te voir, mon enfant, répondit tendrement le Loup.
— Oh ! ma mère-grand, que vous avez un grand nez ! dit la petite fille avec un léger tremblement.
— C’est pour mieux te sentir, mon enfant, répliqua encore le Loup.
— Oh! ma mère-grand, continua Chaperon Rouge, que vous avez de grandes oreilles !
— C’est pour mieux t’entendre, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grands bras!
— C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grandes jambes !
— C’est pour mieux courir, mon enfant.
— Oh! ma mère-grand, comme vous avez de grandes dents !
— C’est pour mieux te manger !!!!!
En disant ces mots, avec un mauvais rire, le Loup se tourna brusquement sur le petit Chaperon Rouge qui tomba par terre en poussant des cris perçants.
Le Loup voulut sauter sur elle pour la dévorer.
Il trébucha dans la couverture et manqua son coup; mais il se dégagea bientôt et saisit l’enfant dans ses griffes.
— Ah! s’écria l’infernal personnage, tu ne m’échapperas pas!
Et ses crocs s’approchaient de la malheureuse petite fille…
Au même instant, la porte vola en éclats; et un homme armé d’un hâche parut sur le seuil.
Cet homme était le bûcheron, le père du petit Chaperon Rouge.
Il revenait de son travail, lorsqu’il rencontra sa femme accourant à travers le bois, remplie d’inquiétudes : Chaperon Rouge, partie depuis longtemps,
n’était pas encore revenue.
Partageant ces craintes, le bûcheron revint précipitamment sur ses pas, le fusil sur l’épaule, pour chercher son enfant.
L’anxiété du père grandissait au fur et à mesure que l’heure s’écoulait.
Il doublait le pas et appelait en vain. Comme il approchait de la maison de la grand’mère, il entendit des cris aigus.
Plus de doute, c’est la voix de sa petite fille. Le désespoir augmentant son énergie, il ne s’arrète pas à ouvrir la porte mais l’enfonce à l’aide de sa hache. Le Loup terrifié lacha sa proie.
Avant que le féroce animal eût pu se défendre, il tombait la tète fendue d’un seul coup de hache, et baignait dans son sang.
Il était temps.
Une minute plus tard, il ne serait rien resté du joli petit Chaperon Rouge…
La pauvrette heureusement n’était que blessée.
Son papa la prit dans ses bras pour la ramener chez lui.
Qu’on juge de la joie de la maman, lorsqu’elle revit sa petite fille, et qu’on lui raconta le danger qu’elle avait couru!
Malheureusment, elle fut bien triste d’apprendre la fin si cruelle de sa pauvre vieille mère.
Longtemps, le petit Chaperon Rouge resta malade de la peur qu’elle avait éprouvée en se sentant sous les griffes de la bête féroce.
Ce fut une rude leçon, qu’elle n’eut garde d’oublier.
Devenue vieille, elle racontait encore son histoire à ses petits-enfants pour les inviter à la prudence.
Le Chat Botté
Il était une fois un meunier qui possédait un moulin, un âne et un chat et avait trois fils. Lorsqu’il mourut, il laissa en testament le moulin à son fils aîné, l’âne au second, et le chat au plus jeune. Ce dernier se sentait défavorisé et se demandait bien ce qu’il ferait avec seulement un chat.
Le chat, qui entendait cela lui dit d’un air posé et sérieux : Ne soyez pas triste, mon maître ; vous n’avez qu’à me donner un sac et me faire faire une paire de bottes pour aller aux champs, et vous verrez que vous n’êtes pas si mal lotis que vous le croyez.
Quoique le maître du chat n’eut pas grand espoir, il lui avait vu faire tant de tours de passe-passe pour prendre des rats et des souris, qu’il se dit qu’il ne perdrait rien à essayer.
Lorsque le chat eut ses bottes et son sac, il courut vers un champ où il y avait de nombreux lapins. Il mit une carotte dans le sac et attrapa vite un jeune lapin inexpérimenté. Tout fier de sa proie, il s’en alla chez le roi et demanda à lui parler.
Arrivé dans la salle du trône, il fit une grande révérence au roi, et lui dit :
– Sire, voici un lapin chassé par M. le marquis de Carabas ( C’était le nouveau nom qu’il avait donné à son maître ). Il m’a chargé de vous l’apporter en cadeau.
– Dis à ton maître, répondit le roi, que je le remercie chaleureusement.
Une autre fois il prit deux perdrix dans son sac et il alla ensuite les présenter au roi, comme il avait fait avec le lapin. Le roi, fin gourmet, accepta avec joie, et lui fit donner à boire.
Le chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, d’apporter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son maître.
Un jour il apprit que le roi devait passer près de la rivière durant un voyage en carrosse, avec sa fille, la plus belle princesse du monde
Il dit à son maître : Si vous suivez mon conseil, votre fortune est faite : vous n’avez qu’à vous baigner dans la rivière à l’endroit que je vous indiquerai, et ensuite vous me laissez faire.
Le marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseillait, sans rien y comprendre. Alors qu’il se baignait, le cortège du roi arriva, et le chat se mit à crier de toute sa force : Au voleur! Au voleur!
Le roi reconnut le chat qui était devenu son ami, et ordonna à ses gardes d’aller porter secours au M. le marquis de Carabas.
Le chat inventa qu’un voleur avait emporté les habits et le cheval de son maître qui se trouvait bien embêté pour rentrer chez lui. Le roi fit apporter immédiatement de nouveaux habits neuf pour le faux marquis et l’invita à monter dans son carrosse.
En le voyant, la fille du roi tomba éperdument amoureuse du jeune marquis et lui aussi se prit d’amour pour la princesse. Il continuèrent ensemble la promenade. Le chat courut en avant sur le chemin jusqu’à rencontrer des paysans qui fauchaient leurs champs. Il leur dit : Si vous ne dites pas au roi que les prés que vous fauchez appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté.
Quelques minutes plus tard le roi arriva et demanda aux paysans à qui étaient les champs qu’ils fauchaient. C’est à M. le marquis de Carabas, dirent-ils tous ensemble, effrayés par la menace du chat botté. Le roi fut impressionné par la fortune du Marquis de Carabas.
Le chat, qui allait toujours en avance devant le carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu’il rencontrait: Si vous ne dites pas au roi que les prés que vous fauchez appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté ; et le roi était étonné des grands biens du marquis.
Le chat botté arriva enfin dans un beau château, appartenant à un ogre très riche. Il était le propriétaire de toutes les terres qu’ils avaient traversé.
– On m’a dit, dit le chat à l’ogre, que vous avez le pouvoir de vous changer en toutes sortes d’animaux, que vous pouviez, par exemple, vous transformer en lion, en éléphant.
Cela est vrai, répondit l’ogre brusquement. Et il se transforma immédiatement en Lion devant le chat botté effrayé qui sauta en l’air.
Une fois l’ogre redevenu lui-même, le chat botté revenu de sa frayeur, lui dit :
– On m’a dit aussi que vous saviez vous changer en petit animaux, les rats ou les souris, mais je ne peux pas le croire…,
Piqué au vif, l’ogre se changea immédiatement en souris et se mit à courir sur le plancher.
Le chat botté se jeta dessus et le mangea.
Quelques minutes après, arrivait le roi et sa troupe.
Le chat s’avança devant le château et prononça gravement:
– Bienvenus chez le Marquis de Carabas, mon maître!
– Comment! S’écria le roi. Ce domaine est à vous, Monsieur le Marquis? Vous m’impressionnez!
Il n’eut pas le temps d’en dire plus car le chat botté les entraîna dans la grande salle pour s’attabler autour d’un magnifique banquet que l’ogre avait organisé pour ses amis. Le roi était si impressionné et se délectait tellement en dégustant les innombrables mets du buffet et les grands vins de la cave, qu’il offrit la main de sa fille au Marquis de Carabas.
Celui-ci accepta et ils se marièrent le jour même.
C’est ainsi que le jeune fils du meunier devint prince, et que le chat botté devint grand seigneur et ne courut plus après les souris que pour se divertir.
D’après charles Perrault, modernisé par Roland Beaussant, contesdefees.com
Blanche Neige
D’après les frères Grimm. Lu par Sophie de Pas (Écuries des Vallées). Illustrations à l’aquarelle d’Isabelle Beaussant – de Pas.
C’était au milieu de l’hiver, et les flocons de neige tombaient comme des plumes. Une reine était assise près de sa fenêtre au cadre d’ébène et cousait. Et comme elle cousait et regardait la neige, elle se piqua les doigts avec son épingle et trois gouttes de sang en tombèrent.
Et voyant ce rouge si beau sur la neige blanche, elle se dit :
« Oh ! si j’avais un enfant blanc comme la neige, rouge comme le sang et noir comme l’ébène ! »
Bientôt elle eut une petite fille qui était aussi blanche que la neige, avec des joues rouges comme du sang et des cheveux noirs comme l’ébène ; ce qui fit qu’on la nomma Blanche-Neige. Et lorsque l’enfant eut vu le jour, la reine mourut.
Un an après, le roi prit une autre femme. Elle était belle, mais fière et hautaine à ne pouvoir souffrir qu’aucune autre la surpassât en beauté. Elle avait un miroir merveilleux ; et quand elle se mettait devant lui pour s’y mirer, elle disait :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et le miroir répondait :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle. »
Alors elle était contente, car elle savait que le miroir disait la vérité.
Mais Blanche-Neige grandissait et devenait toujours plus belle ; et quand elle eut sept ans, elle était aussi belle que le jour, plus belle que la reine elle-même. Et lorsqu’elle demanda une nouvelle fois à son miroir :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Il lui répondit aussitôt :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige est mille fois plus belle que vous. »
La reine, consternée, devint livide de rage et d’envie. Depuis ce moment, la vue de Blanche-Neige lui bouleversa le cœur, tant la petite fille lui inspirait de haine. L’envie et la jalousie ne firent que croître en elle, et elle n’eut plus de repos ni jour ni nuit. Enfin, elle fit venir un chasseur du palais et lui dit :
« Portez l’enfant dans la forêt ; je ne veux plus l’avoir devant les yeux ; là, vous la tuerez et vous m’apporterez son coeur, comme preuve de l’exécution de mes ordres. »
Le chasseur obéit et emmena l’enfant avec lui ; et quand il eut tiré son couteau de chasse pour percer le cœur de l’innocente Blanche-Neige, voilà que la petite fille commença à pleurer et dit :
« Ah ! mon bon chasseur, laisse-moi la vie ! Je courrai dans la forêt sauvage et ne reviendrai jamais. »
Elle était si belle que le chasseur eut pitié d’elle et dit :
« Va, pauvre enfant ! »
Il pensait en lui-même :
« Les bêtes féroces vont te dévorer bientôt. »
Pourtant, il se sentit le cœur soulagé d’un grand poids à l’idée qu’il avait pu se dispenser de l’égorger. Et comme il vit courir devant lui un sanglier, il le tua et rapporta son coeur à la reine qui se réjouit en croyant sa volonté accomplie.
Pendant ce temps, la pauvre enfant errait toute seule dans l’épaisse forêt, et elle avait si grand’peur qu’elle regardait d’un air inquiet tous les arbres et toutes les feuilles, ne sachant où trouver du secours. Puis elle se mit à courir sur les pierres pointues et sur les épines, et les bêtes féroces bondissaient à côté d’elle, mais sans lui faire aucun mal. Elle courut aussi longtemps que ses pieds purent la porter, jusqu’à la brune, et elle aperçut alors une petite cabane où elle entra pour se reposer. Tout dans cette cabane était petit, mais si gentil et si propre qu’on ne saurait le décrire. Il y avait une petite table recouverte d’une nappe blanche avec sept petites assiettes, chaque assiette avec sa petite cuiller, puis sept petits couteaux, sept petites fourchettes et sept petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept petits lits l’un à côté de l’autre, couverts de draps blancs comme la neige.
Blanche-Neige avait très-faim et très-soif. Elle mangea une cuillerée de légumes avec une bouchée de pain dans chaque assiette, et but dans chaque gobelet une goutte de vin, car elle ne voulait pas prendre une seule part tout entière. Puis, comme elle était fatiguée, elle essaya de se coucher dans un des petits lits ; mais l’un était trop long, l’autre trop petit, et enfin il n’y eut que le septième qui fût à sa taille ; elle y resta donc, fit sa prière et s’endormit.
La nuit venue, les maîtres de la cabane arrivèrent ; c’étaient des nains qui cherchaient de l’or dans les montagnes. Ils allumèrent leurs petites lampes, et quand le logis fut éclairé, ils virent bientôt que quelqu’un avait passé par là, car tout n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.
Le premier dit :
« Qui s’est assis sur ma chaise ? »
Le second :
« Qui a mangé dans mon assiette ? »
Le troisième :
« Qui a pris de mon pain ? »
Le quatrième :
« Qui a touché à mes légumes ? »
Le cinquième :
« Qui a piqué avec ma fourchette ? »
Le sixième :
« Qui a coupé avec mon couteau ? »
Et le septième :
« Qui a bu dans mon gobelet ? »
Puis le premier se retourna et il vit que son lit était un peu affaissé.
« Qui s’est couché dans mon lit ? » dit-il.
Et les autres d’accourir et dire :
« Dans le mien aussi, il y a eu quelqu’un. »
Mais le septième, en regardant son lit, aperçut Blanche-Neige qui y était couchée et dormait. Il appela ses frères, qui se hâtèrent de venir et se récrièrent d’étonnement ; et chacun alla chercher sa lampe pour mieux contempler Blanche-Neige.
« Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, répétaient les nains, que cette enfant est belle ! »
Ils étaient ravis de l’admirer et se gardèrent bien de l’éveiller ; le septième nain dormit une heure dans le lit de chacun de ses compagnons jusqu’au point du jour. Le matin, quand Blanche-Neige sortit de son sommeil, elle vit les petits hommes et fut effrayée. Mais ils se montrèrent fort aimables et lui demandèrent son nom.
« Je m’appelle Blanche-Neige, » dit-elle.
— Par quel hasard, reprirent les nains, es-tu venue dans notre maison ? »
Alors elle leur conta son histoire : comment sa belle-mère avait voulu la faire tuer, comment le chasseur l’avait épargnée, et comment elle avait couru tout le jour jusqu’à ce qu’elle rencontrât la petite cabane. Les nains lui dirent :
« Veux-tu faire notre ménage, les lits, la cuisine, coudre, laver, tricoter ? En ce cas, nous te garderons avec nous et tu ne manqueras de rien. »
Blanche-Neige leur promit tout ce qu’ils désiraient et resta chez eux. Elle vaquait aux soins du ménage. Le matin, les nains s’en allaient pour chercher dans les montagnes de l’airain et de l’or ; le soir, ils rentraient au logis, où le dîner devait se trouver prêt. Toute la journée la jeune fille était seule, et ils l’avertissaient en partant de se tenir sur ses gardes : « Car, disaient les bons petits hommes, ta marâtre saura bientôt que tu es ici ; n’ouvre à personne ! »
En effet quelques temps après, la reine, qui pensait bien être de nouveau la plus belle femme du pays, voulu en avoir le cœur net, et elle se mit devant son miroir et lui dit :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Aussitôt le miroir de répondre :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
La reine pâlit de colère ; elle savait que le miroir ne mentait pas, et elle compris que le chasseur l’avait trompée et que Blanche-Neige vivait encore. Elle songea immédiatement aux moyens de la tuer ; car aussi longtemps qu’elle ne serait pas la plus belle, elle sentait qu’elle n’aurait pas de repos. Enfin, elle imagina de se maquiller le visage et de s’habiller en vieille marchande, de façon à se rendre méconnaissable. Ainsi déguisée, elle alla dans les sept montagnes, chez les sept nains, frappa à la porte de la cabane et cria :
« De belles marchandises ! Achetez, achetez ! »
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
« Bonjour, ma bonne femme ; que vendez-vous là ? »
— De bonnes marchandises, de belles marchandises, reprit l’autre, des lacets de toutes les couleurs ! »
Et elle tira de sa boîte un lacet tressé de soies de diverses couleurs.
« Je peux laisser entrer cette brave femme, » pensa Blanche-Neige.
Et tirant le verrou de la porte, elle ouvrit à la vieille et lui acheta le beau lacet.
« Enfant, dit la vieille, de quelle façon êtes-vous lacée ? Je vais vous montrer comment il faut faire. »
Blanche-Neige, sans aucun soupçon, se plaça devant elle, et se fit lacer avec le nouveau lacet ; mais la vieille le serra si fort que la jeune fille en perdit la respiration et tomba comme morte.
« Maintenant, tu as fini d’être la plus belle, » dit la marâtre, et elle s’en alla au plus vite.
Vers le soir, les sept nains revinrent à la cabane, mais quel ne fut pas leur trouble en apercevant leur chère Blanche-Neige étendue par terre sans mouvement et comme inanimée ! Ils la relevèrent, et quand ils eurent vu le lacet qui l’étranglait, ils le coupèrent ; alors elle commença à respirer faiblement et revint à elle peu à peu. Les nains écoutèrent le récit de ce qui s’était passé et dirent :
« La vieille marchande n’était autre que la reine ; prends garde de n’ouvrir à personne, désormais, en notre absence. »
La méchante reine, dès qu’elle fut de retour chez elle, alla droit à son miroir et lui demanda :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et le miroir magique de répondre :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige, au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
Lorsque la reine entendit cela, tout son sang se porta au cœur, tant sa colère fut violente à l’idée que Blanche-Neige était en vie.
« A présent, dit-elle, il faut que je trouve un moyen infaillible de la perdre ! »
Et, avec son art de sorcière, elle fabriqua un peigne empoisonné. Puis elle se déguisa de nouveau, sous la figure d’une autre vieille bohémienne. Elle s’en fut par les sept montagnes, chez les sept nains, frappa à la porte, et dit :
« Bonnes marchandises à vendre ! Achetez ! »
Blanche-Neige regarda par la fenêtre ; mais elle répondit :
— Je ne dois faire entrer personne ; passez votre chemin.
— On vous permettra bien de regarder seulement, » repartit la vieille, qui tira le peigne empoisonné et le mit sous les yeux de la jeune fille.
Il plut tellement à celle-ci qu’elle se laissa entraîner à ouvrir la porte. Lorsqu’elle eut acheté le peigne, la vieille dit :
« Attends je vais te peigner comme il faut. »
La pauvre Blanche-Neige, sans nulle méfiance, laissa faire la vieille ; mais à peine avait-elle entré le peigne dans les cheveux de sa victime, que le poison commença à agir, et que la jeune fille tomba par terre, comme frappée de mort.
« Eh bien, ma belle, dit la vieille en ricanant ; cette fois c’en est fait de toi ! »
Puis elle sortit.
Par bonheur, le soir approchait, et c’était l’heure du retour des nains. En voyant Blanche-Neige étendue ainsi, ils pensèrent tout de suite à sa belle-mère et cherchèrent partout la cause de ce qui venait d’arriver. Ils mirent la main sur le peigne empoisonné, et, à peine l’eurent-ils retiré, que Blanche-Neige reprit connaissance et raconta ce qui avait eu lieu. Les nains lui recommandèrent plus vivement que jamais de ne laisser pénétrer personne jusqu’à elle.
Tandis que la charmante enfant se remétait pour la troisième fois de ses frayeurs, la reine, dans son palais, consultait le miroir suspendu au mur :
« Miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Et comme naguère il répondait :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais Blanche-Neige, au-delà des montagnes,
Chez les sept petits nains,
Est mille fois plus belle que vous. »
Lorsque la marâtre entendit cette nouvelle réponse, elle trembla de fureur.
« Blanche-Neige mourra, s’écria-t-elle, quand il devrait m’en coûter la vie ! »
Puis elle s’enferma dans une chambre secrète où personne n’entrait, et y prépara une pomme empoisonnée, superbe à voir, blanche et rose de peau, fraîche à croquer ; cette pomme avait le pouvoir de tuer quiconque en goûterait un morceau. Lorsqu’elle l’eut bien apprêtée, la reine se peignit la figure, et, déguisée en paysanne, retourna dans les sept montagnes, au pays des sept nains. Parvenue à la cabane où demeurait Blanche-Neige, elle frappa, et la jeune fille mit la tête à la fenêtre.
« Je ne dois laisser entrer personne, dit-elle, les nains me l’ont défendu.
— Soit ! répliqua la paysanne, cela m’est égal ; on m’achètera mes pommes ailleurs ; tenez, en voici une, je vous la donne.
— Non, dit Blanche-Neige, je ne dois rien prendre.
— Auriez-vous peur de quelque poison ? dit la vieille ; regardez, voici ma pomme coupée en deux moitiés : mangez la rouge, moi je mangerai la blanche. »
Mais la pomme était préparée avec tant d’art, que le côté rouge seul était empoisonné. Blanche-Neige avait bien envie de la belle pomme, et lorsque la paysanne se mit à en manger la moitié, la pauvre petite ne put y tenir davantage ; elle tendit la main et prit la moitié où se trouvait le poison. A peine ses lèvres s’y furent-elles posées, qu’elle tomba morte sur le sol. La reine la considéra avec des yeux terribles, rit aux éclats et dit :
« Blanche comme neige ! rouge comme sang ! noire comme l’ébène ! cette fois-ci les nains ne te réveilleront point ! »
Et lorsqu’elle interrogea son miroir, selon sa formule habituelle :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Il répondit enfin :
« Madame la reine, la plus belle, c’est vous ! »
Alors, le cœur envieux de la marâtre fut satisfait, autant que peut l’être un cœur envieux.
Les nains, en arrivant à la maison, le soir, trouvèrent Blanche-Neige étendue encore une fois par terre, sans haleine et sans mouvement. Ils la relevèrent, cherchèrent la cause de ce nouveau malheur, la desserrèrent, peignèrent ses cheveux, et lui lavèrent le visage avec de l’eau et du vin ; mais rien n’y fit : la pauvre enfant était morte et resta morte.
Ils la couchèrent et se mirent tous les sept autour d’elle, veillant et pleurant pendant trois jours. Puis ils voulurent l’enterrer ; mais elle avait si bien l’air d’une personne vivante, tant ses joues étaient fraîches et roses, qu’ils se dirent :
« Nous ne pouvons la mettre dans la terre noire. »
Ils lui firent un cercueil de verre pour qu’on pût la voir de tous côtés, l’ensevelirent dedans et écrivirent dessus en lettres d’or, qu’elle était fille de roi, et se nommait Blanche-Neige. Ensuite ils placèrent le cercueil sur le haut de la montagne, et l’un d’eux restait toujours auprès d’elle pour la garder. Les oiseaux vinrent aussi pleurer Blanche-Neige : le premier fut un hibou, le second un corbeau, et le troisième une colombe.
Blanche-Neige était ainsi depuis bien longtemps dans son cercueil et ne changeait pas de figure, ne semblant toujours qu’endormie, car elle était toujours blanche comme neige, avec des joues rouges comme du sang, sous ses beaux cheveux noirs comme l’ébène.
Or, il advint qu’un fils de roi, allant par la forêt, arriva chez les nains pour y passer la nuit. Il vit Blanche-Neige couchée dans le cercueil de verre sur la montagne, et lut ce qui s’y trouvait écrit en lettres d’or. Alors il dit aux nains :
« Livrez-moi ce cercueil, je vous donnerai ce que vous voudrez. »
Mais les nains répondirent :
« Nous ne le livrerions pas pour tout l’or du monde !
— Eh bien, reprit-il d’un ton suppliant, faites-m’en présent ; car je ne peux plus vivre sans voir Blanche-Neige. »
Les bons petits nains, touchés de ses prières, eurent pitié de lui et lui permirent d’emporter le cercueil. Les serviteurs du prince le soulevèrent sur leurs épaules ; mais, ayant heurté du pied une grosse racine, ils tombèrent, et par l’effet du choc, le cœur de la pomme sortit de la gorge de Blanche-Neige. Presque aussitôt, elle rouvrit les yeux, se redressa et dit :
« Mon Dieu ! où suis-je ?
— Avec moi qui t’aime plus que tout au monde ! s’écria le fils de roi plein de joie. »
Et il lui raconta ce qui s’était passé.
« Viens avec moi dans le château de mon père, dit-il, et tu seras ma femme. »
Et Blanche-Neige sentit bien qu’elle l’aimait aussi, et elle s’en fut avec lui, et la noce fut préparée en grande pompe.
On n’oublia pas d’inviter la méchante belle-mère à la fête. Lorsqu’elle se fut parée de ses plus riches atours, elle se mit devant son petit miroir et dit :
« Petit miroir, petit miroir,
Quelle est la plus belle de tout le pays ? »
Le miroir répondit :
« Madame la reine, vous êtes la plus belle ici;
Mais la jeune reine est plus belle que vous ! »
La méchante femme se récria de fureur ; dans son trouble, elle ne savait plus que faire. Lorsqu’elle arriva au mariage, elle reconnut Blanche-Neige et resta immobile de terreur et d’angoisse.
Le jeune roi la fit vêtir de haillon et l’enferma dans un cachot avec pour seul compagnon son miroir, qui lui répêta jusqu’à sa mort qu’elle n’était pas la plus belle et qu’elle ne le serait plus jamais.
La petite sirène
Conte de Hans Christian Andersen, Version de Contesdefees.com. lllustrations de Ivan Âkovlevič Bilibin (1876-1942).
Il était une fois un roi qui avait six belles filles. Mais ce roi n’appartenait pas au monde des humains. Son royaume était sous la mer, dans un endroit reculé, où les poissons scintillaient comme de petits bijoux parmi les rochers escarpés et les récifs.
Le roi et les six princesses vivaient dans un palais merveilleux, construit de corail scintillant et de conques luisantes. La mère des filles était décédée, mais la grand-mère prenait grand soin de ses petites-filles.
La plus jeune des princesses était aussi la plus jolie. Ses longs cheveux se gonflaient comme un nuage doré et sa queue brillait d’étincelles vertes, bleues et argentées.
S’il y avait une chose que les princesses aimaient, c’était d’écouter leur grand-mère leur raconter des histoires du monde au-dessus de la mer.
– Là, leur disait la vieille femme, des êtres humains marchent avec des choses étranges appelées jambes. Et des poissons bizarres appelés oiseaux nagent dans les airs en agitant leurs longues nageoires.
Plus la vieille sirène parlait de ce monde mystérieux, plus la petite sirène voulait aller le voir.
– Quand tu auras quinze ans, promit la grand-mère, tu iras le voir.
Lorsque l’aînée des sœurs eut quinze ans, elle nagea jusqu’à la surface, et le lendemain, elle revint pour raconter les merveilles qu’elle avait vue.
-Il y a des villes éblouissantes de lumières et de rires humains, dit-elle. Il y a d’énormes navires, hauts comme des châteaux, qui sillonnent la mer au soleil.
Les princesses grandissaient et chaque année, l’une après l’autre, elles atteignaient toutes l’âge où elles pouvaient nager jusqu’au monde des humains. Elles revenaient et racontaient toutes des histoires étranges et belles. Enfin, la plus jeune des petites sirènes eut quinze ans et pu enfin réaliser son rêve comme ses sœurs.
Quand elle monta à la surface pour la première fois, le soleil couchant peignait le ciel de rose et d’or. Près d’elle, un beau navire glissait lentement sur l’océan, car le vent était léger.
Alors que la petite sirène regardait le bateau, un beau prince sortit sur le pont pour contempler la mer. Il ne savait pas que la petite sirène le regardait, ne pouvant détacher ses yeux de son visage.
Il fit bientôt nuit, et bientôt le vent se renforça, et le navire commença à tanguer.
Une horrible tempête se leva, et arracha les voiles et le gréement, et de gigantesques vagues s’écrasèrent contre le pont et brisèrent la coque. Alors que le navire coulait, la petite sirène vit que le prince était en train de se noyer.
Elle le soutint et nagea avec précaution jusqu’au rivage le plus proche. Le matin, quand le vent se fut calmé et que le soleil se leva, la petite sirène resta là au bord de l’eau à veiller sur le prince endormi.
Peu de temps après, elle vit arriver un groupe de filles de la ville la plus proche qui venaient voir la mer. Quand elles atteignirent la plage où se trouvait le prince, il se réveilla et sourit tandis qu’elles l’aidaient à marcher. La petite sirène, cachée derrière un rocher, se sentit très triste, car elle avait peur de ne plus jamais le revoir.
Après ce jour, la petite sirène remontait souvent à la surface, car elle avait envie de revoir le prince. Elle contemplait son beau palais et pouvait parfois le voir se promener parmi ses courtisans. Elle devint de plus en plus triste, et un jour elle décida d’aller voir la sorcière de la mer et de lui demander conseil.
Cette sorcière vivait dans un endroit sombre et profond de l’océan, où les serpents marins semaient la terreur dans l’eau glacée. Voyant la petite sirène, la sorcière éclata de rire.
« Je sais pourquoi tu es ici ! » dit-elle. Tu veux te rendre dans le monde des humains pour voir ton prince. Tu veux que je transforme ta queue de sirène en jambes humaines, aussi laides soient-elles. Connais-tu le prix à payer ?
« Non, » murmura la princesse, « mais je donnerai tout pour devenir humaine. »
« Tu devras me donner ta voix, avec laquelle tu chantes si bien, » dit la sorcière. Alors je pourrai te transformer en humaine, avec d’affreuses jambes pour marcher. Mais rappelle-toi que si le prince ne t’aime pas de tout son cœur et ne te prend pas pour épouse, tu te transformeras en écume de mer et tu disparaîtras à jamais. Tu ne pourras plus rentrer chez ton père. « D’accord », dit la petite sirène. C’était déjà décidé.
Ensuite, la sorcière de la mer donna à boire une potion magique à la petite sirène. Pendant qu’elle buvait, une profonde tristesse l’envahit, car elle réalisait quel grand sacrifice elle était en train de faire. Lorsqu’elle remonta à la surface et nagea jusqu’au palais du prince, sa tristesse disparut dès qu’elle aperçut le jeune homme qu’elle aimait. Elle avait maintenant de belles jambes mais était incapable de parler car la sorcière lui avait bel et bien pris sa voix. Le prince voulut tout de suite recevoir la belle étrangère, et bien qu’elle ne puisse pas parler, il aimait sa compagnie et voulait que la jeune fille soit toujours à ses côtés.
Chaque jour, la petite sirène aimait davantage le jeune prince, mais elle réalisait qu’il n’avait pas l’intention de l’épouser. Il aimait pourtant sa compagnie et sentait qu’ils étaient unis par quelque chose.
-Tu me rappelles une jeune fille que j’ai connu autrefois, lui disait-il. Elle m’avait sauvé la vie, C’est la seule femme que je pourrais jamais aimer.
La pauvre petite sirène essayait de gesticuler et mimer mais elle ne n’arrivait pas à lui expliquer que cette fille était devant lui. Et elle ne savait pas écrire. Elle était vraiment malheureuse mais le destin semblait en avoir décidé ainsi.
Au bout de quelques mois, le roi et la reine pressèrent le prince de se trouver une fiancée. Après avoir refusé de nombreuses fois, il accepta finalement d’aller rencontrer la princesse d’un pays voisin. La petite sirène, bien sûr, monta à bord du navire royal avec lui, bien qu’elle en eût le cœur brisé.
Lorsque le prince mit le pied sur le rivage et rencontra la princesse voisine, il fut tellement fasciné par sa beauté qu’il se convainquit lui-même qu’elle était la fille qui l’avait sauvé du naufrage.
-C’est toi! s’exclama-t-il, ma sauveuse! J’ai retrouvé la fille que j’aimerai toute ma vie. Veux-tu m’épouser ?
Bientôt commencèrent les préparatifs du magnifique mariage, avec des milliers de fleurs, des robes de soie et des bijoux. Tout le monde était plein d’enthousiasme et criait de joie de voir un couple si heureux. Seule la petite sirène restait silencieuse et de ses yeux, pour la première fois, tombèrent des larmes que personne ne vit.
Cette nuit-là, lorsque le prince et sa femme se rendirent dans leur cabine sur le navire royal, la petite sirène se tenait sur le pont, fixant l’eau sombre. À l’aube, elle se transformerait en écume et ne pourrait plus jamais voir, entendre ou aimer.
Mais à ce moment-là, ses sœurs montèrent à la surface de la mer. Leurs cheveux étaient coupés presque à ras.
« Nous avons donné nos cheveux à la sorcière de la mer, » dirent-elles, « en échange de ce couteau. Si tu tues le prince avec ce couteau pendant la nuit, tu seras libérée du charme et tu pourras revenir au royaume de la mer avec nous. »
La petite sirène prit le couteau, mais lorsqu’elle se retrouva à côté du prince endormi, elle réalisa qu’elle ne pourrait jamais lui faire de mal. En pleurant, elle lança le couteau et se jeta à la mer.
Mais à sa grande surprise, la petite sirène ne se transforma pas en écume, mais elle se mit à flotter dans les airs; le bateau s’éloignait rapidement. Autour d’elle, elle aperçut de merveilleuses créatures de lumière dorée.
« Nous sommes les filles de l’air, lui dirent-elles. Nous sommes heureuses en faisant du bien autour de nous. Maintenant que tu es l’une des nôtres, petite sirène, tu pourras enfin être heureuse.”
Alors la petite sirène regarda une dernière fois vers le soleil, contempla le prince et sa femme, qui étaient sur le pont du navire, et pour la première fois depuis longtemps, elle sourit.
Le vilain petit canard
Conte de Hans Christian Andersen. Traduction originale de 1862. Illustrations de Bertall, Job.
Que la campagne était belle ! On était au milieu de l’été ; les blés agitaient des épis d’un jaune magnifique, l’avoine était verte, et dans les prairies le foin s’élevait en monceaux odorants ; la cigogne se promenait sur ses longues jambes rouges, en bavardant de l’égyptien, langue qu’elle avait apprise de madame sa mère. Autour des champs et des prairies s’étendaient de grandes forêts coupées de lacs profonds.
Oui vraiment, la campagne était bien belle. Les rayons du soleil éclairaient de tout leur éclat un vieux domaine entouré de larges fossés, et de grandes feuilles de bardane descendaient du mur jusques dans l’eau ; elles étaient si hautes que les petits enfants pouvaient se cacher dessous, et qu’au milieu d’elles on pouvait trouver une solitude aussi sauvage qu’au centre de la forêt. Dans une de ces retraites une cane avait établi son nid et couvait ses œufs ; il lui tardait bien de voir ses petits éclore. Elle ne recevait guère de visites ; car les autres aimaient mieux nager dans les fossés que de venir jusque sous les bardanes pour barboter avec elle.
Enfin les œufs commencèrent à crever les uns après les autres ; on entendait « pi-pip ; » c’étaient les petits canards qui vivaient et tendaient leur cou au dehors.
« Rap-rap, » dirent-ils ensuite en faisant tout le bruit qu’ils pouvaient.
Ils regardaient de tous côtés sous les feuilles vertes, et la mère les laissa faire ; car le vert réjouit les yeux.
« Que le monde est grand ? dirent les petits nouveau-nés à l’endroit même où ils se trouvèrent au sortir de leur œuf.
— Vous croyez donc que le monde finit là ? dit la mère. Oh ! non, il s’étend bien plus loin, de l’autre côté du jardin, jusque dans les champs du curé ; mais je n’y suis jamais allée. Êtes-vous tous là ? continua-t-elle en se levant. Non, le plus gros œuf n’a pas bougé : Dieu ! que cela dure longtemps ! J’en ai assez. »
Et elle se mit à couver, mais d’un air contrarié.
« Eh bien ! comment cela va-t-il ? dit une vieille cane qui était venue lui rendre visite.
— Il n’y a plus que celui-là que j’ai toutes les peines du monde à faire crever. Regardez un peu les autres : ne trouvez-vous pas que ce sont les plus gentils petits canards qu’on ait jamais vus ? ils ressemblent tous d’une manière étonnante à leur père ; mais le coquin ne vient pas même me voir.
— Montrez-moi un peu cet œuf qui ne veut pas crever, dit la vieille. Ah ! vous pouvez me croire, c’est un œuf de dinde. Moi aussi j’ai été trompée une fois comme vous, et j’ai eu toute la peine possible avec le petit ; car tous ces êtres-là ont affreusement peur de l’eau. Je ne pouvais parvenir à l’y faire entrer. J’avais beau le happer et barboter devant lui, rien n’y faisait. Que je le regarde encore : oui, c’est bien certainement un œuf de dinde. Laissez-le là, et apprenez plutôt aux autres enfants à nager.
— Non, puisque j’ai déjà perdu tant de temps, je puis bien rester à couver un jour ou deux de plus, répondit la cane.
— Comme vous voudrez, » répliqua la vieille ; elle s’en alla.
Enfin le gros œuf creva. « Pi-pip, » fit le petit, et il sortit. Comme il était grand et vilain ! La cane le regarda et dit : « Quel énorme caneton. Il ne ressemble à aucun de nous. Serait-ce vraiment un dindon ? ce sera facile à voir : il faut qu’il aille à l’eau, quand je devrais l’y traîner. »
Le lendemain, il faisait un temps magnifique : le soleil rayonnait sur toutes les vertes bardanes ; la mère des canards se rendit avec toute sa famille au fossé. « Platsh ! » et elle sauta dans l’eau. « Rap-rap, » dit-elle ensuite, et chacun des petits plongea l’un après l’autre ; et l’eau se referma sur les têtes. Mais bientôt ils reparurent et nagèrent avec rapidité. Les jambes allaient toutes seules, et tous se réjouissaient dans l’eau, même le vilain grand caneton gris.
« Ce n’est pas un dindon, dit-elle. Comme il se sert habilement de ses jambes, et comme il se tient droit ! C’est mon enfant aussi : il n’est pas si laid, lorsqu’on le regarde de près. Rap-rap ! Venez maintenant avec moi : je vais vous faire faire votre entrée dans le monde et vous présenter dans la cour des canards. Seulement ne vous éloignez pas de moi, pour qu’on ne marche pas sur vous, et prenez bien garde au chat. »
Ils entrèrent tous dans la cour des canards.
Quel bruit on y faisait ! Deux familles s’y disputaient une tête d’anguille, et à la fin ce fut le chat qui l’emporta.
« Vous voyez comme les choses se passent dans le monde, » dit la cane en aiguisant son bec ; car elle aussi aurait bien voulu avoir la tête d’anguille. « Maintenant, remuez les jambes, continua-t-elle ; tenez-vous bien ensemble et saluez le vieux canard là-bas. C’est le plus distingué de tous ceux qui se trouvent ici. Il est de race espagnole, c’est pour cela qu’il est si gros, et remarquez bien ce ruban rouge autour de sa jambe : c’est quelque chose de magnifique, et la plus grande distinction qu’on puisse accorder à un canard. Cela signifie qu’on ne veut pas le perdre, et qu’il doit être remarqué par les animaux comme par les hommes. Allons, tenez-vous bien ; non, ne mettez pas les pieds en dedans : un caneton bien élevé écarte les pieds avec soin ; regardez comme je les mets en dehors. Inclinez-vous et dites : « Rap ! »
Ils obéirent, et les autres canards qui les entouraient les regardaient et disaient tout haut : « Voyez un peu ; en voilà encore d’autres, comme si nous n’étions pas déjà assez. Fi, fi donc ! Qu’est-ce que ce canet-là ? Nous n’en voulons pas. »
Et aussitôt un grand canard vola de son côté, se jeta sur lui et le mordit au cou.
« Laissez-le donc, dit la mère, il ne fait de mal à personne.
— D’accord ; mais il est si grand et si drôle, dit l’agresseur, qu’il a besoin d’être battu.
— Vous avez là de beaux enfants, la mère, dit le vieux canard au ruban rouge. Ils sont tous gentils, excepté celui-là ; il n’est pas bien venu : je voudrais que vous pussiez le refaire.
— C’est impossible, dit la mère cane. Il n’est pas beau, c’est vrai ; mais il a un si bon caractère ! et il nage dans la perfection : oui, j’oserais même dire mieux que tous les autres. Je pense qu’il grandira joliment et qu’avec le temps il se formera. Il est resté trop longtemps dans l’œuf, et c’est pourquoi il n’est pas très-bien fait. »
Tandis qu’elle parlait ainsi, elle le tirait doucement par le cou, et lissait son plumage. « Du reste, c’est un canard, et la beauté ne lui importe pas tant. Je crois qu’il deviendra fort et qu’il fera son chemin dans le monde. Enfin, les autres sont gentils ; maintenant, mes enfants, faites comme si vous étiez à la maison et si vous trouvez une tête d’anguille, apportez-la-moi. »
Et ils firent comme s’ils étaient à la maison.
Mais le pauvre canet qui était sorti du dernier œuf fut, pour sa laideur, mordu, poussé et bafoué, non-seulement par les canards, mais aussi par les poulets.
« Il est trop grand, » disaient-ils tous, et le coq d’Inde qui était venu au monde avec des éperons et qui se croyait empereur, se gonfla comme un bâtiment toutes voiles dehors, et marcha droit sur lui en grande fureur et rouge jusqu’aux yeux. Le pauvre canet ne savait s’il devait s’arrêter ou marcher : il eut bien du chagrin d’être si laid et d’être bafoué par tous les canards de la cour.
Voilà ce qui se passa dès le premier jour, et les choses allèrent toujours de pis en pis. Le pauvre canet fut chassé de partout : ses sœurs mêmes étaient méchantes avec lui et répétaient continuellement : « Que ce serait bien fait si le chat t’emportait, vilaine créature ! » Et la mère disait : « Je voudrais que tu fusses bien loin. » Les canards le mordaient, les poulets le battaient, et la bonne qui donnait à manger aux bêtes le repoussait du pied.
Alors il se sauva et prit son vol par-dessus la haie. Les petits oiseaux dans les buissons s’envolèrent de frayeur. « Et tout cela, parce que je suis vilain, » pensa le caneton. Il ferma les yeux et continua son chemin. Il arriva ainsi au grand marécage qu’habitaient les canards sauvages. Il s’y coucha pendant la nuit, bien triste et bien fatigué.
Le lendemain, lorsque les canards sauvages se levèrent, ils aperçurent leur nouveau camarade.
« Qu’est-ce que c’est que cela ? » dirent-ils : le canet se tourna de tous côtés et salua avec toute la grâce possible.
« Tu peux te flatter d’être énormément laid ! dirent les canards sauvages ; mais cela nous est égal, pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. »
Le malheureux ! est-ce qu’il pensait à se marier, lui qui ne demandait que la permission de coucher dans les roseaux et de boire de l’eau du marécage ?
Il passa ainsi deux journées. Alors arrivèrent dans cet endroit deux jars sauvages. Ils n’avaient pas encore beaucoup vécu ; aussi étaient-ils très-insolents.
« Écoute, camarade, dirent ces nouveaux venus ; tu es si vilain que nous serions contents de t’avoir avec nous. Veux-tu nous accompagner et devenir un oiseau de passage ? Ici tout près, dans l’autre marécage, il y a des oies sauvages charmantes, presque toutes demoiselles, et qui savent bien chanter. Qui sait si tu n’y trouverais pas le bonheur, malgré ta laideur affreuse ! »
Tout à coup on entendit « pif, paf ! » et les deux jars sauvages tombèrent morts dans les roseaux, et l’eau devint rouge comme du sang.
« Pif, paf ! » et des troupes d’oies sauvages s’envolèrent des roseaux. Et on entendit encore des coups de fusil. C’était une grande chasse ; les chasseurs s’étaient couchés tout autour du marais ; quelques-uns s’étaient même postés sur des branches d’arbres qui s’avançaient au-dessus des joncs. Une vapeur bleue semblable à de petite nuages sortait des arbres sombres et s’étendait sur l’eau ; puis les chiens arrivèrent au marécage : « platsh, platsh ; » et les joncs et les roseaux se courbaient de tous côtés. Quelle épouvante pour le pauvre caneton ! il plia la tête pour la cacher sous son aile ; mais en même temps il aperçut devant lui un grand chien terrible : sa langue pendait hors de sa gueule, et ses yeux farouches étincelaient de cruauté. Le chien tourna la gueule vers le caneton, lui montra ses dents pointues et, « platsh, platsh, » il alla plus loin sans le toucher.
« Dieu merci ! soupira le canard ; je suis si vilain que le chien lui-même dédaigne de me mordre ! »
Et il resta ainsi en silence, pendant que le plomb sifflait à travers les joncs et que les coups de fusil se succédaient sans relâche.
Vers la fin de la journée seulement, le bruit cessa ; mais le pauvre petit n’osa pas encore se lever. Il attendit quelques heures, regarda autour de lui, et se sauva du marais aussi vite qu’il put. Il passa au-dessus des champs et des prairies ; une tempête furieuse l’empêcha d’avancer.
Sur le soir, il arriva à une misérable cabane de paysan, si vieille et si ruinée qu’elle ne savait pas de quel côté tomber : aussi restait-elle debout. La tempête soufflait si fort autour du caneton qu’il fut obligé de s’arrêter et de s’accrocher à la cabane : tout allait de mal en pis.
Alors il remarqua qu’une porte avait quitté ses gonds et lui permettait, par une petite ouverture, de pénétrer dans l’intérieur : c’est ce qu’il fit.
Là demeurait une vieille femme avec son matou et avec sa poule ; et le matou, qu’elle appelait son petit-fils, savait arrondir le dos et filer son rouet : il savait même lancer des étincelles, pourvu qu’on lui frottât convenablement le dos à rebrousse-poil. La poule avait des jambes fort courtes, ce qui lui avait valu le nom de Courte-Jambe. Elle pondait des œufs excellents, et la bonne femme l’aimait comme une fille.
Le lendemain on s’aperçut de la présence du caneton étranger. Le matou commença à gronder, et la poule à glousser.
« Qu’y a-t-il ? » dit la femme en regardant autour d’elle. Mais, comme elle avait la vue basse, elle crut que c’était une grosse cane qui s’était égarée. « Voilà une bonne prise, dit-elle : j’aurai maintenant des œufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un canard ! Enfin, nous verrons. »
Elle attendit pendant trois semaines ; mais les œufs ne vinrent pas. Dans cette maison, le matou était le maître et la poule la maîtresse ; aussi ils avaient l’habitude de dire : « Nous et le monde ; » car ils croyaient faire à eux seuls la moitié et même la meilleure moitié du monde. Le caneton se permit de penser que l’on pouvait avoir un autre avis ; mais cela fâcha la poule.
« Sais-tu pondre des œufs ? demanda-t-elle.
— Non.
— Eh bien ! alors, tu auras la bonté de te taire. »
Et le matou le questionna à son tour : « Sais-tu faire le gros dos ? sais-tu filer ton rouet et faire jaillir des étincelles ?
— Non.
— Alors tu n’as pas le droit d’exprimer une opinion, quand les gens raisonnables causent ensemble. »
Et le caneton se coucha tristement dans un coin ; mais tout à coup un air vif et la lumière du soleil pénétrèrent dans la chambre, et cela lui donna une si grande envie de nager dans l’eau qu’il ne put s’empêcher d’en parler à la poule.
« Qu’est-ce donc ? dit-elle. Tu n’as rien à faire, et voilà qu’il te prend des fantaisies. Ponds des œufs ou fais ron-ron, et ces caprices te passeront.
— C’est pourtant bien joli de nager sur l’eau, dit le petit canard ; quel bonheur de la sentir se refermer sur sa tête et de plonger jusqu’au fond !
— Ce doit être un grand plaisir, en effet ! répondit la poule. Je crois que tu es devenu fou. Demande un peu à Minet, qui est l’être le plus raisonnable que je connaisse, s’il aime à nager ou à plonger dans l’eau. Demande même à notre vieille maîtresse : personne dans le monde n’est plus expérimenté ; crois-tu qu’elle ait envie de nager et de sentir l’eau se refermer sur sa tête ?
— Vous ne me comprenez pas.
— Nous ne te comprenons pas ? mais qui te comprendrait donc ? Te croirais-tu plus instruit que Minet et notre maîtresse ?
— Je ne veux pas parler de moi.
— Ne t’en fais pas accroire, enfant, mais remercie plutôt le créateur de tout le bien dont il t’a comblé. Tu es arrivé dans une chambre bien chaude, tu as trouvé une société dont tu pourrais profiter, et tu te mets à raisonner jusqu’à te rendre insupportable. Ce n’est vraiment pas un plaisir de vivre avec toi. Crois-moi, je te veux du bien ; je te dis sans doute des choses désagréables ; mais c’est à cela que l’on reconnaît ses véritables amis. Suis mes conseils, et tâche de pondre des œufs ou de faire ron-ron.
— Je crois qu’il me sera plus avantageux de faire mon tour dans le monde, répondit le canard.
— Comme tu voudras, » dit le poulet.
Et le canard s’en alla nager et se plonger dans l’eau ; mais tous les animaux le méprisèrent à cause de sa laideur.
L’automne arriva, les feuilles de la forêt devinrent jaunes et brunes : le vent les saisit et les fit voltiger. En haut, dans les airs, il faisait bien froid ; des nuages lourds pendaient, chargés de grêle et de neige. Sur la haie le corbeau croassait tant il était gelé : rien que d’y penser, on grelottait. Le pauvre caneton n’était, en vérité, pas à son aise.
Un soir que le soleil se couchait glorieux, toute une foule de grands oiseaux superbes sortit des buissons ; le canet n’en avait jamais vu de semblables : ils étaient d’une blancheur éblouissante, ils avaient le cou long et souple. C’étaient des cygnes. Le son de leur voix était tout particulier : ils étendirent leurs longues ailes éclatantes pour aller loin de cette contrée chercher dans les pays chauds des lacs toujours ouverts. Ils montaient si haut, si haut, que le vilain petit canard en était étrangement affecté ; il tourna dans l’eau comme une roue, il dressa le cou et le tendit en l’air vers les cygnes voyageurs, et poussa un cri si perçant et si singulier qu’il se fit peur à lui-même. Il lui était impossible d’oublier ces oiseaux magnifiques et heureux ; aussitôt qu’il cessa de les apercevoir, il plongea jusqu’au fond, et, lorsqu’il remonta à la surface, il était comme hors de lui. Il ne savait comment s’appelaient ces oiseaux, ni où ils allaient ; mais cependant il les aimait comme il n’avait encore aimé personne. Il n’en était pas jaloux ; car comment aurait-il pu avoir l’idée de souhaiter pour lui-même une grâce si parfaite ? Il aurait été trop heureux, si les canards avaient consenti à le supporter, le pauvre être si vilain !
Et l’hiver devint bien froid, bien froid ; le caneton nageait toujours à la surface de l’eau pour l’empêcher de se prendre tout à fait ; mais chaque nuit le trou dans lequel il nageait se rétrécissait davantage. Il gelait si fort qu’on entendait la glace craquer ; le canet était obligé d’agiter continuellement les jambes pour que le trou ne se fermât pas autour de lui. Mais enfin il se sentit épuisé de fatigue ; il ne remuait plus et fut saisi par la glace.
Le lendemain matin, un paysan vint sur le bord et vit ce qui se passait ; il s’avança, rompit la glace et emporta le canard chez lui pour le donner à sa femme. Là, il revint à la vie.
Les enfants voulurent jouer avec lui ; mais le caneton, persuadé qu’ils allaient lui faire du mal, se jeta de peur au milieu du pot au lait, si bien que le lait rejaillit dans la chambre. La femme frappa ses mains l’une contre l’autre de colère, et lui, tout effrayé, se réfugia dans la baratte, et de là dans la huche à farine, puis de là prit son vol au dehors.
Dieu ! quel spectacle ! la femme criait, courait après lui, et voulait le battre avec les pincettes ; les enfants s’élancèrent sur le tas de fumier pour attraper le caneton. Ils riaient et poussaient des cris : ce fut un grand bonheur pour lui d’avoir trouvé la porte ouverte et de pouvoir ensuite se glisser entre des branches, dans la neige ; il s’y blottit tout épuisé.
Il serait trop triste de raconter toute sa misère et toutes les souffrances qu’il eut à supporter pendant cet hiver rigoureux.
Il était couché dans le marécage entre les joncs, lorsqu’un jour le soleil commença à reprendre son éclat et sa chaleur. Les alouettes chantaient. Il faisait un printemps délicieux.
Alors tout à coup le caneton put se confier à ses ailes, qui battaient l’air avec plus de vigueur qu’autrefois, assez fortes pour le transporter au loin. Et bientôt il se trouva dans un grand jardin où les pommiers étaient en pleine floraison, où le sureau répandait son parfum et penchait ses longues branches vertes jusqu’aux fossés. Comme tout était beau dans cet endroit ! Comme tout respirait le printemps !
Et des profondeurs du bois sortirent trois cygnes blancs et magnifiques.
Ils battaient des ailes et nagèrent sur l’eau. Le canet connaissait ces beaux oiseaux : il fut saisi d’une tristesse indicible.
« Je veux aller les trouver, ces oiseaux royaux ; ils me tueront, pour avoir osé, moi, si vilain, m’approcher d’eux ; mais cela m’est égal ; mieux vaut être tué par eux que d’être mordu par les canards, battu par les poules, poussé du pied par la fille de basse-cour, et que de souffrir les misères de l’hiver. »
Il s’élança dans l’eau et nagea à la rencontre des cygnes. Ceux-ci l’aperçurent et se précipitèrent vers lui les plumes soulevées. « Tuez-moi, » dit le pauvre animal ; et, penchant la tête vers la surface de l’eau, il attendait la mort.
Mais que vit-il dans l’eau transparente ? Il vit sa propre image au-dessous de lui : ce n’était plus un oiseau mal fait, d’un gris noir, vilain et dégoûtant, il était lui-même un cygne !
Il n’y a pas de mal à être né dans une basse-cour lorsqu’on sort d’un œuf de cygne.
Maintenant il se sentait heureux de toutes ses souffrances et de tous ses chagrins ; maintenant pour la première fois il goûtait tout son bonheur en voyant la magnificence qui l’entourait, et les grands cygnes nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.
De petits enfants vinrent au jardin et jetèrent du pain et du grain dans l’eau, et le plus petit d’entre eux s’écria : « En voilà un nouveau ! » et les autres enfants poussèrent des cris de joie : « Oui, oui ! c’est vrai ; il y en a encore un nouveau. » Et ils dansaient sur les bords, puis battaient des mains ; et ils coururent à leur père et à leur mère, et revinrent encore jeter du pain et du gâteau, et ils dirent tous : « Le nouveau est le plus beau ! Qu’il est jeune ! qu’il est superbe ! »
Et les vieux cygnes s’inclinèrent devant lui.
Alors, il se sentit honteux, et cacha sa tête sous son aile ; il ne savait comment se tenir, car c’était pour lui trop de bonheur. Mais il n’était pas fier. Un bon cœur ne le devient jamais. Il songeait à la manière dont il avait été persécuté et insulté partout, et voilà qu’il les entendait tous dire qu’il était le plus beau de tous ces beaux oiseaux ! Et le sureau même inclinait ses branches vers lui, et le soleil répandait une lumière si chaude et si bienfaisante ! Alors ses plumes se gonflèrent, son cou élancé se dressa, et il s’écria de tout son cœur : « Comment aurais-je pu rêver tant de bonheur, pendant que je n’étais qu’un vilain petit canard. »
Les habits neufs de l’empereur
Il y a très longtemps, vivait un empereur qui aimait plus que tout les habits neufs, à tel point qu’il dépensait toute sa fortune dans sa garde-robe. Il ne se souciait pas des parades militaires, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, sauf si cela lui permettait d’exhiber ses vêtements neufs. Il avait un costume pour chaque heure de chaque jour de la semaine et tandis qu’on dit habituellement d’un roi qu’il est au conseil, on disait toujours de lui : « L’empereur est dans sa garde-robe ! »
Dans la grande ville où il habitait, la vie était gaie et chaque jour beaucoup d’étrangers arrivaient. Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être tisserands et être capables de pouvoir tisser la plus belle étoffe que l’on pût imaginer. Non seulement les couleurs et le motif seraient exceptionnellement beaux, mais les vêtements qui en seraient confectionnés posséderaient l’étonnante propriété d’être invisibles aux yeux des idiots et des incompétents.
« Quels vêtements merveilleux ceux doivent être », se dit l’empereur. « Si j’en avais de pareils, je pourrais découvrir qui, de mes sujets, ne sied pas à ses fonctions et départager les intelligents des imbéciles ! Je dois sur le champ me faire tisser cette étoffe ! » Il donna aux deux escrocs une avance sur leur travail et ceux-ci se mirent à l’ouvrage.
Ils installèrent deux métiers à tisser, mais ils firent semblant de travailler car il n’y avait absolument aucun fil sur le métier. Ils demandèrent la soie la plus fine et l’or le plus précieux qu’ils prirent pour eux et restèrent sur leurs métiers vides jusqu’à bien tard dans la nuit.
« Je voudrais bien savoir où ils en sont avec l’étoffe ! », se dit l’empereur. Mais il se sentait mal à l’aise à l’idée qu’elle soit invisible aux yeux de ceux qui sont sots ou mal dans leur fonction. Il se dit qu’il n’avait rien à craindre pour lui-même, mais préféra envoyer quelqu’un d’autre pour voir comment cela se passait. La rumeur faisant son travail, chacun dans la ville connaissait maintenant les qualités exceptionnelles de l’étoffe et tous étaient impatients de savoir si leur voisin était inapte ou idiot.
« Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre auprès des tisserands », se dit l’empereur. « Il est le mieux à même de juger de l’allure de l’étoffe; il est d’une grande intelligence et personne ne fait mieux son travail que lui ! »
Le vieux et bon ministre alla donc dans l’atelier où les deux escrocs étaient assis, travaillant sur leurs métiers vides. Que Dieu nous garde ! », pensa le ministre en écarquillant les yeux. « Je ne vois rien du tout ! » Mais il se garda bien de le dire.
Les deux escrocs l’invitèrent à s’approcher et lui demandèrent si ce n’étaient pas là en effet un joli motif et de magnifiques couleurs. Puis, ils lui montrèrent un métier vide. Le pauvre vieux ministre écarquilla encore plus les yeux, mais il ne vit toujours rien, puisqu’il n’y avait rien. « Mon Dieu, pensa-t-il, serais-je sot ? Je ne l’aurais jamais cru et personne ne doit le savoir ! Serais-je un incompétent ? Non, il ne faut surtout pas que je raconte que je ne peux pas voir l’étoffe. »
« Eh bien, qu’en dites-vous ? », demanda l’un des tisserands.
« Oh, c’est ravissant, tout ce qu’il y a de plus joli ! », répondit le vieux ministre, en regardant au travers de ses lunettes. « Ces motifs et ces couleurs ! Je ne manquerai pas de dire à l’empereur que tout cela me plaît beaucoup ! »
« Nous nous en réjouissons ! », dirent les deux tisserands. Puis, ils décrivirent les couleurs et discutèrent du motif. Le vieux ministre écouta attentivement afin de pouvoir lui-même en parler lorsqu’il serait de retour auprès de l’empereur; et c’est ce qu’il fit.
Les deux escrocs exigèrent encore plus d’argent, plus de soie et plus d’or pour leur tissage. Ils mettaient tout dans leurs poches et rien sur les métiers; mais ils continuèrent, comme ils l’avaient fait jusqu’ici, à faire semblant de travailler.
L’empereur envoya bientôt un autre fonctionnaire de confiance pour voir où en était le travail et quand l’étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme ce qui était arrivé au ministre : il regarda et regarda encore, mais comme il n’y avait rien sur le métier, il ne put rien y voir.
« N’est-ce pas là un magnifique morceau d’étoffe ? », lui demandèrent les deux escrocs en lui montrant et lui expliquant les splendides motifs qui n’existaient tout simplement pas.
« Je ne suis pas sot, se dit le fonctionnaire; ce serait donc que je ne conviens pas à mes fonctions ? Ce serait plutôt étrange, mais je ne dois pas le laisser paraître ! » Et il fit l’éloge de l’étoffe, qu’il n’avait pas vue, puis il exprima la joie que lui procuraient les couleurs et le merveilleux motif. « Oui, c’est tout-à-fait merveilleux ! », dit-il à l’empereur.
Dans la ville, tout le monde parlait de la magnifique étoffe, et l’empereur voulu la voir de ses propres yeux tandis qu’elle se trouvait encore sur le métier. Accompagné de toute une foule de dignitaires, dont le ministre et le fonctionnaire, il alla chez les deux escrocs, lesquels s’affairaient à tisser sans le moindre fil.
« N’est-ce pas magnifique ? », dirent les deux fonctionnaires qui étaient déjà venus. « Que Votre Majesté admire les motifs et les couleurs ! » Puis, ils montrèrent du doigt un métier vide, s’imaginant que les autres pouvaient y voir quelque chose.
« Comment !, pensa l’Empereur, mais je ne vois rien ! C’est affreux ! Serais-je sot ? Ne serais-je pas fait pour être empereur ? Ce serait bien la chose la plus terrible qui puisse jamais m’arriver. »
« Magnifique, ravissant, parfait, dit-il finalement, je donne ma plus haute approbation ! » Il hocha la tête, en signe de satisfaction, et contempla le métier vide; mais il se garda bien de dire qu’il ne voyait rien. Tous les membres de la suite qui l’avaient accompagné regardèrent et regardèrent encore; mais comme pour tous les autres, rien ne leur apparût et tous dirent comme l’empereur : « C’est véritablement très beau ! » Puis ils conseillèrent à l’Empereur de porter ces magnifiques vêtements pour la première fois à l’occasion d’une grande fête qui devrait avoir lieu très bientôt.
Merveilleux était le mot que l’on entendait sur toutes les lèvres, et tous semblaient se réjouir. L’empereur décora chacun des escrocs d’une croix de chevalier qu’ils mirent à leur boutonnière et il leur donna le titre de gentilshommes tisserands.
La nuit qui précéda le matin de la fête, les escrocs restèrent à travailler avec seize chandelles. Tous les gens pouvaient se rendre compte du mal qu’ils se donnaient pour terminer les habits de l’empereur. Les tisserands firent semblant d’enlever l’étoffe de sur le métier, coupèrent dans l’air avec de gros ciseaux, cousirent avec des aiguilles sans fils et dirent finalement : « Voyez, les habits neufs de l’empereur sont à présent terminés ! »
« Voyez, Majesté, voici le pantalon, voilà la veste, voilà le manteau ! » et ainsi de suite. « C’est aussi léger qu’une toile d’araignée; on croirait presque qu’on n’a rien sur le corps, mais c’est là toute la beauté de la chose ! »
« Oui, oui ! », dirent tous les courtisans, mais ils ne pouvaient rien voir, puisqu’il n’y avait rien.
« Votre Majesté Impériale veut-elle avoir l’insigne bonté d’ôter ses vêtements afin que nous puissions lui mettre les nouveaux, là, devant le grands miroir ! »
L’empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent comme s’ils lui enfilaient chacune des pièces du nouvel habit qui, apparemment, venait tout juste d’être cousu. L’empereur se tourna et se retourna devant le miroir.
« Dieu ! comme cela vous va bien. Quels dessins, quelles couleurs », s’exclamait tout le monde.
« Ceux qui doivent porter le paravent au-dessus de Votre Majesté ouvrant la procession sont arrivés », dit le maître des cérémonies.
« Je suis prêt », dit l’empereur. « Est-ce que cela me va bien ? » Et il en se tourna encore une fois devant le miroir, car il devait faire semblant de bien contempler son costume.
Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet, faisant semblant d’attraper et de soulever la traîne. Ils allèrent et firent comme s’ils tenaient quelque chose dans les airs; ils ne voulaient pas risquer que l’on remarquât qu’ils ne pouvaient rien voir.
C’est ainsi que l’Empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ceux qui se trouvaient dans la rue ou à leur fenêtre disaient : « Les habits neufs de l’empereur sont admirables ! Quel manteau magnifique avec sa traîne de toute beauté, comme elle s’étale avec splendeur ! » Personne ne voulait laisser paraître qu’il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans sa fonction ou simplement un sot. Aucun habit neuf de l’empereur n’avait connu un tel succès.
« Mais il n’a pas d’habit du tout ! », cria tout à coup un petit enfant dans la foule.
« Entendez la voix de l’innocence ! », dit le père; et chacun murmura à son voisin ce que l’enfant avait dit.
Puis la foule entière se mit à crier : « Mais il n’a pas d’habit du tout ! » L’empereur frissonna de peur, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit : » Maintenant, je dois tenir bon jusqu’à la fin de la procession. » Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n’existait pas.
Hans Christian Andersen (1805-1875),
Titre original : Les Habits neufs du Grand-Duc
Adapté par Contesdefees.com de la traduction de David Soldi.
Contes d’Andersen, 1876.
Les trois petits cochons
Il était une fois 3 petits cochons qui vivaient avec leur maman dans une petite maison. Ils s’appelaient Nif Nif, Nouf, Nouf et Naf Naf.
Un jour, leur mère les réunit et leur dit:
“Mes enfants, vous avez beaucoup grandit, et notre maison est bien trop petite pour nous tous maintenant. Demain vous partirez pour construire chacun votre maison. Et surtout faîtes bien attention au grand méchant loup”
Le lendemain, ils s’embrassèrent tous et partirent.
Nouf Nouf le plus jeune et le plus paresseux, rencontra un paysan et lui demanda un peu de paille pour construire sa maison en quelques minutes.
Nif Nif le second, un peu moins paresseux, demanda du bois à un bûcheron et se construisit une maison en bois en quelques heures.
Naf Naf, l’aîné et le plus travailleur, acheta des briques à un maçon et se construisit une solide maison de brique en plusieurs jours.
Ses frères qui avait terminé bien avant lui, se moquaient de lui en rigolant et en jouant de la musique devant lui.
Mais Naf Naf leur reprochait leur paresse et leur disait:
– Nous verrons bien quand le loup viendra! Rira bien qui rira le dernier!
Quelques jours plus tard, un horrible et énorme grand méchant loup sortit de la forêt.
Il vit d’abord la maison de Nouf Nouf et cria:
“Petit cochon, ouvre-moi ta porte ou je soufflerai, et ta maison s’envolera!”
“Non, jamais de la vie” dit Nouf Nouf en tremblant.
Alors le grand méchant loup remplit ses poumons et commença à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
En quelques secondes, la maison s’envola.
Nouf Nouf, se mit à courir de toutes ses forces vers la cabane de son frère Nif Nif.
Nif Nif lui ouvrit la porte juste à temps car ils entendirent rugir la voix du loup:
“Petits cochons! Petits cochons! Ouvrez-moi la porte!”
“Non non!” S’exclama Nif Nif. “Nous ne t’ouvrirons pas!”
Le loup répondit:
“Puisque c’est comme ça, je vais souffler, souffler, souffler, et votre maison s’envolera.”
Alors il gonfla sa poitrine et se mit à souffler de toutes ses forces:
“Pfffffffffff Hoooo Pfffffffffffff!”
La cabane resista un peu mais s’envola bien vite.
Nouf Nouf et Nif Nif se mirent à courir, courir, courir, en direction de la maison de briques de leur frère Naf Naf.
Naf Naf les laissa entrer juste à temps.
De grands coups retentirent à la porte. “Boum Boum Boum ». C’était le loup.
« Petits cochons, petits cochons! Ouvrez-moi la porte ou je soufflerai, soufflerai, soufflerai, et votre maison s’envolera.”
“Non” dit Naf Naf, “Nous ne t’ouvrirons pas”
Alors le Loup souffla de toutes ses forces:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
La maison ne bougea pas d’un pouce.
Enragé, il souffla à nouveau:
“Pffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff!”
Mais la maison resista, solide comme un roc.
Il souffla, souffla et souffla encore jusqu’à perdre haleine.
“Hufufufufufu”
À bout de souffle, le grand méchant loup, chercha une autre idée pour entrer dans la maison. Il aperçut la cheminée sur le toit, commença à escalader le mur pour y descendre et attraper son repas.
Heureusement, Naf Naf, avait entendu les pas du loup sur le toit, et il avait mis rapidement une grande marmite d’eau chaude à bouillir sur le feu.
Lorsque le grand méchant loup descendit par le conduit de la cheminée, il se brûla tellement fort, qu’il sauta à plusieurs mètres en passant par la cheminée en sens inverse.
Il courut, courut, courut jusqu’à disparaître complètement. Et on ne le revit plus jamais dans la région.
Les trois petits cochons sortirent tout heureux de la maison de briques et se mirent à danser en rond en chantant:
”Qui a peur du grand méchant loup, c’est peut-être vous? C’est pas nous!”
Naf Naf put enfin se joindre à la flûte de Nouf Nouf et au violon de Nif Nif en les accompagnant gaiement sur son piano.
Finalement, il invita ses frères à vivre dans sa maison en attendant qu’ils construisent chacun leur propre maison de brique.
Blanche neige
D’après les frères Grimm. Illustrations à l’aquarelle d’Isabelle Beaussant – de Pas.
Il était une fois le roi et la reine d’un beau pays qui vivaient dans un grand château.
Un jour, ils eurent une fille qu’ils appelèrent Blanche-Neige, car sa peau était blanche comme la neige.
Mais peu de temps après la reine mourut, et le roi se remaria avec une femme très belle, mais très orgueilleuse et méchante.
Elle possédait un miroir magique à qui elle demandait:
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Et le miroir répondait toujours:
– Majesté, vous êtes la plus belle!
Et il lui disait toujours la même chose car c’était vrai.
Mais des années plus tard, alors que Blanche Neige devenait une jeune femme, elle lui demanda comme toujours:
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Le miroir lui répondit:
– C’est Blanche Neige la plus belle!
Et c’était bien vrai. Blanche Neige était devenue une magnifique femme, tout en cultivant une simplicité admirable. Elle passait de longues heures dans la nature, amie des fleurs et des animaux.
En réalisant cela au travers de son miroir, la reine entra dans une colère sans mesure et demanda à un chasseur d’emmener Blanche Neige dans la forêt et de ne revenir qu’après l’avoir tué et de lui ramener son coeur.
Le chasseur fut pris de pitié et ne fut pas capable de tuer la jeune fille. Il lui dit de courir le plus loin possible et tua un vieux sanglier pour faire croire à la reine qu’il ramenait le coeur de Blanche Neige.
Celle-ci avait suivit son conseil et avait couru pendant des heures et des heures à travers la forêt profonde.
Elle s’arrêta en voyant une petite maison dans une clairière et frappa à la porte. Ne recevant pas de réponse, elle poussa la porte et entra.
Elle vit sept petites chaises autour de la table et s’assit sur la première.
Puis elle vit sept assiettes déjà préparées et goûta une cuillère de chacune d’elles car elle avait très faim.
Puis elle but dans un des sept verres car elle avait très soif.
Et comme elle était très fatiguée elle s’écroula de tout son long sur les sept petits lits et s’endormit.
La nuit venue, les maîtres de la cabane arrivèrent ; c’étaient des nains qui cherchaient de l’or dans les montagnes. Ils allumèrent leurs petites lampes, et quand le logis fut éclairé, ils virent bientôt que quelqu’un était passé par là, car tout n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.
Le premier dit :
« Qui s’est assis sur ma chaise ? »
Le second :
« Qui a mangé dans mon assiette ? »
Le troisième :
« Qui a pris de mon pain ? »
Le quatrième :
« Qui a touché à mes légumes ? »
Le cinquième :
« Qui a piqué avec ma fourchette ? »
Le sixième :
« Qui a coupé avec mon couteau ? »
Et le septième :
« Qui a bu dans mon gobelet ? »
Puis le premier se retourna et il vit que son lit était défait.
« Qui s’est couché dans mon lit ? » dit-il.
Et les autres accoururent et dire :
« Dans le mien aussi, il y a eu quelqu’un. »
Alors ils aperçurent Blanche-Neige qui était couchée en travers des sept petits lits et qui dormait. Ils poussèrent des cris d’étonnement ; et chacun alla chercher sa lampe pour mieux contempler Blanche-Neige.
« Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, répétaient les nains, que cette jeune fille est belle ! »
Après s’être remis de leurs émotions, et qu’ils eurent écouté l’histoire de Blanche Neige, les nains lui proposèrent de rester chez eux à l’abri tant qu’elle le voudrait.
Le lendemain ils partirent travailler dans la montagne en lui recommandant de n’ouvrir à personne.
Ils vécurent ainsi quelques jours heureux. Blanche Neige prenait soin de la maison et préparait des plats délicieux faisant la joie de ses hôtes.
Pendant ce temps, la méchante reine interrogea à nouveau son miroir :
– Miroir, petit miroir, quelle est la plus belle du pays?
Le miroir lui répondit:
– C’est Blanche Neige la plus belle!
Elle en perdit le souffle :
– Comment ? Blanche Neige n’est pas morte ?
– Non, dit le miroir, elle habite chez les nains de la montagne.
Elle se rendit compte que le chasseur l’avait trompé et entra dans une colère folle. Elle mis rapidement au point une ruse de sorcière, car c’est bien ce qu’elle était. Elle se déguisa en vieille femme, pris un panier de pommes, et alla cueillir des herbes venimeuses dans la forêt. Elle enduit une des pommes avec son mélange assassin et repartit.
Elle se dirigea vers la cabane des nains.
Lorsqu’elle arriva, Blanche Neige était seule car les nains étaient partis travailler dans la montagne.
– Qui est-ce ? Demanda Blanche Neige lorsqu’elle frappa à la porte.
– Une marchande de pommes, ouvre-moi la porte, mon enfant.
– Je ne peux pas ma bonne Dame. Les nains me l’ont interdit. Dit Blanche Neige
– Regarde mes belles pommes, dit la sorcière en montrant une belle pomme rouge par la fenêtre. Elles sont délicieuses. Goûtes-en une. Je te l’offre.
Et pour appuyer son geste elle croqua une des pommes qui n’étaient pas empoisonnée.
Blanche Neige se laissa convaincre et goûta la pomme que la femme lui offrait. À peine avait-elle croqué un morceau, qu’elle tomba inanimée sur le sol.
La reine s’enfuit en ricanant de folie. Elle se perdit dans la montagne et tomba dans un précipice. On entendit plus jamais parler d’elle.
Lorsque les nains arrivèrent à la maison après leur travail, ils découvrir Blanche Neige effondrée et crurent qu’elle était morte car elle ne respirait plus.
Ils pleurèrent longtemps et finalement décidèrent de mettre son corps sous une cloche de verre qu’il construisirent pour pouvoir continuer à l’admirer.
Elle restait toujours aussi belle jour après jour et ils se relevaient autour d’elle pour la veiller.
Quelques jours plus tard un Prince aperçut la scène et s’approchant par curiosité, il tomba immédiatement amoureux fou de la beauté de Blanche Neige.
Il demanda au nain la permission de retirer la cloche et s’approchant de la jeune femme il lui murmura un secret à l’oreille.
Quelques secondes plus tard, Blanche Neige ouvrait les yeux en souriant à son Prince miraculeux.
Puis il partirent tous les deux avec les nains pour demander la main de la jeune femme au Roi son père et célébrer un beau mariage.
Baba Yaga
Conte populaire russe. Version modernisée par Contesdefees.com.
Il était une fois un vieil homme veuf qui vivait seul dans une hutte avec sa fille Natasha. Ils étaient heureux jusqu’à ce que le vieil homme décide de se remarier.
La nouvelle femme menait la vie dure à la petite fille. Plus de pain et de confiture sur la table, plus de jeu de cache-cache autour du samovar pendant l’heure du thé. C’était même pire que ça, car elle n’avait plus du tout le droit de prendre le thé. La belle-mère disait que les petites filles ne devraient pas prendre de thé, et encore moins manger du pain avec de la confiture. Elle lançait à la fille un morceau de pain et lui ordonnait de sortir dans la cour pour manger. Ensuite, la belle-mère commença à convaincre son mari que tout ce qui n’allait pas était de la faute de la fille. Et le vieil homme croyait sa nouvelle épouse, pensant pouvoir lui faire confiance. La pauvre Natasha restait seule dans la cour, mouillant la croûte de pain sec avec ses larmes et la mangeant toute seule dans le froid. Ensuite, elle entendait la belle-mère lui crier d’entrer et de laver les ustensiles à thé, ranger la maison, brosser le sol et nettoyer les bottes pleines de boue.
Un jour, la belle-mère décida qu’elle ne pouvait plus supporter Natasha une minute de plus. Mais comment faire pour se débarrasser d’elle pour de bon ? Alors elle se souvint de sa sœur, la terrible sorcière Baba Yaga aux jambes squelettiques, qui vivait dans la forêt. Et un horrible plan commença à se former dans sa tête.
Le lendemain matin, le vieil homme s’en alla rendre visite à des amis du village voisin. Dès que le vieil homme fut hors de vue, la méchante belle-mère appela Natasha.
« Va chez ma sœur, ta chère petite tante, qui habite dans la forêt, dit-elle, et demande-lui une aiguille et du fil pour raccommoder une chemise.
« Mais nous avons une aiguille et du fil », dit Natasha en tremblant, car elle savait que sa tante était Baba Yaga, la sorcière, et qu’aucun enfant qui s’approchait d’elle n’était jamais revenu.
« Tait-toi et obéi ! », cria la belle-mère, en grinçant des dents, faisant comme un bruit de pinces qui claquent.
« Comment la trouverai-je ? » dit Natasha en tremblant. Elle avait entendu dire que Baba Yaga poursuivait ses victimes en volant dans un mortier et un pilon géants, et qu’elle avait des dents de fer avec lesquelles elle mangeait les enfants.
La belle-mère saisi le nez de la petite fille et le pinça.
« C’est ton nez, » dit-elle. « Peux tu le sentir? »
— Oui, murmura la pauvre fille.
« Tu suivras la route dans la forêt jusqu’à ce que tu arrives à un arbre tombé, » dit la belle-mère, « puis tu tourneras à gauche, et tu suivras ton nez pour trouver ta tante. Maintenant, vas-y, paresseuse! ». Elle fourra dans la main de la jeune fille un mouchoir dans lequel elle avait mis quelques morceaux de pain rassis, du fromage et quelques morceaux de viande.
Natasha se retourna et regarda sa belle-mère à la porte, les bras croisés, la dévisageant. Elle ne pouvait rien faire d’autre que d’obéir et partir dans la forêt.
Elle marcha le long de la route à travers la forêt jusqu’à ce qu’elle arrive à l’arbre tombé. Puis elle tourna à gauche. Son nez lui faisait toujours mal là où la belle-mère l’avait pincé, alors elle savait qu’elle devait continuer tout droit.
Finalement, elle arriva à la hutte de Baba Yaga, la sorcière aux jambes squelettiques. La hutte étaient entourée d’une barrière très haute. Elle poussa la grille d’entrée qui s’ouvrit en grinçant misérablement, comme si cela lui faisait mal de bouger. Natasha remarqua un bidon d’huile rouillé sur le sol.
« Quelle chance », dit-elle, remarquant qu’il restait de l’huile dans le bidon. Et elle versa les gouttes d’huile restantes dans les gonds de la grille.
À l’intérieur de l’enclos se trouvait la hutte de Baba Yaga. Elle ne ressemblait à aucune autre hutte qu’elle eu jamais vue, car elle se tenait sur des pattes de poule géantes et marchait dans la cour. Alors que Natasha s’approchait, la maison se retourna pour lui faire face et il lui sembla que ses fenêtres étaient des yeux et sa porte une bouche. Une servante de Baba Yaga se tenait dans la cour. Elle pleurait amèrement à cause des tâches que la sorcière lui avait confiées et s’essuyait les yeux sur son jupon.
« Quelle chance que j’ai un mouchoir. » Dit Natasha. Elle dénoua son mouchoir, le secoua pour le nettoyer et mit soigneusement les morceaux de nourriture dans ses poches. Elle donna le mouchoir à la servante de Baba Yaga, qui s’essuya les yeux dessus et sourit à travers ses larmes.
Près de la hutte se tenait un chien énorme, très maigre, qui rongeait un vieil os.
« Quelle chance que j’aie du pain et de la viande. » Dit la petite fille. Cherchant dans sa poche ses morceaux de pain et de viande, Natasha dit au chien : « J’ai bien peur que ce soit un peu rassis, mais c’est mieux que rien, j’en suis sûr. Et le chien l’avala aussitôt et se lécha les lèvres.
Natasha atteignit la porte de la hutte. Tremblante, elle frappa un coup.
« Entrez, » couina une horrible voix.
La petite fille entra. Là était assis Baba Yaga, la sorcière aux jambes squelettiques, assise à tisser sur un métier à tisser. Dans un coin de la hutte, un chat noir maigre observait un trou de souris.
« Bonjour ma tante, » dit Natasha, essayant de ne pas montrer sa peur.
« Bonne journée à vous, ma nièce, » dit Baba Yaga.
« Ma belle-mère m’a envoyé vous demander une aiguille et du fil pour raccommoder une chemise. »
« Vraiment ? » sourit la sorcière ironiquement en montrant ses dents de fer, car elle savait combien sa sœur détestait sa belle-fille. « Assis-toi ici au métier à tisser et continue mon tissage, pendant que je vais chercher l’aiguille et le fil.
La petite fille s’assit au métier à tisser et commença à tisser.
Baba Yaga chuchota à sa servante : « Écoute-moi ! Prépare un bain très chaud et lave ma nièce. Frotte-la. Je vais en faire un délicieux repas. »
Alors que la servante entrait chercher la cruche pour remplir l’eau du bain, Natasha dit: « Je vous en prie, s’il vous plaît ne soyez pas trop rapide pour faire le feu, et s’il vous plaît, portez l’eau du bain dans une passoire, afin que l’eau puisse s’écouler. » La servante ne dit rien mais elle mit en effet beaucoup de temps à préparer le bain.
Baba Yaga s’approcha de la fenêtre et dit de sa voix la plus douce : « Est-ce que tu tisses, petite nièce ? Est-ce que tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante », répondit Natasha.
Lorsque Baba Yaga s’éloigna de la fenêtre, la petite fille parla au chat noir affamé qui surveillait le trou de souris.
« Que fais-tu? »
« J’attends une une souris », répondit le pauvre chat. « Je n’ai pas mangé depuis trois jours. »
« Quelle chance ! », dit Natasha, « il me reste du fromage ! » Et elle donna son fromage au chat noir, qui l’englouti d’une bouchée. Puis il dit : « Petite fille, veux-tu sortir d’ici ?
« Oh, mon chaton chéri, » dit Natasha, « bien sûr que j’aimerai sortir d’ici ! Car je crains que Baba Yaga essaie de me manger avec ses dents de fer. »
« C’est exactement ce qu’elle a l’intention de faire », dit le chat. « Mais je sais comment t’aider. »
Juste à ce moment, Baba Yaga revenait à la fenêtre.
« Tu tisses, petite nièce ? » Demanda t-elle. « Tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante », dit Natasha, tandis que le métier à tisser faisait cliquetis, cliquetis, cliquetis.
Baba Yaga s’éloigna à nouveau.
Le chat chuchota à Natasha : « Il y a un peigne sur le tabouret et il y a une serviette pour ton bain. Tu dois les prendre tous les deux et courir pendant que Baba Yaga est encore dans le bain. Baba Yaga te poursuivra. Quand elle le fera, tu jetteras la serviette derrière toi, et elle se transformera en une grande et large rivière. Il lui faudra un peu de temps pour s’en remettre. Quand elle franchira la rivière, tu jetteras la le peigne derrière toi. Il se transforma en une forêt tellement impénétrable qu’elle ne la traversera jamais. »
« Mais elle entendra le métier à tisser s’arrêter », répondit Natasha, « et elle saura que je suis parti. »
« Ne t’inquiète pas, je m’en occupe », dit le maigre chat noir.
Le chat prit la place de Natasha au métier à tisser.
Cliquetis clac, cliquetis clac; le métier à tisser ne s’était jamais arrêté un instant.
Natasha vérifia que Baba Yaga était toujours dans le bain, puis elle sauta hors de la hutte.
Le gros chien bondit pour la mettre en pièces. Mais au moment où il allait lui sauter dessus, il la reconnu et s’arrêta.
« Tu es la petite fille qui m’a donné le pain et la viande », dit-il. « Bonne chance à toi, petite fille », et il s’allongea la tête entre les pattes. Elle lui caressa la tête et lui gratta les oreilles.
Quand elle arriva à la grille, elles s’ouvrit doucement, doucement, sans faire le moindre bruit, grâce à l’huile qu’elle avait versée auparavant dans ses gonds.
Alors, elle se mit à courir de toutes ses forces!
Pendant ce temps, le maigre chat noir était assis au métier à tisser. Cliquetis clac, cliquetis clac, chantait le métier à tisser grâce au chat qui tissais et s’emmêlait dans les fils en désordre.
Baba Yaga revint alors à la fenêtre.
« Tu tisses, petite nièce ? » demanda-t-elle d’une voix aiguë. « Tu tisses, ma jolie ?
« Je tisse, ma tante, » dit le mince chat noir, emmêlant et emmêlant le fil, tandis que le métier à tisser faisait cliquetis, cliquetis, cliquetis.
« Ce n’est pas la voix de mon dîner », s’écria Baba Yaga, et elle sauta dans la hutte en faisant grincer ses dents de fer. Derrière le métier à tisser, elle ne vit pas de petite fille, mais seulement le pauvre chat noir, tout emmêlé dans les fils !
« Grrr! » dit Baba Yaga, et elle sauta sur le chat. « Pourquoi n’as-tu pas arraché les yeux de la petite fille ?
Le chat retroussa sa queue et arqua son dos. « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as donné que de l’eau et tu m’as fait chasser pour mon dîner. La petite fille m’a donné du vrai fromage. »
Baba Yaga était folle de rage. Elle attrapa le chat et le secoua de toutes ses forces. Alors, se tournant vers la servante, elle la saisi par le col, et cria : « Pourquoi as-tu mis si longtemps à préparer le bain ?
« Ah ! » trembla la servante, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as jamais offert ne serait-ce qu’un chiffon, alors que la petite fille m’a donné un joli mouchoir. »
Baba Yaga la maudit et se précipita dans la cour.
Voyant la grille grande ouverte, elle cria : « Grille! Pourquoi n’as-tu pas couiné quand elle t’a ouvert ? »
« Ah ! » dit la grille, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu n’as jamais daigné me verser ne serait-ce qu’une goutte d’huile sur les gonds, et je grinçais tous les jours pour ma plus grande honte. La petite fille m’a huilé et grâce à elle je peux maintenant m’ouvrir et me fermer sans un bruit. »
Baba Yaga claqua la grille. Se retournant, elle pointa son long doigt vers le chien. « Toi! » cria t-elle, « pourquoi ne l’as tu pas mis en pièces quand elle est sortie en courant de la maison? »
« Ah ! » dit le chien, « Durant toutes ces années que je t’ai servi, tu ne m’as jamais jeté autre chose qu’une vieille croûte d’os, mais la petite fille m’a donné de la vraie viande et du vrai pain. »
Baba Yaga se précipita dans la cour, les maudissant et les frappant tous, tout en criant à tue-tête.
Puis elle sauta dans son mortier géant. Battant le mortier avec un pilon géant pour le faire aller plus vite, elle s’envola dans les airs et rattrapa bientôt Natasha en fuite.
Là, loin devant elle au sol, elle aperçut la jeune fille courant à travers les arbres, trébuchant et regardant avec effroi par-dessus son épaule.
« Tu ne m’échapperas pas! » dit Baba Yaga en riant horriblement et elle dirigea son mortier volant droit vers la petite fille.
Natasha courait plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. Bientôt, elle put entendre le mortier de Baba Yaga cogner sur le sol derrière elle et ses dents de métal grincer d’un bruit strident. Désespérément, elle se souvint des paroles du maigre chat noir et jeta la serviette derrière elle sur le sol. La serviette devint de plus en plus grosse, de plus en plus humide, et bientôt une rivière large et profonde se dressa entre la petite fille et Baba Yaga.
Natasha continua à courir. Oh, comme elle courait ! Lorsque Baba Yaga atteint le bord de la rivière, elle cria plus fort que jamais et jeta son pilon sur le sol, car elle savait qu’elle ne pouvait pas survoler une rivière enchantée. De rage, elle s’envola vers sa maison à pattes de poule. Là, elle rassembla toutes ses vaches et les conduisit à la rivière.
« Buvez, buvez! » leur cria t-elle, et les vaches burent toute la rivière jusqu’à la dernière goutte. Ensuite, Baba Yaga sauta à nouveau dans son mortier géant et survola le lit asséché de la rivière pour poursuivre sa proie.
Natasha avait pris de l’avance en courant, et elle pensait enfin être libérée de la terrible sorcière. Mais son cœur se glaça de terreur quand elle vit à nouveau fondre sur elle la silhouette sombre depuis le ciel et entendit les dents de fer grincer horriblement.
« Cette fois c’est la fin pour moi! » se désespéra t-elle. Puis elle se souvint soudain de ce que le chat avait dit à propos du peigne.
Natasha jeta le peigne derrière elle, et le peigne devint de plus en plus gros, et ses dents se transformèrent en une épaisse forêt, si épaisse que même Baba Yaga ne pouvait y entrer.
La sorcière aux jambes d’os, grinça des dents et hurla de rage et de frustration, et s’en retourna finalement vers sa hutte à pattes de poule.
La petite fille fatiguée, arriva finalement à la maison.
Elle avait peur d’entrer et de voir sa méchante belle-mère. Alors, au lieu d’entrer, elle attendit dehors dans le hangar.
Quand elle vit passer son père, elle courut vers lui.
« Où étais-tu? » cria son père. « Et pourquoi ton visage est-il si rouge ?
La belle-mère blêmit quand elle vit la petite fille, elle n’en croyait pas ses yeux et ses dents grincèrent au point de se casser.
Mais Natasha n’avait pas peur, et elle courut jusqu’à son père et monta sur ses genoux. Elle lui raconta tout ce qui s’était passé. Lorsque le vieil homme apprit que la belle-mère avait envoyé sa fille se faire manger par Baba Yaga, la sorcière, il était tellement en colère qu’il la chassa de la hutte et ne la laissa jamais revenir.
À partir de ce moment-là, il prit lui-même bien soin de sa fille et ne laissa plus personne s’interposer entre eux.
Autour de la table à nouveau remplie de pain et de confiture, le père et la fille jouèrent à nouveau à cache-cache derrière le samovar, et vécurent heureux pour toujours.
Le petit Poucet
De Charles Perrault, version courte. Vous préférez la version originale? Cliquez ici
Un bûcheron et sa femme n’avaient plus de quoi nourrir leurs sept garçons.
Un soir, alors que les enfants dormaient, les parents se résignèrent, la mort dans l’âme, à les perdre dans la forêt.
Heureusement, le plus petit de la fratrie, âgé de sept ans, surnommé Petit Poucet en raison de sa petite taille, espionnait la conversation.
Prévoyant, il se munit de petits cailloux blancs qu’il laissa tomber un à un derrière afin que lui et ses frères puissent retrouver leur chemin.
Le lendemain, le père mit son sinistre plan à exécution. Mais le Petit Poucet et ses frères regagnèrent vite leur logis grâce aux cailloux semés en chemin.
Les parents furent tout heureux de les revoir car, entre-temps, le seigneur du village avait enfin remboursé aux bûcherons l’argent qu’il leur devait.
Mais ce bonheur ne dura que le temps de cette prospérité éphémère.
Lorsqu’ils se retrouvèrent dans la pauvreté première, les parents décidèrent à nouveau d’abandonner leurs sept enfants dans la forêt.
Cette fois, ils s’assurèrent de fermer la porte de la maison à clef afin que le Petit Poucet ne puisse pas aller ramasser des cailloux.
Il tenta donc à la place, au moment du trajet, de laisser tomber des petits morceaux du pain que leur mère leur avait donné à lui et à ses frères, mais le pain fut mangé par des oiseaux.
Et c’est ainsi que lui et ses frères se retrouvèrent perdus dans la forêt.
Ils arrivèrent alors devant un château où ils demandèrent le logis.
La femme habitant en cette maison essaya de les persuader de ne pas entrer car son mari était un ogre qui mangeait les petits enfants.
Mais le Petit Poucet, préférant l’ogre aux loups de la forêt, insista pour y entrer avec ses frères.
Le soir venu, la femme les cacha sous un lit, mais son ogre de mari attiré par une « odeur de chair fraîche » eut vite fait de découvrir la cachette des jeunes enfants.
« Ça sent la chair fraîche! » dit-il en les attrapant.
Elle réussit toutefois à le convaincre de remettre au lendemain son festin.
Les petits furent ensuite couchés dans la chambre des sept filles de l’ogre.
Durant la nuit, Poucet échangea son bonnet et celui de ses frères contre les couronnes d’or des filles de l’ogre. Il eut for raison, car l’ogre entra dans la chambre pendant la nuit, et, croyant trouver les sept garçons, tua ses sept filles.
L’ogre retourna se recoucher en rêvant au festin macabre qui l’attendait.
Le lendemain matin, les petits s’enfuirent avant l’aube, et en se réveillant, découvrant son erreur, l’ogre fou de rage partit à leur recherche en enfilant ses bottes de sept lieues.
Fatigué, il s’assit sur une pierre sous laquelle les enfants s’étaient justement cachés et il s’endormit.
Le Petit Poucet saisissant cette chance, retira les bottes magiques de l’ogre, en prenant soin de ne pas le réveiller.
Puis il convainquit ses frères de rentrer chez leurs parents tandis qu’il enfilait les bottes de sept lieues et courait jusqu’au château de l’ogre pour s’emparer de son trésor.
Les parents furent heureux de retrouver leurs enfants et d’avoir de quoi les nourrir grâce au courage et à l’intelligence du Petit Poucet.
Moralité de Perrault
« On ne s’afflige point d’avoir beaucoup d’enfants,
Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,
Et d’un extérieur qui brille ;
Mais si l’un d’eux est faible ou ne dit mot,
On le méprise, on le raille, on le pille ;
Quelquefois cependant c’est ce petit marmot
Qui fera le bonheur de toute la famille. »
Hansel et Gretel
Dans une chaumière près de la forêt vivait un bûcheron avec ses deux enfants, qui s’appelaient Hansel et Gretel. Sa femme était morte à leur naissance, et il s’était remarié quelques années après. Mais sa nouvelle femme était méchante et égoïste et n’aimait pas les enfants.
Les temps étaient durs et ils ne gagnaient plus d’argent. Un soir la marâtre dit à son mari:
– Il n’y a plus assez d’argent pour nous nourrir tous. Les enfants doivent partir et se débrouiller seuls. Demain, tu vas les emmener dans la forêt et les abandonner.
Le père protesta. Mais sa femme insista tellement et tellement, qu’il finit par céder.
Hansel, qui était dans la pièce voisine, avait tout entendu.
Le lendemain, ils partirent tous, sous prétexte d’aller ramasser du bois dans la forêt. Il marchèrent tant que quand ils s’arrêtèrent, les enfants s’endormirent. Et quand ils se réveillèrent, les parents étaient partis et ils étaient seuls. La nuit tombait et les cris des loups commençaient à s’entendre au loin.
Hansel et Gretel tremblaient de peur, mais le garçon essaya de rassurer sa soeur en lui disant:
– Ne t’inquiète pas Gretel, la nuit dernière, j’ai entendu que notre belle-mère voulait nous perdre, et j’ai semé des bouts de pains tout au long de la journée, pour retrouver notre chemin et revenir à la maison.
Mais ils eurent beau chercher les miettes de pain, ils n’en trouvaient aucune, car les oiseaux les avaient toutes mangé !
Désespérés, ils commencèrent à marcher parmi les arbres et ne voyaient presque plus rien dans la nuit noire. Ils grelottaient de froid, de faim et de peur.
Alors qu’ils avaient perdu tout espoir, ils aperçurent soudain une belle petite maison dans une clairière de la forêt. Mais quelle ne fut pas leur surprise en découvrant qu’elle était entièrement faite de sucreries. Le toit était en chocolat, décoré de bonbons colorés, et les portes et fenêtres étaient en caramel. Il y avait un petit jardin couvert de fleurs en sucre, d’arbres en sucettes, et du sirop de fraise coulait de la fontaine.
Stupéfaits, les enfants s’approchèrent et commencèrent à manger tout ce qui était devant eux.
Après un moment, une vieille femme ridée sortit de la maison et les salua gentiment.
– Je vois que vous êtes perdus et affamés, mes petits ! Dit-elle. Entrez, ne restez pas là ! Dans ma maison, vous serez à l’abri et aurez toutes les sucreries que vous voulez.
Les enfants, heureux et confiants, entrèrent dans la maison sans se douter qu’ils avaient affaire à une méchante sorcière qui avait construit une maison de chocolat et de bonbons pour attirer les enfants et les manger !
Une fois à l’intérieur, elle verrouilla la porte, prit Hansel et l’enferma dans une cage. Gretel, terrifiée, se mit à pleurer.
– Toi, petite, arrête de pleurnicher ! A partir de maintenant, tu seras ma servante et tu devras cuisiner pour ton frère. Je veux qu’il devienne très gros et dans quelques semaines je le mangerai. Si tu n’obéis pas, tu subiras le même sort.
La pauvre petite fille dût obéir. Chaque jour, à contre-coeur, elle apportait des plats, des desserts et des confiseries à son frère Hansel. Le soir, la sorcière venait dans la cellule pour voir si le garçon avait pris du poids.
– Passe ta main à travers la grille, lui disait-elle pour voir si son bras avait grossi.
Hansel avait bien grossis, car il ne pouvait resister à autant de bonnes choses, mais pour tromper la sorcière, il faisait passer un os de poulet à travers les barreaux au lieu de son doigt. La sorcière, qui était presque aveugle, pensait qu’Hansel ne grossissait pas. Pendant des semaines, il réussit à la tromper, mais un jour, la méchante femme en a eu assez.
– Ton frère ne prend pas de poids, et je suis fatiguée d’attendre ! Dit-elle à Gretel. « Prépare le four, je vais le manger aujourd’hui ».
Gretel, malgré sa peur, imagina un stratagème et lui dit qu’elle ne savait pas comment allumer le feu. La sorcière s’approcha donc du four.
– Tu es donc inutile ! Se plaignit-elle en s’accroupissant devant le four, « Je vais devoir le faire moi-même ! »
Alors, lorsque le feu commença à être très chaud, Gretel prit son courage à deux mains, et poussa la sorcière dans le four en refermant la porte derrière elle. La sorcière mourut en quelques instants. Gretel prit les clés de la cage et libéra son frère.
Libres et hors de danger, les deux enfants explorèrent la maison et trouvèrent un tiroir contenant des pièces d’or, des bijoux et des pierres précieuses. Ils en remplirent leurs poches, prirent de la nourriture et des bonbons et s’enfuirent.
Ils s’enfoncèrent à nouveau dans la forêt et retrouvèrent enfin le chemin de la maison familiale, guidés par le soleil et les oiseaux.
Au loin, ils aperçurent leur père qui pleurait, assis dans le jardin. Quand il les vit au loin, il courut pour les embrasser tendrement. Il leur demanda pardon et leur dit qu’il avait chassé sa mauvaise femme.
Hansel et Gretel lui pardonnèrent et lui montrèrent les trésors qu’ils avaient apportés et ils n’eurent plus jamais faim.
Adaptation du conte de fées des frères Grimm. Lu par Womantica. Illustrations de Adrian Ludwig Richter, Arthur Rackham, Theodor Hosemann et Alexander Zick
Alice au pays des merveilles
D’après l’oeuvre de Lewis Carroll. Version courte par Contesdefees.com. Illustrations de John Tenniel (1820-1914).
Par une chaude après-midi d’été, Alice était assise au bord à la rivière et rêvassait. Elle était sur point de s’assoupir quand soudain, elle vit passer devant elle un lapin blanc qui portait une élégante veste en velours et avait l’air très pressé en regardant tout le temps sa montre.
– Je suis en retard! – Dit soudain le lapin en regardant sa montre.
Intriguée, Alice le suivit pendant un moment jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un terrier. Sans réfléchir, elle entra après lui et tomba soudain dans un long puits qui finit par déboucher dans une pièce qui avait de nombreuses portes minuscules et fermées. Le lapin n’était plus là.
Au centre de la pièce, il y avait une table en verre et sur cette table était posée une clé en or. Alice prit la clé et essaya d’ouvrir toutes les portes jusqu’à ce que l’une d’elles s’ouvre enfin.
De l’autre côté, elle aperçut un beau jardin mais la porte était trop petite pour qu’elle puisse la traverser. Elle referma la porte et reposa la clé sur la table.
Elle regarda alors à nouveau la table et vit une bouteille sur laquelle était écrit : « Bois-moi ». Elle but quelques gouttes, et commença soudain à rapetisser. Elle devint si petite qu’elle pouvait maintenant passer la porte du jardin. Mais alors, elle réalisa qu’elle avait oublié la clé sur la table et qu’elle ne pouvait plus l’atteindre maintenant qu’elle était minuscule.
Maintenant qu’elle pouvait voir sous la table, et elle découvrit justement une petite boîte contenant un gâteau et sur laquelle était écrit : « Mange-moi ». Alice croqua un morceau du gâteau et commença à grandir et grandir jusqu’à ce qu’elle mesure environ trois mètres de haut et se cogne au plafond avec sa tête. Mais bien sûr, maintenant elle ne pouvait plus aller au jardin et cela la fit pleurer. Des larmes géantes coulaient de ses joues.
À ce moment là, le lapin blanc réapparut dans la pièce avec une paire de gants blancs dans une main et un grand éventail dans l’autre.
« La duchesse sera fâchée si je la fais attendre ! – Dit-il.
– Monsieur Lapin ! Attendez un moment s’il vous plaît – cria Alice.
Mais le lapin s’enfuit à toute vitesse. À tel point qu’il en laissa tomber ses gants blancs et son éventail.
Comme il faisait très chaud dans ce terrier, Alice ramassa l’éventail du lapin et commença à s’éventer avec. Réalisant qu’elle redevenait petite, elle le relâcha rapidement avant qu’il ne soit trop tard. Elle essaya à nouveau de récupérer la clé sur la table, mais elle glissa et se retrouva soudain jusqu’au menton dans de l’eau salée.
Mais ce n’était pas de l’eau salée. C’était la mare de larmes qu’elle avait produit plus tôt en pleurant ! Bientôt l’étang se remplit de toutes sortes d’animaux : une souris, des oiseaux, un canard et même un dodo…
Ils commencèrent à nager ensemble et atteignirent le bord de l’étang. Comme ils étaient tous trempés et voulaient se sécher, le dodo proposa un jeu amusant : chacun devait courrir en rond et s’arrêter quand il voudrait. Alice pensait que c’était un jeu un peu étrange, mais comme ils gagnaient tous, c’était amusant.
Puis le lapin blanc arriva à nouveau. Il était très nerveux et cherchait partout quelque chose.
– Je dois les trouver ! Il faut que je les retrouve sans une égratignure ou bien la duchesse… Alice, en entendant le lapin, sut tout de suite qu’il cherchait ses gants blancs et son éventail.
– Mary Ann va chez toi tout de suite et apporte-moi une paire de gants et un éventail !
Surprise qu’on la prenne pour quelqu’un d’autre, Alice obéit pourtant sans broncher au Lapin, trop curieuse d’en savoir plus sur cette histoire.
Dans la maison qui se trouvait juste à côté, il y avait une table sur laquelle se trouvaient un éventail et deux ou trois paires de petits gants blancs. À côté il y avait une bouteille en verre sans étiquette.
Elle décida de l’essayer et d’un coup, elle grandit tellement qu’elle resta coincée à l’intérieur de la maison sans pouvoir sortir.
Le lapin et les autres animaux essayèrent de l’aider à sortir, la poussèrent, la tirèrent et songèrent même à brûler la maison, mais tout à coup il se mit à pleuvoir des cailloux ! Évidemment ce n’étaient pas des cailloux ordinaires, et Alice découvrit qu’ils se transformaient en biscuits à thé lorsqu’elles tombaient au sol.
Elle en mangea un et…. Que pensez-vous qu’il arriva? Alice redevint petite et courut hors de la maison. Elle entra dans la forêt voisine et décida que la première chose à faire était de retrouver sa taille, et la seconde, d’aller enfin visiter le beau jardin derrière la petite porte du terrier.
Une fois ceci décidé, elle aperçu une chenille géante qui se prélassait sur un champignon géant, en fumant tranquillement sur son grand narguilé et en jetant de mystérieux nuages de fumée.
– Qui es tu? – demanda la chenille
– Je ne suis plus très sûre. J’ai changé de taille tellement de fois que je me sens un peu confuse – dit Alice.
– Quelle taille voudrais-tu faire ?
– J’aimerais être un peu plus grande…
– Voici mon conseil: Un côté te fera grandir et l’autre rétrécir. – Répondit la chenille.
Puis elle descendit du champignon et s’en alla dans l’herbe.
– Un côté de quoi? Pensa Alice.
– Du champignon! Cria la Chenille au loin comme si elle avait lu dans les pensées d’Alice.
Alors Alice mordit du côté droit du champignon. Elle rapetissa tellement vite que son menton cogna ses pieds.
Alors elle mordit du côté gauche du champignon. Mais son cou commença à pousser tellement haut que ses mains n’atteignaient plus sa tête. Un oiseau la prit même pour un serpent.
Elle mordit encore d’un côté et de l’autre plusieurs fois jusqu’à retrouver sa taille normale.
Elle reprit son chemin dans la forêt et arriva à une clairière au centre de laquelle se trouvait une minuscule maison d’un mètre de haut. Elle mangea un autre morceau de champignon pour se mettre à la bonne taille et entra dans la maison.
Dans la cuisine, il y avait une cuisinière qui préparait une soupe qui sentait bon le poivre. À côté d’elle il y avait un chat qui n’arrêtait pas de sourire et au centre il y avait la Duchesse. Elle était assise sur un tabouret et berçait un bébé dans ses bras. C’était certainement un endroit très curieux.
– Excusez-moi, pourriez-vous me dire pourquoi le chat sourit d’une oreille à l’autre ? demanda Alice.
– Parce que c’est un chat du Cheshire – dit la Duchesse.
Puis elle dit:
– Au fait, je dois aller jouer au croquet avec la reine. Prends ça! Tu peux le bercer si tu veux. Attrape!
Et la Duchesse lança le bébé à Alice.
Alice sortit et retourna dans la forêt avec le bébé qui, au bout d’un moment, ressemblait de moins en moins à un enfant. Lorsqu’elle le posa sur le sol, il s’était transformé en un joli petit cochon et il se mit à trotter joyeusement.
Alice commençait à se sentir perdue lorsqu’elle rencontra à nouveau le chat du Cheshire.
– Chat du Cheshire, pourriez-vous me dire quelle direction je dois prendre ?
– Ça dépend où tu veux aller… Si tu continues par là tu rencontreras le Chapelier et si tu vas par là ce sera le Lièvre de Mars. Mais peu importe, car ils sont tous les deux aussi fous.
Alice décida de rendre visite au Lièvre de Mars, car elle connaissait déjà un chapelier et était plus curieuse de connaître un lièvre.
Dans le jardin de la maison du Lièvre, lui et le Chapelier prenaient le thé. Alice décida de s’asseoir à côté d’eux, bien qu’ils ne l’aient pas invité.
– En quoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? – Demanda le Chapelier à Alice en écarquillant les yeux.
Après quelques instants de réflexion, Alice finit par abandonner.
– je ne sais pas, dit-elle.
– Moi non plus. Je n’en ai aucune idée! – répondit le Chapelier.
Tout à coup, le Lièvre dit:
– Au fait, il est six heures. Il est toujours six heures ici. C’est donc l’heure du thé.
Ils commencèrent à prendre le thé en discutant de choses absurdes. Alice ne comprenait presque rien à ce qu’ils racontaient, alors elle décida de partir.
Elle retourna dans la forêt et y trouva un arbre avec une porte. Elle entra et se retrouva enfin à nouveau dans la pièce du terrier avec au centre la table en verre et autours les petites portes.
Cette fois-ci, Alice s’assura d’abord de prendre la clé en or sur la table, puis elle ouvrit la porte qui menait au jardin. Elle prit le champignon de la chenille et en mangea de petits bouts jusqu’à atteindre environ cinquante centimètres de haut. Enfin elle franchit la porte et entra dans le magnifique jardin.
À peine arrivée dans le jardin, Alice entendit un grand bruit et vit arriver vers elle des soldats, des courtisans et des notables, tous habillés comme des cartes à jouer. À l’avant de ce cortège sonnaient les tambours et les trompettes des soldats de carte. Et au bout de tout cette cour elle reconnut le lapin blanc à sa veste de velours, qui accompagnait le Roi et la Reine de cœur.
– Qui est-ce? – Demanda la reine en désignant Alice
– Je suis Alice, Votre Majesté.
– Tu sais jouer au croquet ?
– Oui – répondit Alice
– Alors viens!
Elle n’avait jamais vu jouer au croquet comme cela auparavant. Les boules étaient des hérissons, les maillets étaient des flamants roses, et les soldats se courbaient pour former les arceaux.
De plus, ils jouaient tous en même temps et se disputaient tout le temps et chaque fois que la reine se mettait en colère, elle criait:
– Coupez-lui la tête !
Mais n’y avait plus de joueurs, car tous avaient déjà été condamnés à mort par la reine, la partie de croquet était terminée.
Après cela, Alice partit et continua ses aventures au pays des merveilles, rencontrant la tortue Mock et le Griffon, un animal fantastique mi-aigle, mi-lion.
Puis elle dut revenir au royaume des cartes car un grand procès avait commencé et elle était appelé à témoigner.
Tous les habitants du pays des merveilles étaient rassemblés dans la salle du tribunal.
Le lapin blanc sonna trois fois de la trompette et annonça les chefs d’accusation :
– La reine de cœur a fait des tartelettes un jour d’été et le valet de cœur les a volé et caché.
Une grande agitation éclata dans la salle. Les témoins commencèrent à témoigner.
Le premier à parler fut le Chapelier, suivi de la cuisinière de la Duchesse, puis arriva le tour d’Alice.
Mais comme elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait grandi à nouveau, en se levant d’un coup, elle renversa tout le banc et avec lui tous les animaux qui étaient assis dessus.
Une fois la calme revenu, Alice déclara qu’elle ne savait rien de cette affaire de tarte.
Le procès se poursuit et, alors que l’accusé, le Valet de Coeur, était sur le point d’être condamné, Alice intervint pour l’aider.
Elle déclara qu’il était absurde de condamner à mort un pauvre valet de cœur pour une simple affaire de tarte.
Mais à ce moment là, la reine entra dans une colère folle.
-Coupez-lui la tête !! – cria t’elle de toutes ses forces en désignant Alice
Puis tout le jeu de cartes s’éleva dans les airs et tomba sur Alice. Mais…
– Alice, réveille-toi ! Tu dors depuis longtemps – lui répétait sa sœur en la secouant doucement.
– Hein? Ah oui… Si tu savais tout ce dont j’ai rêvé… Et la petite fille se mit à raconter à sa sœur, en se rappelant toutes les aventures étranges qu’elle avait vécues au Pays des Merveilles.
Quand elle eut fini, Alice se leva et partit et sa sœur s’endormit en rêvant aux aventures d’Alice. Et devinez qui arriva à cet instant en regardant sa montre…
Autres illustrations de Arthur Rackham
Barbe Bleue
Version originale du livre Les Contes de Perrault, textes originaux modernisés par Pierre Féron (chanoine), Casterman, 1902
Illustrations de Gustave Doré, 1901
Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies, et des carrosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était personne qui ne s’enfuît de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles. Il lui en demanda une en mariage. Elles n’en voulaient point toutes deux, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues.
La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur mère et trois ou quatre de leurs meilleures amies à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n’étaient que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations : enfin tout alla si bien que la cadette commença à trouver que le maître du logis était un fort honnête homme. Dès qu’on fut de retour à la ville, le mariage se conclut.
Au bout d’un mois, la Barbe-Bleue dit à sa femme qu’il était obligé de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de conséquence ; qu’il la priait de se bien divertir pendant son absence ; qu’elle fît venir ses bonnes amies ; qu’elle les menât à la campagne, si elle voulait ; que partout elle fît bonne chère. « Voilà, lui dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles ; voilà celles de la vaisselle d’or et d’argent, qui ne sert pas tous les jours ; voilà celles de mes coffres-forts où est mon or et mon argent ; celles des cassettes où sont mes pierreries, et voilà le passe-partout de tous les appartements. Pour cette petite clef-ci, c’est la clef du cabinet au bout de la grande galerie de l’appartement bas : ouvrez tout, allez partout ; mais, pour ce petit cabinet, je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte que, s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. »
Elle promit d’observer exactement tout ce qui lui venait d’être ordonné, et lui monte dans son carrosse, et part pour son voyage.
Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que le mari y était, à cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles et plus riches les unes que les autres. Elles montèrent ensuite aux garde-meubles, où elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sophas des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs où l’on se voyait depuis les pieds jusqu’à la tête, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil doré, étaient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eût jamais vues. Elles ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie, qui, cependant, ne se divertissait point à voir toutes ces richesses, à cause de l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le cabinet de l’appartement bas.
Elle fut si pressée de sa curiosité, que, sans considérer qu’il était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Étant arrivée à la porte du cabinet, elle s’y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son mari lui avait faite, et considérant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissante ; mais la tentation était si forte, qu’elle ne put la surmonter : elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet.
D’abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étaient fermées. Après quelques moments, elle commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé, et que, dans ce sang, se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs : c’était toutes les femmes que la Barbe-Bleue avait épousées, et qu’il avait égorgées l’une après l’autre. Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet qu’elle venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main.
Après avoir un peu repris ses sens, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta à sa chambre pour se remettre un peu ; mais elle n’en pouvait venir à bout, tant elle était émue.
Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois ; mais le sang ne s’en allait point : elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès, il demeura toujours du sang, car la clef était fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtait le sang d’un côté, il revenait de l’autre.
La Barbe-Bleue revint de son voyage dès le soir même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son prompt retour.
Le lendemain, il lui demanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante, qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé. « D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres ? — Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table. — Ne manquez pas, dit la Barbe-Bleue, de me la donner tantôt. »
Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe-Bleue, l’ayant considérée, dit à sa femme : Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ? — Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. — Vous n’en savez rien ! reprit la Barbe-Bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues.
Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, affligée comme elle était ; mais la Barbe-Bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher. « Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure. — Puisqu’il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu. — Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit la Barbe-Bleue ; mais pas un moment davantage. »
Lorsqu’elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit : Ma sœur Anne, car elle s’appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent point ; ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui ; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. — La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Et la sœur Anne lui répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
Cependant la Barbe Bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme : Descends vite, ou je monterai là-haut. — Encore un moment, s’il vous plaît, lui répondait sa femme ; et aussitôt elle criait tout bas : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Et la sœur Anne répondait : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
Descends donc vite, criait la Barbe-Bleue, ou je monterai là-haut. — Je m’en vais, répondait la femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci… — Sont-ce mes frères ? — Hélas ! non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons…
Ne veux tu pas descendre ? criait la Barbe-Bleue — Encore un moment, répondait sa femme ; et puis elle criait : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté-ci, mais ils sont bien loin encore… Dieu soit loué ! s’écria-t-elle un moment après ; ce sont mes frères. Je leur fais signe tant que je puis de se hâter.
La Barbe-Bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds tout épleurée et tout échevelée. « Cela ne sert de rien, dit la Barbe-Bleue ; il faut mourir. » Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir. « Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu ; » et, levant son bras…
Dans ce moment, on heurta si fort à la porte que la Barbe-Bleue s’arrêta tout court. On ouvrit, et aussitôt on vit entrer deux cavaliers, qui mettant l’épée à la main, coururent droit à la Barbe-Bleue. Il reconnut que c’était les frères de sa femme, l’un dragon et l’autre mousquetaire, de sorte qu’il s’enfuit aussitôt pour se sauver ; mais les deux frères le poursuivirent de si près qu’ils l’attrapèrent avant qu’il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort.
La pauvre femme était presque aussi morte que son mari, et n’avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères.
Il se trouva que la Barbe-Bleue n’avait point d’héritiers et qu’ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur avec un gentilhomme, une autre partie à acheter des charges de capitaines à ses deux frères, et le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu’elle avait passé avec la Barbe-Bleue.
Les Fées
Conte de Perrault, modernisé en 1902 par Pierre Féron et en 2021 par Contesdefees.com
Il était une fois une veuve qui avait deux filles : l’aînée lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses, qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette était le vrai portrait de son père pour la douceur et l’honnêteté. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée et, en même temps, avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.
Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allât, deux fois le jour, puiser de l’eau à une grande demi-lieue du logis, et qu’elle en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire.
« Oui dà, ma bonne mère, » lui dit la jeune fille ; et, rinçant aussitôt sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et la lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu’elle bût plus aisément. La bonne femme, ayant bu, lui dit : « Vous êtes si bonne et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don ; car c’était une fée qui avait pris la forme d’une pauvre femme de village, pour voir jusqu’où irait l’honnêteté de cette jeune fille. Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une pierre précieuse. »
Lorsque cette fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine.
« Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d’avoir tardé si longtemps ; » et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux gros diamants.
« Que vois-je là ! dit sa mère tout étonnée ; je crois qu’il lui sort de la bouche des perles et des diamants. D’où vient cela, ma fille ? » (Ce fut là la première fois qu’elle l’appela sa fille).
La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de diamants.
« Vraiment, dit la mère, il faut que j’y envoie ma fille. Fanchon, tu as bien vu ce qui sort de la bouche de ta sœur, quand elle parle ; cela ne te plairait-il pas d’avoir le même don ? Tu n’as qu’à aller puiser de l’eau à la fontaine, et, quand une pauvre femme te demandera à boire, tu lui en donneras bien honnêtement. — Il manquerait plus que ça!, répondit la soeur, aller à la fontaine ! — Je veux que tu y ailles, reprit la mère, et tout de suite. »
Elle y alla, mais en grommelant. Elle prit le plus beau flacon d’argent qui fût dans le logis. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la fontaine, qu’elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue, qui vint lui demander à boire. C’était la même fée qui était apparue à sa sœur, mais qui avait pris l’air et les habits d’une princesse, pour voir jusqu’où irait la malhonnêteté de cette fille.
— Je suis venue ici, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire ! Justement j’ai apporté un flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à Madame ? Allez-y, prenez-le et buvez!
— Vous n’êtes guère honnête, reprit la fée, sans se mettre en colère. Eh bien ! puisque vous êtes si peu serviable, je vous donne pour don qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud.
Quand sa mère l’aperçut, elle lui cria : Eh bien ! ma fille !
— Eh bien ! ma mère ! lui répondit la méchante sœur, en jetant deux vipères et deux crapauds.
— Ô ciel, s’écria la mère, que vois-je là ? C’est la faute de ta sœur : elle me le paiera ; et aussitôt elle courut pour la battre. La pauvre enfant s’enfuit et alla se sauver dans la forêt voisine.
Le fils du roi, qui revenait de la chasse, la rencontra et, la voyant si triste, lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer !
« Hélas ! Monsieur, c’est ma mère qui m’a chassée du logis. »
Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, la pria de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du roi considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à une autre, l’emmena au palais du roi son père, où il l’épousa.
Pour sa sœur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d’un bois.
Cendrillon
Conte original de Charles Perrault modernisé en 1902 par Pierre Féron, retouché par contesdefees.com. Illustrations de Gustave Doré et Arthur Rackham.
Il était une fois un gentilhomme qui épousa, en secondes noces, une femme, la plus hautaine et la plus fière qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait, de son côté, une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans exemple : elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde.
Les noces ne furent pas plus tôt faites que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur : elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison : c’était elle qui nettoyait la vaisselle et les meubles, qui frottait la chambre de madame et celles de medemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dans des chambres avec parquet où elles avaient des lits à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu’à la tête. La pauvre fille souffrait avec patience et n’osait s’en plaindre à son père, qui l’aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement.
Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle allait se mettre au coin de la cheminée, et s’asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu’on l’appelait communément dans le logis Cendrillon. Cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus digne que ses sœurs, bien qu’elles soient vêtues très magnifiquement.
Un jour le fils du roi donna un bal auquel il invita toutes les personnes de qualité du royaume. Nos deux demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux. Nouvelle peine pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui pliait leurs manchettes. On ne parlait que de la manière dont on s’habillerait. — Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. — Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes. — On envoya quérir la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des mouches de la bonne.
Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit même à les coiffer ; ce qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient : « Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au bal ? — Hélas ! mesdemoiselles, vous vous moquez de moi ; ce n’est pas là ce qu’il me faut. — Tu as raison, on rirait bien, si on voyait une Cendrillon aller au bal. — Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien.
Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie. On rompit plus de douze lacets, à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toute la journée devant le miroir. Enfin l’heureux jour arriva ; on partit, et Cendrillon les suivit des yeux, le plus longtemps qu’elle put.
Lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait, « Je voudrais bien… je voudrais bien… » Elle pleurait si fort qu’elle ne put achever. Sa marraine, qui était fée, lui dit : « Tu voudrais bien aller au bal, n’est-ce pas ? — Hélas ! oui, dit Cendrillon en soupirant. — Eh bien ! seras-tu bonne fille ? dit sa marraine, je t’y ferai aller. » — Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille. » — Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.
Ensuite elle alla regarder dans la souricière, où elle trouva six souris toutes en vie. Elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et, à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval : ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé.
Comme elle était en peine de quoi elle ferait un cocher : « Je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a pas quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher. — Tu as raison, dit sa marraine, va voir. » — Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La fée en prit un d’entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, et, l’ayant touché, il fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues.
Ensuite elle lui dit : « Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir ; apporte-les-moi. » — Elle ne les eut pas plus tôt apportés, que sa marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse, avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés comme s’ils n’eussent fait autre chose de toute leur vie.
La fée dit alors à Cendrillon : « Eh bien ! voilà de quoi aller au bal : n’es-tu pas bien aise ? — Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ? » — Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse ; mais sa marraine lui recommanda, sur toutes choses, de ne pas passer minuit, l’avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses beaux habits reprendraient leur première forme.
Elle promit à sa marraine qu’elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie. Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir. Il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler cette inconnue. Le roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si aimable personne. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, des semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles.
Le fils du roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite l’invita à danser. Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage. Elle alla s’asseoir auprès de ses sœurs et leur fit mille honnêtetés ; elle leur fit part des oranges et des citrons que le prince lui avait donnés, ce qui les étonna fort car en réalité, elles ne la reconnaissaient pas.
Alors qu’elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts ; elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s’en alla le plus vite qu’elle put. Dès qu’elle fut arrivée, elle alla trouver sa marraine, et, après l’avoir remerciée, elle lui dit qu’elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal.
Comme elle était occupée à raconter à sa marraine tout ce qui s’était passé au bal, les deux sœurs frappèrent à la porte ; Cendrillon alla leur ouvrir. « Que vous êtes longtemps à revenir ! » leur dit-elle en baillant, en se frottant les yeux, et en s’étendant comme si elle n’eût fait que de se réveiller ; elle n’avait cependant pas eu envie de dormir, depuis qu’elles s’étaient quittées. — « Si tu étais venue au bal, lui dit une de ses sœurs, tu ne t’y serais pas ennuyée ; il est venu la plus gentille princesse, la plus gentille qu’on puisse jamais voir ; elle nous a fait mille civilités ; elle nous a donné des oranges et des citrons. » — Cendrillon ne se sentait pas de joie ; elle leur demanda le nom de cette princesse ; mais elles lui répondirent qu’on ne la connaissait pas, que le fils du roi donnerait toutes choses au monde pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit : « Elle était donc bien gentille ? Mon Dieu ! que vous êtes heureuses ? ne pourrais-je point la voir ? Hélas ! mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours. — Vraiment, dit mademoiselle Javotte, je suis de cet avis ! Prêter mon habit à un vilain Cendrillon comme cela ! il faudrait que je fusse bien folle. » Cendrillon s’attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait été grandement embarrassée, si sa sœur eût bien voulu lui prêter son habit.
Le lendemain, les deux sœurs retournèrent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois.
La jeune demoiselle ne s’ennuyait point et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé ; de sorte qu’elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu’elle ne croyait point qu’il fût encore onze heures ; elle se leva, et s’enfuit aussi légèrement qu’aurait fait une biche. Le prince la suivit. Elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement. Cendrillon arriva chez elle, bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits ; rien ne lui étant resté de sa magnificence, qu’une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu’elle avait laissée tomber.
On demanda aux gardes de la porte du palais s’ils n’avaient point vu sortir une princesse : ils dirent qu’ils n’avaient vu sortir personne qu’une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l’air d’une paysanne que d’une demoiselle.
Quand les deux sœurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s’étaient encore bien diverties, et si la belle dame y avait été ; elles lui dirent que oui, mais qu’elle s’était enfuie, lorsque minuit avait sonné, et si promptement qu’elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde ; que le fils du roi l’avait ramassée, et qu’assurément il était fort désireux de connaître la personne à qui appartenait la petite pantoufle.
Elles dirent vrai ; car, peu de jours après, le fils du roi fit publier, à son de trompe, qu’il épouserait celle dont le pied serait bien ajusté à la pantoufle. On commença à l’essayer aux princesses, ensuite aux duchesses et à toute la cour, mais inutilement. On l’apporta chez les deux sœurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout. Cendrillon, qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant : « Que je voie si elle ne me serait pas bonne ! » Ses sœurs se mirent à rire et à se moquer d’elle. Le gentilhomme qui faisait l’essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, dit que cela était très juste, et qu’il avait l’ordre de l’essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et, approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu’il y entrait sans peine, et qu’elle y était ajustée comme un gant. L’étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l’autre petite pantoufle, qu’elle mit à son pied. Là-dessus arriva la marraine, qui, ayant donné un coup de baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la personne qu’elles avaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva et leur dit, en les embrassant, qu’elle leur pardonnait de bon cœur, et qu’elle les priait de l’aimer bien toujours. On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était, et, peu de jours après, il l’épousa. Cendrillon, qui était bonne, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria, dès le jour même, à deux grands seigneurs de la cour.
Riquet à la houppe
Conte original de Charles Perrault modernisé en 1902 par Pierre Féron. Illustrations de Gustave Doré, 1902 et autres gravures non signées.
Il était une fois une reine qui avait un fils si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine. Une fée, qui se trouva à son baptême, assura qu’il ne laisserait pas d’être aimable, parce qu’il aurait beaucoup d’esprit : elle ajouta même qu’il pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire, donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne qu’il épouserait.
Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui était bien affligée d’avoir pour enfant un si vilain marmot. Il est vrai que cet enfant ne commença pas plus tôt à parler, qu’il dit mille jolies choses, et qu’il avait dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel, qu’on en était charmé. J’oubliais de dire qu’il avait une petite houppe de cheveux sur la tête, ce qui fit qu’on le nomma Riquet à la Houppe, car Riquet était le nom de la famille.
La reine d’un royaume voisin avait deux filles. La première était plus belle que le jour. La même fée qui avait assisté à la naissance du petit Riquet à la Houppe, voulut modérer la joie de la reine ; elle lui déclara que cette petite princesse n’aurait point d’esprit, et qu’elle serait aussi stupide qu’elle était belle. Cela mortifia beaucoup la reine ; mais elle eut un bien plus grand chagrin ; car sa seconde fille se trouva extrêmement laide. « Ne vous affligez point tant, madame, lui dit la fée, votre fille sera récompensée d’ailleurs, et elle aura tant d’esprit, qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il lui manque de la beauté. — Dieu le veuille, répondit la reine ; mais n’y aurait-il pas moyen de faire avoir un peu d’esprit à l’aînée ? — Je ne puis rien pour elle, madame, du côté de l’esprit, lui dit la fée ; mais je puis tout, du côté de la beauté ; et, comme il n’y a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira. »
A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crurent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de la cadette. Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil, et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminée, sans en casser une ; ni boire un verre d’eau, sans en répandre la moitié sur ses habits.
Quoique la beauté soit un grand avantage, cependant la cadette l’emportait presque toujours sur son aînée, dans toutes les compagnies. D’abord on allait du côté de l’aînée, pour la voir et pour l’admirer ; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables ; et on était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avait plus personne au près d’elle, et que tout le monde s’était rangé autour de la cadette. L’aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien ; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. La reine, toute sage qu’elle était, ne pût s’empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise : ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.
Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C’était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui avait quitté le royaume de son père, pour la voir et lui parler. Il l’aborde, avec tout le respect et toute la politesse imaginable. Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu’elle était fort mélancolique, il lui dit : « Je ne comprends point, madame, comment une personne peut être aussi triste que vous le paraissez ; car, quoique je puisse me vanter d’avoir vu une infinité de personnes, je puis dire que je n’en ai jamais vu dont la distinction approche de la vôtre.
— Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse et en demeura là. — La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un grand avantage, et, quand on le possède, je ne vois pas qu’il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup.
— J’aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous, et avoir de l’esprit, que d’avoir de la beauté comme j’en ai, et être bête autant que je le suis.
— Il n’y a rien, madame, qui montre davantage qu’on a de l’esprit, que de croire ne pas en avoir, et il est de naturel que, plus on en a, plus on croit en manquer.
— Vous avez peut-être raison dit la princesse ; mais je sais que je suis fort bête, et c’est de là que vient le chagrin qui me tue.
— Si ce n’est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur.
— Et comment ferez-vous ? dit la princesse.
— J’ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l’esprit autant qu’on en saurait avoir à la personne que je dois épouser ; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez autant d’esprit qu’on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m’épouser. »
La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien. « Je vois, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne m’en étonne pas ; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre. »
La princesse avait si peu d’esprit, et en même temps une si grande envie d’en avoir, qu’elle s’imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais ; de sorte qu’elle accepta la proposition qui lui était faite. Elle n’eût pas plus tôt promis à Riquet à la Houppe qu’elle l’épouserait dans un an à pareil jour, qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’était auparavant : elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d’une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença, dès ce moment, une conversation soutenue avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d’une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir donné plus d’esprit qu’il ne s’en était réservé pour lui-même.
Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d’un changement si subit et si extraordinaire ; car autant qu’on lui avait ouï dire de bêtises auparavant, autant lui entendait-on dire des choses bien sensées et infiniment spirituelles. Toute la cour en eut une joie qui ne se peut imaginer ; il n’y eut que sa cadette qui n’en fut pas bien aise, parce que, n’ayant plus sur son aînée l’avantage de l’esprit, elle ne paraissait plus auprès d’elle qu’une guenon fort désagréable. Le roi se conduisait par ses avis, et allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement.
Le bruit de ce changement s’étant répandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins la demandèrent en mariage ; mais elle n’en trouvait point qui eût assez d’esprit, et elle les écoutait tous, sans s’engager avec aucun.
Un jour elle retourna par hasard se promener dans le même bois où elle avait trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodément à ce qu’elle avait à faire. Dans le temps qu’elle se promenait, rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent et qui agissent. Ayant prêté l’oreille plus attentivement, elle ouït que l’on disait : «Apporte-moi cette marmite ; » l’autre : « Donne-moi cette chaudière ; » l’autre : « Mets du bois dans ce feu. » La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d’officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois, autour d’une table fort longue, et qui tous, la cuillère à la main et le couteau dans l’autre, se mirent à travailler en cadence, au son d’une chanson harmonieuse.
La princesse, étonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient. « C’est, madame, lui répondit le plus bavard de la bande, pour le prince Riquet à la Houppe, dont les noces se feront demain. » La princesse, encore plus surprise qu’elle ne l’avait été, et se ressouvenant tout à coup qu’il y avait un an qu’à pareil jour elle avait promis d’épouser le prince Riquet à la Houppe, pensa tomber de son haut. Ce qui faisait qu’elle ne s’en souvenait pas, c’est que, quand elle fit cette promesse, elle était encore bête, et qu’en prenant le nouvel esprit que le prince lui avait donné, elle avait oublié toutes ses sottises.
Elle n’eut pas fait trente pas, en continuant sa promenade, que Riquet à la Houppe se présenta à elle, brave, magnifique, et comme un prince qui va se marier. « Vous me voyez, dit-il, madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour exécuter la vôtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes.
— Je vous avouerai franchement, répondit la princesse, que je n’ai pas encore pris ma résolution là-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez.
— Vous m’étonnez, madame, lui dit Riquet à la Houppe.
— Je le crois, dit la princesse, et assurément, si j’avais affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrassée. Une princesse n’a que sa parole, me dirait-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis ; mais, comme celui à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis sûre qu’il entendra raison. Vous savez que, quand je n’étais qu’une bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser ; comment voulez-vous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile que je n’étais, je prenne aujourd’hui une résolution que je n’ai pu prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tout de bon à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’ôter ma bêtise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais.
— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, serait bien reçu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je n’en use pas de même, dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que celles qui n’en ont pas ? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhaité d’en avoir ? Mais venons au fait, s’il vous plaît. A la réserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous déplaise ? Êtes vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manières ?
— Nullement, répondit la princesse ; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire.
— Si cela est ainsi, reprit Riquet à la Houppe, je vais être heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable des hommes.
— Comment cela se peut-il faire ? lui dit la princesse.
— Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous souhaitez que cela soit ; et afin, madame, que vous n’en doutiez pas, sachez que la même fée qui, au jour de ma naissance, me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qu’il me plairait, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celui à qui vous voudrez bien faire cette faveur.
— Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable ; et je vous en fais le don, autant qu’il est en moi. »
La princesse n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la Houppe parut, à ses yeux, l’homme du monde le mieux fait et le plus aimable qu’elle eût jamais vu.
Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent cette métamorphose. Ils disent que la princesse, ayant fait réflexion sur la persévérance de Riquet, sur sa discrétion et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps ni la laideur de son visage ; que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos ; et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boîter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait. Ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants ; et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’héroïque.
Quoi qu’il en soit, la princesse lui promit sur-le-champ de l’épouser, pourvu qu’il en obtînt le consentement du roi son père. Le roi, ayant su que sa fille avait beaucoup d’estime pour Riquet à la Houppe, qu’il connaissait d’ailleurs pour un prince très spirituel et très sage, le reçut avec plaisir pour son gendre. Dès le lendemain, les noces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l’avait prévu, et selon les ordres qu’il en avait donnés longtemps auparavant.
L’Éventail Magique
Conte traditionnel chinois – version créée par contesdefees.com
Le jeune Chen-Shao vendait du poisson dans l’échoppe de ses parents au marché. Ils gagnaient tellement peu d’argent qu’ils avaient à peine de quoi survivre. Mais ce qui le préocupait encore plus était, qu’à cause de leur pauvreté, aucune jeune femme ne voulait se marier avec lui.
– Ne t’inquiète pas. Lui disait sa mère. Tu es encore jeune et tu plais aux filles.
En effet, Chen-Shao était grand et beau, et toutes les jeunes femmes soupiraient en pensant à lui. Mais leurs parents les décourageaient, leur disant:
– La jeunesse passe vite. Que pourra t‘offrir cet affamé quand vous aurez trente ans? – Et toutes abandonnaient leur rêve de mariage avec Chen-Shao.
Un jour, le chef des pêcheurs arriva à l’échoppe de mauvaise humeur et avec une liste interminable à la main et s’adressa ainsi au père:
– Voici la liste de tout ce que tu me dois. Avec tout ça, je pourrais m’acheter un bateau tout neuf. Tu n’auras plus de poisson tant que tu ne nous rembourses pas.
– Si tu fais cela, ma famille mourra de faim. Protesta le père.
Alors, Chen-Shao s’approcha du chef des pêcheurs et lui dit:
– M’acceptes-tu comme marin sur ton bateau en paiement de la dette de mon père?
Le pêcheur appréciant sa forte carrure accepta et dit:
– Rendez-vous demain sur la plage, avant le lever du soleil.
Mais Chen-Shao ne porta pas chance à l’équipage car ce jour là, le bateau se brisa en deux et coula. Chen-Shao s’accrocha à un morceau de bois qui flottait et se laissa emporter par les vagues.
Après une nuit de frayeur au milieu des vagues, il arriva sur une île magnifique et vit une maisonnette en haut de la colline.
Lorsqu’il y arriva la porte s’ouvrit sur une jeune femme de toute beauté qui lui dit:
– Enfin te voilà. Cela fait si longtemps que je t’attends
– Tu m’attendais, moi? S’exclama Chen-Shao surpris. Je n’ai malheureusement pas le souvenir de t’avoir vu avant, dit-il, déjà sous le charme de la jeune fille.
– Tu ne m’as peut être jamais vu, mais moi, cela fait de nombreuses années que je te connais.
Elle lui raconta alors qu’elle était la fille du dieu de la mer et qu’elle chevauchait parfois jusqu’à sa maison, et qu’elle le contemplait dans son sommeil.
Chen-Shao se dit que cela devait être un rêve, mais en se réveillant le lendemain matin, il constata que sa bien aimée était toujours là et lui disait:
– Mais bien sûr que ce n’est pas un rêve. Mon père est bien le dieu de la mer et il ne sait pas que cette île que je lui ai demandé en cadeau, était destinée à t’accueillir. Il serait capable de te tuer si il l’apprenait. Tu ne dois sortir sous aucun prétexte.
– Pour toi, ma bien-aimée, je resterai caché dans l’espace d’un coquillage. Dit Chen-Shao.
Ainsi passèrent dix mois de bonheur absolu pour les deux amoureux. Un jour la jeune fille lui dit:
– Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma tante, je dois y aller pour ne pas éveiller les soupçons de mon père.
Chen-Shao était très triste car il ne pouvait plus vivre sans la jeune fille.
– Je serai de retour ce soir-même. Le consola-t-elle. Si tu t’ennuies, tu peux ouvrir la fenêtre du Nord, celle du Sud, celle de l ‘Est, mais en aucun cas celle de l’Ouest.
Puis elle sortit une épée faite de perles et lui dit:
– Si une créature étrange t’attaque, dit simplement: “Épée magique, coupe la tête de ce monstre” et elle te protégera.
La princesse monta sur ton cheval ailé et s’envola dans les nuages.
Le temps passait et Chen-Saho commençait à s’ennuyer. Il pensait à sa bien aimée et ne pouvait supporter l’attente de la revoir.
Il ouvrit la fenêtre du Nord et aperçut toutes les beautés du monde.
Puis il ouvrit la fenêtre du Sud et il vit tous les oiseaux du ciel réunis devant lui.
Il ouvrit la fenêtre de l’Est, et vit toutes les richesses de la mer.
Mais toutes ces merveilles ne pouvait lui faire oublier son amour et, dans sa folie amoureuse, il ouvrit la fenêtre de l’Ouest sans se rappeler du conseil de sa bien aimée.
Par la fenêtre interdite, Il vit deux créatures de la mer qui étaient sur une barque non loin de l’île. Les monstres l’aperçurent aussi car le charme qui cachait l’île était rompu. Ils abordèrent l’île pour le capturer. Mais Chen-Shao se souvint de l’épée et lui cria: “Épée magique, coupe la tête de ce monstre”. Et l’Épée égorgea les deux créatures.
La princesse qui était toujours chez sa tante eut un présentiment et pâlit. Sa tante, croyant à un malaise, lui donna un éventail magique qui, si on l’agitait très fort, avait le pouvoir de grossir les vagues et de créer des tempêtes. La princesse l’emporta avec elle sur son cheval ailé et revint à son île.
Après qu’il eut avoué sa faute et raconté toute sa mésaventure, elle consola Chen-Shao honteux, et lui dit:
– Nous devons partir d’ici car mon père enverra son armée pour te capturer en apprenant que tu as tué deux de ses soldats.
Mais juste à ce moment- là, des milliers de créatures sous-marines sortirent de la mer et entourèrent l’île pour les attaquer.
– Je vais me rendre. Dit Chen-Shao. Je suis responsable de cette situation.
Mais la jeune femme le retint, sortit l’éventail de sa tante et l’agita de toutes ses forces. Ceci provoqua la levée de vagues gigantesques qui balayèrent l’armée de la mer.
– Sauvons-nous d’ici. Dit-elle. Nous avons gagné une bataille, mais nous ne gagnerons pas la guerre.
Ils montèrent sur le cheval volant et se rendirent au village de Chen-Shao ou elle lui dit encore:
– Prends-moi pour épouse, ainsi mon père saura que je t’aime et arrêtera de nous poursuivre.
– Mais je suis pauvre. Dit Chen-Shao.
La jeune femme lui sourit et commença à secouer sa chevelure. Il en sortit perles, coraux, et d’autres nombreux trésors de la mer.
– Si cela te parait peu, nous en demanderons plus à mon père.
Mais Chen-Shao ne vécut pas dans le luxe. Il préféra aider son père au marché et ne sortit plus jamais en mer.
Quand il manquait de poisson, sa femme allait à la plage et chantait une étrange chanson qui faisait s’échouer de nombreux poissons sur le sable.
– Pourquoi es-tu surpris? Demandait-elle avec tendresse. Mon père est le dieu de la mer et c’est sa chanson préférée.
Et elle agitait l’éventail pour grossir les vagues et pour que sa tante sache qu’elle se rappelait d’elle.
Raiponce
Jacob et Wilhelm Grimm, version de Contesdefees.com, illustrations Arthur Rackham et autres.
Il était une fois un couple qui souhaitaient depuis longtemps avoir un enfant. Un jour enfin, leur voeux fut exaucé et la femme tomba enceinte.
Ces gens avaient à l’arrière de leur maison, une petite fenêtre depuis laquelle ils pouvaient apercevoir un splendide jardin où poussaient les plus belles fleurs et surtout de magnifiques raiponces ; mais il était entouré d’un haut mur et personne ne s’y risquait car il appartenait à une puissante magicienne que tous craignaient.
Tous les jours, la femme se tenait devant la fenêtre et regardait dans le jardin. Plus elle voyait les raiponces, plus l’envie d’en manger grandissait en elle.
Elle devint tellement obsédée par ces fleurs comestibles qu’elle commença à dépérir, pâlir et avoir l’air de plus en plus misérable.
Alors son mari prit peur et lui demanda :
— Que te manque-t-il ma chère épouse ?
— Hélas, répondit-elle, si je ne peux manger de ces raiponces du jardin derrière notre maison, je crois que je mourrai. »
L’homme qui aimait sa femme pensa :
— »Eh, laisseras-tu ton épouse mourir ? Va lui chercher des raiponces quoiqu’il put t’en coûter.
Lorsque le crépuscule fut arrivé, il escalada le mur du jardin de la magicienne, cueillit rapidement une pleine poignée de raiponces et les rapporta à son épouse. Elle s’en fit aussitôt une salade et la mangea d’un coup avidement. Elles lui plurent tant que le jour suivant, elle en eut encore trois fois plus envie. Pour la calmer, l’homme dut encore une fois escalader le mur du jardin. Il le fit à nouveau au crépuscule. Mais tandis qu’il grimpait au mur il fut brusquement effrayé car il aperçut la magicienne qui se tenait devant lui.
— Comment oses-tu me voler mes raiponces comme un brigand ? Tu vas être puni ! » , dit-elle avec courroux.
— Pitié ! répondit-il, veuillez me pardonner. Je ne l’ai fait que par nécessité. Mon épouse enceinte a vu vos raiponces depuis notre fenêtre et elle en conçut une telle envie qu’elle serait morte si elle n’avait pu en manger. » La magicienne laissa alors tomber son courroux et lui dit :
— »Prends-en autant que tu voudras, mais ta peine n’en sera pas modifiée: tu devras me donner l’enfant que ta femme mettra au monde. Il sera bien traité et je m’en occuperai comme une mère. »
L’homme par peur acquiesça à tout, et lorsque après quelques semaines sa femme accoucha, apparut immédiatement la magicienne, qui donna le nom de Raiponce à l’enfant et l’emmena avec elle.
Raiponce devint la plus belle enfant qui soit. Lorsqu’elle eut douze ans, la magicienne l’enferma dans une tour qui se dressait au milieu d’une forêt et qui ne possédait ni escalier ni porte ; seule tout en haut, s’ouvrait une petite fenêtre.
Les années passaient.
Quand la magicienne voulait entrer, elle se tenait au bas et criait :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Raiponce avait de très longs et splendides cheveux fins et filés comme de l’or. Elle ne les avait jamais coupé. Lorsque la voix de la magicienne lui parvenait, elle dénouait ses nattes, les passait autour d’un crochet de la fenêtre et les laissait tomber vingt pieds plus bas. Ainsi grâce à la chevelure immense, la magicienne pouvait grimper dans la tour.
Les années passaient lentement pour Raiponce, lorsqu’un jour, le fils du roi qui chevauchait par ces bois vint à passer près de la tour. Il entendit un chant qui était si doux qu’il s’arrêta et écouta. C’était Raiponce, qui dans sa solitude passait le temps en chantant et faisait résonner sa douce voix. Le fils du roi voulut monter auprès d’elle et chercha une porte : mais il n’en trouva aucune. Il s’en retourna alors chez lui. Mais le chant l’avait tellement ému, que chaque jour il partait pour les bois pour l’écouter. Une fois alors qu’il se tenait sous un arbre, il vit la magicienne venir et il l’entendit appeler :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Alors Raiponce laissa tomber ses tresses et la magicienne grimpa.
Le prince ayant compris comment atteindre la fenêtre attendit que la sorcière soit redescendue, puis il s’avança vers la tour et appela :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Aussitôt, la chevelure chut et le prince escalada la tour.
Raiponce fut d’abord bien effrayée qu’un homme vint jusqu’à elle alors qu’elle n’en avait jamais vu de sa pauvre vie de recluse. Cependant le prince commença à lui parler amicalement et lui raconta que son cœur avait été si profondément ému par son chant qu’il ne n’avait pu s’empêcher de revenir et risquer sa vie pour elle.
Il lui demanda immédiatement si elle voulait devenir sa femme et venir avec lui dans le château de ses parents.
Remise de sa frayeur et attendrie par l’amour et la beauté du prince, Raiponce lui prit la main et accepta en disant :
— Je veux bien venir avec toi mais je ne pourrai pas descendre. Va chercher un morceau de soie dont je ferai une échelle et lorsqu’elle sera prête, je descendrai pour que tu m’emportes sur ton cheval. »
Le prince accepta et redescendit par la chevelure de sa bien aimée.
Le lendemain, lorsque la sorcière monta, elle sentit immédiatement qu’un homme était entré dans la tour et elle s’ecria:
— Enfant maudite ! Je pensais t’avoir mise à l’écart du monde pour te garder à moi à jamais mais tu m’as trahie !
Dans sa colère elle attrapa la chevelure de Raiponce, saisit de sa main droite une paire de ciseaux et en un clin d’œil coupa les grandes tresses blondes.
Par un sort maléfique, elle envoya ensuite Raiponce dans une contrée lointaine et désertique, où elle dut vivre dans la privation et la peine.
Le soir même, la magicienne accrocha les tresses à la fenêtre et lorsque le prince arriva et appela :
— »Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux ! « .
Elle laissa tomber les cheveux. Le prince monta mais au lieu de sa chère Raiponce, il vit la magicienne qui lui jetait un regard méchant et empoisonné.
— »Ahah ! » ricana-t-elle « tu viens chercher ta bien-aimée, mais le bel oiseau n’est plus au nid et ne chante plus, le chat l’a emporté et il va de plus t’arracher les yeux. Raiponce est perdue pour toi, tu ne la reverras plus jamais ! »
Le prince sentit la douleur l’envahir et de désespoir, bondit par la fenêtre. Il survécut mais les épines du bosquet dans lequel il tomba lui crevèrent les yeux. Il erra aveugle dans la forêt ne mangeant que des racines et des baies et pleurant constamment la perte de sa chère promise.
Il erra ainsi plusieurs années misérablement et atteignit finalement la contrée déserte où Raiponce survivait péniblement avec les jumeaux qu’elle avait mis au monde, un garçon et une fille. Il entendit une voix, qui lui sembla familière. Il s’approcha et Raiponce le reconnut, elle se pendit à son cou et se mit à pleurer.
Deux de ses larmes tombèrent dans ses yeux et il recouvra ainsi la vue qu’il avait perdue.
Il l’emmena dans son royaume où ils furent accueillis avec joie. Ils y vécurent longtemps heureux et sereins.
La Belle et la Bête
Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et, comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres.
Ses filles étaient très-belles ; mais la cadette, surtout, se faisait admirer, et on ne l’appelait, quand elle était petite, que La belle enfant ; en sorte que le nom lui en resta ; ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs.
Cette cadette, qui était plus belle que ses sœurs, était aussi meilleure qu’elles. Les deux aînées avaient beaucoup d’orgueil, parce qu’elles étaient riches ; elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands ; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres.
Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage ; mais les deux aînées répondirent qu’elles ne se marieraient jamais, à moins qu’elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte.
La Belle (car je vous ai dit que c’était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l’épouser ; mais elle leur dit : qu’elle était trop jeune, et qu’elle souhaitait de tenir compagnie à son père pendant quelques années.
Or tout d’un coup le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu’une petite maison de campagne, bien loin de la ville.
Il dit en pleurant, à ses enfants, qu’il fallait aller demeurer dans cette maison, et, qu’en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre.
Ses deux filles aînées répondirent qu’elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu’elles avaient plusieurs amans qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu’elles n’eussent plus de fortune : les bonnes demoiselles se trompaient ; leurs amans ne voulurent plus les regarder, quand elles furent pauvres.
Comme personne ne les aimait à cause de leur fierté, on disait : « elles ne méritent pas qu’on les plaigne, nous sommes bien aises de voir leur orgueil abaissé ; qu’elles aillent faire les dames en gardant les moutons ». Mais en même temps, tout le monde disait : « pour la Belle, nous sommes bien fâchés de son malheur ; c’est une si bonne fille ; elle parlait aux pauvres gens avec tant de bonté ; elle était si douce, si honnête ». Il y eut même plusieurs gentilshommes qui voulurent l’épouser, quoiqu’elle n’eut pas un sou ; mais elle leur dit : qu’elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner son pauvre père dans son malheur, et qu’elle le suivrait à la campagne, pour le consoler et lui aider à travailler.
La pauvre Belle avait été bien affligée d’abord de perdre sa fortune ; mais elle s’était dit à elle-même : quand je pleurerai bien fort, mes larmes ne me rendront pas mon bien ; il faut tâcher d’être heureuse sans fortune.
Quand ils furent arrivés à leur maison de campagne, le marchand et ses trois fils s’occupèrent à labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison et d’apprêter à dîner pour la famille.
Elle eut d’abord beaucoup de peine, car elle n’était pas accoutumée à travailler comme une servante ; mais, au bout de deux mois, elle devint plus forte, et la fatigue lui donna une santé parfaite. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien elle chantait en filant.
Ses deux sœurs, au contraire, s’ennuyaient à la mort ; elles se levaient à dix heures du matin, se promenaient toute la journée, et s’amusaient à regretter leurs beaux habits et les compagnies. Voyez notre cadette, disaient-elles entre elles, elle a l’âme basse, et est si stupide qu’elle est contente de sa malheureuse situation.
Le bon marchand ne pensait pas comme ses filles. Il savait que la Belle était plus propre que ses sœurs à briller dans les compagnies. Il admirait la vertu de cette jeune fille, et surtout sa patience ; car ses sœurs, non contentes de lui laisser faire tout l’ouvrage de la maison, l’insultaient à tout moment.
Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre, par laquelle on lui marquait qu’un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d’arriver heureusement.
Cette nouvelle fit tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu’à la fin elles pourraient quitter cette campagne, où elles s’ennuyaient tant ; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles.
La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même, que tout l’argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses sœurs souhaitaient.
– Tu ne me pries pas de t’acheter quelque chose, lui dit son père.
– Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m’apporter une rose, car il n’en vient point ici.
Ce n’est pas que la Belle se souciât d’une rose ; mais elle ne voulait pas condamner, par son exemple, la conduite de ses sœurs, qui auraient dit, que c’était pour se distinguer qu’elle ne demandait rien.
Le bon homme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès pour ses marchandises, et, après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu’il était auparavant.
Il n’avait plus que trente milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants ; mais, comme il fallait passer un grand bois, avant de trouver sa maison, il se perdit.
Il neigeait horriblement ; le vent était si grand, qu’il le jeta deux fois en bas de son cheval, et, la nuit étant venue, il pensa qu’il mourrait de faim ou de froid, ou qu’il serait mangé des loups, qu’il entendait hurler autour de lui.
Tout d’un coup, en regardant au bout d’une longue allée d’arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d’un grand palais qui était tout illuminé.
Le marchand remercia Dieu du secours qu’il lui envoyait, et se hâta d’arriver à ce château ; mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une grande écurie ouverte, entra dedans ; et, ayant trouvé du foin et de l’avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d’avidité. Le marchand l’attacha dans l’écurie, et marcha vers la maison, où il ne trouva personne ; mais, étant entré dans une grande salle, il y trouva un bon feu, et une table chargée de viande, où il n’y avait qu’un couvert. Comme la pluie et la neige l’avaient mouillé jusqu’aux os, il s’approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même : le maître de la maison ou ses domestiques me pardonneront la liberté que j’ai prise, et sans doute ils viendront bientôt. Il attendit pendant un temps considérable ; mais onze heures ayant sonné, sans qu’il vit personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet qu’il mangea en deux bouchées, et en tremblant. Il but aussi quelques coups de vin, et, devenu plus hardi, il sortit de la salle, et traversa plusieurs grands appartements, magnifiquement meublés. À la fin il trouva une chambre où il y avait un bon lit, et comme il était minuit passé, et qu’il était las, il prit le parti de fermer la porte et de se coucher.
Il était dix heures du matin quand il se leva le lendemain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre à la place du sien qui était tout gâté. Assurément, dit-il, en lui-même, ce palais appartient à quelque bonne Fée qui a eu pitié de ma situation. Il regarda par la fenêtre et ne vit plus de neige ; mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. Il rentra dans la grande salle où il avait soupé la veille, et vit une petite table où il y avait du chocolat. Je vous remercie, madame la Fée, dit-il tout haut, d’avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. Le bon homme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et, comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs. En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une Bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. « Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête, d’une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses que j’aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; je ne vous donne qu’un quart d’heure pour demander pardon à Dieu. Le marchand se jeta à genoux, et dit à la bête, en joignant les mains : — Monseigneur, pardonnez-moi, je ne croyais pas vous offenser en cueillant une rose pour une de mes filles, qui m’en avait demandé. — Je ne m’appelle point monseigneur, répondit le monstre, mais la Bête. Je n’aime point les compliments, moi, je veux qu’on dise ce que l’on pense ; ainsi, ne croyez pas me toucher par vos flatteries ; mais vous m’avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu’une de vos filles vienne volontairement, pour mourir à votre place : ne me raisonnez pas ; partez, et si vos filles refusent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois mois. Le bon homme n’avait pas dessein de sacrifier une de ses filles à ce vilain monstre ; mais il pensa, au moins, j’aurai le plaisir de les embrasser encore une fois. Il jura donc de revenir, et la Bête lui dit qu’il pouvait partir quand il voudrait ; mais, ajouta-t-elle, je ne veux pas que tu t’en ailles les mains vides. Retourne dans la chambre où tu as couché, tu y trouveras un grand coffre vide ; tu peux y mettre tout ce qui te plaira ; je le ferai porter chez toi. En même temps, la Bête se retira, et le bon homme dit en lui-même ; s’il faut que je meure, j’aurai la consolation de laisser du pain à mes pauvres enfants.
Il retourna dans la chambre où il avait couché, et, y ayant trouvé une grande quantité de pièces d’or, il remplit le grand coffre, dont la Bête lui avait parlé, le ferma, et, ayant repris son cheval qu’il retrouva dans l’écurie, il sortit de ce palais avec une tristesse égale à la joie qu’il avait, lorsqu’il y était entré. Son cheval prit de lui-même une des routes de la forêt, et en peu d’heures, le bon homme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassemblèrent autour de lui ; mais, au lieu d’être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer en les regardant. Il tenait à la main la branche de roses, qu’il apportait à la Belle : il la lui donna, et lui dit : la Belle, prenez ces roses ; elles coûteront bien cher à votre malheureux père ; et tout de suite, il raconta à sa famille la funeste aventure qui lui était arrivée. À ce récit, ses deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle qui ne pleurait point. Voyez ce que produit l’orgueil de cette petite créature, disaient-elles ; que ne demandait-elle des ajustements comme nous ? mais non, mademoiselle voulait se distinguer ; elle va causer la mort de notre père et elle ne pleure pas. Cela serait fort inutile, reprit la Belle, pourquoi pleurerais-je la mort de mon père ? il ne périra point. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie, et je me trouve fort heureuse, puisqu’en mourant j’aurai la joie de sauver mon père et de lui prouver ma tendresse. Non, ma sœur, lui dirent ses trois frères, vous ne mourrez pas, nous irons trouver ce monstre, et nous périrons sous ses coups, si nous ne pouvons le tuer. Ne l’espérez pas, mes enfants, leur dit le marchand, la puissance de cette Bête est si grande, qu’il ne me reste aucune espérance de la faire périr. Je suis charmé du bon cœur de la Belle, mais je ne veux pas l’exposer à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que peu de temps à vivre ; ainsi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu’à cause de vous, mes chers enfants. Je vous assure, mon père, lui dit la Belle, que vous n’irez pas à ce palais sans moi ; vous ne pouvez m’empêcher de vous suivre. Quoique je sois jeune, je ne suis pas fort attachée à la vie, et j’aime mieux être dévorée par ce monstre, que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. On eut beau dire, la Belle voulut absolument partir pour le beau palais, et ses sœurs en étaient charmées, parce que les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Le marchand était si occupé de la douleur de perdre sa fille, qu’il ne pensait pas au coffre qu’il avait rempli d’or ; mais, aussitôt qu’il se fut renfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu’il était devenu si riche, parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville ; qu’il était résolu de mourir dans cette campagne ; mais il confia ce secret à la Belle qui lui apprit qu’il était venu quelques gentilshommes pendant son absence, et qu’il y en avait deux qui aimaient ses sœurs. Elle pria son père de les marier ; car elle était si bonne qu’elle les aimait, et leur pardonnait de tout son cœur le mal qu’elles lui avaient fait. Ces deux méchantes filles se frottaient les yeux avec un oignon, pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père ; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le marchand : il n’y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu’elle ne voulait pas augmenter leur douleur. Le cheval prit la route du palais, et sur le soir ils l’aperçurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l’écurie, et le bon homme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table magnifiquement servie, avec deux couverts. Le marchand n’avait pas le cœur de manger ; mais Belle s’efforçant de paraître tranquille, se mit à table, et le servit ; puis elle disait en elle-même : la Bête veut m’engraisser avant de me manger, puisqu’elle me fait si bonne chère. Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant ; car il pensait que c’était la Bête. Belle ne put s’empêcher de frémir en voyant cette horrible figure ; mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c’était de bon cœur qu’elle était venue ; elle lui dit, en tremblant, qu’oui. Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous suis bien obligé. Bon homme, partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu, la Belle. Adieu, la Bête, répondit-elle, et tout de suite le monstre se retira. Ah ! ma fille, lui dit le marchand, en embrassant la Belle, je suis à demi-mort de frayeur. Croyez-moi, laissez-moi ici ; non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, et vous m’abandonnerez au secours du ciel ; peut-être aura-t-il pitié de moi. Ils furent se coucher, et croyaient ne pas dormir de toute la nuit ; mais à peine furent-ils dans leurs lits que leurs yeux se fermèrent. Pendant son sommeil, la Belle vit une dame qui lui dit : « Je suis contente de votre bon cœur, la Belle ; la bonne action que vous faites, en donnant votre vie, pour sauver celle de votre père, ne demeurera point sans récompense ». La Belle, en s’éveillant, raconta ce songe à son père, et, quoiqu’il le consolât un peu, cela ne l’empêcha pas de jeter de grands cris, quand il fallut se séparer de sa chère fille.
Lorsqu’il fut parti, la Belle s’assit dans la grande salle, et se mit à pleurer aussi ; mais, comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne point se chagriner, pour le peu de temps qu’elle avait à vivre ; car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant, et de visiter ce beau château. Elle ne pouvait s’empêcher d’en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte, sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle.
Elle ouvrit cette porte avec précipitation, et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait ; mais ce qui frappa le plus sa vue fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique. On ne veut pas que je m’ennuie, dit-elle, tout bas ; elle pensa ensuite, si je n’avais qu’un jour à demeurer ici, on ne m’aurait pas fait une telle provision. Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque, et vit un livre où il y avait écrit en lettres d’or : Souhaitez, commandez ; vous êtes ici la reine et la maîtresse. Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père, et de savoir ce qu’il fait à présent : elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise ! en jetant les yeux sur un grand miroir, d’y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. Ses sœurs venaient au-devant de lui, et, malgré les grimaces qu’elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu’elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s’empêcher de penser que la Bête était bien complaisante, qu’elle n’avait rien à craindre d’elle.
À midi, elle trouva la table mise, et, pendant son dîner elle entendit un excellent concert, quoiqu’elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s’empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ? — Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. — Non, répondit la Bête, il n’y a ici de maîtresse que vous. Vous n’avez qu’à me dire de m’en aller si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n’est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? — Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon. — Vous avez raison, dit le monstre, mais, outre que je suis laid, je n’ai point d’esprit : je sais bien que je ne suis qu’une Bête. — On n’est pas Bête, reprit la Belle, quand on croit n’avoir point d’esprit : un sot n’a jamais su cela. — Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre ; et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison, car tout ceci est à vous ; et j’aurais du chagrin, si vous n’étiez pas contente. — Vous avez bien de la bonté, lui dit la Belle. Je vous avoue que je suis bien contente de votre cœur ; quand j’y pense, vous ne me paraissez plus si laid. — Oh dame, oui, répondit la Bête, j’ai le cœur bon, mais je suis un monstre. — Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle ; et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d’hommes, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. — Si j’avais de l’esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier ; mais je suis un stupide, et tout ce que je puis vous dire, c’est que je vous suis bien obligé.
La Belle soupa de bon appétit. Elle n’avait presque plus peur du monstre ; mais elle manqua mourir de frayeur, lorsqu’il lui dit : « La Belle, voulez-vous être ma femme ? » Elle fut quelque temps sans répondre : elle avait peur d’exciter la colère du monstre, en le refusant : elle lui dit pourtant en tremblant : non la Bête. Dans ce moment, ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit ; mais Belle fut bientôt rassurée, car la Bête lui ayant dit tristement : Adieu donc la Belle, sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps pour la regarder encore. Belle se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête : Hélas ! disait-elle, c’est bien dommage qu’elle soit si laide, elle est si bonne !
Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs, la Bête lui rendait visite, l’entretenait pendant le souper, avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu’on appelle esprit, dans le monde. Chaque jour, Belle découvrait de nouvelles bontés dans ce monstre. L’habitude de le voir l’avait accoutumée à sa laideur ; et, loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre, pour voir s’il était bientôt neuf heures ; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n’y avait qu’une chose qui faisait de la peine à la Belle, c’est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur lorsqu’elle lui disait que non. Elle dit un jour : « Vous me chagrinez, la Bête ; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop sincère pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je serai toujours votre amie ; tâchez de vous contenter de cela. — Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup ; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais ». La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de l’avoir perdue ; et elle souhaitait de le revoir.
« Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout-à-fait ; mais j’ai tant d’envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. — J’aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. — Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m’avez fait voir que mes sœurs sont mariées, et que mes frères sont partis pour l’armée. Mon père est tout seul, souffrez que je reste chez lui une semaine. — Vous y serez demain au matin, dit la Bête ; mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n’aurez qu’à mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu, la Belle ». La Bête soupira selon sa coutume, en disant ces mots, et la Belle se coucha toute triste de la voir affligée. Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva dans la maison de son père ; et, ayant sonné une clochette qui était à côté de son lit, elle vit venir la servante qui fit un grand cri en la voyant. Le bon homme accourut à ce cri, et manqua mourir de joie en revoyant sa chère fille ; et ils se tinrent embrassés plus d’un quart-d ’heure. La Belle, après les premiers transports, pensa qu’elle n’avait point d’habits pour se lever ; mais la servante lui dit, qu’elle venait de trouver dans la chambre voisine un grand coffre plein de robes toutes d’or, garnies de diamants. Belle remercia la bonne Bête de ses attentions ; elle prit la moins riche de ces robes, et dit à la servante de serrer les autres, dont elle voulait faire présent à ses sœurs ; mais à peine eut-elle prononcé ces paroles, que le coffre disparut. Son père lui dit que la Bête voulait qu’elle gardât tout cela pour elle ; et aussitôt les robes et le coffre revinrent à la même place. La Belle s’habilla ; et, pendant ce temps on fut avertir ses sœurs qui accoururent avec leurs maris ; elles étaient toutes deux fort malheureuses. L’aînée avait épousé un gentilhomme, beau comme le jour ; mais il était si amoureux de sa propre figure, qu’il n’était occupé que de cela, depuis le matin jusqu’au soir, et méprisait la beauté de sa femme. La seconde avait épousé un homme qui avait beaucoup d’esprit ; mais il ne s’en servait que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la première. Les sœurs de la Belle manquèrent de mourir de douleur, quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui augmenta beaucoup, quand elle leur eut conté combien elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent dans le jardin pour y pleurer tout à leur aise, et elles se disaient : « Pourquoi cette petite créature est-elle plus heureuse que nous ? Ne sommes-nous pas plus aimables qu’elle ? — Ma sœur, dit l’aînée, il me vient une pensée ; tâchons de l’arrêter ici plus de huit jours ; sa sotte Bête se mettra en colère de ce qu’elle lui aura manqué de parole, et peut-être qu’elle la dévorera. — Vous avez raison, ma sœur, répondit l’autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes caresses ; et, ayant pris cette résolution, elles remontèrent, et firent tant d’amitié à leur sœur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux sœurs s’arrachèrent les cheveux, et firent tant les affligées de son départ, qu’elle promit de rester encore huit jours chez son père.
Cependant Belle se reprochait le chagrin qu’elle allait donner à sa pauvre Bête, qu’elle aimait de tout son cœur, et elle s’ennuyait de ne plus la voir. La dixième nuit qu’elle passa chez son père, elle rêva qu’elle était dans le jardin du palais, et qu’elle voyait la Bête couchée sur l’herbe et près de mourir, qui lui reprochait son ingratitude. La Belle se réveilla en sursaut, et versa des larmes. — Ne suis-je pas bien méchante, disait-elle, de donner du chagrin à une Bête qui a pour moi tant de complaisance ? Est-ce sa faute si elle est si laide, et si elle a peu d’esprit ? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n’ai-je pas voulu l’épouser ? Je serais plus heureuse avec elle, que mes sœurs avec leurs maris. Ce n’est ni la beauté, ni l’esprit d’un mari qui rendent une femme contente : c’est la bonté du caractère, la vertu, la complaisance ; et la Bête a toutes ces bonnes qualités. Je n’ai point d’amour pour elle, mais j’ai de l’estime, de l’amitié, de la reconnaissance. Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse : je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude. À ces mots, Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. À peine fut-elle dans son lit, qu’elle s’endormit ; et, quand elle se réveilla le matin, elle vit avec joie qu’elle était dans le palais de la Bête. Elle s’habilla magnifiquement pour lui plaire, et s’ennuya à mourir toute la journée, en attendant neuf heures du soir ; mais l’horloge eut beau sonner, la Bête ne parut point. La Belle alors craignit d’avoir causé sa mort. Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l’avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu’elle était morte.
Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure ; et, sentant que son cœur battait encore, elle prit de l’eau dans le canal, et lui en jeta sur la tête. La bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle : « Vous avez oublié votre promesse ; le chagrin de vous avoir perdue m’a fait résoudre à me laisser mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j’ai le plaisir de vous revoir encore une fois. — Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! je croyais n’avoir que de l’amitié pour vous ; mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. À peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles qu’elle vit le château brillant de lumière ; les feux d’artifices, la musique, tout lui annonçait une fête ; mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point sa vue : elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’Amour, qui la remerciait d’avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s’empêcher de lui demander où était la Bête. — Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m’avait condamné à rester sous cette figure, jusqu’à ce qu’une belle fille consentit à m’épouser, et elle m’avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n’y avait que vous dans le monde, assez bonne pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère ; et, en vous offrant ma couronne, je ne puis m’acquitter des obligations que je vous ai. La Belle, agréablement surprise, donna la main à ce beau prince pour se relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle manqua mourir de joie en trouvant, dans la grande salle, son père et toute sa famille, que la belle dame, qui lui était apparue en songe, avait transportée au château. — Belle, lui dit cette dame qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix : vous avez préféré la vertu à la beauté et à l’esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine : j’espère que le trône ne détruira pas vos vertus. — Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux sœurs de Belle, je connais votre cœur et toute la malice qu’il renferme. Devenez deux statues ; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre sœur, et je ne vous impose point d’autre peine que d’être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état qu’au moment où vous reconnaîtrez vos fautes ; mais j’ai bien peur que vous ne restiez toujours statues. On se corrige de l’orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse : mais c’est une espèce de miracle que la conversion d’un cœur méchant et envieux. Dans le moment, la fée donna un coup de baguette qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle, dans le royaume du prince. Ses sujets le virent avec joie, et il épousa la Belle qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu’il était fondé sur la vertu.
Conte du IIème siècle. Version de Jeanne Marie Leprince de Beaumont, Contes moraux pour l’instruction de la jeunesse, Barba, 1806 (p. 1-32). Illustrations de l’édition de 1870, Librairie Hachette & Cie.
Racontée par Sophie de Pas
Le Loup et les Sept Chevreaux
Conte des frères Grimm. Adaptation par contesdefees.com.
Une chèvre avait sept petits qu’elle aimait et qu’elle protégeait soigneusement du loup. Un jour, alors qu’elle devait sortir chercher à manger, elle convoqua tout le monde et dit : « Chers enfants, je dois sortir chercher de la nourriture, protégez-vous du loup et ne le laissez pas entrer. Faites très attention, car il fait souvent semblant d’être gentil mais on le reconnaît à sa voix rauque et à ses pattes noires ; Ne lui ouvrez la porte en aucun cas, car il vous mangerait tous en une bouchée. »
Puis elle s’en alla, mais bientôt le loup arriva à la porte d’entrée et dit d’une voix faussée: « Chers enfants, ouvrez-moi, je suis votre mère et j’ai apporté de belles choses du marché. » Mais les sept chevreaux répondirent : « Tu n’es pas notre mère, elle a une belle et jolie voix, mais ta voix est rauque, tu es le loup, nous ne t’ouvrirons pas! »
Alors le loup alla au magasin et acheta un gros morceau de craie, qu’il mangea pour affiner sa voix. Puis il retourna à la porte des sept biquets et cria d’une voix plus douce: « Chers enfants, laissez-moi entrer, je suis votre mère, je vous rapporte quelque chose à chacun de vous. » Mais il avait mis sa patte sur le bord de la fenêtre, et les chevreaux la virent et dirent : « Tu n’es pas notre mère, elle n’a pas de patte noire comme toi ; tu es le loup, nous ne t’ouvrirons pas. » Le loup furieux alla chez un boulanger et dit : » Boulanger, enduit ma patte de pâte fraîche « , et quand cela fut fait, il alla chez le meunier et dit : « Meunier, enduits ma patte de ta farine blanche. » Le meunier protesta. – » Si tu ne le fais pas, je te mangerai. » Alors le meunier s’exécuta.
Puis le loup retourna à la porte d’entrée des sept Chevreaux et dit : « Chers enfants, laissez-moi entrer, je suis votre mère, je rapporte un cadeau pour chacun d’entre vous. » Les sept Chevreaux voulaient d’abord voir la patte, et comme ils virent qu’elle était blanche comme neige et entendirent le loup parler si doucement, ils crurent cette fois que c’était leur mère pour de bon et ouvrirent la porte, et le loup entra. Lorsqu’ils le reconnurent, ils se cachèrent au plus vite, l’un sous la table, le deuxième dans le lit, le troisième dans le four, le quatrième dans la cuisine, le cinquième dans l’armoire, le sixième sous un grand bol ; le septième dans l’horloge au mur. Mais le loup les trouva et les avala tous, à l’exception du plus jeune qui était dans l’horloge.
Bien rassasié, le Loup s’en alla, et peu après la maman chèvre revint à la maison. Quelle tristesse en voyant que le loup avait mangé ses chers enfants. Elle pensa qu’ils étaient tous morts et pleurait amèrement lorsque soudain, le plus jeune sauta de l’horloge murale et raconta comment tout s’était passé.
Pendant ce temps là, le loup qui avait trop mangé, alla dans un champs, se coucha au soleil et tomba dans un profond sommeil. La maman chèvre, en l’apercevant, se demanda si elle pouvait encore sauver ses enfants, et dit au plus jeune : « Prends du fil, une aiguille et des ciseaux et suis-moi. » Puis elle s’approcha du loup en train de ronfler : « Voilà le grand méchant loup bien endormi, dit-elle en le regardant de tous côtés, passe-moi vite les ciseaux. Le petit lui tendit les ciseaux et elle ouvrit le ventre du loup d’un coup.
Les six petits biquets sortirent indemnes car heureusement le loup les avaient avalé sans les croquer. Leur mère les embrassa en pleurant et leur dit d’aller tout de suite chercher de grosses et lourdes briques, avec lesquelles ils remplirent le ventre du loup, le recousirent et s’enfuirent se cacher derrière une haie.
Quand le loup se réveilla, il avait mal et il dit : «j’ai l’estomac bien lourd ». Il pensa que boire de l’eau lui ferait du bien, et ayant trouvé un puits, il se pencha pour boire.
Mais le poids des pierres était tel, qu’il l’entraîna vers l’avant et le méchant loup tomba au fonds du puits.
Lorsque les sept biquets et leur mère virent cela, il sautèrent de joie et dansèrent autour du puits.
Sinbad le marin
Il y a très longtemps, vivait à Bagdad un jeune homme qui se plaignait de la dureté de son travail de transporteur. Un jour, après avoir terminé sa journée, il s’assit pour se reposer un moment près de la porte de la maison d’un riche marchand. L’homme, qui était à l’intérieur, l’entendit se plaindre.
– Travailler et travailler encore. Est-ce donc ça la vie?
Le marchand eut pitié du garçon et l’invita à un dîner chaud. Le garçon accepta et fut étonné d’entrer dans une maison aussi luxueuse avec des mets si riches sur la table.
« Je ne sais pas quoi dire, monsieur !… Je n’ai jamais vu autant de richesse.
– C’est vrai – répondit poliment l’homme – J’ai beaucoup de chance, mais je veux te dire comment j’ai obtenu tout ce que tu vois. Personne ne m’a rien donné et j’aimerais que tu comprennes que c’est le fruit de beaucoup d’efforts.
Le marchand, qui s’appelait Sinbad, raconta son histoire au garçon intrigué.
– En mourant, commença t-il, mon père me laissa une bonne fortune, mais je la gaspillais jusqu’à ce qu’il ne me reste plus rien. Je décidais donc de me faire marin.
– Marin! Quelle merveille!
– Oui, mais ce ne fut pas si facile. Lors du premier voyage, je tombais à l’eau et nageais jusqu’à une île qui s’avéra être le dos d’une baleine. Heureusement, je réussis à m’échapper, accroché à un baril flottant dans l’eau, jusqu’à ce que le courant me dépose sur les rives d’une ville inconnue. J’errais pendant des jours, jusqu’à ce que je sois embauché sur un nouveau bateau qui me ramena finalement à Bagdad. Ce furent des jours très durs !
Il finit de parler et donna au garçon cent pièces d’or en échange de revenir le lendemain écouter ses histoires. Le jeune homme, les poches pleines, sautait de joie. La première chose qu’il fit fut d’acheter un bon morceau de viande pour inviter ses amis.
Le lendemain, il retourna chez Sinbad, comme convenu. Après le dîner, l’homme ferma les yeux et se souvint d’une autre partie de sa vie.
– Mon deuxième voyage fut très étrange… J’aperçus une île et échouais le bateau sur le bord de la plage. Je commençais à chercher de la nourriture, et j’apperçu un œuf géant.
Aors que j’allais m’en emparer, un oiseau géant se posa sur mes épaules, m’attrapa avec ses puissantes griffes, et me souleva vers le ciel. Je volais comme un aigle et bien qu’effrayé au possible, je m’extasiais de voir la terre de si haut.
D’abord, Je pensais qu’il me jetterait au-dessus de la mer, mais il changea de direction, et me lâcha au dessus d’une vallée pleine de diamants. En tombant je me blessais grièvement, mais malgré cela je saisis l’occasion et ramassais autant de pierres précieuses que possible avant de retrouver mon équipage et le navire sur la plage.
Quand il eut fini de se remémorer son deuxième voyage, Sinbad donna cent autres pièces d’or au jeune homme, l’invitant à revenir le lendemain. Le garçon commençait à apprécier le récit des aventures du vieux Sinbad et il était toujours ponctuel à leur rendez-vous. Cette fois encore, l’homme se perdit dans les méandres de ses souvenirs enflammés.
– Cela te paraîtra étrange, dit-il. Grâce aux diamants, j’étais maintenant un homme riche et vivait comme un prince. Mais malgré cela, l’appel de la mer et du large étaient plus forts et je préparais donc un nouveau voyage. Cette fois encore, j’eu de nombreuses aventures passionnantes. Nous débarquâmes sur une île où vivaient des centaines de pygmées sauvages qui détruisirent notre bateau. Ils nous ligotèrent et nous amenèrent chez leur chef, qui était un grand géant borgne à l’air hideux.
– Un géant borgne? Quelle horreur!
« Oui, c’était terrifiant ! » Il mangeait tous mes marins, mais comme j’étais très maigre et qu’il était déjà bien rassasié, il me laissa sur le côté. Il s’endormit et j’en profitais pour attraper le tisonnier du feu, qui était brûlant, et le plantais dans son œil unique. Il entra dans une colère immense et criait à en faire trembler la montagne, mais il ne pouvait plus me voir et j’en profitait pour m’enfuir.
Ayant échappé au géant et à ses pygmées, je rencontrais un marchand qui me prit sur son bateau. Je l’aidais si bien à vendre ses toiles rares de port en port, qu’il m’associa à son entreprise et nous fîmes à nouveau fortune.
Le jeune homme s’exaltait en écoutant les histoires de l’intrépide marin. Que d’aventures cet homme avait vécues!…
Pendant sept nuits, Sinbad raconta sept nouvelles histoires, sept voyages, sept aventures toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Et chaque soir, après l’histoire, il lui donnait encore cent pièces.
À leur dernière rencontre, ils se dirent au revoir avec amitié. Avant que le jeune homme ne s’en aille, Sinbad voulut lui dire quelque chose d’important :
– Maintenant tu sais que, pour obtenir une chose, il y a toujours un prix à payer. Et aussi que le destin est quelque chose pour lequel il faut se battre et que chacun doit se forger. Personne dans cette vie ne donne quoi que ce soit gratuitement! Et si cela arrive, il faut savoir en faire bon usage. J’espère que l’argent que je t’ai donné t’aidera à démarrer de nouveaux projets et que mes histoires te serviront.
Le jeune homme comprit que le vieux Sinbad avait accomplis ses rêves, grâce à son courage, son intelligence et ses décisions. Maintenant, il avait sept cents pièces d’or, il était riche, mais il avait appris à ne pas s’endormir sur ses lauriers. Et quelques temps après, que croyez-vous qu’il fit avec son argent?
Adaptation courte du conte classique des Mille et une nuits. Illustration tiré de l’adaptation de Larousse par Mlle Latappy sauf la première (Roland Beaussant)
Le cadeau du brochet
Tiré du recueil de conte de Alexander Afanasyev
Émilien vivait dans un village au bord de la Volga avec ses deux frères et leurs femmes. Il était belle homme, mais il était aussi très paresseux et méprisait le travail. Il passait ses journées assis sur le fourneau dans la cuisine. Ses frères dirigeaient une affaire que leur avait laissée leur père décédé. Un jour il partirent en voyage pour vendre leurs marchandises le long de la rivière, laissant Émilien avec les femmes, promettant de revenir avec un caftan, des bottes rouges et un chapeau rouge pour leur frère.
Pendant les jours et les semaines où les frères furent partis, les épouses essayèrent en vain de faire travailler Émilien, jusqu’à ce qu’un jour, elles ne lui laissent que ce choix : Aller chercher de l’eau à la rivière gelée, ou bien il n’y aurait pas de dîner, pas de caftan, de bottes rouges et de chapeau.
Prenant cette cette menace très au sérieux, Émilien se mit rapidement en chemin, et atteignit la rivière, en grognant et se plaignant de ses problèmes tout en coupant la glace épaisse. Alors qu’il mettait de l’eau dans les seaux, il remarqua qu’il avait attrapé un poisson : un gros brochet. Émilien allait le ramener à la maison pour le dîner, mais le brochet le supplia, lui promettant que si Émilien lui laissait la vie sauve, il n’aurait plus jamais besoin de travailler, ce qui était une offre tentante pour le paresseux. Tout ce qu’il aurait besoin de dire, c’était : « Par ordre du brochet, et selon mon désir, je veux… » et tu ajouteras ton souhait et ta volonté serait faite. Émilien accepta, et à sa grande surprise, le sortilège fonctionna et ses vœux furent tous réalisés.
Émilien ne cachait pas son nouveau talent, et bientôt le tsar en entendit parler et ordonna à ce « magicien » de comparaître devant lui dans son palais au bord de la mer Caspienne. Émilien, toujours aussi paresseux, ordonna au fourneau de la cuisine, et sur lequel il était couché, de le transporter jusqu’au tsar en volant, en utilisant l’ordre du brochet. Il arriva aussitôt au palais devant le tsar, toujours allongé sur sa cheminée, où il regardait de haut le tsar et ne se comportait pas vraiment comme devrait le faire un sujet envers son monarque. Le tsar aurait ordonné qu’on lui coupe la tête s’il n’avait pas ardemment voulu découvrir le secret du pouvoir du garçon. Mais comme le garçon ne révélait pas son secret, il décida d’utiliser sa fille, la princesse, pour obtenir le secret. Après trois jours passés à partager des jeux, la princesse avait seulement appris qu’Émilien était beau, amusant et charmant. Elle voulait l’épouser. Le tsar fut d’abord en colère, puis décida qu’Émilien livrerait peut-être son secret à sa femme, s’il se mariait. Alors il organisa le mariage.
Au début, Émilien était horrifiée à cette idée, persuadé qu’une femme lui amènerait plus de problèmes que cela n’en valait la peine. Il accepta, cependant, et le festin de mariage eu lieu peu de temps après, ce qui fit même descendre Émilien de son poêle. Pendant le festin, Émilien avait de si terribles manières à table, et se tenait si mal, que le Tsar changea d’avis et décida de se débarrasser de lui. Une potion de sommeil fut ajoutée au vin du marié, qui fut ensuite enfermé tout endormi dans un tonneau et jeté à la mer. Son épouse fut bannie sur une île en face du palais royal. En flottant dans les vagues, Émilien rencontra son ami le brochet, qui lui permit de souhaiter à nouveau tout ce que son cœur désirait, puisqu’il n’avait pas abusé de son pouvoir.
Émilien souhaita d’obtenir la sagesse, et quand le brochet le poussa sur l’île, Émilien retrouva sa femme et tomba enfin amoureux d’elle à son tour. Il fit transformer la cabane de l’île en un magnifique palais, avec un pont de cristal reliant le continent, afin que sa femme puisse rendre visite à son père, le tsar, à qui elle avait pardonné sa méchanceté. Avec sa nouvelle sagesse, il fit amende honorable avec tout le monde, et vécu heureux.
La Princesse au petit pois
Il était une fois un prince qui voulait épouser une princesse, une princesse authentique. Pour la trouver, il parcourut le monde entier. Il rencontra beaucoup de princesses, mais il n’en trouvait aucune qui fut vraiment authentique ; à chaque fois, il manquait quelque chose, il y avait un je-ne-sais-quoi de suspect. Il finit donc par rentrer chez lui très triste, car il était vraiment déterminé à n’épouser qu’une princesse véritable.
Une après-midi, un terrible orage éclata ; la foudre et le tonnerre s’alternaient sans interruption, et il pleuvait fort; un vrai temps de chien. Au beau milieu de cette tempête, quelqu’un frappa à la porte du château, et le vieux roi vint ouvrir.
Derrière la porte il trouva une princesse ; Quelle surprise, mais bougre, comme la pluie et le mauvais temps l’avaient arrangée! L’eau dégoulinait sur ses cheveux et ses vêtements aplatis, et coulait de sa taille jusqu’à ses chaussures et ressortait par les talons ; Elle faisait piètre figure, mais cependant, elle se présenta en prétendant être une vraie princesse.
« Nous en aurons bientôt le cœur net », dit la vieille reine après que le roi lui eut amené la princesse. Et, sans dire un mot, elle entra dans la chambre de l’invitée, souleva le lit et posa un petit pois sur le sommier; puis elle empila vingt matelas par-dessus, et encore au-dessus, autant de couettes.
Tout le monde se coucha et la princesse monta sur sa montagne d’édredons pour dormir.
Le lendemain matin toute la famille lui demanda comment elle avait dormi.
« Horriblement mal ! » Répondit-elle. « Je n’ai pas dormi de la nuit! Je ne sais pas ce qu’a ce lit qui me fait si mal! Je suis couverte de bleus! »
Alors ils comprirent qu’elle était vraiment une princesse pour de vrai, puisque, malgré les vingt matelas et vingt couettes, elle avait senti le petit pois. Seul une vraie princesse pouvait être aussi sensible.
Satisfait et fidèle à son dessein, le prince la prit pour femme et le pois fut exposé au musée, où il peut encore être vu, si personne ne l’a dérobé.
Et voilà une vraie histoire authentique!
Jack et le haricot magique
Il était une fois une pauvre femme veuve qui vivait avec son fils Jack. Un jour, elle dit à son fils d’aller au marché pour y vendre la seule vache qu’ils avaient afin qu’ils puissent acheter de la nourriture pour passer le long hiver.
Jack partit avec sa vache au marché mais, en chemin, il rencontra un vieil homme qui lui proposa de lui échanger sa vache :
– Que me donnerez vous en échange de ma vache ? demanda Jack.
– Je te donnerai cinq haricots magiques, répondit le vieil homme.
Jack, qui aimait les histoires de magie, accepta et il rentra chez lui tout fier avec ses haricots.
Sa mère se mit en colère en voyant les haricots et pensa que son fils s’était fait berner par le vieil homme.
– Qu’allons-nous devenir maintenant, sans vache et sans argent et avec ces stupides haricots qui ne valent rien ! Et en colère, elle jeta les haricots par la fenêtre.
Jack était très triste et honteux et alla se coucher sans dîner.
Le lendemain, lorsqu’il se réveilla et regarda par la fenêtre, il vit qu’une énorme plante avait poussé là où sa mère avait lancé les haricots magiques, et s’élevait jusqu’aux nuages. Il grimpa sur la tige en s’accrochant aux branches et commença à monter vers le ciel. Il grimpa et grimpa jusqu’à ce qu’il atteigne les nuages et là, au loin, il aperçut un magnifique château.
Il marcha jusqu’au château et découvrit que c’était la maison d’un couple de géants, car les portes et les meubles était gigantesques. Dans la cuisine, il trouva la femme géante et lui demanda:
– Pouvez-vous me donner quelque chose à manger madame? Je n’ai pas mangé de la journée et j’ai très faim.
La femme, très gentille, lui donna du pain et du lait. Elle lui recommanda de partir dès qu’il aurait fini car son mari, le géant, avait très mauvais caractère et mangeait même les enfants.
Juste à ce moment-là, ils entendirent un grand claquement de porte: c’était le géant qui rentrait chez lui. Jack avait très peur mais il eut heureusement le temps de se cacher.
– Ça sent la chair fraîche d’enfant ici… Où est-il? Je le mangerai pour le dîner, j’ai très faim!
– Il n’y a pas d’enfant ici, mon chéri, juste moi. Dit la femme. Allez, tu dois être fatigué, mange le repas que je t’ai préparé et va faire une sieste.
Le géant, soupçonneux mais obéissant, prit son dîner et se rendit dans sa chambre. C’est là que Jack s’était caché, et depuis sa cachette, il vit le géant ouvrir une petite cage et en sortir une poule à laquelle il se mit à parler.
– Ponds donc un œuf, ma petite poule, dit le géant. Et sur ces mots, la poule pondit un œuf en or.
Alors le géant prit sa harpe et ordonna :
– Harpe, joue pour moi !
Alors la harpe commença à jouer de la musique, et des diamants et des pierres précieuses en sortirent.
Satisfait et repu, le géant s’endormit pour sa sieste.
Jack profita de ce moment pour attraper la poule et la harpe et sortit en courant de la pièce. Mais dans sa fuite, il toucha les cordes de la harpe et la mélodie réveilla la géant. Il vit Jack qui était déjà dehors et courut après lui.
– Je le savais! Te voici petit garnement! Je vais t’attraper, petit canaille ! Tu seras mon repas de ce soir !
Le géant criait en poursuivant Jack qui courait jusqu’au haricot.
Jack descendait aussi vite qu’il pouvait, sautant de branche en branche, sans s’arrêter une seconde. Il entendait le géant au dessus de lui qui criait et soufflait et arrachait les branches.
Il arriva au sol avant que le géant ne l’ait rattrapé et courut jusque chez lui devant sa mère éberluée. Il prit une hache et retourna au haricot géant qu’il se mit à couper aussi vite qu’il pouvait. La plante était fragile, et quand elle fut complètement coupée, elle tomba, entraînant dans sa chute le géant, qui mourut sur le coup.
Depuis ce jour, Jack et sa mère n’eurent plus jamais à se soucier de la nourriture et devinrent même riches grâce à la poule et à la harpe.
Un conte de Noël
D’après l’œuvre de Charles Dickens, A Christmas Carol (Un chant de Noël). Illustrations d’Arthur Rackham
Il y avait une fois, dans la grande ville de Londres, un vieux banquier qui s’appelait Ebenezer Scrooge. Il était très riche, mais il était surtout très avare, égoïste et grognon.
Scrooge était méchant et méprisant avec tout le monde et n’aidait jamais personne. Son seul employé, Bob Cratchit, devait travailler dans le froid toute la journée car Scrooge ne voulait pas payer le chauffage.
C’était la veille de Noël et une fois de plus, il avait refusé l’invitation de son neveu Fred à venir passer le réveillon dans sa famille, car il détestait les fêtes. « Les fêtes sont pour les paresseux! » Disait-il. Il reprocha même à Bob Cratchit de lui demander une avance sur son salaire pour acheter la dinde du réveillon, en disant qu’il exagérait déjà trop de ne pas venir travailler le jour de Noël.
Il ne savait que travailler : Comptant, calculant et amassant son immense fortune toute la journée, gardant tout pour lui, ne partageant ni son argent, ni son temps avec personne, et encore moins depuis que son associé Jacob Marley était mort il y a sept ans.
Après avoir fermé la boutique, il rentra dans son vieil appartement délabré et sale. Il cru d’abord apercevoir la tête de son ancien associé mort Jacob Marley à la place du pommeau de la porte d’entrée et il entra vite en essayant de l’oublier.
Il s’apprêtait à manger son maigre dîner auprès du faible et unique feu de cheminée qui lui servait de chauffage, avant d’aller se coucher comme tous les soirs, lorsque lui apparut le fantôme – cette fois pour de bon – qui le fit presque mourir de peur. C’était le spectre de son ancien associé Jacob Marley, qui se mit à lui parler ainsi avec une voix d’outre-tombe:
– Ebenezer! Regarde donc ce que tu es devenu, un vieux crouton rance qui ne pense plus qu’en Livres Sterling ! Tu étais plus drôle et gentil quand nous ouvrîmes notre première affaire il y a cinquante ans. Si tu continues comme cela, tu seras condamné à traîner tes livres de comptes, tes dossiers, tes coffres et tes clés pour le restant de tes jours et probablement au delà de la mort! Change ta vie! Redevient un homme meilleur! Soit bon et généreux avec les autres, rit et amuse-toi avec eux! »
Le vieux Scrooge était si effrayé de revoir son ancien associé qu’il resta sans rien dire avec la bouche ouverte.
– Écoute-moi bien, reprit le fantôme. Cette nuit tu recevras la visite de trois esprits, les trois esprits de Noël, celui du Noël passé, celui du Noël présent, et celui du Noël futur. Ce sera ta dernière chance de te sauver. Alors prête leur bien attention et agit en conséquence !
Et sur ces mots il disparut.
Il se mit au lit en tremblant, et peu après, le fantôme du Noël passé lui apparut. Il emmena Ebenezer Scrooge dans un voyage vers sa jeunesse dorée. Le vieil homme se reconnu en train de fêter Noël gaiement avec ses parents et ses amis: Il avait l’air si heureux. Puis il vit d’autres Noëls plus récents et beaucoup plus tristes et les terribles méchancetés qu’il avait commis alors.
Puis vint le fantôme du Noël présent qui lui montra une pauvre pièce joliment décorée avec du houx, du lierre et du gui. Il y avait là une table avec des saucisses, des pommes de terres, quelques poires, des pommes, des oranges et des gâteaux. C’était le logis de son employé Bob Cratchit et sa famille. Bob, sa femme et ses deux enfants étaient assis à la table. C’était là un bien maigre repas de fête, mais ils se réjouissaient tous et disaient que c’était le dîner de Noël le plus merveilleux qu’ils aient jamais vu.
Bien que pauvres, ils étaient heureux et s’aimaient tendrement. Ils l’aperçurent et l’invitèrent à s’assoir et à dîner avec eux. Mais Scrooge avait trop honte car, en plus, il avait aperçu le petit Tim, leur fils, qui était bien malade car les parents n’avaient pas assez d’argent pour payer le docteur. « Regarde! » Dit le fantôme « le petit garçon mourra bientôt si ils ne trouvent pas l’argent nécessaire pour payer le docteur. »
– Emmène-moi ailleurs; s’il te plaît, je n’en peux plus ! Supplia le vieil avare.
Le troisième fantôme était celui du Noël futur.
Il emmena Ebenezer Scrooge dans un cimetière où il lui montra une tombe abandonnée. Il y avait son nom inscrit sur la pierre.
– Oh monsieur le fantôme ! Dit le vieillard apeuré. « Je vais changer de vie, je vous le promet! Je serai aimable et généreux à partir de maintenant! »
Alors le fantôme disparut.
Quand Scrooge se réveilla le lendemain, il se rappela des trois fantômes et ce qu’ils lui avaient montré. C’était le matin de Noël et il pensa: « Quelle merveilleuse matinée ! »
Il sauta du lit et sourit pour la première fois depuis fort longtemps. Il s’habilla vite, sortit dans la rue, et alors qu’il marchait, il lançait des pièces à chaque mendiant qu’il voyait en leur souhaitant un joyeux Noël!
Il acheta toute sorte de plats et desserts délicieux et de nombreux cadeaux et se dirigea vers le pauvre logis de son employé Bob Cratchit. Il leur offrit tout ce qu’il avait acheté sur la route et leur donna l’argent pour que le médecin guérisse leur fils. Il ne s’était jamais senti aussi heureux de toute sa vie!
Alors, il reprit son chemin jusqu’à la maison de son neveu Fred pour célébrer Noël avec lui et sa famille.
Les fantômes de Noël et de son vieil associé avait réussit l’impossible: Changer la vie d’Ebenezer Scrooge qui fut désormais généreux et heureux jusqu’au dernier de ses jours.
Ali-Baba et les quarante voleurs
et les Quarante Voleurs─────*─────
Il y avait une fois, dans une ville de Perse, deux frères nommés Kassim et Ali-Baba. Kassim était riche tandis qu’Ali-Baba était pauvre. Pour gagner sa vie et celle de ses enfants, il allait couper du bois dans la forêt voisine, et le ramenait à la ville, pour le vendre, chargé sur trois ânes qui constituaient toute sa fortune.
Un jour Ali-Baba achevait de couper sa charge de bois lorsqu’il distingua une troupe de cavaliers qui s’avançaient dans sa direction. Craignant d’avoir affaire à des voleurs, il abandonna ses ânes et monta sur un gros arbre touffu.
Les cavaliers mirent pied à terre, ils étaient quarante. Le chef de la bande se dirigea vers un rocher situé près du gros arbre où Ali-Baba s’était réfugié, écarta les broussailles et prononça :
« Sésame, ouvre-toi ! » Aussitôt, une porte s’ouvrit, les brigands s’y engouffrèrent, le chef entra le dernier et la porte se referma sur lui.
Après un bon moment, la porte se rouvrit, livrant passage aux quarante voleurs. Quand ils eurent tous défilé, le chef dit solennellement : « Sésame, referme-toi ! » Et la porte se referma.
Sur ce, chacun enfourcha son cheval, et la bande disparut. Aussitôt Ali-Baba quitta sa cachette, écarta les broussailles et découvrit une porte. Il se rappelait la phrase magique :
« Sésame, ouvre-toi ! » prononça-t-il.
Instantanément, la porte s’ouvrit et Ali-Baba aperçut une immense grotte, emplie de marchandises et surtout de pièces d’or et d’argent empilées dans de grands sacs de cuir. Sans perdre de temps, il réunit autant de sacs d’or que pouvaient en porter ses trois ânes. Quand ils furent chargés, il prononça la formule magique :
« Sésame, referme-toi ! « Et la porte obéit.
Content de son aubaine, Ali-Baba revint chez lui et, devant sa femme, vida le contenu des sacs, qui fit un gros tas d’or. Celle-ci désireuse d’évaluer ce trésor, alla demander à la femme de Kassim de lui prêter une mesure ; mais cette dernière désireuse de savoir quelle sorte de grain la femme d’Ali-Baba entendait mesurer, enduisit le dessous de la mesure d’une légère couche de suif.
En rentrant chez elle, la femme d’Ali-Baba posa la mesure sur le tas d’or, qu’elle se mit en devoir d’évaluer, puis, reporta celle-ci à sa belle-sœur. Le premier soin de la femme de Kassim fut de regarder le dessous de la mesure ; et quelle ne fut pas sa surprise en voyant une pièce d’or attachée à la couche de suif. Son mari ne fut pas plus tôt auprès d’elle qu’elle le mit au courant de sa découverte. Aussitôt Kassim alla trouver son frère qui, cédant à son bon naturel, l’instruisit des paroles indispensables pour pénétrer dans la grotte et pour en sortir.
Le lendemain, de bon matin, Kassim quitta sa maison avec toute une troupe de mulets chargés de grands coffres pour s’emparer du trésor. « Sésame, ouvre-toi ! » prononça-t-il quand il eut trouvé la porte. Elle s’ouvrit, puis se referma dès qu’il fut entré.
Kassim tomba dans une profonde admiration, en face des richesses accumulées en ce lieu. Puis s’emparant d’autant de sacs d’or monnayé qu’il put en porter, il se dirigea vers la porte pour sortir, mais il ne se souvint plus de la phrase exacte et dit : « Orge, ouvre-toi ! »
La porte ne s’ouvrit pas. Kassim en conçut un tel effroi qu’il lui fut impossible de retrouver le mot magique. Soudain, il perçut le bruit d’un galop de chevaux. Il s’avança tout près de la porte et, dès qu’elle s’ouvrit, sortit si brusquement qu’il renversa le chef des voleurs ; mais les brigands se jetèrent sur lui, et l’exterminèrent sans pitié. Ils pénétrèrent ensuite dans leur repaire et remirent en place les sacs abandonnés par Kassim, sans s’apercevoir qu’il en manquait d’autres. Puis, ils coupèrent en quatre le cadavre et retournèrent à leurs exploits.
Cependant, à la nuit close, la femme de Kassim, ne voyant pas revenir son mari, s’alarma et alla chez Ali-Baba qui partit immédiatement avec ses trois ânes. En arrivant près du rocher, il aperçut une large tache de sang devant la porte. Il prononça les paroles miraculeuses, la porte s’ouvrit et il vit le corps de son frère affreusement dépecé. Il réunit ses restes en deux paquets, qu’il chargea sur un de ses ânes, en les dissimulant avec du bois. Sur les deux autres bêtes, il mit des sacs pleins d’or, et reprit le chemin de la ville.
Il laissa à sa femme le soin de décharger les deux ânes qui portaient l’or et conduisit le troisième chez sa belle-sœur. Il fut reçu par Morgiane, une
esclave adroite et ingénieuse.
— Morgiane, lui dit-il, ces deux paquets renferment le corps de ton maître, et cependant il faut que nous le fassions enterrer comme s’il était mort de sa belle mort.
L’esclave alla aussitôt chez un apothicaire, pour chercher une certaine tablette au pouvoir souverain dans les maladies les plus dangereuses.
— Qui donc est souffrant chez votre maître ? demanda l’apothicaire.
— Hélas, répondit-elle, en soupirant profondément, c’est mon bon maître, Kassim lui-même, il ne parle plus, ne mange plus, et personne ne comprend rien à sa maladie !
Le lendemain, Morgiane revint chez ce même apothicaire et demanda un remède qu’on ne donne qu’aux mourants. D’autre part, on vit Ali-Baba et sa femme aller et venir de leur maison à la maison de Kassim, et leur attitude décelait une grande affliction. On ne fut donc pas surpris outre mesure, vers le soir, en entendant les cris lamentables de la femme de Kassim et surtout de Morgiane, qui faisaient connaître ainsi la mort de leur maître.
À l’aube du jour suivant, l’esclave alla trouver un vieux savetier, Baba-Mustafa, dont la boutique était toujours ouverte avant toutes les autres, et le conduisit chez Kassim, après lui avoir bandé les yeux à mi-chemin. Elle ne retira le mouchoir que dans la chambre où gisait la dépouille de
son maître.
— Baba-Mustafa, dit-elle alors, je vous ai amené ici pour coudre les quatre pièces que voilà. Dépêchez-vous, quand vous aurez terminé, je vous donnerai trois pièces d’or.
Quand le travail fut achevé, elle recommanda à Baba-Mustafa de garder le secret, lui rebanda les yeux et l’accompagna jusqu’à l’endroit où elle lui avait mis le mouchoir en l’amenant. Là, elle ôta le bandeau et laissa aller le vieillard.
Le corps de Kassim fut enseveli avec le cérémonial habituel et, quelques jours plus tard, Ali-Baba s’installa dans la maison de son frère.
Quand les quarante voleurs revinrent à leur repaire, ils furent désagréablement surpris en s’apercevant que le corps de Kassim avait disparu et que le nombre de leurs sacs avait sensiblement diminué.
— Le voleur que nous avons châtié n’était pas le seul à connaître notre secret, dit le chef des brigands. Il faut donc qu’après avoir exécuté l’un nous exécutions l’autre. La mort étrange de celui que nous avons exterminé n’a pas dû passer inaperçue dans la ville, il faudrait donc recueillir les bruits qui circulent à ce sujet, savoir le nom de notre victime et connaître sa demeure. Celui de vous qui se chargera de cette tâche délicate devra se soumettre à la peine de mort, dans le cas où il commettrait une erreur capable de causer notre ruine à tous.
Aussitôt l’un des brigands s’avança et se déclara prêt à entreprendre cette enquête. Il se déguisa et gagna la ville, où il entra au petit jour. Une seule boutique était ouverte, celle de Baba-Mustafa ; il s’y présenta à tout hasard.
— Brave homme, dit-il après lui avoir souhaité le bonjour, vous vous mettez au travail de bien bonne heure… Cependant vos yeux ne doivent plus être assez bons pour que vous puissiez coudre !
— Il n’y a pas bien longtemps, répondit le savetier, j’ai cousu un mort en un endroit où il ne faisait pas beaucoup plus clair qu’en ce moment-ci !
Persuadé qu’il était en bonne voie, le voleur tira une pièce d’or de sa poche et, la remettant à Baba-Mustafa, le pria de lui indiquer dans quelle maison il avait cousu le mort.
— Cela m’est impossible, dit Baba-Mustafa, pour la bonne raison qu’on m’a bandé les yeux, à un certain endroit du chemin ; de là on m’a conduit dans la maison, et l’on m’en a ramené de la même manière.
— Écoutez, reprit le voleur ; venez avec moi jusqu’à l’endroit où l’on vous a bandé les yeux. Je vous les banderai à mon tour, et sans nul doute, vous vous souviendrez alors des tours et des détours qu’on vous fit prendre. Voici d’ores et déjà une autre pièce d’or.
Baba-Mustafa ne put résister à la tentation et conduisit le voleur devant la maison de Kassim, qui appartenait maintenant à Ali-Baba. Le brigand traça hâtivement une marque à la craie sur la porte, puis, retirant le mouchoir qui bandait les yeux du savetier :
— Sais-tu qui habite en cette maison ?
— Je ne suis pas du quartier, répondit Baba-Mustafa, et ne puis par conséquent vous renseigner…
Le voleur remercia le vieillard et ils se séparèrent. Presque aussitôt, Morgiane sortit de la demeure d’Ali-Baba. Elle aperçut la marque tracée sur la porte.
— Qu’est-ce que cela signifie ? pensa-t-elle. Dans quel but a-t-on fait cette marque ? En tout cas on ne saurait prendre trop de précautions.
Toujours avisée, elle marqua de la même façon et au même endroit, avec de la craie, les deux ou trois portes qui précédaient et suivaient celle de la maison d’Ali-Baba, et qui étaient absolument semblables. Elle n’en parla ni à son maître, ni à sa maîtresse.
Pendant ce temps, le voleur avait rejoint sa troupe dans la forêt et sans
perdre de temps ils entrèrent dans la ville. Le chef des voleurs, guidé par celui qui avait dirigé l’enquête, arriva devant la première porte marquée par Morgiane.
— C’est ici ! dit-il à son maître.
Mais comme ils continuaient à chevaucher, afin de ne pas attirer l’attention sur eux, le chef fit remarquer à son sous-ordre que les quatre ou cinq portes suivantes portaient la même marque.
— Pourtant, capitaine, je n’en ai marqué qu’une seule ! Malheureusement, il m’est impossible de la distinguer des autres.
L’entreprise ayant avorté, les quarante voleurs revinrent dans la forêt ; séance tenante, le conducteur de l’enquête eut la tête tranchée. Aussitôt l’un d’eux proposa de reprendre la tâche de celui qui venait de périr, et il s’en fut à la ville.
Tout se passa de la même manière que la première fois : il corrompit Baba-Mustafa, qui le conduisit à la demeure d’Ali-Baba. Comme son prédécesseur, il fit une marque à la porte mais, au lieu d’employer de la craie, il la traça au crayon rouge et dans un endroit moins apparent.
Comme la veille, Morgiane sortit de la maison quelques instants après et, quand elle y rentra, la marque rouge frappa sa vue. Elle s’empressa d’aller marquer les portes voisines.
La tentative des brigands échoua de nouveau, et ils se retirèrent dans la forêt où le voleur qui avait commis la méprise subit le même châtiment que son camarade.
Le chef de la bande résolut alors de conduire lui-même l’enquête. Quand Baba-Mustafa l’eut amené devant la maison d’Ali-Baba, il l’examina si minutieusement qu’il fut bien sûr de la reconnaître.
Ses hommes l’attendaient dans la grotte. Il les chargea d’acheter dix-neuf mulets et trente-huit outres dont une seule remplie d’huile. Dans chacune des trente-sept outres vides frottées d’huile à l’extérieur, afin que personne ne doutât qu’elles ne fussent pleines, le chef fit entrer un des voleurs et conduisit le convoi tout droit à la maison d’Ali-Baba. Justement celui-ci prenait le frais à sa porte, après le dîner.
— Seigneur, lui dit-il, j’arrive de bien loin avec ce chargement d’huile que j’irai vendre demain au marché. Il est tard, je ne sais où me loger et je vous serais très obligé, si cela ne vous dérange pas trop, de vouloir bien me recevoir chez vous !
— Entrez ! répondit Ali-Baba sans hésitation, soyez le bienvenu.
Il commanda à un de ses esclaves de mettre les mulets à l’abri. Ensuite, il pria Morgiane de préparer à souper pour son hôte, et lui tint même compagnie tout le long du repas. Le dîner terminé, Ali-Baba alla à la cuisine et dit à Morgiane :
— Demain j’irai au bain avant le jour, fais-moi donc un bon bouillon, que je prendrai à mon retour !
Pendant ce temps, le chef des brigands s’était glissé dans la cour.
— Lorsque je jetterai des petites pierres de la chambre où je suis logé, dit-il tout bas à chacun, vous fendrez l’outre du haut en bas avec le couteau dont vous êtes armés. Vous en sortirez aussitôt…
Quant à Morgiane, elle mit le pot-au-feu pour faire le bouillon. Elle était en train de l’écumer, quand la lampe s’éteignit ; elle s’aperçut que sa provision d’huile était épuisée, ainsi que la chandelle. Elle résolut de prendre un peu d’huile dans l’une des outres de l’hôte de son maître.
Elle alla dans la cour et s’approcha du premier récipient ; mais elle demeura stupéfaite en entendant une voix étouffée qui demandait :
« Est-ce le moment ? »
Morgiane s’aperçut que cette question partait de l’intérieur de l’outre ; et, sans perdre sa présence d’esprit, elle répondit tout bas : « Non, pas encore… mais bientôt ! » À chaque outre elle reçut la même question et fit la même réponse. Quand elle fut à la dernière — la seule qui fût pleine d’huile — elle en emplit son vase et revint à la cuisine, persuadée que son maître avait donné asile à trente-huit voleurs.
Elle ralluma sa lampe, prit une grande chaudière et retourna dans la cour pour l’emplir d’huile à son tour. Puis elle la mit sur un grand feu, afin que le liquide bouillît rapidement et, dans chacune des outres contenant un voleur, elle versa l’huile toute bouillante, leur enlevant ainsi la vie sans qu’ils eussent le temps de se défendre.
Elle accomplit cela sans faire le moindre bruit, après quoi elle éteignit sa lampe et se posta à la fenêtre de la cuisine, pour observer ce qui allait se passer. Elle n’était pas là depuis un quart d’heure que le chef des voleurs donna le signal convenu en jetant des petites pierres. Ne percevant aucun bruit, il se précipita dans la cour, et, approchant des outres, une odeur d’huile chaude et de brûlé lui saisit les narines. Il comprit que son entreprise venait d’échouer une fois encore et qu’il n’avait plus qu’à fuir.
Au retour du bain, Ali-Baba ne manqua pas de se trouver surpris en voyant les outres d’huile dans la cour. Morgiane raconta alors à son maître ce qu’elle avait fait pendant la nuit, et le mit au courant des marques tracées sur la porte.
— Tout ceci, dit-elle en terminant, est l’œuvre des brigands de la forêt… Ce que je ne m’explique pas, c’est qu’il en manquait deux… Il faut donc vous méfier encore…
— Morgiane, répartit Ali-Baba, je n’oublierai jamais que je te dois la vie… Et, en attendant, je t’affranchis de l’esclavage !
Aidé par Morgiane, Ali-Baba creusa au bout de son jardin une fosse immense, dans laquelle il enterra les corps des trente-sept voleurs, afin de ne pas éveiller l’attention de ses voisins ; puis il cacha les outres et les armes et fit vendre les mulets sur divers marchés.
Cependant le chef des voleurs ne se tint pas pour battu, et, de retour à la grotte, songea aux nouveaux moyens qu’il allait employer pour se débarrasser d’Ali-Baba. Dès le lendemain, il revint à la ville et se logea dans un khan (bazar), où il transporta de riches étoffes et des toiles fines qu’il trouva dans son repaire de la forêt. Puis il loua une boutique vis-à-vis de celle occupée naguère par Kassim et actuellement par le fils d’Ali-Baba.
Le chef des voleurs qui se faisait appeler Khodjah Houssain, ne tarda pas à se lier avec le jeune homme. Il poussa l’amabilité jusqu’à lui faire des cadeaux et des invitations. Le fils d’Ali-Baba se crut naturellement obligé de lui rendre ses politesses. Il consulta son père, qui lui dit de s’arranger pour faire le lendemain une promenade avec Khodjah Houssain et, au retour, de l’inviter à prendre place à sa table, ce qu’il fit, mais Houssain refusa de rester à souper, prétextant qu’il ne mangeait aucun mets salé.
— Qu’à cela ne tienne, reprit Ali-Baba, je vais donner les ordres nécessaires. Et il s’esquiva pour donner de nouveaux ordres à Morgiane.
Celle-ci ne cacha pas son mécontentement et se promit bien de connaître cet homme qui ne mangeait pas de sel. Dans ce but, elle aida Abdallah, l’esclave d’Ali-Baba, à porter les plats sur la table et elle reconnut tout de suite, malgré son déguisement, le chef des quarante voleurs, qui dissimulait un poignard sous son habit.
Je m’explique, maintenant, pourquoi le misérable ne veut pas manger de sel avec mon maître [1], il médite quelque mauvais coup… Heureusement, je suis là pour l’empêcher d’accomplir son dessein ! se dit Morgiane.
Elle se vêtit d’un costume de danseuse, et noua autour de sa taille une ceinture d’argent doré, où elle passa un poignard et, accompagnée d’Abdallah avec son tambour basque, pénétra dans la salle et exécuta plusieurs danses. Pour terminer, elle tira le poignard de sa ceinture et imagina des figures d’une diversité surprenante, feignant tour à tour de vouloir frapper un invisible spectateur.
Enfin, elle prit de la main gauche le tambour de basque des mains d’Abdallah, et le présenta à Khodjah tandis que, dans sa main droite, elle tenait le poignard. Khodjah Houssain avait déjà tiré sa bourse et se préparait à l’ouvrir quand Morgiane, en possession de tout son courage lui enfonça le poignard dans le cœur, si profondément que la mort fut instantanée.
Dégrafant l’habit de Khodjah Houssain, elle montra à Ali-Baba le poignard dont il était armé.
— Comprenez-vous, maintenant, pourquoi votre hôte refusa de manger du sel avec vous ? Et ne reconnaissez-vous pas en lui le faux marchand d’huile, le chef des quarante voleurs ?
— Morgiane, répliqua Ali-Baba, je t’ai promis une récompense digne de tes bienfaits : je te choisis pour belle-fille !
Le fils d’Ali-Baba consentit volontiers à épouser Morgiane, et leurs noces furent célébrées quelques jours après.
Le faux Khodjah Houssain fut enterré secrètement dans la fosse qui contenait les corps de ses trente-sept complices.
Ali-Baba, ignorant toujours ce qu’étaient devenus les deux voleurs qui complétaient la bande, se garda de retourner à la grotte enchantée. Cependant, au bout d’un an, il entreprit le voyage en s’entourant de mille précautions. Il se présenta devant la porte et prononça le : « Sésame, ouvre-toi » ; aussitôt la porte s’ouvrit et un coup d’œil lui suffit pour se rendre compte que personne n’était entré depuis la mort du chef des brigands.
Et c’est ainsi que, de père en fils, dans la famille d’Ali-Baba, on se transmit le secret de ce fabuleux trésor, grâce auquel lui et ses descendants vécurent dans le luxe et la splendeur.
- ↑ En effet, il est une tradition chez les Arabes et les Musulmans qui veut qu’on ne mange pas de sel avec ses ennemis.
Les deux frères – Chapitre I
Un conte des frères Grimm développé par Alexandre Dumas. Illustration de Stanisław Wyspiański (1896)
Il y avait une fois deux frères, l’un riche et l’autre pauvre.
Celui qui était riche était orfèvre et avait le cœur aussi dur que la pierre sur laquelle il touchait son or.
Celui qui était pauvre gagnait sa vie à faire des balais ; celui là était bon et honnête.
Le pauvre avait deux enfants, deux fils ; le riche n’en avait pas.
Ces deux fils étaient jumeaux et se ressemblaient au point que, dans leur enfance, leurs parents avaient dû adopter un signe pour les reconnaître.
Ils allaient et venaient souvent dans la maison du riche, et ils attrapaient parfois quelques miettes de sa table.
Or, il arriva que le pauvre, allant un jour au bois pour chercher de la bruyère, vit un oiseau d’or si beau, que jamais il n’en avait vu de semblable.
Il ramassa une pierre, la lui jeta, et atteignit l’oiseau. Mais, comme il l’avait atteint au bout de l’aile, et au moment où l’oiseau étendait cette aile pour s’envoler, il n’en tomba qu’une plume. Seulement, cette plaine était d’or.
Le pauvre faiseur de balais la ramassa et la porta chez son frère, qui l’examina, la toucha à la pierre d’épreuve, et dit :
— Elle est d’or pur, sans aucun alliage !
Et il lui donna beaucoup d’argent pour sa plume.
Le lendemain, le pauvre grimpa sur un bouleau pour en couper quelques brandies. Mais voilà que le meme oiseau qu’il avait vu la veille s’envola une seconde fois.
Alors il chercha soigneusement dans l’arbre et trouva son nid, lequel contenait un œuf qui était d’or, comme l’oiseau.
Il emporta cet œuf à la maison et le montra à son frère, qui lui dit encore :
— C’est de l’or pur et sans aucun alliage !
Et il lui en donna scrupuleusement la valeur ; seulement, il lui dit :
— Je voudrais bien avoir l’oiseau lui- même ; je t’en donnerais un bon prix.
Le pauvre retourna le lendemain au bois et vit l’oiseau d’or perché sur un arbre.
Il prit une pierre, le visa de son mieux, l’atteignit, et, cette fois, le tua roide.
L’oiseau tomba à terre. Le pauvre faiseur de balais le ramassa et le porta à son frère.
— Tiens, lui dit-il, voilà l’oiseau que tu m’as demandé.
L’orfévre lui en donna vingt pièces d’or.
Le pauvre marchand de balais rentra tout joyeux à la maison ; il avait de quoi vivre pendant un an ; aussi ne fit-il pas un seul balai de toute l’année.
L’orfévre était instruit et rusé ; il connaissait la légende de l’oiseau d’or.
Il appela sa femme et lui dit :
— Fais-moi rôtir l’oiseau d’or et aie soin que rien ne s’en perde. J’ai grande envie de le manger tout entier et à moi tout seul.
L’oiseau , comme vous vous en doutez bien, mes chers enfants, n’était pas un oiseau ordinaire, et celui qui mangeait son foie et son cœur était sûr de trouver, chaque matin en s’éveillant, deux pièces d’or sous son oreiller.
La femme arrangea l’oiseau convenablement, l’embrocha et le fit rôtir.
Or, il arriva que, tandis que l’oiseau rôtissait, la femme ayant été obligée de sortir pour une course nécessaire, les deux enfants du pauvre faiseur de balais vinrent chez leur oncle, entrèrent dans la cuisine et, craignant que l’oiseau de leur oncle ne brûlât, lui firent faire quelques tours de broche.
Et, comme il tomba, pendant un des tours qu’opérait le rôti, deux morceaux de l’oiseau dans la lèchefrite :
— Bon! dit le plus âgé au plus jeune; tout ce qui tombe dans le fossé est pour le soldat.
Alors chacun des deux enfants prit un morceau et le mangea.
Sur ces entrefaites, la femme rentra, et leur vit mâcher quelque chose.
— Qu’avez-vous mangé? leur demanda- t-elle.
— Deux morceaux qui sont tombés de l’intérieur de l’oiseau, lui répondirent-ils.
— C’est le cœur et le foie ! s’écria la femme fort effrayée.
Et, pour que son mari ne devinât rien, elle tua vite un pigeon, et en enferma le cœur et le foie dans l’oiseau d’or.
Dès que l’oiseau fut cuit, elle le porta à l’orfévre, qui le mangea tout entier, sans en rien laisser ; mais, le lendemain matin, lorsqu’il visita son oreiller pour y trouver les deux pièces d’or, à son grand étonnement, il n’y trouva rien de plus que de coutume.
Quant aux deux enfants, ils ignoraient quel bonheur leur était échu en partage. Mais, le lendemain matin du jour où ils avaient mangé, l’un le foie, l’autre le cœur de l’oiseau d’or, ils firent, en se levant, tomber à terre quelque chose qui sonna.
Ils ramassèrent ce qui était tombé, et il se trouva que c’étaient deux pièces d’or. Ils les apportèrent à leur père, qui s’en étonna et dit :
— Comment cela s’est-il fait? Mais quand, le lendemain, ils trouvèrent encore deux autres pièces d’or, puis le lendemain, puis le surlendemain, et ainsi de suite chaque matin, le marchand de balais alla trouver son frère l’orfévre et lui raconta cette étrange histoire.
L’orfévre devina à l’instant même comment la chose avait eu lieu, et que les enfants avaient mangé, l’un le cœur, l’autre le foie de l’oiseau d’or.
Et, pour se venger et parce qu’il était jaloux et cruel, il dit au père :
— Tes enfants sont en rapport avec le démon ; cet or te porterait malheur ; ne les garde donc pas plus longtemps chez toi : après s’être attaqué à eux, Satan s’attaquerait à toi.
— Mais que veux-tu que je fasse de ces deux pauvres innocents, frère ? dit-il à l’orfévre.
— Perds-les dans la forêt. Si le diable n’a rien à faire dans ce qui leur arrive, Dieu saura bien les protéger ; si, au contraire, ils appartiennent à Satan, eh bien, ils débrouilleront leur affaire avec lui.
Quoique ce fût une grande douleur pour lui, le pauvre marchand de balais suivit le conseil de l’orfévre.
Il conduisit ses enfants dans le bois et les abandonna à l’endroit où le fourré était le plus épais.
Bientôt, les deux enfants s’aperçurent que leur père n’était plus là, et, essayant de regagner la maison, reconnurent qu’ils étaient perdus.
Plus ils marchèrent, plus ils s’enfoncèrent dans la forêt.
Ils marchèrent toute la nuit, appelant et criant ; mais la seule réponse qu’ils obtinrent furent les hurlements des loups, le glapissement des renards et les cris des chats-huants.
Le matin, enfin, ils rencontrèrent un chasseur, qui leur demanda :
— A qui appartenez-vous, mes enfants?
— Hélas ! monsieur, répondirent-ils, nous sommes les fils d’un pauvre faiseur de balais, qui n’a pas voulu nous garder dans sa maison parce que, chaque matin, nous trouvions, mon frère et moi, une pièce d’or sous notre oreiller.
— Bon! dit le chasseur, il me semble cependant qu’il n’y a pas grand mal à cela, si toutefois vous restez honnêtes, et que cette pièce d’or ne soit pas cause que chacun de vous couche dans la peau d’un paresseux.
— Monsieur, dirent les deux enfants, nous sommes honnêtes et ne demandons pas mieux que de travailler.
— Eh bien, venez avec moi, dit le brave homme, je serai votre père et vous élèverai.
Et, comme il n’avait pas d’enfants, il les recueillit chez lui et tint la promesse qu’il leur avait faite.
Alors ils apprirent à chasser et devinrent les meilleurs tireurs de tout le canton.
En outre, comme tous les matins chacun des deux jeunes gens trouvait une pièce d’or sous son oreiller, le chasseur mettait soigneusement cette pièce d’or de côté, afin qu’un jour, et au besoin, chacun retrouvât son petit trésor.
Quand ils furent grands, et que leur réputation de chasseurs fut faite, leur père nourricier les emmena un jour avec lui au bois.
— Aujourd’hui, dit-il, chacun de vous va tirer son coup d’honneur, afin que je puisse vous reconnaître chasseurs et vous donner votre liberté.
Et ils allèrent ensemble à l’affût.
Mais ils attendirent longtemps ; le gibier ne se montra point.
Le vieux chasseur regarda en l’air et aperçut toute une longue bande d’oies sauvages volant sous la forme d’un triangle.
— Allons, dit-il à l’aîné, qui se nommait Wilfrid, abats l’oie qui vole à chaque extrémité.
Wilfrid mit en joue, fit feu, et abattit les deux oies indiquées par le père nourricier.
Ainsi il avait fait son coup d’honneur.
Un instant après, une autre bande d’oies se montra : elle volait sur une seule ligne.
— A ton tour, dit le père nourricier en s’adressant au cadet, qui se nommait Gottlieb, abats-moi la première et la dernière de ces oies. Et Gottlieb fît deux fois feu, et à chaque fois abattit l’oie désignée.
Lui aussi avait fait son coup d’honneur.
Le père nourricier dit aux deux frères :
— Vous avez terminé votre apprentissage de chasseurs, vous êtes libres.
Les deux jeunes gens alors s’écartèrent de leur père nourricier et échangèrent quelques mots à voix basse.
Puis ils revinrent avec lui à la maison.
Mais, quand le soir fut venu, et qu’on les appela pour souper, Wilfrid, prenant la parole en son nom et en celui de son frère, dit au vieux chasseur :
— Père, nous ne toucherons à aucun aliment avant que vous nous avez accordé une demande.
— Et quelle est cette demande? fit le vieux chasseur.
Wilfrid répondit :
— Voilà que, de votre aveu, nous avons fait notre apprentissage de chasseurs. Nous voulons maintenant voir le monde ; permettez-nous donc, à mon frère et à moi, de partir et de voyager.
Le vieillard eut à peine entendu ces paroles, qu’il s’écria joyeusement :
— Vous parlez comme de vrais chasseurs, et ce que vous désirez a été mon propre souhait. Partez donc, et je vous prédis qu’il vous arrivera bonheur.
Alors ils burent et mangèrent joyeusement. Quand le jour désigné pour le départ fut arrivé, le vieux chasseur donna à chacun de ses fils adoptifs un bon fusil à deux coups, et lui dit de prendre dans le trésor commun autant de pièces d’or qu’il voudrait.
Puis il les accompagna un bout de chemin; mais, arrivé à l’endroit où il était décidé à les quitter, il leur donna, avant de prendre congé d’eux, un beau couteau dont la lame était brillante et sans aucune tache, et leur dit :
— Si vous devez vous séparer un jour, mes chers enfants, enfoncez ce couteau dans un arbre, à l’endroit où les routes se sépareront, et, quand l’un de vous reviendra par ce chemin, il pourra voir comment les choses auront été pour son frère, car, si l’un des deux est mort, le côté de la lame tourné vers la route que celui-là aura suivie sera tout rouillé, tandis qu’au contraire, tant que vous vivrez tous deux, la lame restera pure et brillante.
Wilfrid prit le couteau ; puis tous deux embrassèrent leur père nourricier et continuèrent leur route.
Le soir, ils arrivèrent à une forêt si grande, qu’ils n’eurent pas même l’idée de chercher à la traverser le même jour. Ils s’assirent donc au pied d’un arbre, mangèrent ce qu’ils avaient apporté dans leur carnier et dormirent à la belle étoile.
Le lendemain, ils se remirent en marche; mais ils eurent beau ne point s’arrêter de la journée, le soir, vers cinqheures, ils n’étaient pas encore arrivés à l’extrémité de la forêt.
Ce jour-là, comme les carniers étaient vides, l’un dit à l’autre :
— Il faut nous décider à tuer un animal quelconque pour nous nourrir, ou nous allons passer une mauvaise nuit.
Il chargea alors son fusil, et, battant les broussailles du pied , il en fit sortir un lièvre.
Il mit le lièvre en joue et allait tirer, quand le lièvre lui cria :
— Mon bon chasseur, laisse-moi la vie et je te donnerai deux levrauts.
C’était un peu lâcher la réalité pour l’ombre; mais enfin le jeune homme se fia à la parole du lièvre, qui rentra dans le bois, et, un instant après, lui ramena, en effet, deux jeunes lièvres.
Mais ils étaient si gentils et jouaient si gracieusement ensemble, que les chasseurs ne purent se décider à les tuer ; ils les gardèrent donc près d’eux, et les levrauts reconnaissants, les suivirent, marchant sur leurs talons, comme deux chiens.
Cependant il fallait manger, et, quoique les deux jeunes gens eussent un peu calmé leur faim avec quelques glands doux, l’un d’eux, ayant fait lever un renard, le mit en joue.
Mais le renard lui cria :
— Oh ! mon bon chasseur, laisse-moi la vie et je te donnerai deux renardeaux.
Le chasseur pensa que deux renardeaux seraient meilleurs à manger qu’un vieux renard. Il lui fit signe, en abaissant son fusil, qu’il consentait à l’échange, et, un instant après, le renard lui amena deux petits.
Mais, au moment de les tuer, le cœur manqua aux jeunes chasseurs, et ils les donnèrent pour compagnons aux deux levrauts, se contentant pour leur souper de quelques châtaignes, qu’ils abattirent d’un arbre.
D’ailleurs, ils étaient bien décidés à tuer le premier animal qu’ils rencontreraient.
Ce premier animal fut un loup.
Un des deux jeunes gens allait le tuer, en effet, quand le loup lui cria :
— Oh ! mon bon chasseur, laisse-moi la vie, et je te donnerai deux louveteaux.
Les jeunes gens acceptèrent l’échange, et les deux louveteaux furent adjoints aux deux levrauts et aux deux renardeaux qui les suivaient déjà.
Vint ensuite un ours, qui, se voyant menacé, cria en toute hâte, comme les autres :
— Oh ! mon bon chasseur, laisse-moi la vie, et je te donnerai deux oursons.
Les deux oursons furent amenés et mis avec les autres animaux ; et, comme non-seulement ils étaient les plus forts, mais encore qu’ils avaient l’air grand et raisonnable, ils furent chargés par les jeunes gens de veiller sur les autres.
A peine venaient-ils de leur faire cette recommandation et entraient-ils en fonctions, qu’un lion s’avança vers eux en rugissant et en secouant sa crinière; mais, sans se laisser effrayer par ces menaces, les deux chasseurs le mirent en joue, et leurs deux coups allaient n’en faire qu’un, lorsque le lion, voyant à qui il avait affaire, leur cria :
— Mes bons chasseurs, laissez-moi la vie, et je vous donnerai deux lionceaux.
Et il alla chercher ses lionceaux, de sorte que les chasseurs avaient deux lions, deux ours, deux loups, deux renards et deux lièvres, qui les suivaient et qui les servaient. Seulement, ne trouvant que très-peu de chose à manger dans cette forêt, et ayant de plus en plus faim, ils dirent aux deux renards :
— Voyons, vous autres qui êtes des rusés, pouvez-vous nous donner quelque chose à manger ?
Les renards se consultèrent, et, après s’être consultés :
— Tout près d’ici, dirent-ils, il y a un village d’où notre père et notre mère nous apportaient des poules ; nous allons vous en montrer le chemin.
Les renards montrèrent donc le chemin du village aux deux frères ; ceux-ci y achetèrent de quoi manger, et firent aussi donner la pitance à leurs bêtes, puis ils se remirent en route.
Les renards connaissaient, aux environs, une foule de bons poulaillers, et pouvaient les indiquer aux jeunes chasseurs, qui, de ce moment, grâce aux renards, n’eurent plus à souffrir de la faim.
Ils voyagèrent ainsi pendant quelque temps, offrant leurs services aux grands seigneurs dont les châteaux se trouvaient sur leur chemin ; mais partout on leur disait :
— Nous avons besoin d’un chasseur, mais non pas de deux.
Ils résolurent donc de se séparer.
Ils se partagèrent les animaux de manière que chacun eût un lion, un ours, un loup, un renard et un lièvre ; après quoi, ils se dirent adieu, se jurant une amitié fraternelle jusqu’à la mort.
Mais, avant de se séparer, ils plantèrent dans un arbre le couteau que leur avait donné leur père nourricier, et Wilfrid prit vers l’orient et Gottlieb vers l’occident. Suivons Gottlieb, le plus jeune des deux, et dont le nom, mes chers enfants, veut dire aimé de Dieu.
Les deux frères – Chapitre II
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Gottlieb arriva bientôt, avec son lion, son ours, son loup, son renard et son levraut, dans une grande ville qui était toute tendue de noir. Il demanda au premier venu de lui indiquer une auberge, et le premier venu lui indiqua l’auberge de la Corne-du-Cerf, ce qui était une bien mauvaise désignation, mes chers enfants, attendu qu’on ne dit pas la corne d’un cerf, mais le bois d’un cerf. Il alla donc à la Corne-du-Cerf, prit une chambre pour lui et une écurie pour ses bêtes, qui avaient l’habitude de vivre en bonne amitié les unes avec les autres, et couchaient d’habitude sur la même paille, comme si elles eussent toutes été de la même espèce.
L’aubergiste lui donna une bonne chambre pour lui, mais il ne lui restait pour ses animaux qu’une écurie qui avait un trou pratiqué dans le mur. Le lièvre y passa le premier. Comme il avait les jambes les plus agiles, c’était lui que, d’habitude, on envoyait en éclaireur. Il est vrai que, comme il était d’un caractère fort timide, il lui prenait souvent des peurs paniques, et qu’il rapportait les nouvelles les plus absurdes. Dans ce cas, on envoyait le renard, qui était plein de ruse et de finesse, et il était rare, quand celui-ci revenait, que l’on ne sût point au juste ce qu’il y avait réellement à craindre ou à espérer.
Cette fois, le lièvre allait tout simplement aux provisions, et rapporta un chou. Le renard y passa à son tour, et rapporta une poule. Le loup, en se faisant petit, suivit le renard et rapporta un agneau. Mais l’ours et le lion ne purent passer, et l’aubergiste leur donna une vieille vache avec laquelle ils purent se rassasier pendant trois jours.
Lorsque Gottlieb eut pourvu à l’entretien de ses bêtes, ce qui était toujours son premier soin, il demanda à l’aubergiste pourquoi la ville était tendue de noir.
— Parce que demain, répondit l’aubergiste, la fille de notre roi doit mourir.
— Est-ce qu’elle est malade à ce point? demanda le jeune homme.
— Non, répondit l’aubergiste; tout au contraire, elle est jeune , fraîche et bien portante ; elle doit mourir, et d’une mort bien cruelle. Et l’aubergiste poussa un gros soupir.
— Comment donc, alors, cela se fait-il ? demanda Gottlieb.
— Là-haut, sur la montagne, répondit l’aubergiste, il y a un dragon à sept têtes, qui, tous les ans, dévore une jeune vierge ; sans quoi, il dévasterait le pays. Et, maintenant, il a mangé toutes les vierges; il ne reste plus que la fille du roi, et, comme il n’y a pas de grâce à attendre du dragon, demain la fille du roi sera exposée, et, après- demain, elle sera morte.
— Mais, demanda le chasseur, pourquoi ne tue-t-on pas le dragon?
— Hélas! dit l’aubergiste, déjà beaucoup de chevaliers l’ont tenté, et ils ont payé cette tentative de leur vie.
— C’est bien, dit Gottlieb, laissez-moi réfléchir un instant à ce que vous venez de me dire. Gottlieb descendit dans l’écurie, assembla son conseil de bêtes, et s’assit, comme président, sur un escabeau.
Lorsqu’il eut exposé la situation, le lion rugit, l’ours grogna, le loup hurla, le renard réfléchit, le lièvre trembla.
Le lion dit :
— Il faut l’attaquer et le mettre en pièces.
L’ours dit :
— Il faut l’attaquer et l’étouffer.
Le loup dit :
— Ce que feront les autres, je le ferai.
Le renard dit :
— Il doit cependant y avoir un moyen de le vaincre sans risquer sa peau.
Le lièvre dit :
— Mon avis est qu’il faut fuir et que le plus tôt sera le mieux. Le chasseur dit au renard :
— Je suis de ton avis ; sors et informe-toi.
Le renard sortit; deux heures après, il rentra. Il avait conféré de l’événement avec le plus vieux renard des environs.
Le vieux renard lui avait dit :
— Je ne saurais indiquer à ton maître un moyen de vaincre le dragon; mais il y a, à mi-chemin de la montagne, une petite chapelle dédiée à saint Hubert, patron des chasseurs. Que ton maître aille y faire sa prière ce soir et y passer la nuit ; peut-être saint Hubert, lui voyant cette dévotion, lui inspirera-t-il quelque bonne idée. Gottlieb remercia le renard et se décida à suivre le conseil de son vieil ami. Le soir venu, sans rien dire de ses intentions, il fit sortir ses animaux de l’écurie et s’achemina avec eux vers la chapelle. Une fois arrivé là, il se mit à genoux et fit sa prière au saint, tandis que les animaux se tenaient respectueusement sur leurs pattes de derrière. Sa prière faite, il se coucha dans un coin et s’endormit.
Alors saint Hubert lui apparut. Il était tout resplendissant de lumière.
— Demain, en t’éveillant, lui dit le saint, tu trouveras sur mon autel trois coupes de cristal: l’une remplie d’un vin rouge comme du rubis, l’autre de vin jaune comme de la topaze, la troisième, enfin, de vin blanc limpide comme du diamant. Quiconque videra ces trois coupes deviendra l’homme le plus fort de la terre, et pourra alors lever la pierre qui est sous le porche de la chapelle, et y prendre le glaive de Goliath, qui y est enfoui. A ce glaive seul est réservé de couper les sept têtes du dragon. Au point du jour, Gottlieb se réveilla. Son rêve était si présent à sa pensée, qu’en ouvrant les yeux il tourna la tête du côté de l’autel. Sur l’autel, où la veille il n’avait rien vu, il vit les trois coupes. Il s’approcha de l’autel , prit les trois coupes l’une après l’autre et les vida. Alors, et au fur et à mesure qu’il vidait les coupes, il lui sembla que la force de tous les hommes de la création entrait en lui, que, comme Hercule, il pourrait lutter avec le lion de Némée, et que, comme Samson, il tuerait mille Philistins avec une mâchoire d’âne.
Aussitôt il s’en alla sous le porche, et reconnut la pierre sous laquelle était enfoui le glaive. Il appela l’ours et le lion.
— Levez donc cette pierre, leur dit-il.
L’ours et le lion se mirent à l’œuvre ; mais ils ne purent même parvenir à l’ébranler.
Alors Gottlieb dit :
— A mon tour.
Et, passant les doigts sous la pierre, il la souleva. Sous cette pierre était un sabre de quatre coudées de long sans compter la poignée, et qui pesait plus de cinq cents livres. Gottlieb le prit et fit avec lui le moulinet aussi facilement qu’il eût fait avec une batte d’arlequin. Dès lors, il ne douta plus qu’il ne remportât la victoire, puisqu’il avait pour lui saint Hubert, le patron des chasseurs, et il monta hardiment au sommet de la montagne.
Cependant, l’heure était venue de livrer la princesse; le roi l’accompagna, avec le maréchal et les courtisans, jusqu’au pied de la montagne. La princesse continua sa route avec le maréchal jusqu’à la chapelle ; là, le maréchal devait rester pour assister au sacrifice, et venir rendre compte au roi. La princesse continua sa route jusqu’au sommet, allant bien à contre-cœur et pleurant à chaudes larmes. En arrivant au haut de la montagne, elle eut grand’peur, car elle crut que le chasseur et ses cinq animaux n’étaient rien autre chose que le dragon qui devait la dévorer. Mais le chasseur, au contraire, s’avançant respectueusement au-devant d’elle, suivi de son lion, de son ours, de son loup, de son renard et de son lièvre, à qui il avait recommandé de faire la plus agréable mine possible.
Il la salua et lui dit :
— Belle princesse, ne craignez rien ni de moi ni des animaux qui me suivent; bien loin de vouloir vous faire du mal, nous sommes venus pour combattre le dragon et vous délivrer.
— Beau chasseur, lui dit la princesse, Dieu vous soit en aide, mais je n’ai pas grand espoir; beaucoup ont déjà essayé ce que vous allez tenter, et tous y ont perdu la vie.
— Eh bien, dit le jeune chasseur encore encouragé par la merveilleuse beauté de la princesse, ou je vous délivrerai, ou je perdrai la vie comme eux ; ce qui fait que je n’aurai pas la douleur de voir périr la plus belle princesse de la terre.
En ce moment, on entendit dans l’air comme une tempête : c’était le battement des ailes du dragon; puis le jour s’obscurcit sous un nuage de fumée, qui n’était rien autre chose que l’haleine du monstre.
— Mettez-vous sous ce chêne, princesse, dit Gottlieb, et, de là, priez Dieu pour votre dévoué serviteur.
La princesse, toute tremblante, alla se mettre sous le chêne : le lièvre la suivit. Les quatre autres animaux, c’est-à-dire le lion, l’ours, le loup et le renard, restèrent près de leur maître. Pendant ce temps, le dragon à sept têtes s’était abaissé peu à peu, et n’était plus qu’à vingt-cinq ou trente coudées de terre. Le chasseur l’attendait, le glaive de Goliath à la main.
Quand le dragon vit Gottlieb, il lui dit :
— Que viens-tu faire sur cette montagne? Je ne te veux point de mal ; va-t’en !
Mais Gottlieb lui répondit :
— Si tu ne me veux point de mal, moi, j’ai juré ta mort, et je viens te combattre ; défends-toi donc.
— Je ne me défends jamais, dit le dragon : j’attaque.
Et, à ces mots, il s’éleva jusque dans les nues, au point qu’il ne paraissait pas plus gros qu’une hirondelle, et, en jetant des flammes par ses sept gueules, il se laissa tomber, rapide comme l’éclair, sur le chasseur, croyant le prendre dans ses griffes et l’enlever en l’air comme un milan enlève un passereau. Mais Gottlieb se jeta de côté, et, du revers de son glaive, il lui abattit une patte. Le dragon jeta un cri de douleur, remonta dans l’air, s’abattit de nouveau, mais sans plus de succès : de son second coup, Gottlieb lui abattit la seconde patte. Trois fois encore, le dragon essaya de la même manœuvre, et, chaque fois, il perdit deux têtes. Enfin, il s’affaiblit à ce point, que, ne pouvant plus s’envoler, il rampa; mais, privé de l’aide de ses pattes, il ne put se garantir de l’attaque de Gottlieb, qui, de deux coups de son glaive, lui coupa encore et la queue et la tête qui lui restaient, Puis, il cria à l’hallali, et livra le cadavre du dragon à ses bêtes pour en faire curée. Elles mirent le dragon en pièces, à l’exception du lièvre, qui n’osait pas plus s’approcher de l’animal mort que de l’animal vivant.
Le combat terminé, le chasseur alla à la belle princesse, qu’il trouva étendue sans connaissance sous le chêne. Elle s’était évanouie de terreur. Le lièvre était près d’elle, les yeux fermés, et, sans le tremblement convulsif qui agitait tout son corps, on eût pu croire qu’il était trépassé. Gottlieb alla à un ruisseau qui coulait près de là, prit de l’eau dans une large feuille de nymphlea, et revint la jeter sur le visage de la princesse. La fraîcheur de l’aspersion fit revenir la princesse à elle.
Le chasseur lui montra le dragon mort et lui dit :
— Vous n’avez plus rien à craindre, princesse, vous êtes délivrée.
La princesse commença par remercier Dieu, qui avait donné à son libérateur la force et le courage ; puis, revenant à Gottlieb, elle lui dit :
— Maintenant, beau chasseur, tu vas être mon époux bien-aimé ; car mon père m’a promise pour femme à celui qui tuerait le dragon. Et, pour récompenser les animaux, elle défit son collier d’émeraudes, qu’elle agrafa autour du cou du lion, ses boucles d’oreilles de diamants qu’elle mit aux oreilles de l’ours, son bracelet de perles qu’elle passa à la patte du loup, et deux bagues d’un grand prix, l’une de saphir, l’autre de rubis, qu’elle donna au renard et au lièvre. Quant au chasseur, elle lui donna son mouchoir de poche encore tout trempé de ses larmes, et aux quatre coins duquel était son chiffre brodé en or. Le chasseur coupa les sept langues du dragon, et les mit dans le mouchoir. Cette opération terminée, comme il était fatigué du combat, il dit à la jeune princesse, non moins brisée par la crainte que lui ne l’était par la fatigue :
— Princesse , nous sommes tellement épuisés tous deux, que nous devrions, pour prendre la force de redescendre jusqu’à la ville, dormir quelques instants.
Elle répondit :
— Oui, mon cher chasseur. Et tous deux s’étendirent à terre côte à côte.
Seulement, avant de s’endormir, le chasseur dit au lion :
— Lion, tu vas veiller à ce que personne ne nous attaque pendant notre sommeil. Entends-tu ?
— Oui, répondit le lion.
La princesse dormait déjà. Le chasseur s’endormit à son tour. Le lion se coucha près d’eux; mais, comme lui-même était très-fatigué, il dit à l’ours :
— Ours, fais-moi le plaisir de veiller à ma place. Je suis si fatigué, que j’ai besoin de dormir un peu. Seulement, au moindre danger, éveille-moi. L’ours se coucha près du lion. Mais il était, de son côté, tellement épuisé par le combat, qu’il appela le loup et lui dit :
— Loup, tu vois que je n’ai pas la force de tenir les yeux ouverts ; si quelque événement survient, réveille-moi. Le loup se coucha près de l’ours, mais ses yeux se fermaient malgré lui ; il fit donc signe au renard de s’approcher.
— Renard, lui dit-il, je meurs de sommeil ; fais bonne garde à ma place, et réveille-moi au moindre bruit. Mais le renard sentit bien qu’il ne pourrait pas faire cette bonne garde qui lui était recommandée, tant sa fatigue était grande. Il appela donc le lièvre et lui dit :
— Lièvre, toi qui ne dors jamais que d’un œil, veille à ma place, je te prie, et, si tu vois quelque chose qui t’inquiète, éveille- moi. Mais le pauvre lièvre avait éprouvé de telles angoisses, qu’il était en réalité le plus fatigué de tous. Aussi la recommandation ne lui eut pas été plus tôt faite qu’il dormait aussi profondément que tous les autres. Ainsi donc le chasseur, la fille du roi, le lion, l’ours, le loup, le renard et le lièvre, étaient profondément endormis, sans personne qui veillât sur eux. Si bien que le maréchal, qui était resté dans la chapelle pour observer, ne voyant pas le dragon enlever la fille du roi dans les airs, et remarquant que tout était tranquille sur la montagne, prit courage et s’avança pas à pas, l’œil au guet, dressant l’oreille et prêt à fuir au moindre danger.
La première chose qu’il aperçut en arrivant au sommet fut le dragon mis en pièces. Alors son regard se porta plus loin. Il vit la fille du roi, le chasseur et ses animaux, tous plongés dans le plus profond sommeil, et, comme le maréchal était un homme plein d’envie et d’ambition, il lui vint à l’instant même dans l’esprit de se faire passer pour le vainqueur du dragon et d’épouser la fille du roi.
Mais, pour en arriver là, il fallait d’abord se débarrasser du véritable vainqueur. Il tira donc son sabre, s’approcha si doucement de Gottlieb, qu’il n’éveilla aucun des animaux, pas même le lièvre, et que, tirant son sabre, il trancha d’un seul coup la tête à Gottlieb.
Puis il réveilla la princesse, qui fut fort effrayée ; mais le maréchal lui dit :
— Tu es dans mes mains, et je vais te couper la tête comme j’ai fait au chasseur, si tu ne me jures pas que tu diras que c’est moi qui ai tué le dragon.
— Je ne puis commettre un si gros mensonge, dit la princesse, car c’est en réalité le chasseur qui a tué le monstre, et ses animaux qui l’ont achevé.
— Tu feras cependant à ma volonté, dit le maréchal en faisant tourner autour de la tête de la princesse son sabre tout sanglant, ou je te coupe en morceaux, et je dis que c’est le dragon qui t’a arrangée ainsi.
La princesse eut si grand’peur, qu’elle jura tout ce que voulait le maréchal.
Ayant donc obtenu ce serment, il la conduisit au roi, qui pensa mourir de joie en revoyant sa chère fille, qu’il tenait pour perdue. Le maréchal dit au roi.
— C’est moi qui ai tué le dragon et délivré non – seulement la princesse, mais l’empire ; je demande donc qu’elle soit ma femme, ainsi que la promesse a été faite sur votre parole sacrée. Le roi se tourna vers sa fille, et, comme le maréchal ne passait point pour un homme courageux :
— Est-ce vrai, ce que raconte le maréchal? lui demanda-t-il.
— Hélas! oui. répondit-elle, il faut bien que cela soit vrai ; seulement, je tiens à ce que le mariage n’ait lieu que dans un an et un jour. Le maréchal insistait pour que le mariage eût lieu tout de suite ; mais la princesse demeura ferme dans son désir, et, comme le maréchal craignait qu’en la brutalisant il ne la poussât à dire tout dans un moment de désespoir, il lui fallut bien passer par ce délai. Quant à la princesse, quoiqu’elle eût vu la tête de son beau chasseur séparée du corps, elle espérait que Dieu, qui avait déjà fait un miracle pour elle, daignerait peut- être en faire un second.
Les deux frères – Chapitre III
Lire le Chapitre I ou le chapitre II
Cependant, les animaux dormaient toujours sur la montagne du Dragon, autour de leur maître, qui dormait, lui, du sommeil de la mort.
Mais voilà qu’une heure environ après que le maréchal eut commis le crime et emmené la princesse, un gros bourdon vint se poser sur le museau du lièvre. Le lièvre, tout en dormant, passa sa patte sur son museau et chassa l’importun. Mais le bourdon vint une seconde fois se poser à la même place. Lelièvre, avec sa patte, toujours dormant, le chassa une seconde fois. Alors le bourdon revint une troisième fois, et, cette troisième fois, ne se contenta point de le chatouiller avec ses pattes, mais le piqua de son aiguillon. — Ouïff ! fit le lièvre en se réveillant. Une fois réveillé, le lièvre réveilla le renard, le renard réveilla le loup, le loup réveilla l’ours, et l’ours réveilla le lion. Mais, quand le lion vit que la princesse était partie et que son maître avait la tête séparée du corps, il se mit à rugir d’une terrible façon en criant :
— Ours, qui a fait cela? et pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?
— Loup, qui a fait cela? demanda l’ours, et pourquoi ne m’as-tu pas réveillé?
— Renard, qui a fait cela? demanda le loup, et pourquoi ne m’as tu pas réveillé?
— Lièvre, qui a fait cela ? demanda le renard, et pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?
Et, comme le lièvre n’avait personne à interroger, ce fut sur lui que tomba la colère des quatre autres animaux. Tous voulaient le tuer, mais lui prit une posture suppliante et leur dit :
— Ne me tuez pas. Je connais un petit bois, au haut d’une petite colline, dans lequel pousse la racine de vie. Celui à qui l’on met cette racine dans la bouche est guéri de toute maladie et même de toute blessure, et son corps eût-il été séparé en deux tronçons, rien qu’en lui mettant cette racine dans la bouche et en rapprochant les deux tronçons, ils se rejoindraient.
— Où est ce bois? demanda le lion.
— A deux cents lieues d’ici, répondit le lièvre.
— Je te donne vingt-quatre heures pour aller et revenir, dit le lion ; va donc, et rapporte un bon morceau de racine. Le lièvre se mit à courir de toutes ses forces, et, au bout de vingt-quatre heures, il était de retour avec une racine de la longueur et de la forme d’une betrave. Le lion dit à l’ours :
— Toi qui es adroit, rajuste la tête de notre maître, tandis que je le maintiendrai debout, et le lièvre, monté sur les épaules du loup, lui introduira la racine dans la bouche. Les quatre animaux se mirent à l’œuvre avec une grande émotion, car ils aimaient leur maître de tout leur cœur ; aussi furent- ils bien joyeux lorsque, le lièvre ayant introduit la racine de vie dans la bouche de Gottlieb, la tête et le corps se rejoignirent, que le cœur battit et que la vie fut revenue.
Seulement, une dernière crainte leur restait, c’est que la tête n’eût pas bien repris. Le renard chatouilla le nez de Gottlieb avec sa queue, Gottlieb éternua: la tête ne bougea point. L’opération avait donc réussi.
Alors le chasseur demanda à ses animaux ce qu’était devenue la princesse et quel événement était arrivé qui les tenait tous si préoccupés. Les animaux lui racontèrent tout, sans cacher leur faute, que leur dévouement, du reste, venait de racheter. Tout à coup, le lièvre poussa un cri de terreur.
— Maladroit! dit-il à l’ours, qu’as-tu fait ?
L’ours regarda Gottlieb et faillit tomber à la renverse. Il lui avait recollé la tête, mais, dans son émotion, la lui avait recollée à l’envers, de sorte que le pauvre chasseur avait la bouche dans le dos, et la nuque du côté de la poitrine.
Par bonheur, le lion avait recommandé au lièvre de rapporter un bon bout de racine, et le lièvre, comme nous l’avons vu, avait suivi la recommandation. L’ours plaça le sabre de Goliath, qui coupait comme un rasoir, le tranchant en l’air. Le renard, qui était adroit comme un singe, ajusta sur la lame le cou juste à l’endroit où il avait déjà été coupé. Le lion appuya sur la tête, qui se détacha presque sans douleur, et, cette fois, avec plus de précautions que la première, la tête fut rajustée, mais à l’endroit, et, grâce à la racine de vie, se recolla immédiatement.
Mais Gottlieb était triste, et souvent il disait au lion en soupirant :
— Pourquoi n’as-tu pas laissé ma tête et mon corps séparés l’un de l’autre?
Et, en effet, il croyait que c’était la princesse qui, pour ne pas l’épouser, lui avait fait couper le cou pendant son sommeil. Il se mit donc à parcourir le monde, montrant ses animaux, et chacun accourait voir ce lion qui avait un collier d’émeraudes, cet ours qui avait des boucles d’oreilles de diamants, ce loup qui avait un bracelet de perles, et ce renard et ce lièvre qui avaient, l’un une bague de rubis, l’autre une bague de saphir.
Une année passa tout juste, et il était maintenant de retour dans la même ville où il avait délivré la fille du roi du dragon à sept têtes. Seulement, cette fois, toute la ville était tendue d’écarlate.
Il demanda alors à son hôtelier :
— Que signifie cela? Il y a un an, votre ville était tendue de noir, et aujourd’hui elle l’est de rouge. L’aubergiste répondit :
— Vous rappelez-vous qu’il y a un an la fille du roi devait être livrée au dragon?
— Parfaitement, dit Gottlieb.
— Eh bien, le maréchal a combattu et vaincu le monstre, et, demain, on va célébrer son mariage avec la fille du roi ; voilà pourquoi il y a un an la ville était en deuil ; voilà pourquoi aujourd’hui elle est en fête.
Le lendemain, jour de la noce, le chasseur dit à l’aubergiste :
— Voulez-vous parier, mon hôte, qu’aujourd’hui je mangerai du pain de la table du roi?
— Je parie cent pièces d’or que cela ne sera point, répondit l’aubergiste.
Le chasseur tint le pari et déposa un sac contenant la somme pariée; puis il appela le lièvre et lui dit :
— Mon bon petit coureur, va vite me chercher du pain dont le roi mange.
Comme le lièvre était le plus petit et le moins important de la troupe, il ne put charger aucun autre de la commission, et force lui fut de la faire lui-même.
— Aïe, aïe! pensa-t-il, quand je vais courir tout seul par les rues de la ville, tous les chiens des quartiers par lesquels je passerai vont se mettre à mes trousses.
Ce qu’il avait prévu arriva; au bout de cinq minutes de course, il eut à sa queue une véritable meute de chiens de toute espèce, dont l’intention bien visible était de lui entamer la peau. Mais lui courut et sauta si bien, que c’était à peine si on le voyait passer; enfin, poussé à bout, il finit par se glisser dans une guérite si adroitement, que le factionnaire ne s’aperçut pas qu’il n’était plus seul. Les chiens voulurent l’y poursuivre. Mais le factionnaire, ne sachant pas à qui toute cette meute en avait, et croyant que c’était à lui, distribua aux chiens force coups de crosse et même quelques coups de baïonnette. Les chiens se dispersèrent en hurlant.
Dès que le lièvre vit que le passage était redevenu libre, il s’élança hors de la guérite, au grand étonnement du soldat, et, d’un seul saut arrivant au palais, alla droit à la princesse, et, se glissant sous sa chaise, il lui gratta doucement le pied. La princesse crut que c’était son chien favori; mais, comme elle était dans une de ces dispositions d’esprit où tout vous importune :
— Allez-vous-en. Phoenix ! dit-elle, allez- vous-en !
Mais le lièvre gratta de nouveau, et la princesse lui dit encore :
— Veux-tu t’en aller, Phoenix ! Le lièvre continua de gratter. Alors la princesse se pencha et regarda. Le lièvre alors lui montra la patte où était sa bague. La princesse reconnut le rubis qu’elle avait donné au lièvre de son libérateur. Elle prit le lièvre contre sa poitrine et l’emporta dans sa chambre.
— Cher petit lièvre, lui demanda-t-elle, que me veux-tu ?
— Mon maître, qui a tué le dragon, est ici, lui dit-il, et il m’envoie pour chercher un des pains que le roi mange. Toute joyeuse, la princesse fit venir le boulanger, et lui commanda de faire apporter un des pains de la table du roi.
— Mais il faut aussi, dit le lièvre, que le boulanger me rapporte chez mon maître, afin que les chiens ne mangent pas mon pain, et moi avec. Le boulanger prit le lièvre et un des pains du roi dans son tablier et les porta jusqu’à la porte de l’auberge. A la porte de l’auberge, le lièvre prit le pain entre ses pattes de devant, se dressa sur ses pattes de derrière, et porta en sautillant le pain à son maître.
— Voyez, mon hôte, dit le chasseur, les cent pièces d’or sont à moi. Voici le pain que le roi mange, et la preuve, c’est qu’il est à ses armes. L’hôtelier resta tout étonné : mais son étonnement redoubla lorsqu’il entendit le chasseur ajouter :
— J’ai le pain du roi, voilà qui est bien, mais maintenant je veux avoir du rôti du roi.
— Ah! je voudrais bien voir cela ! dit l’aubergiste ; seulement, je ne parie plus. Gottlieb appela son renard et lui dit :
— Mon petit renard chéri, va vite me chercher un peu du rôti dont le roi mange. Maître renard était bien autrement fin que son ami le lièvre ; il s’élança dans une ruelle, prit des chemins détournés, et fit si bien, que pas un chien ne le vit. Il pénétra comme le lièvre dans le palais, comme le lièvre se plaça sous la chaise de la fille du roi, et lui gratta le pied. Elle se pencha et vit le renard entre les bâtons de la chaise, et sa patte où était la bague de saphir que la princesse lui avait donnée. Aussitôt, la princesse l’emmena dans sa chambre, où, à peine entrée, elle lui demanda :
— Mon cher renard, que me veux-tu?
— Mon maître, répondit le renard, celui qui a tué le dragon, est ici, et m’envoie pour vous prier de me donner du rôti que mange le roi.
Elle fit venir le cuisinier, et lui ordonna de mettre dans un panier le renard et un morceau de rôti du roi, et de porter l’un et l’autre jusqu’à la porte de l’auberge, ce qui fut ponctuellement exécuté. Là, le renard prit le plat des mains du cuisinier, en chassa les mouches avec sa queue et l’apporta à Gottlieb.
— Tenez, mon hôte, dit le chasseur, voici déjà le pain et le rôti; maintenant, je vais envoyer chercher des légumes de la table du roi. Appelant alors le loup, il lui dit :
— Mon bon petit loup, va vite au palais, et rapporte-moi des légumes dont le roi mange. Le loup courut tout droit au palais, car lui n’avait pas peur d’etre attaqué. Il entra jusque dans la chambre de la princesse, et, la tirant par sa robe, il la força de se retourner. Elle le reconnut à son bracelet de perles, le caressa, et, comme elle était seule, elle lui dit :
— Mon cher petit loup, que veux-tu?
— Mon maître, répondit le loup, celui qui a tué le dragon, vous fait demander quelques légumes dont mange le roi. Elle fit de nouveau appeler le cuisinier, lui commanda de porter des légumes dont mange le roi jusqu’à la porte de l’auberge. Le cuisinier se mit en route, suivi du loup comme d’un chien. A la porte de l’hôtellerie, il remit le plat au loup, qui le porta à son maître.
— voyez, mon cher hôte, dit Gottlieb, voilà déjà du pain de la table du roi, du rôti de la table du roi, des légumes de la table du roi ; mais mon dîner restera incomplet si je n’ai pas des friandises dont mange le roi. Et, appelant son ours :
— Mon petit ours, lui dit-il, toi qui te connais si bien en miel, en bonbons et en gâteaux, va au palais et apporte-moi quelque bonne friandise de la table du roi. L’ours partit au petit trot, se cachant encore moins que le loup; car, bien loin d’être inquiété par qui que ce fût, il faisait fuir tout le monde sur son passage. Arrivé à la porte du palais, la sentinelle croisa la baïonnette devant lui, refusant de le laisser entrer dans le palais ; et, comme l’ours insistait en grognant, la sentinelle appela le poste. Mais l’ours se dressa sur ses pattes de derrière et distribua tant et de si vigoureux soufflets à droite et à gauclie, que les soldats du poste roulèrent pêle-mêle à terre ; après quoi, l’ours entra tranquillement, vit la princesse, se plaça derrière elle et grogna d’une façon tout à fait gentille. La princesse se retourna à ce grognement, qu’elle se souvenait avoir déjà entendu quelque part, et reconnut l’ours à ses boucles d’oreilles en diamant. Elle le conduisit alors dans sa chambre et lui dit :
— Mon gentil petit ours, que me veux-tu?
— Mon maître, dit l’ours, celui qui a tué le dragon, m’envoie ici, et vous prie de lui donner des sucreries dont mange le roi. La princesse fit venir le confiseur, et lui ordonna de porter jusqu’à la porte de l’hôtel un plateau couvert de sucreries de la table du roi. Arrivé là, l’ours commença de ramasser du bout de la langue tous les bonbons qui étaient tombés à terre, puis, se dressant debout, prit le plateau et le porta à son maître.
— Ali ! ali ! monsieur l’aubergiste , dit Glottlieb, voici nos friandises qui arrivent. J’ai donc maintenant du pain, du rôti, des légumes et du dessert de la table du roi ; maintenant, il me faudrait du vin dont le roi boit; car je ne saurais manger toutes ces bonnes choses sans boire. Il appela donc son lion et lui dit :
— Mon bon petit lion, va au palais et apporte-moi du vin dont le roi boit à sa table. Le lion se mit aussitôt en route pour aller au palais; à sa vue, chacun commença de se sauver à toutes jambes, les boutiquiers fermèrent leurs boutiques et toutes les portes furent closes. Lorsque le lion parut devant le palais, tout le poste prit les armes et voulut l’empêcher d’entrer ; mais le lion poussa un seul rugissement, et tout le poste prit la fuite. Il entra donc au palais sans empêchement, arriva à la porte de la tille du roi, et frappa avec sa queue ; la princesse vint ouvrir et fut d’abord si effrayée, à la vue du lion, qu’elle recula ; mais elle le reconnut bientôt au collier d’émeraudes qu’il portait au cou et qui venait d’elle ; elle le fit entrer et lui dit :
— Mon cher lion, que veux-tu ?
— Mon maître, répondit le lion, celui qui a tué le dragon, m’envoie à vous pour vous prier de lui envoyer du vin dont boit le roi. La princesse fit aussitôt venir le sommelier, et lui dit d’aller à la cave tirer du vin du roi, et de le porter jusqu’à l’auberge. Le sommelier descendit à la cave ; mais le lion dit :
— Un instant, ami sommelier, je connais les gens de ton espèce, et je descends à la cave avec toi, afin de voir ce que tu vas me donner. Il suivit donc le sommelier à la cave, et comme, arrivé là, le sommelier, croyant le tromper facilement, voulait lui tirer du vin que les domestiques buvaient à l’office, le lion lui dit :
— Hâlte-là, camarade! il faut que je me montre digne de la confiance que mon maître a eue en moi, et que je déguste le vin avant de le lui porter. Il en tira donc un demi-broc et l’avala d’un trait; mais, secouant la tête :
— Ah ! ah ! dit-il, c’est comme cela que tu voulais m’en donner à garder, drôle? D’autre vin, et lestement ! Celui-là est bon pour les domestiques, tout au plus. Le sommelier regarda le lion de travers, mais n’osa rien dire; il le conduisit donc à une autre tonne réservée au maréchal du roi. Mais le lion lui dit :
— Halte-là ! il faut que je déguste. Et il en tira un autre demi-broc, l’avala d’un trait, fit clapper sa langue, et, un peu plus satisfait, dit :
— Il est meilleur que l’autre, mais ce n’est pas encore le vrai.
Là-dessus, le sommelier se fâcha, et dit :
— Que peut comprendre au vin un animal aussi stupide que toi ?
Mais il n’avait pas achevé cette phrase, que le lion lui avait envoyé un coup de queue et l’avait fait rouler à l’autre extrémité du caveau.
Le sommelier se releva, et, sans souffler mot, le conduisit à un petit caveau où était le vin réservé à Sa Majesté, et dont jamais aucune autre personne n’avait bu. Le lion, après avoir bu un demi-broc de vin pour le déguster, hocha la tête de haut en bas, en signe de satisfaction, et dit :
— Oui, en effet, celui-là doit être bon. Il en fit donc remplir six bouteilles; après quoi, il remonta, suivi du sommelier ; mais, quand il fut dans la cour, le grand air agit sur lui, et il commença d’aller tellement de travers, que le sommelier fut obligé de porter le panier jusqu’à l’auberge, dans la crainte que le lion ne cassât les bouteilles ou ne se les laissât voler. Là, le sommelier lui mit le panier dans la gueule, et le lion le porta à son maître. Alors le chasseur dit :
— Voyez, monsieur l’aubergiste, j’ai là du pain, du vin, du rôti, des légumes, du dessert de la table du roi.
Je vais donc dîner comme un roi avec mes bêtes. Et, ce disant, il se mit à table, donnant au lion, à l’ours, au loup, au renard et au lièvre chacun sa part du dîner, et il mangea bien, but bien, étant de joyeuse humeur, car il avait pu reconnaître, à la promptitude qu’elle avait mise à remplir ses souhaits, que la princesse l’aimait toujours. Le repas terminé, il dit à l’aubergiste :
— Monsieur l’aubergiste, maintenant que j’ai mangé et bu de ce que le roi mange et boit, je veux aller au palais et épouser la fille du roi.
— Comment cela se pourrait-il? demanda l’aubergiste. La princesse est déjà fiancée, et, aujourd’hui meme, le mariage doit se célébrer. Alors le chasseur tira de sa poche le mouchoir de la princesse, qui contenait les sept langues des sept têtes du dragon.
— Ce que j’ai là dedans, dit-il à l’aubergiste, m’aidera dans mon projet, si fou qu’il vous paraisse. L’aubergiste ouvrit de grands yeux et dit :
— Je crois volontiers à tout ce que l’on me raconte ; mais, quant à épouser la fille du roi, je parierais bien ma maison et mon jardin que vous ne l’épouserez pas.
Le chasseur prit un sac contenant mille pièces d’or et dit :
— Voici mon enjeu contre votre propriété.
Pendant que ce que nous venons de raconter se passait à l’auberge, le roi, étant à table, dit à sa fille :
— Que te voulaient donc toutes ces bêtes qui sont venues vers toi, sont entrées dans mon palais et en sont sorties?
— Je ne puis le dire, répliqua la princesse; mais envoyez chercher leur maître, vous ferez bien. Le roi envoya aussitôt un de ses domestiques dire au chasseur de venir au palais. Le domestique arriva à l’auberge juste au moment où le chasseur venait de conclure le pari avec l’aubergiste. Alors le chasseur dit à l’aubergiste :
— Tenez, mon cher hôte, voici déjà le roi qui m’envoie un de ses serviteurs pour m’inviter à l’aller voir; mais je ne vais pas voir le roi si facilement. El, se tournant vers le messager :
— Retourne et dis au roi, répondit-il, qu’il veuille bien m’envoyer des habits de gala, une voiture attelée de six chevaux, et une escorte pour me faire honneur. Lorsque cette réponse fut transmise au roi par le messager, le roi demanda à sa fille :
— Que dois-je faire?
— Faites ce qu’il vous demande, répondit- elle, et vous ferez bien. Alors le roi envoya au chasseur des habits de gala, une voiture attelée de six chevaux et une escorte. Lorsque Gottlieb aperçut la voiture royale :
— Tenez, mon hôte, dit-il, voici que l’on vient me chercher comme je le désirais. Et il endossa les habits de gala, monta dans la voiture et se rendit au palais. Lorsque le roi le vit venir, il dit à sa fille :
— Comment dois-je le recevoir?
— Allez au-devant de lui, mon père, dit la princesse; vous ferez bien. Le roi alla donc au-devant du chasseur et l’introduisit dans le palais, lui et ses bêtes. Comme on était en grande assemblée, le roi le fit placer entre lui et sa fille, en face du maréchal ; mais celui-ci ne le reconnut pas, bien qu’il lui eût coupé la tête. Ce fut alors que l’on exposa aux regards des convives les sept têtes du dragon. Le roi dit :
— Ces sept têtes sont celles du dragon que le maréchal a tué; c’est pourquoi, aujourd’hui, je lui donne ma fille en mariage. Alors le chasseur se leva, ouvrit les sept gueules, et dit :
— Voilà bien les sept têtes du dragon, mais où sont les sept langues ?
Le maréchal, qui n’avait pas remarqué l’absence des langues, parce que jamais il n’avait osé ouvrir les gueules du dragon, pâlit, et répondit en balbutiant :
— Les dragons n’ont pas de langue.
Le chasseur regarda fixement le maréchal, et dit :
— Ce sont les menteurs qui n’en devraient pas avoir ; mais les dragons en ont, et ce sont les sept langues du dragon qui sont le témoignage du triomphe du vainqueur.
Et, dénouant le mouchoir que lui avait donné la princesse, il montra les sept langues ; puis, les prenant les unes après les autres. il plaça chacune d’elles dans la gueule à laquelle elle appartenait, et toutes ces langues s’ajustèrent parfaitement. Puis, secouant le mouchoir, il demanda à la princesse si elle se rappelait l’avoir donné à quelqu’un.
— Je l’ai donné à celui qui a tué le dragon, répondit la princesse. Alors le chasseur appela le lion, et lui ôta son collier d’émeraude ; l’ours, et lui ôta ses boucles d’oreilles de diamant; le loup, et lui ôta son bracelet de perles ; le renard et le lièvre, et leur ôta leurs bagues. Puis, montrant tous ces bijoux à la princesse :
— Connaissez-vous ces bijoux? lui demanda-t-il.
— Certainement, répondit la princesse, puisque c’est moi qui les ai partagés entre les animaux qui ont aidé dans sa lutte celui qui a tué le dragon.
— Et quel est celui qui a tué le dragon? demanda enfin Gottlieb.
— C’est vous, répondit la princesse.
— Mais comment cela s’est il fait, que vous ne vous soyez points vanté de la victoire, et que vous n’ayez pas réclamé la main de ma fille? demanda le roi.
— Comme j’étais fatigué, je me suis couché et endormi, répondit Gottlieb, et alors le maréchal est venu et m’a coupé la tête. Puis il a entraîné la princesse et s’est fait passer pour le vainqueur du dragon. Mais le véritable vainqueur, c’est moi, et je le prouve par les langues, le mouchoir et les bijoux.
Puis, comme quelques incrédules s’étonnaient qu’ayant eu la tête coupée par le maréchal, il se portât si bien, il raconta de quelle façon ses animaux l’avaient ressuscité, comment il avait couru le monde pendant un an avec eux, et comment enfin il était revenu dans la capitale du royaume, où il avait appris de son hôte la fourberie du maréchal. Alors le roi demanda à sa fille :
— Est-il vrai que ce soit ce jeune homme qui ait tué le dragon?
— Oui, c’est vrai, répondit celle-ci. J’avais juré, j’ai donc dû me taire ; mais, aujourd’hui que, sans ma participation, l’infamie du maréchal est connue, je puis parler. Oui, ajouta-t-elle en montrant Gottlieb, oui, voilà le vainqueur du dragon, et c’est bien à lui que j’ai donné mon mouchoir, et c’est bien à ses animaux que j’ai donné mes bijoux.
Voilà pourquoi j’avais demandé un an et un jour avant d’épouser le maréchal, espérant que, dans l’espace d’un an et un jour, la lumière se ferait.
Alors le roi assembla un conseil composé de douze conseillers, pour juger le maréchal, lequel fut condamné à être écartelé par quatre boeufs. Le jugement fut exécuté, à la grande satisfaction des sujets du roi, qui détestaient le maréchal. Le roi donna sa fille en mariage au chasseur, et le nomma gouverneur général de tout le royaume. Les noces furent célébrées avec une grande magnificence, et le jeune gouverneur fit venir près de lui son père et son père adoptif.
Il n’oublia pas non plus l’hôtelier , et, l’ayant appelé à la cour, il lui dit :
— Eh bien, mon hôte, voici que j’ai épousé la fille du roi et que, par conséquent, votre jardin et votre maison m’appartiennent.
— Oui, dit l’hôtelier, c’est selon la justice.
— Non, dit le jeune gouverneur, cela sera selon la clémence. Garde ta maison et ton jardin, et, par-dessus le marché, prends encore les mille pièces d’or.
Peut être croyez-vous, mes chers petits enfants, que mon histoire finit ainsi ; détrompez-vous. Plus tard, vous apprendrez une vérité bien triste : c’est que, quand on croit toucher au suprême bonheur, on est souvent près de tomber dans la plus cruelle infortune.
La petite souris grise
I
LA MAISONNETTE
Il y avait un homme veuf qui s’appelait Prudent et qui vivait avec sa fille. Sa femme était morte peu de temps après la naissance de cette fille, qui s’appelait Rosalie.
Le père de Rosalie avait de la fortune ; il vivait dans une grande maison qui était à lui : la maison était entourée d’un vaste jardin où Rosalie allait se promener tant qu’elle voulait.
Elle était élevée avec tendresse et douceur, mais son père l’avait habituée à une obéissance sans réplique. Il lui défendait d’adresser des questions inutiles et d’insister pour savoir ce qu’il ne voulait pas lui dire. Il était parvenu, à force de soin et de surveillance, à presque déraciner en elle un défaut malheureusement trop commun, la curiosité.
Rosalie ne sortait jamais du parc, qui était entouré de murs élevés. Jamais elle ne voyait personne que son père ; il n’y avait aucun domestique dans la maison ; tout semblait s’y faire de soi-même ; Rosalie avait toujours ce qu’il lui fallait, soit en vêtements, soit en livres, soit en ouvrages ou en joujoux. Son père l’élevait lui-même, et Rosalie, quoiqu’elle eût près de quinze ans, ne s’ennuyait pas et ne songeait pas qu’elle pouvait vivre autrement et entourée de monde.
Il y avait au fond du parc une maisonnette sans fenêtres et qui n’avait qu’une seule porte, toujours fermée. Le père de Rosalie y entrait tous les jours, et en portait toujours sur lui la clef ; Rosalie croyait que c’était une cabane pour enfermer les outils du jardin ; elle n’avait jamais songé à en parler. Un jour qu’elle cherchait un arrosoir pour ses fleurs, elle dit à son père :
« Mon père, donnez-moi, je vous prie, la clef de la maisonnette du jardin.
— Que veux-tu faire de cette clef, Rosalie ?
— J’ai besoin d’un arrosoir ; je pense que j’en trouverai un dans cette maisonnette.
— Non, Rosalie, il n’y a pas d’arrosoir là-dedans. »
La voix de Prudent était si altérée en prononçant ces mots, que Rosalie le regarda et vit avec surprise qu’il était pâle et que la sueur inondait son front.
« Qu’avez-vous, mon père ? dit Rosalie effrayée.
— Rien, ma fille, rien.
— C’est la demande de cette clef qui vous a bouleversé, mon père ; qu’y a-t-il donc dans cette maison qui vous cause une telle frayeur ?
— Rosalie, tu ne sais ce que tu dis ; va chercher ton arrosoir dans la serre.
— Mais, mon père, qu’y a-t-il dans cette maisonnette ?
— Rien qui puisse t’intéresser, Rosalie.
— Mais pourquoi y allez-vous tous les jours sans jamais me permettre de vous accompagner ?
— Rosalie, tu sais que je n’aime pas les questions, et que la curiosité est un vilain défaut. »
Rosalie ne dit plus rien, mais elle resta pensive. Cette maisonnette, à laquelle elle n’avait jamais songé, lui trottait dans la tête.
« Que peut-il y avoir là-dedans ? se disait-elle. Comme mon père a pâli quand j’ai demandé d’y entrer !… Il pensait donc que je courais quelque danger en y allant !… Mais pourquoi lui-même y va-t-il tous les jours ?… C’est sans doute pour porter à manger à la bête féroce qui s’y trouve enfermée… Mais s’il y avait une bête féroce, je l’entendrais rugir ou s’agiter dans sa prison ; jamais on n’entend aucun bruit dans cette cabane ; ce n’est donc pas une bête ! D’ailleurs elle dévorerait mon père quand il y va… à moins qu’elle ne soit attachée… Mais si elle est attachée, il n’y a pas de danger pour moi non plus. Qu’est-ce que cela peut être ?… Un prisonnier !… Mais mon père est bon ; il ne voudrait pas priver d’air et de liberté un malheureux innocent !… Il faudra absolument que je découvre ce mystère… Comment faire ?… Si je pouvais soustraire à mon père cette clef, seulement pour une demi-heure ! Peut-être l’oubliera-t-il un jour… »
Elle fut tirée de ses réflexions par son père, qui l’appelait d’une voix altérée.
« Me voici, mon père ; je rentre. »
Elle rentra en effet et examina son père, dont le visage pâle et défait indiquait une vive agitation. Plus intriguée encore, elle résolut de feindre la gaieté et l’insouciance pour donner de la sécurité à son père, et arriver ainsi à s’emparer de la clef, à laquelle il ne penserait peut-être pas toujours si Rosalie avait l’air de n’y plus songer elle-même.
Ils se mirent à table ; Prudent mangea peu, et fut silencieux et triste, malgré ses efforts pour paraître gai. Rosalie montra une telle gaieté, une telle insouciance, que son père finit par retrouver sa tranquillité accoutumée.
Rosalie devait avoir quinze ans dans trois semaines ; son père lui avait promis pour sa fête une agréable surprise. Quelques jours se passèrent ; il n’y en avait plus que quinze à attendre.
Un matin Prudent dit à Rosalie :
« Ma chère enfant, je suis obligé de m’absenter pour une heure. C’est pour tes quinze ans que je dois sortir. Attends-moi dans la maison, et, crois-moi, ma Rosalie, ne te laisse pas aller à la curiosité. Dans quinze jours tu sauras ce que tu désires tant savoir, car je lis dans ta pensée ; je sais ce qui t’occupe. Adieu, ma fille, garde-toi de la curiosité. »
Prudent embrassa tendrement sa fille et s’éloigna comme s’il avait de la répugnance à la quitter. Quand il fut parti, Rosalie courut à la chambre de son père, et quelle fut sa joie en voyant la clef oubliée sur la table ! Elle la saisit et courut bien vite au bout du parc ; arrivée à la maisonnette, elle se souvint des paroles de son père :
Garde-toi de la curiosité ; elle hésita et fut sur le point de reporter la clef sans avoir regardé dans la maisonnette, lorsqu’elle entendit sortir un léger gémissement ; elle colla son oreille contre la porte et entendit une toute petite voix qui chantait doucement :
Je suis prisonnière,
Et seule sur la terre.
Bientôt je dois mourir,
D’ici jamais sortir.
« Plus de doute, se dit-elle ; c’est une malheureuse créature que mon père tient enfermée. »
Et frappant doucement à la porte, elle dit :
« Qui êtes-vous et que puis-je faire pour vous ?
— Ouvrez-moi, Rosalie ; de grâce, ouvrez-moi.
— Mais pourquoi êtes-vous prisonnière ? N’avez-vous pas commis quelque crime ?
— Hélas ! non, Rosalie ; c’est un enchanteur qui me retient ici. Sauvez-moi, et je vous témoignerai ma reconnaissance en vous racontant ce que je suis. »
Rosalie n’hésita plus, sa curiosité l’emporta sur son obéissance ; elle mit la clef dans la serrure, mais sa main tremblait et elle ne pouvait ouvrir ; elle allait y renoncer, lorsque la petite voix continua :
« Rosalie, ce que j’ai à vous dire vous instruira de bien des choses qui vous intéressent ; votre père n’est pas ce qu’il paraît être. »
À ces mots, Rosalie fit un dernier effort ; la clef tourna et la porte s’ouvrit.
II
LA FÉE DÉTESTABLE
Rosalie regarda avidement ; la maisonnette était sombre ; elle ne voyait rien ; elle entendit la petite voix qui dit :
« Merci, Rosalie, c’est à toi que je dois ma délivrance. »
La voix semblait venir de terre ; elle regarda, et aperçut dans un coin deux petits yeux brillants qui la regardaient avec malice.
« Ma ruse a réussi, Rosalie, pour te faire céder à ta curiosité. Si je n’avais chanté et parlé, tu t’en serais retournée et j’étais perdue. Maintenant que tu m’as délivrée, toi et ton père vous êtes en mon pouvoir. »
Rosalie, sans bien comprendre encore l’étendue du malheur qu’elle avait causé par sa désobéissance, devina pourtant que c’était une ennemie dangereuse que son père retenait captive, et elle voulut se retirer et fermer la porte.
« Halte-là, Rosalie, il n’est plus en ton pouvoir de me retenir dans cette odieuse prison, d’où je ne serais jamais sortie si tu avais attendu tes quinze ans. »
Au même moment la maisonnette disparut ; la clef seule resta dans les mains de Rosalie consternée. Elle vit alors près d’elle une petite Souris grise qui la regardait avec ses petits yeux étincelants et qui se mit à rire d’une petite voix discordante.
« Hi ! hi ! hi ! quel air effaré tu as, Rosalie ! En vérité, tu m’amuses énormément. Que tu es donc gentille d’avoir été si curieuse ! Voilà près de quinze ans que je suis enfermée dans cette affreuse prison, ne pouvant faire du mal à ton père, que je hais, et à toi que je déteste parce que tu es sa fille.
— Et qui êtes-vous donc, méchante Souris ?
— Je suis l’ennemie de ta famille, ma mie ! Je m’appelle la fée Détestable, et je porte bien mon nom, je t’assure ; tout le monde me déteste et je déteste tout le monde. Je te suivrai partout, Rosalie.
— Laissez-moi, misérable ! Une Souris n’est pas bien à craindre, et je trouverai bien moyen de me débarrasser de vous.
— C’est ce que nous verrons, ma mie ; je m’attache à vos pas partout où vous irez. »
Rosalie courut du côté de la maison ; chaque fois qu’elle se retournait, elle voyait la Souris qui galopait après elle en riant d’un air moqueur. Arrivée dans la maison, elle voulut écraser la Souris dans la porte, mais la porte resta ouverte malgré les efforts de Rosalie tandis que la Souris restait sur le seuil.
« Attends, méchante bête ! » s’écria Rosalie, hors d’elle de colère et d’effroi. Elle saisit un balai et allait en donner un coup violent sur la Souris, lorsque le balai devint flamboyant et lui brûla les mains ; elle le jeta vite à terre et le poussa du pied dans la cheminée pour que le plancher ne prît pas feu. Alors, saisissant un chaudron qui bouillait au feu, elle le jeta sur la Souris ; mais l’eau bouillante était devenue du bon lait frais ; la Souris se mit à boire en disant :
« Que tu es aimable, Rosalie ! Non contente de m’avoir délivrée, tu me donnes un excellent déjeuner ! »
La pauvre Rosalie se mit à pleurer amèrement ; elle ne savait que devenir, lorsqu’elle entendit son père qui rentrait.
« Mon père ! dit-elle, mon père ! Oh Souris, par pitié, va-t’en ! que mon père ne te voie pas !
— Je ne m’en irai pas, mais je veux bien me cacher derrière tes talons, jusqu’à ce que ton père apprenne ta désobéissance. »
À peine la Souris était-elle blottie derrière Rosalie, que Prudent entra ; il regarda Rosalie, dont l’air embarrassé et la pâleur trahissaient l’effroi.
« Rosalie, dit Prudent d’une voix tremblante, j’ai oublié la clef de la maisonnette ; l’as-tu trouvée ?
— La voici, mon père, dit Rosalie en la lui présentant et devenant très rouge.
— Qu’est-ce donc que cette crème renversée ?
— Mon père, c’est le chat.
— Comment, le chat ? Le chat a apporté au milieu de la chambre une chaudronnée de lait pour le répandre ?
— Non, mon père, c’est moi qui, en le portant, l’ai renversé. »
Rosalie parlait bien bas et n’osait pas regarder son père.
« Prends le balai, Rosalie, pour enlever cette crème.
— Il n’y a plus de balai, mon père.
— Plus de balai ! Il y en avait un quand je suis sorti.
— Je l’ai brûlé, mon père, par mégarde, en… en… »
Elle s’arrêta. Son père la regarda fixement, jeta un coup d’œil inquiet autour de la chambre, soupira et se dirigea lentement vers la maisonnette du parc.
Rosalie tomba sur une chaise en sanglotant ; la Souris ne bougeait pas. Peu d’instants après, Prudent rentra précipitamment, le visage bouleversé d’effroi.
« Rosalie, malheureuse enfant, qu’as-tu fait ? Tu as cédé à ta fatale curiosité, et tu as délivré notre plus cruelle ennemie.
— Mon père, pardonnez-moi, pardonnez-moi, s’écria Rosalie en se jetant à ses pieds ; j’ignorais le mal que je faisais.
— C’est ce qui arrive toujours quand on désobéit, Rosalie : on croit ne faire qu’un petit mal, et on en fait un très grand à soi et aux autres.
— Mais, mon père, qu’est-ce donc que cette Souris qui vous cause une si grande frayeur ? Comment, si elle a tant de pouvoir, la reteniez-vous prisonnière, et pourquoi ne pouvez-vous pas la renfermer de nouveau ?
— Cette Souris, ma fille, est une fée méchante et puissante ; moi-même je suis le génie Prudent, et puisque tu as délivré mon ennemie, je puis te révéler ce que je devais te cacher jusqu’à l’âge de quinze ans.
« Je suis donc, comme je te le disais, le génie Prudent ; ta mère n’était qu’une simple mortelle ; mais ses vertus et sa beauté touchèrent la reine des fées aussi bien que le roi des génies, et ils me permirent de l’épouser.
« Je donnai de grandes fêtes pour mon mariage ; malheureusement j’oubliai d’y convoquer la fée Détestable, qui, déjà irritée de me voir épouser une princesse, après mon refus d’épouser une de ses filles, me jura une haine implacable ainsi qu’à ma femme et à mes enfants.
« Je ne m’effrayai pas de ses menaces, parce que j’avais moi-même une puissance presque égale à la sienne, et que j’étais fort aimé de la reine des fées. Plusieurs fois j’empêchai par mes enchantements l’effet de la haine de Détestable.
Mais, peu d’heures après ta naissance, ta mère ressentit des douleurs très vives, que je ne pus calmer ; je m’absentai un instant pour invoquer le secours de la reine des fées.
Quand je revins, ta mère n’existait plus : la méchante fée avait profité de mon absence pour la faire mourir, et elle allait te douer de tous les vices et de tous les maux possibles ; heureusement que mon retour paralysa sa méchanceté.
Je l’arrêtai au moment où elle venait de te douer d’une curiosité qui devait faire ton malheur et te mettre à quinze ans sous son entière dépendance.
Par mon pouvoir uni à celui de la reine des fées, je contrebalançai cette fatale influence, et nous décidâmes que tu ne tomberais à quinze ans en son pouvoir que si tu succombais trois fois à ta curiosité dans des circonstances graves.
En même temps, la reine des fées, pour punir Détestable, la changea en souris, l’enferma dans la maisonnette que tu as vue, et déclara qu’elle ne pourrait pas en sortir, Rosalie, à moins que tu ne lui en ouvrisses volontairement la porte ; qu’elle ne pourrait reprendre sa première forme de fée que si tu succombais trois fois à ta curiosité avant l’âge de quinze ans ; enfin, que si tu résistais au moins une fois à ce funeste penchant, tu serais à jamais affranchie, ainsi que moi, du pouvoir de Détestable.
Je n’obtins toutes ces faveurs qu’à grand-peine, Rosalie, et en promettant que je partagerais ton sort et que je deviendrais comme toi l’esclave de Détestable si tu te laissais aller trois fois à ta curiosité.
Je me promis de t’élever de manière à détruire en toi ce fatal défaut, qui pouvait causer tant de malheurs.
« C’est pour cela que je t’enfermai dans cette enceinte ; que je ne te permis jamais de voir aucun de tes semblables, pas même de domestiques.
Je te procurais par mon pouvoir tout ce que tu pouvais désirer, et déjà je m’applaudissais d’avoir si bien réussi ; dans trois semaines tu devais avoir quinze ans, et te trouver à jamais délivrée du joug odieux de Détestable, lorsque tu me demandas cette clef à laquelle tu semblais n’avoir jamais pensé.
Je ne pus te cacher l’impression douloureuse que fit sur moi cette demande ; mon trouble excita ta curiosité ; malgré ta gaieté, ton insouciance factice, je pénétrai dans ta pensée, et juge de ma douleur quand la reine des fées m’ordonna de te rendre la tentation possible et la résistance méritoire, en laissant ma clef à ta portée au moins une fois !
Je dus la laisser, cette clef fatale, et te faciliter, par mon absence, les moyens de succomber ; imagine, Rosalie, ce que je souffris pendant l’heure que je dus te laisser seule, et quand je vis à mon retour ton embarras et ta rougeur, qui ne m’indiquaient que trop que tu n’avais pas eu le courage de résister. Je devais tout te cacher et ne t’instruire de ta naissance et des dangers que tu avais courus le jour où tu aurais quinze ans, sous peine de te voir tomber au pouvoir de Détestable.
« Et maintenant, Rosalie, tout n’est pas perdu ; tu peux encore racheter ta faute en résistant pendant quinze jours à ton funeste penchant. Tu devais être unie à quinze ans à un charmant prince de nos parents, le prince Gracieux ; cette union est encore possible.
« Ah ! Rosalie, ma chère enfant ; par pitié pour toi, si ce n’est pas pour moi, aie du courage et résiste. »
Rosalie était restée aux genoux de son père, le visage caché dans ses mains et pleurant amèrement ; à ces dernières paroles, elle reprit un peu de courage, et, l’embrassant tendrement, elle lui dit :
« Oui, mon père, je vous le jure, je réparerai ma faute ; ne me quittez pas, mon père, et je chercherai près de vous le courage qui pourrait me manquer si j’étais privée de votre sage et paternelle surveillance.
— Ah ! Rosalie, il n’est plus en mon pouvoir de rester près de toi ; je suis sous la puissance de mon ennemie ; elle ne me permettra sans doute pas de rester pour te prémunir contre les pièges que te tendra sa méchanceté. Je m’étonne de ne l’avoir pas encore vue, car le spectacle de mon affliction doit avoir pour elle de la douceur.
— J’étais près de toi aux pieds de ta fille, dit la Souris grise de sa petite voix aigre, en se montrant au malheureux génie. Je me suis amusée au récit de ce que je t’ai déjà fait souffrir, et c’est ce qui fait que je ne me suis pas montrée plus tôt. Dis adieu à ta chère Rosalie ; je l’emmène avec moi, et je te défends de la suivre.»
En disant ces mots, elle saisit, avec ses petites dents aiguës, le bas de la robe de Rosalie, pour l’entraîner après elle.
Rosalie poussa des cris perçants en se cramponnant à son père ; une force irrésistible l’entraînait. L’infortuné génie saisit un bâton et le leva sur la Souris ; mais, avant qu’il eût le temps de l’abaisser, la Souris posa sa petite patte sur le pied du génie, qui resta immobile et semblable à une statue.
Rosalie tenait embrassés les genoux de son père et criait grâce à la Souris ; mais celle-ci, riant de son petit rire aigu et diabolique, lui dit :
« Venez, venez, ma mie, ce n’est pas ici que vous trouveriez de quoi succomber deux autres fois à votre gentil défaut ; nous allons courir le monde ensemble, et je vous ferai voir du pays en quinze jours. »
La Souris tirait toujours Rosalie, dont les bras, enlacés autour de son père, résistaient à la force extraordinaire qu’employait son ennemie.
Alors la Souris poussa un petit cri discordant, et subitement toute la maison fut en flammes.
Rosalie eut assez de présence d’esprit pour réfléchir qu’en se laissant brûler elle perdait tout moyen de sauver son père qui resterait éternellement sous le pouvoir de Détestable, tandis qu’en conservant sa propre vie, elle conservait aussi les chances de le sauver.
« Adieu, mon père ! s’écria-t-elle ; au revoir dans quinze jours ! Votre Rosalie vous sauvera après vous avoir perdu. »
Et elle s’échappa pour ne pas être dévorée par les flammes.
Elle courut quelque temps, ne sachant où elle allait ; elle marcha ainsi plusieurs heures ; enfin, accablée de fatigue, demi-morte de faim, elle se hasarda à aborder une bonne femme qui était assise à sa porte.
« Madame, dit-elle, veuillez me donner asile ; je meurs de faim et de fatigue ; permettez-moi d’entrer et de passer la nuit chez vous.
— Comment une si belle fille se trouve-t-elle sur les grandes routes, et qu’est-ce que cette bête qui vous accompagne et qui a la mine d’un petit démon ? »
Rosalie, se retournant, vit la Souris grise qui la regardait d’un air moqueur.
Elle voulut la chasser, mais la Souris refusait obstinément de s’en aller. La bonne femme, voyant cette lutte, hocha la tête et dit :
« Passez votre chemin, la belle : je ne loge pas chez moi le diable et ses protégés. »
Rosalie continua sa route en pleurant, et partout où elle se présenta, on refusa de la recevoir avec sa Souris qui ne la quittait pas. Elle entra dans une forêt où elle trouva heureusement un ruisseau pour étancher sa soif, des fruits et des noisettes en abondance ; elle but, mangea, et s’assit près d’un arbre, pensant avec inquiétude à son père et à ce qu’elle deviendrait pendant quinze jours. Tout en réfléchissant, Rosalie, pour ne pas voir la maudite Souris grise, ferma les yeux ; la fatigue et l’obscurité amenèrent le sommeil : elle s’endormit profondément.
III
LE PRINCE GRACIEUX
Pendant que Rosalie dormait, le prince Gracieux faisait une chasse aux flambeaux dans la forêt ; le cerf, vivement poursuivi par les chiens, vint se blottir effaré près du buisson où dormait Rosalie. La meute et les chasseurs s’élancèrent après le cerf ; mais tout d’un coup les chiens cessèrent d’aboyer et se groupèrent silencieux autour de Rosalie.
Le prince descendit de cheval pour remettre les chiens en chasse. Quelle ne fut pas sa surprise en apercevant une belle jeune fille qui dormait paisiblement dans cette forêt ! Il regarda autour d’elle et ne vit personne ; elle était seule, abandonnée.
En l’examinant de plus près, il vit la trace de larmes qu’elle avait répandues et qui s’échappaient encore de ses yeux fermés. Rosalie était vêtue simplement, mais d’une étoffe de soie qui dénotait plus que de l’aisance ; ses jolies mains blanches, ses ongles roses, ses beaux cheveux châtains, soigneusement relevés par un peigne d’or, sa chaussure élégante, un collier de perles fines, indiquaient un rang élevé.
Elle ne s’éveillait pas, malgré le piétinement des chevaux, les aboiements des chiens, le tumulte d’une nombreuse réunion d’hommes. Le prince, stupéfait, ne se lassait pas de regarder Rosalie ; aucune des personnes de la cour ne la connaissait. Inquiet de ce sommeil obstiné, Gracieux lui prit doucement la main : Rosalie dormait toujours ; le prince secoua légèrement cette main, mais sans pouvoir l’éveiller.
« Je ne puis, dit-il à ses officiers, abandonner ainsi cette malheureuse enfant, qui aura peut-être été égarée à dessein, victime de quelque odieuse méchanceté. Mais comment l’emporter endormie ?
— Prince, lui dit son grand veneur Hubert, ne pourrions-nous faire un brancard de branchages et la porter ainsi dans quelque hôtellerie voisine, pendant que Votre Altesse continuera la chasse ?
— Votre idée est bonne, Hubert ; faites faire un brancard sur lequel nous la déposerons ; mais ce n’est pas à une hôtellerie que vous la porterez, c’est dans mon propre palais. Cette jeune personne doit être de haute naissance, elle est belle comme un ange ; je veux veiller moi-même à ce qu’elle reçoive les soins auxquels elle a droit. »
Hubert et les officiers eurent bientôt arrangé un brancard sur lequel le prince étendit son propre manteau ; puis, s’approchant de Rosalie toujours endormie, il l’enleva doucement dans ses bras et la posa sur le manteau. À ce moment, Rosalie sembla rêver ; elle sourit, et murmura à mi-voix :
« Mon père, mon père !… sauvé, à jamais !… la reine des fées,… le prince Gracieux… je le vois… qu’il est beau ! »
Le prince, surpris d’entendre prononcer son nom, ne douta plus que Rosalie ne fût une princesse sous le joug de quelque enchantement. Il fit marcher bien doucement les porteurs du brancard, afin que le mouvement n’éveillât pas Rosalie ; il se tint tout le temps à ses côtés.
On arriva au palais de Gracieux ; il donna des ordres pour qu’on préparât l’appartement de la reine, et, ne voulant pas souffrir que personne touchât à Rosalie, il la porta lui-même jusqu’à sa chambre, où il la déposa sur un lit, en recommandant aux femmes qui devaient la servir de le prévenir aussitôt qu’elle serait réveillée.
Rosalie dormit jusqu’au lendemain ; il faisait grand jour quand elle s’éveilla ; elle regarda autour d’elle avec surprise : La méchante Souris n’était pas près d’elle ; elle avait disparu.
« Serais-je délivrée de cette méchante fée Détestable ? dit Rosalie avec joie ; suis-je chez quelque fée plus puissante qu’elle ? »
Elle alla à la fenêtre ; elle vit des hommes d’armes, des officiers parés de brillants uniformes. De plus en plus surprise, elle allait appeler un de ces hommes qu’elle croyait être autant de génies et d’enchanteurs, lorsqu’elle entendit marcher ; elle se retourna et vit le prince Gracieux, qui, revêtu d’un élégant et riche costume de chasse, était devant elle, la regardant avec admiration. Rosalie reconnut immédiatement le prince de son rêve, et s’écria involontairement :
« Le prince Gracieux ! »
— Vous me connaissez, Madame ? dit le prince étonné. Comment, si vous m’avez reconnu, ai-je pu, moi, oublier votre nom et vos traits ?
— Je ne vous ai vu qu’en rêve, prince, répondit Rosalie en rougissant ; quant à mon nom, vous ne pouvez le connaître, puisque moi-même je ne connais que depuis hier celui de mon père.
— Et quel est-il, Madame, ce nom qui vous a été caché si longtemps ? »
Rosalie lui raconta alors tout ce qu’elle avait appris de son père ; elle lui avoua naïvement sa coupable curiosité et les fatales conséquences qui s’en étaient suivies.
« Jugez de ma douleur, prince, quand je dus quitter mon père pour me soustraire aux flammes que la méchante fée avait allumées, quand, repoussée de partout à cause de la Souris grise, je me trouvai exposée à mourir de froid et de faim ! Mais, bientôt, un sommeil lourd et plein de rêves s’empara de moi ; j’ignore comment je suis ici et si c’est chez vous que je me trouve. »
Gracieux lui raconta comment il l’avait trouvée endormie dans la forêt, les paroles de son rêve qu’il avait entendues, et il ajouta :
« Ce que votre père ne vous a pas dit, Rosalie, c’est que la reine des fées, notre parente, avait décidé que vous seriez ma femme lorsque vous auriez quinze ans ; c’est elle sans doute qui m’a inspiré le désir d’aller chasser aux flambeaux, afin que je pusse vous trouver dans cette forêt où vous étiez perdue.
Puisque vous aurez quinze ans dans peu de jours, Rosalie, daignez considérer mon palais comme le vôtre ; veuillez d’avance y commander en reine. Bientôt votre père vous sera rendu, et nous pourrons aller faire célébrer notre mariage.»
Rosalie remercia vivement son jeune et beau cousin ; elle passa dans sa chambre de toilette, où elle trouva des femmes qui l’attendaient avec un grand choix de robes et de coiffures.
Rosalie, qui ne s’était jamais occupée de sa toilette, mit la première robe qu’on lui présenta, qui était en gaze rose garnie de dentelles, et une coiffure en dentelles avec des roses moussues ; ses beaux cheveux châtains furent relevés en tresse formant une couronne. Quand elle fut prête, le prince vint la chercher pour la mener déjeuner.
Rosalie mangea comme une personne qui n’a pas dîné la veille ; après le repas, le prince la mena dans le jardin ; il lui fit voir les serres, qui étaient magnifiques ; au bout d’une des serres, il y avait une petite rotonde garnie de fleurs choisies ; au milieu était une caisse qui semblait contenir un arbre, mais une toile cousue l’enveloppait entièrement ; on voyait seulement, à travers la toile, quelques points briller d’un éclat extraordinaire.
IV
L’ARBRE DE LA ROTONDE
Rosalie admira beaucoup toutes les fleurs ; elle croyait que le prince allait soulever ou déchirer la toile de cet arbre mystérieux, mais il se disposa à quitter la serre sans en avoir parlé à Rosalie.
« Qu’est-ce donc que cet arbre si bien enveloppé, prince ? demanda Rosalie.
— Ceci est le cadeau de noces que je vous destine ; mais vous ne devez pas le voir avant vos quinze ans, dit le prince gaiement.
— Mais qu’y a-t-il de si brillant sous la toile ? Insista Rosalie.
— Vous le saurez dans peu de jours, Rosalie, et je me flatte que mon présent ne sera pas un présent ordinaire.
— Et ne puis-je le voir avant ?
— Non, Rosalie ; la reine des fées m’a défendu de vous le montrer avant que vous soyez ma femme, sous peine de grands malheurs. J’ose espérer que vous m’aimerez assez pour contenir pendant quelques jours votre curiosité. »
Ces derniers mots firent trembler Rosalie, en lui rappelant la Souris grise et les malheurs qui la menaçaient ainsi que son père si elle se laissait aller à la tentation qui lui était sans doute envoyée par son ennemie, la fée Détestable.
Elle ne parla donc plus de cette toile mystérieuse, et elle continua sa promenade avec le prince ; toute la journée se passa agréablement.
Le prince lui présenta les dames de sa cour, et leur dit à toutes qu’elles eussent à respecter dans la princesse Rosalie l’épouse que lui avait choisie la reine des fées.
Rosalie fut très aimable pour tout le monde, et chacun se réjouit de l’idée d’avoir une si charmante reine.
Le lendemain et les jours suivants se passèrent en fêtes, en chasses, en promenades, le prince et Rosalie voyaient approcher avec bonheur le jour de la naissance de Rosalie, qui devait être aussi celui de leur mariage ; le prince, parce qu’il aimait tendrement sa cousine, et Rosalie, parce qu’elle aimait le prince, parce qu’elle désirait vivement revoir son père, et aussi parce qu’elle souhaitait ardemment voir ce que contenait la caisse de la rotonde.
Elle y pensait sans cesse ; la nuit elle y rêvait, et, dans les moments où elle était seule, elle avait une peine extrême à ne pas aller dans les serres, pour tâcher de découvrir le mystère. Enfin arriva le dernier jour d’attente : le lendemain Rosalie devait avoir quinze ans.
Le prince était très occupé des préparatifs de son mariage, auquel devaient assister toutes les bonnes fées de sa connaissance et la reine des fées.
Rosalie se trouva seule dans la matinée ; elle alla se promener, et, tout en réfléchissant au bonheur du lendemain, elle se dirigea machinalement vers la rotonde ; elle y entra pensive et souriante, et se trouva en face de la toile qui recouvrait le trésor.
« C’est demain, dit-elle, que je dois enfin savoir ce que referme cette toile… Si je voulais, je pourrais bien le savoir dès aujourd’hui, car j’aperçois quelques petites ouvertures dans lesquelles j’introduirais facilement les doigts… et en tirant un peu dessus… Au fait, qui est-ce qui le saurait ? Je rapprocherais la toile après y avoir un peu regardé… Puisque ce doit être à moi demain, je puis bien y jeter un coup d’œil aujourd’hui. »
Elle regarda autour d’elle, ne vit personne, et, oubliant entièrement, dans son désir extrême de satisfaire sa curiosité, la bonté du prince et les dangers qui les menaçaient si elle cédait à la tentation, elle passa ses doigts dans une des ouvertures, tira légèrement : la toile se déchira du haut en bas avec un bruit semblable au tonnerre, et offrit aux yeux étonnés de Rosalie un arbre dont la tige était en corail et les feuilles en émeraudes ; les fruits qui couvraient l’arbre étaient des pierres précieuses de toutes couleurs, diamants, perles, rubis, saphirs, opales, topazes, etc., aussi gros que les fruits qu’ils représentaient, et d’un tel éclat que Rosalie en fut éblouie.
Mais à peine avait-elle envisagé cet arbre sans pareil, qu’un bruit plus fort que le premier la tira de son extase : elle se sentit enlever et transporter dans une plaine, d’où elle aperçut le palais du prince s’écroulant ; des cris effroyables sortaient des ruines du palais, et bientôt Rosalie vit le prince lui-même sortir des décombres, ensanglanté, couvert de haillons. Il s’avança vers elle et lui dit tristement :
« Rosalie, ingrate Rosalie, vois à quel état tu m’as réduit, moi et toute ma cour. Après ce que tu viens de faire, je ne doute pas que tu ne cèdes une troisième fois à ta curiosité, que tu consommes mon malheur, celui de ton père et le tien. Adieu, Rosalie, adieu ! Puisse le repentir expier ton ingratitude envers un malheureux prince qui t’aimait et qui ne voulait que ton bonheur ! »
En disant ces mots, il s’éloigna lentement. Rosalie s’était jetée à genoux ; inondée de larmes, elle l’appelait, mais il disparut à ses yeux, sans même se retourner pour contempler son désespoir. Elle était prête à s’évanouir, lorsqu’elle entendit le petit rire discordant de la Souris grise, qui était devant elle.
« Remercie-moi donc, Rosalie, de t’avoir si bien aidée. C’est moi qui t’envoyais la nuit ces beaux rêves de la toile mystérieuse ; c’est moi qui ai rongé la toile pour te faciliter les moyens d’y regarder ; sans cette dernière ruse, je crois bien que tu étais perdue pour moi, ainsi que ton père et ton prince Gracieux. Mais encore une petite peccadille, ma mie, et vous serez à moi pour toujours. »
Et la Souris, dans sa joie infernale, se mit à danser autour de Rosalie ; ces paroles, toutes méchantes qu’elles étaient, n’excitèrent pas la colère de Rosalie.
« C’est ma faute, se dit-elle ; sans ma fatale curiosité, sans ma coupable ingratitude, la Souris grise n’aurait pas réussi à me faire commettre une si indigne action.
Je dois l’expier par ma douleur, par ma patience et par la ferme volonté de résister à la troisième épreuve, quelque difficile qu’elle soit.
D’ailleurs, je n’ai que quelques heures d’attente, et de moi dépendent, comme le disait mon cher prince, son bonheur, celui de mon père et le mien. »
Rosalie ne bougea donc pas ; la Souris grise avait beau employer tous les moyens possibles pour la faire marcher, Rosalie persista à rester en face des ruines du palais.
V
LA CASSETTE
Toute la journée se passa ainsi ; Rosalie souffrait cruellement de la soif.
« Ne dois-je pas souffrir bien plus encore, se disait-elle, pour me punir de ce que j’ai fait souffrir à mon père et à mon cousin ? J’attendrai ici mes quinze ans. »
La nuit commençait à tomber, quand une vieille femme qui passait s’approcha d’elle et lui dit :
« Ma belle enfant, voudriez-vous me rendre le service de me garder cette cassette qui est bien lourde à porter, pendant que je vais aller près d’ici voir une parente ?
— Volontiers, Madame », dit Rosalie, qui était très complaisante.
La vieille lui remit la cassette en disant :
« Merci, la belle enfant ; je ne serai pas longtemps absente. Ne regardez pas ce qu’il y a dans cette cassette, car elle contient des choses…, des choses comme vous n’en avez jamais vu… et comme vous n’en reverrez jamais.
Ne la posez pas trop rudement, car elle est en écorce fragile, et un choc un peu rude pourrait la rompre… Et alors vous verriez ce qu’elle contient… Et personne ne doit voir ce qui s’y trouve enfermé. »
Elle partit en disant ces mots. Rosalie posa doucement la cassette près d’elle, et réfléchit à tous les événements qui s’étaient passés. La nuit vint tout à fait ; la vieille ne revenait pas. Rosalie jeta les yeux sur la cassette, et vit avec surprise qu’elle éclairait la terre autour d’elle.
« Qu’est-ce, dit-elle, qui brille dans cette cassette ? »
Elle la retourna, la regarda de tous côtés, mais rien ne put lui expliquer cette lueur extraordinaire ; elle la posa de nouveau à terre, et dit :
« Que m’importe ce que contient cette cassette ? Elle n’est pas à moi, mais à la bonne vieille qui me l’a confiée. Je ne veux plus y penser, de crainte d’être tentée de l’ouvrir. »
En effet, elle ne la regarda plus et tâcha de n’y plus penser ; elle ferma les yeux, résolue d’attendre ainsi le retour du jour.
« Alors j’aurai quinze ans, je reverrai mon père et Gracieux, et je n’aurai plus rien à craindre de la méchante fée.
— Rosalie, Rosalie, dit précipitamment la petite voix de la Souris, me voici près de toi ; je ne suis plus ton ennemie, et pour te le prouver, je vais, si tu veux, te faire voir ce que contient la cassette. »
Rosalie ne répondit pas.
« Rosalie, tu n’entends donc pas ce que je te propose ? Je suis ton amie, crois-moi, de grâce. »
Pas de réponse.
Alors la Souris grise, qui n’avait pas de temps à perdre, s’élança sur la cassette et se mit en devoir d’en ronger le couvercle.
« Monstre, s’écria Rosalie en saisissant la cassette et la serrant contre sa poitrine, si tu as le malheur de toucher à cette cassette, je te tords le cou à l’instant ! »
La Souris lança à Rosalie un coup d’œil diabolique, mais elle n’osa pas braver sa colère.
Pendant qu’elle combinait un moyen d’exciter la curiosité de Rosalie, une horloge sonna minuit. Au même moment, la Souris poussa un cri lugubre et dit à Rosalie :
« Rosalie, voici l’heure de ta naissance qui a sonné ; tu as quinze ans ; tu n’as plus rien à craindre de moi ; tu es désormais hors de mon atteinte, ainsi que ton odieux père et ton affreux prince. Et moi je suis condamnée à garder mon ignoble forme de souris, jusqu’à ce que je parvienne à faire tomber dans mes pièges une jeune fille belle et bien née comme toi. Adieu, Rosalie ; tu peux maintenant ouvrir ta cassette. »
Et, en achevant ces mots, la Souris grise disparut.
Rosalie, se méfiant des paroles de son ennemie, ne voulut pas suivre son dernier conseil, et se résolut à garder la cassette intacte jusqu’au jour.
À peine eut-elle pris cette résolution, qu’un Hibou qui volait au-dessus de Rosalie laissa tomber une pierre sur la cassette qui se brisa en mille morceaux.
Rosalie poussa un cri de terreur ; au même moment elle vit devant elle la reine des fées, qui lui dit :
« Venez, Rosalie ; vous avez enfin triomphé de la cruelle ennemie de votre famille ; je vais vous rendre à votre père ; mais auparavant, buvez et mangez. »
Et la fée lui présenta un fruit dont une seule bouchée rassasia et désaltéra Rosalie. Aussitôt, un char attelé de deux dragons se trouva près de la fée qui y monta et y fit monter Rosalie.
Rosalie, revenue de sa surprise, remercia vivement la fée de sa protection, et lui demanda si elle n’allait pas revoir son père et le prince Gracieux.
« Votre père vous attend dans le palais du prince.
— Mais, Madame, je croyais le palais du prince détruit, et lui-même blessé et réduit à la misère.
— Ce n’était qu’une illusion pour vous donner plus d’horreur de votre curiosité, Rosalie, et pour vous empêcher d’y succomber une troisième fois. Vous allez retrouver le palais du prince tel qu’il était avant que vous ayez déchiré la toile qui recouvrait l’arbre précieux qu’il vous destine. »
Comme la fée achevait ces mots, le char s’arrêta près du perron du palais. Le père de Rosalie et le prince l’attendaient avec toute la cour. Rosalie se jeta dans les bras de son père et dans ceux du prince, qui n’eut pas l’air de se souvenir de sa faute de la veille.
Tout était prêt pour la cérémonie du mariage qu’on célébra immédiatement ; toutes les fées assistèrent aux fêtes qui durèrent plusieurs jours.
Le père de Rosalie vécut près de ses enfants. Rosalie fut à jamais guérie de sa curiosité ; elle fut tendrement aimée du prince Gracieux, qu’elle aima toute sa vie ; ils eurent de beaux enfants, et ils leur donnèrent pour marraines des fées puissantes, afin de les protéger contre les mauvaises fées et les mauvais génies.
Illsutrations de Gustave Doré et Jules Didier
Les deux frères IV
Chapître IV
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Le jeune prince et son épouse vivaient fort heureux, et, comme Gottlieb, tout prince qu’il était, n’avait point oublié son ancien métier, il allait souvent à la chasse, et prenait toujours à cet exercice un extrême plaisir. Il va sans dire que, chaque fois qu’il allait à la chasse, ses hôtes l’y accompagnaient. Seulement, il y avait, à quelques lieues de la ville, une forêt qui passait pour giboyeuse, et qui en même temps jouissait du plus mauvais renom ; on y avait vu entrer beaucoup de chasseurs, jamais on n’en avait vu sortir un seul; ce qu’ils étaient devenus, personne ne le pouvait dire. Cependant, chaque fois que le jeune prince passait en vue de cette forêt, il s’arrêtait, secouant la tête et disant :
— Je ne serai pas content que je n’aie pénétré dans cette forêt, et que je ne sache par moi-même ce qui s’y passe.
Cette envie devint si grande, que Gottlieb ne laissa aucun repos au vieux roi que celui-ci ne lui eût accordé la permission qu’il sollicitait.
Un matin, il partit donc à cheval accompagné d’une nombreuse escorte; arrivé à la lisière du bois, il y aperçut une biche blanche comme la neige.
— Attendez-moi ici, dit-il à son escorte, je veux chasser cette magnifique bête.
Et il entra dans le bois, suivi seulement de ses fidèles animaux. Ses gens l’attendirent jusqu’au soir; mais, ne le voyant point revenir, ils retournèrent au palais, et racontèrent à la jeune reine ce qui s’était passé.
La pauvre princesse, qui adorait son Gottlieb, tomba dans une effroyable tristesse. Le jeune prince cependant avait poursuivi la biche blanche, ne la perdant pas de vue, mais ne pouvant l’atteindre. Depuis cinq heures déjà, cette poursuite durait, quand, tout à coup, l’animal s’évanouit comme une fumée. Alors seulement il s’aperçut qu’il était bien avant dans la forêt. Il prit son cor, en sonna de toutes ses forces ; mais il eut beau écouter, il n’entendit que l’écho qui lui répondait. Dans cette situation, et comme la nuit tombait, il résolut de demeurer dans la forêt jusqu’au lendemain matin, pensant qu’il lui serait impossible de retrouver sa route.
Il descendit donc de cheval, alluma du feu au pied d’un arbre et s’apprêta à bivuaquer. Il s’était déjà étendu près de son feu, ainsi que ses bêtes, et il ne voyait plus que dans le rayon de lumière projeté par ce feu, lorsqu’il crut entendre comme une voix humaine qui se plaignait. Il jeta les yeux tout autour de lui, mais n’aperçut âme qui vive. Un second gémissement se fit entendre : celui-là venait assurément d’en haut. Gottlieb leva la tête, regarda en l’air et vit une vieille femme perchée au haut d’un arbre.
— Hou ! hou ! hou ! disait la vieille ; hou ! hou ! hou ! que j’ai froid ! Le jeune prince la regarda avec étonnement, et, quoiqu’elle eût plutôt l’air d’un hibou que d’une femme, il en eut pitié.
— Si vous avez si froid que cela, la mère, lui dit-il, descendez et venez vous chauffer.
— Non, répondit la vieille, vos bêtes me mordraient. Puis elle répéta :
— Hou ! hou ! hou ! Je gèle ici.
— Mes bêtes ne font de mal à personne, répondit Gottlieb ; ne les craignez donc aucunement, et venez vous asseoir près de mon feu. Mais la vieille, qui était une sorcière, lui dit :
— Non, j